• Aucun résultat trouvé

Para II Une opération entravée

B- Des obstacles attestés par la doctrine

2- L’interprétation restrictive

478. Si la position des auteurs ci-dessus référencés obtient notre adhésion concernant la constitution des sûretés, elle n’est pas partagée pour ce qui concerne les avances

344

Deuxième directive n° 77/91/CEE du conseil du 13 décembre 1976.

de fonds et l’octroi des prêts. À l’instar de ce qui est allégué par une partie de la doctrine346

, une interprétation restrictive des termes de l’article L. 225-216 du Code de commerce semble plus conforme à la lettre du texte.

479. Dans l’hypothèse d’une fusion rapide, comment considérer comme une avance ou un prêt le fait pour l’entité fusionnée d’utiliser la trésorerie, qui initialement était celle de la cible, afin de rembourser les emprunts contractés dans le cadre du LBO ? Pour établir cette démonstration, il est impératif de partir de la définition du contrat de prêt. Aux termes de l’article 1892 du Code civil, il s’agit du « contrat par lequel l'une des parties livre à l'autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l'usage, à charge pour cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité ». Le prêt suppose donc une restitution de la part de l’emprunteur. Or, une telle restitution fait défaut dans une hypothèse de fusion rapide.

480. Certes, la trésorerie de la cible va permettre de rembourser les emprunts contractés par la holding pour son acquisition mais, l’opération ne va pas se matérialiser par une mise à disposition des fonds au profit de la holding à charge pour cette dernière de rendre cette somme d’argent à la cible. L’entité fusionnée va se contenter de prélever des sommes sur sa propre trésorerie. Par conséquent, elle n’a rien à restituer à qui que ce soit. Cela résulte de la transmission universelle de patrimoine qui s’opère du fait de la fusion

: la trésorerie utilisée n’est plus celle de la cible, mais celle de la société absorbante.

481. Grâce à la transmission universelle de patrimoine, les biens de la cible sont désormais la propriété de l’entité fusionnée. Dès lors, celle-ci ne fait rien d’autre que se prévaloir du droit que lui confère l’article 544 du Code civil347. La trésorerie dont il s’agit

étant sa propriété, elle bénéficie à son égard de l’abusus, c’est-à-dire de sa disposition matérielle et juridique. À cet effet, elle a donc le droit d’aliéner le bien dont elle a la propriété. Il n’y a donc ni avances de fonds, ni prêts ; la transmission universelle de patrimoine ne saurait être assimilée à ces opérations.

346

VIANDER A., l’article 217-9 de la loi du 24 juillet 1966 e t les rachats d’entreprise, JCP G 1990, I, n°3476 ; LENABASQUE H., A propos de l’article 217-9 de la loi du 24 juillet 1966, JCP E 1990, I, n° 107, p.17.

347

C.Civ. art.544 dispose que : « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus

482. D’autre part, les auteurs font également valoir que la prohibition de l’article L. 225-216 du Code de commerce ne recouvre pas les hypothèses de fusion rapide dans la mesure où cet article instaure une chronologie qui diffère de celle-ci. En effet, le législateur établit que les avances de fonds et les prêts doivent être accordés « en vue » de l’acquisition des actions.

483. Or, l’entité fusionnée utilise la trésorerie mise à sa disposition après que les titres aient été acquis. La fusion étant postérieure à l’achat des actions, il n’est procédé au remboursement des emprunts ayant permis l’acquisition de la cible qu’une fois ses titres acquis. Dès lors, comment considérer que l’opération contestée est réalisée en vue de l’achat des actions ? Enfin, on pourrait ajouter que la référence à un tiers s’oppose également à l’application de l’article L. 225-216 du Code de commerce. Il est vrai qu’après la fusion, la holding qui a acquis les actions de la cible n’est plus un tiers ; holding et cible étant désormais réunies pour ne former qu’une seule et même société.

