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Pour un infléchissement du principe de la personnalité des peines

Para II les obstacles à la transmission universelle du patrimoine

B. la transmission universelle du patrimoine entravée par le principe de la personnalité des peines

2. Pour un infléchissement du principe de la personnalité des peines

217. Si cette proposition pour l’infléchissement du principe de la personnalité des peines a un fondement, il reste que la position récente de la jurisprudence en matière administrative tend à aller dans ce sens notamment en ce qui concerne l’imputabilité des sanctions financières.

a. Le fondement de l’infléchissement

218. Le fait que le juge judiciaire, par sa position, sacralise un principe dépourvu semble t’il de valeur de principe constitutionnel, dans un domaine, le droit des affaires éloigné de son champ d’application initial, parait anachronique. Cette insistance à appliquer les droits fondamentaux et le principe de la personnalité des poursuites et des peines plus particulièrement ne risque t’elle pas d’aboutir à une banalisation de ces mêmes droits fondamentaux.

219. En effet, il est acquis aujourd’hui que les personnes morales de droit privé disposent des mêmes droits fondamentaux que les personnes physiques notamment les garanties d’un procès équitable, le droit de propriété ou encore la liberté d’expression en pleine expansion dans les domaines de la presse et de la publicité.

220. Il existe donc désormais une réelle extension du champ d’application des droits fondamentaux qui suscite des craintes de la part de certains auteurs. Où peut s’arrêter une telle évolution ? « A trop vouloir protéger les droits fondamentaux des personnes morales, on risque de moins protéger ceux des personnes physiques »160. En effet, une telle position de la jurisprudence est susceptible en l’espèce de provoquer une explosion du contentieux et de faire surtout de la convention un instrument entre les mains des agents économiques à des fins mercantiles.

221. En droit des fusions, l’instrumentalisation du principe de la personnalité des peines et des poursuites peut être une source d’impunité aisément actionnée, au détriment parfois des personnes physiques. Compte tenu de l’assimilation totale des personnes morales aux personnes physiques, les premières deviennent leur égal dans ce domaine, et bénéficient de fait de la même protection.

222. Comment en conséquence contester l’application du principe de la personnalité des poursuites et peines aux personnes morales ? En quoi la non application de ce principe serait justifiable pour les unes et inconcevable pour les autres ? Cette équivalence des sujets de droit doit être mise en balance avec une divergence de contexte d’application d’un tel principe, et ce d’autant plus en matière de restructuration où il apparaît clairement que la dissolution d’une personne morale ne présente pas les même conséquences irréversibles que le décès d’une personne physique. A l’inverse l’impossible résurrection de la personne physique, s’oppose la persistance de la personne morale sous un masque nouveau, et ce avec le bénéfice de l’impunité.

223. En conséquence, ce principe de la personnalité des poursuites et des peines, à l’origine conçu pour faire obstacle à la transmissibilité de la responsabilité pénale aux héritiers, provoque lorsqu’il est appliqué aux personnes morales, un échec aux poursuites qui auraient pu être engagées par le salarié victime de blessures ou de violences involontaires. Ce constat est d’autant plus frustrant et ressenti comme une injustice par les victimes, que la dissolution d’une personne morale mis à part les hypothèses spécifiques aux procédures collectives est un acte volontaire.

160

RENUCCI J.F., « le droit des affaires, domaine nouveau du droit européen des droits de l’homme » Dr. Et patrimoine, sept 1999, p.66.

224. C’est au regard de ces considérations que le principe de la personnalité des poursuites et des peines qui est incontestablement une garantie fondamentale pour les personnes physiques doit être appliqué par les juridictions nationales et européennes de manière plus nuancées aux personnes morales161. Cette absence totale de subjectivisme dans une application uniforme du principe de la personnalité des poursuites et des peines aux personnes morales est d’autant plus critiquable, qu’elle rend encore plus irrésistible la tentation des entrepreneurs de recourir à la disparition juridique de leur société par voie de fusion ou de scission afin d’échapper aux poursuites162

.

225. Le risque de fraude est indéniable et s’accroit d’autant plus que comme le constatent M. Germain et M-A FRISON-ROCHE, les personnes morales « dans la vie financière moderne, ne connaissent que des moments de stabilité courte et vivent de plus en plus entre deux restructurations163. »

226. En conclusion, il est à regretter que cette idée de l’infléchissement du principe de la personnalité des peines semble ne pas être à l’ordre du jour car la jurisprudence pour ce qui est du domaine judiciaire continue de juger qu’en raison de ce principe, les faits délictueux commis par la société absorbée ne sont pas imputables à la société absorbante. Ce qui n’est pas le cas pour la jurisprudence administrative.

b. Un infléchissement confirmé en jurisprudence administrative

227. Le principe de la personnalité des peines ne fait pas obstacle à ce que des pénalités fiscales soient mises, compte tenu de la transmission universelle du patrimoine, à la charge de la société bénéficiaire de cette transmission à raison des manquements commis, avant cette opération, par la société absorbée ou fusionnée ou par la société scindée164.

228. Peut être parce que sa mission n’est pas d’arbitrer entre des intérêts privés mais d’assurer le respect de l’intérêt général, le conseil d’Etat à la différence de la cour de

161 RONTCHEVSKI N, note précit. Sous Cass.com., 15 Juin 1999, spéc.p.918. 162

VICHH-Y-LLADO, art. précit., spéc. P.840.

163

GERMAIN M, FRISON ROCHE in RD bancaire et bourse, mai-juin 1997, p.120, n° 4

164

CE, avis, 3e et 8e ss-sect., 4 déc. 2009, Sté Rueil Sport : JurisData n° 2009-081570 ; JCP E 2010, 1145, n° 3, note DEBOISSY Fl. et Wicker G.

cassation165 répugne à admettre un complet effacement de la sanction en cas de transmission universelle du patrimoine d’une personne morale. Dans une décision du 22 novembre 2000 considérant de façon discutable que la société absorbante continuait la personnalité juridique de l’absorbée, le conseil d’Etat avait retenu que le principe de la personnalité des peines ne fait pas obstacle au prononcé d’une sanction pécuniaire à la charge de la société bénéficiaire de la transmission universelle du patrimoine166.

Dans son avis du 4 décembre 2009, le Conseil d’Etat a confirmé sa position. En l’espèce, une société s'est vue infligée des pénalités fiscales pour des faits commis par la société avec laquelle elle a fusionné. Le Tribunal Administratif de Paris a sursit à statuer sur la demande de cette société tendant à obtenir la décharge des pénalités pour absence de bonne foi dont ont été assortis les suppléments d'impôt sur les sociétés et de contribution à cet impôt qui lui ont été assignés.

Le Tribunal Administratif demande au Conseil d'Etat si la nature juridique des pénalités fiscales fait obstacle à ce qu'un contribuable juridiquement distinct puisse se voir infliger des pénalités pour des faits commis par un autre contribuable aux droits desquels il vient à l'occasion d'une opération de fusion ou de scission ou si l'objet des pénalités fiscales peuvent être mises à la charge de la société absorbante.

Dans son avis du 4 décembre 2009, le Conseil d'Etat lui répond que les pénalités fiscales, qui présentent le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elles visent et n'ont pas pour objet la seule réparation pécuniaire d'un préjudice, constituent, même si le législateur a laissé le soin de les établir et de les prononcer à l'autorité administrative, des accusations en matière pénale au sens des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il en résulte que le contribuable, personne physique ou personne morale, qui conteste devant le juge de l'impôt les pénalités fiscales qui lui ont été infligées, peut invoquer la méconnaissance des stipulations du paragraphe 2 de cet article pour critiquer l'application de ces pénalités. Toutefois, la nécessité de préserver le caractère effectif et dissuasif des pénalités fiscales impose d'appliquer le principe de personnalité des peines en tenant compte des spécificités des personnes morales, qui peuvent notamment décider de se transformer et de poursuivre leurs activités, sous une nouvelle forme juridique, à l'occasion d'opérations de restructuration.

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Cass.crim., 20 juin 2000, n° 99-86.742, Bull.Joly 2001, para 12, p.39.

Dès lors, eu égard aux objectifs de prévention et de répression de la fraude et de l'évasion fiscale auxquels répondent les pénalités fiscales, le principe de la personnalité des peines ne fait pas obstacle à ce qu’ à l'occasion d'une opération de fusion ou de scission, ces sanctions pécuniaires soient mises, compte tenu de la transmission universelle du patrimoine, à la charge de la société absorbante, d'une nouvelle société créée pour réaliser la fusion ou de sociétés issues de la scission, à raison des manquements commis, avant cette opération, par la société absorbée ou fusionnée ou par la société scindée.

229. Si l’on comprend bien l’objectif du conseil d’Etat, dont la légitimité n’est pas douteuse, la solution retenue est critiquable car elle se fonde non sur des considérations techniques mais d’opportunité. En tout état de cause, appliqué à une société, le principe de la personnalité des peines signifie donc que la société ( et à travers elle ses associés) ne répond pas des faits délictueux commis par une autre société qu’elle absorbe. Or, la conception formelle du principe de la personnalité des peines en excluant toute sanction en cas de disparition de la personne morale consécutive à la transmission universelle du patrimoine, conduit à faire échapper les associés à la sanction dont ils auraient pu subir les conséquences lorsqu’ils procèdent comme le relève le conseil d’Etat, à des opérations de restructuration. Dès lors, la question doit elle être de savoir s’il est ou non légitime que les associés de la personne morale bénéficiaire de la transmission universelle du patrimoine subissent les conséquences de la sanction qu’appelaient les agissements de la société dissoute. Une réponse affirmative s’impose dans le cas de la transmission universelle du patrimoine d’une société unipersonnelle à la personne morale qui en est l’associé unique.