484. Au vu de ces quelques arguments, il semblerait que l’article L. 225-216 du Code de commerce ne puisse s’appliquer pour sanctionner le résultat obtenu grâce à une fusion rapide. Dès lors, comme l’a précisé un éminent auteur, il convient en la matière d’éviter toute « cascade d’assimilation pour faire entrer dans le champ des interdictions des opérations qui n’entraient probablement pas dans les prévisions du législateur »348

. En effet, si le législateur a expressément visé les avances, les prêts et les sûretés, c’est peut-être parce qu’il n’entendait pas prohiber d’autres opérations.

485. À défaut, il aurait employé des termes plus larges. Par exemple, il aurait pu interdire toute opération par laquelle une société utilise sa trésorerie « en vue de la souscription ou de l’achat de ses propres actions par un tiers ». De même, si le législateur entendait prohiber ces opérations avant comme après l’achat des actions, il n’aurait pas pris la peine de préciser « en vue de la souscription ou de l’achat des actions ».

486. Ainsi, il appartiendra au juge de trancher cette controverse doctrinale. À l’heure actuelle, celui-ci a certes eu à se prononcer quant au sens à donner à l’article L. 225- 216 du Code de commerce, mais il n’a encore jamais eu à apprécier la compatibilité de la fusion rapide avec cet article. Dans l’hypothèse où il estimerait que ces opérations constituent

348

une violation de cette disposition, un certain nombre de sanctions viendront condamner ces agissements.

487. Comme il vient d’être démontré, l’opération de restructuration peut être utilisée à d’autres escients notamment ceux de rembourser par son mécanisme caractéristique une dette nécessaire à la prise de contrôle d’une entreprise. Cette conception alternative que la doctrine regroupe sous le vocable fusion rapide s’entend de la fusion qui intervient dans un délai assez bref entre la société cible et la société holding, afin que les intérêts de l’emprunt souscrit par le holding pour l’acquisition de la société cible, puisse être payé grâce à la trésorerie de cette dernière. Cette question suscite des controverses : est-il possible de fusionner la société holding et la société cible tant que les emprunts contractés par la holding pour la prise de contrôle de la cible n’ont pas été remboursés ?

488. Dans ce cas, il se produit une confusion des patrimoines des deux sociétés et par conséquent, une utilisation des actifs de la cible, notamment sa trésorerie. Cette confusion des patrimoines profitant indirectement aux détenteurs des titres de la holding, n’y a t’il pas violation des dispositions de l’article L.225-216 qui, comme il vient d’être démontré prohibent les avances ou les prêts consentis par une société à un tiers en vue de l’achat de ses propres actions, voire un abus de bien sociaux si les acquéreurs sont administrateurs de la société cible? la fusion est une opération courante qui fait l’objet de règles précises destinées à sauvegarder les intérêts des associés et des créanciers sociaux. Elle n’est donc pas en soi critiquable même si elle a pour objet de rapprocher deux sociétés dont l’une vient de prendre le contrôle de l’autre. Et, cette position favorable semble être celle de la jurisprudence. En effet, l’interdiction prévue par l’article L.225-216 du code de commerce a fait l'objet d'une interprétation favorable aux opérations de reprise. La Cour de cassation a estimé dans un arrêt de principe que ne tombe pas sous le coup de cet article, l'opération par laquelle une banque consent un prêt à un tiers pour l'achat des actions d'une société alors que ce prêt était garanti par le nantissement des titres et l'affectation au profit de la banque des distributions de bénéfices futurs effectuées par la société rachetée. Autrement dit, l'application stricte des termes de l'article L. 225-216 précité n'interdit ni la constitution par la société holding d'un nantissement portant sur les actions de la société cible, ni la remontée des dividendes de la cible à la holding en vue de rembourser le prêt349. Il en résulte que quelque soit le sens de la fusion (holding absorbant la cible ou l'inverse), la réunion des deux sociétés revient à financer

349

le rachat de la cible avec ses propres actifs. Et, la violation de ce texte en raison des lourdes sanctions encourues pose avec acuité le problème de son applicabilité au cas d'une fusion rapide. S'il est prouvé que la fusion anticipée n'a été réalisée que pour détourner l'interdiction de l'article L. 225-216 précité et partant qu'elle ne présente aucun intérêt économique pour les sociétés fusionnées, elle peut être annulée et des condamnations pénales peuvent être prononcées contre les dirigeants qui l'ont organisée. Mais, le recours à l'article L. 225-216, d'interprétation restrictive en raison des sanctions pénales dont il est assorti, est discutable ici dans la mesure où une fusion n'est ni une avance ni un prêt. La question de l'application de l'article L. 225-216 à une fusion rapide demeure donc entière en l'absence de jurisprudence de référence sur ce point.

489. Cette interdiction est traitée également par le droit OHADA dans l’article 639 de l’acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et du GIE qui dispose que :

« La souscription ou l'achat par la société de ses propres actions, soit directement, soit par une personne agissant en son nom propre mais pour le compte de la société est interdite. De même, la société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de la souscription ou l'achat de ses propres actions par un tiers.

Toutefois, l'assemblée générale extraordinaire qui a décidé une réduction de capital non motivée par des pertes peut autoriser le conseil d'administration ou l'administrateur général, selon le cas, à acquérir un nombre déterminé d'actions pour les annuler.

Les fondateurs ou, dans le cas d'une augmentation de capital, les membres du conseil d'administration ou l'administrateur général sont tenus dans les conditions prévues aux articles 738 et 740 du présent Acte uniforme, de libérer les actions souscrites ou acquises par la société en violation des dispositions de l'alinéa premier du présent article.

De même, lorsque les actions sont souscrites ou acquises par une personne agissant en son nom propre mais pour le compte de la société, cette personne est tenue de libérer les actions solidairement avec les fondateurs ou, selon le cas, les membres du conseil d'administration ou l'administrateur général. Le souscripteur est en outre réputé avoir souscrit les actions pour son propre compte. »

Conclusion TITRE I

490. Dans le cadre de leur stratégie de croissance, les entreprises peuvent être amenées à se regrouper par des fusions qui leur permettent de renforcer leur capacité concurrentielle. Cette logique a été consacrée en droit français et OHADA sur la base du mécanisme de la transmission universelle du patrimoine. Cependant, ce mécanisme en dépit de son originalité contient des imperfections qui en notre sens pourraient entraver l’efficience des restructurations d’entreprises. Aussi, cette conception primitive pour notre part apparaît désuète ce d’autant plus qu’il existe de plus en plus de nouvelles donnes, de nouveaux impératifs qui voient se développés des nouveaux mécanismes de restructurations dans lesquels la transmission universelle joue un rôle dérivé. La doctrine utilise la notion « fusion rapide » ou de « montage de type LBO »qui permettent d’affirmer que la finalité première de l’opération de restructuration par voie de fusion n’est pas tant la transmission universelle du patrimoine mais l’utilisation de celle-ci à des fins de parachèvement du montage financier. Ces procédés qui répondent plus à des impératifs financiers et soumis aux techniques de l’ingénierie financière démontrent qu’en plus de la conception patrimoniale légale, de la conception contractuelle doctrinale partiellement consacrée légalement, l’on assiste à une autre conception doctrinale : la financiarisation de l’opération de restructuration par fusion qui prend des proportions de plus en plus importantes. Elle apparait comme une technique de financement de l’acquisition et de la transmission des entreprises et posent des problématiques importantes notamment en matière fiscale qu’il convient de régler car le législateur n’a prévu aucune disposition propre en la matière. En définitive, si ces opérations de restructuration sont possibles au plan interne, il convient de préciser qu’elles peuvent dépasser le cadre national, le législateur leur ayant consacré un régime légal qui en dépit de son caractère innovant contient des entraves qu’il convient de développer.

TITRE II LA CROISSANCE AU PLAN TRANSFRONTALIER : UNE

Documents relatifs