230. En tout état de cause, en dépit des obstacles subis par la transmission universelle du patrimoine, la fusion produit des effets importants sur la société et partant sur son organisation sociale. Elle n'entraîne aucune modification des organes de la société absorbée, puisque celle-ci disparaît du simple fait de l'opération. Il en va de même lorsque la fusion ou la scission se réalise au profit de sociétés nouvelles créées pour la circonstance ; la composition des organes sociaux est déterminée par les statuts de la société nouvellement constituée. La question des effets de la fusion sur la composition des organes sociaux ne se pose avec acuité que pour la société absorbante. Celle-ci a reçu des apports de la société absorbée et a dû rémunérer par l'émission de parts ou d'actions nouvelles, les associés de la société absorbée. Ces événements sont susceptibles d'influer sur la composition des organes sociaux de la société absorbante. En effet, l'impact des opérations de concentration se révèle particulièrement sensible sur les organes de gestion (conseil d'administration, directoire) et de contrôle (conseil de surveillance) des sociétés anonymes. Dans les autres groupements

sociaux, la fusion aboutit simplement au remplacement du gérant de la société bénéficiaire s'il s'en est suivi un renversement de la majorité à l'assemblée générale. Dans la société anonyme classique, l'article L. 225-95 du Code de commerce167 permet que le nombre des membres du conseil d'administration puisse atteindre celui de vingt-quatre pendant le délai de trois ans à compter de la date de la fusion fixée à l'article L. 236-4, si aucune des deux sociétés qui fusionnent n'est inscrite à la cote officielle d'une bourse de valeurs. Ce nombre peut être élevé à vingt-sept si l'une des deux sociétés parties à la fusion voit ses actions ainsi inscrites et trente, si les deux sociétés sont cotées.

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C’est la même règle qui est prévue par l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE, art. 418.

Conclusion

231. En résumé, il faut retenir de cette étude que la restructuration répond à une logique de croissance de l’entreprise qui a pour fondement un mécanisme emprunté : la transmission universelle du patrimoine, objectif primordial de ces opérations de restructuration tant en droit français qu’en droit OHADA. Mais, cette finalité de la fusion est la résultante d’une autre subséquentes des restructurations d’entreprises : celle d’assurer la disparition d’une société, l’absorbée et de permettre la restructuration de l’actionnariat.

232. L’intérêt pratique de la reconnaissance du principe de la transmission universelle du patrimoine est considérable. Il permet non seulement la réalisation aisée d’une transmission du passif social, mais encore une simplification non négligeables du transfert des éléments d’actifs. Son intérêt majeur réside dans le fait qu’il permet de faire l’économie de l’application du régime juridique propre à chacun des éléments d’actifs et de passif composant le patrimoine. Ainsi conçue, la règle de transmission universelle du patrimoine présente l’intérêt de simplifier les opérations de transferts.

233. La portée simplificatrice peut, tout d’abord, être mesurée en ce qui concerne le transfert d’une société à une autre des éléments composant l’actif social. De fait, il est de principe que toutes les règles qui marquent le particularisme du régime juridique des cessions en vifs de certains éléments d’actifs sont écartées lorsque la transmission a lieu à titre universel. Tel est le cas particulièrement symptomatique des règles spécifiques imposées pour la cession du fonds de commerce. S’agissant du transfert des éléments du passif, de la société absorbée, l’intérêt de la transmission universelle du patrimoine est assez grande, celle-ci permettant le transfert du passif sans aucune formalité. En dépit de ces avantages, il est remarquable que la jurisprudence ne tire pas toutes les conséquences de l’affirmation du caractère universel de la transmission universel du patrimoine. L’incohérence des solutions jurisprudentielles révèle que le principe de la transmission universelle du patrimoine apparaît en dépit de ses conséquences logiques, impuissant à faire disparaître les obstacles existant à l’encontre du transfert de certains éléments du patrimoine de la société absorbée.

234. Il existe plusieurs restrictions voire des entraves à sa réalisation qui pour ce qui nous concerne altère considérablement cette conception légale. En effet, cette règle de la transmission universelle trait caractéristique de l’opération de fusion en dépit de sa très grande généralité n’est dans la réalité que partielle puisque tous les droits et toutes les

obligations ne sont pas transmis à la société absorbante comme il vient d’être démontré notamment en ce qui concerne les contrats conclus intuitu personae et la responsabilité pénale. Aussi, en raison de ces différents inconvénients inhérents à cette opération de restructuration sus démontrés, il est opportun de s’interroger sur l’existence d’une conception alternative des opérations de restructuration par voie de fusion?

CHAPITRE II POUR UNE CONCEPTION ALTERNATIVE DES

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