• Aucun résultat trouvé

L’intertexte religieux : Boudjedra l’iconoclaste

L’intertextualité dans tous ses états

2.4. L’intertexte religieux : Boudjedra l’iconoclaste

Nous pouvons relever que la pratique de la citation coranique ainsi que celle de la tradition du prophète est proportionnellement relevée, mais en même, temps rares sont les versets coraniques repris textuellement. Souvent, le texte religieux est contesté, voire même profané.

La relation de Rachid Boudjedra avec le Coran commence dès son enfance au moment de son inscription à l’école coranique à l’âge de quatre ans où il restera deux ans. Tous les historiens inscrivent l'éclosion des écoles coraniques dans le sillage de l'apparition de l'Association des Oulémas Musulmans Algériens, en 1931. Bien évidemment, l'Islam, en tant que religion, entretient des rapports singuliers avec la société algérienne dont il est un fondement référentiel absolu ; considéré comme « veilleur de la

nationalité ».160 Et, comme tous les inscrits à cette école, Rachid Boudjedra va apprendre par cœur tout le Coran pendant la durée de sa formation.

Ainsi, dans toute son œuvre il va établir une relation critique avec la parole sacrée. L’auteur va plus, à travers l’évocation de la religion, s’attaquer à certaines pratiques qu’au texte sacré. Sa relation au Coran est très subtile, voire même très feutrée comparée à la virulence qui caractérise les propos véhiculés par toute son œuvre. Par conséquent, nous ne partageons pas l’avis de certains critiques qui reprochent à

107

l’auteur de tenir des propos blasphématoires à l’égard de la religion. Déjà, en 2006, il affichait clairement ses prises de positions :

Je suis athée et communiste (...). Je ne suis pas contre l’islam. J’ai été élevé dans une famille musulmane. La violence intégriste a encore accentué mes convictions. Avant, j’écrivais un roman tous les trois ans, le terrorisme m’a poussé à écrire un roman chaque année, une autre manière de lutter contre ces criminels.161

À l'instar de nombreux intellectuels, Rachid Boudjedra est un militant nationaliste qui a participé à la guerre de libération nationale de son pays. Il a subi menaces et pressions de la part des fous d’Allah lors de la décennie noire de guerre civile, dans les années 1990. Une fatwa avait été décrétée

pour le liquider suite à la parution de son roman Fis de la Haine. De

nombreux intellectuels et personnalités algériens, à l’instar de l’écrivain Kateb Yacine, décédé en 1989, ou encore du le chanteur Matoub Lounès, assassiné en 1995, avaient, à l’époque, affiché ouvertement leur athéisme mais cela c’était avant l’avènement des réseaux sociaux et l'islamisation progressive de l'Algérie.

La dernière sortie médiatique de Rachid Boudjedra ne réside pas tant dans son athéisme, mais dans le fait de l’annoncer à partir d’une télévision algérienne privée Echourouk connue pour ses accointances islamistes ainsi que pour la propagation de leurs thèses. En fait, l’auteur a opté pour une posture courageuse, celle d’épiloguer sur une question taboue : la religion.

Invité de l’émission El Mahkama (Le tribunal), Rachid Boudjedra a débuté l’entretien en brisant un grand tabou, préférant jurer de dire la

108

vérité non pas par Allah comme il est de coutume de l’entendre dans la tradition musulmane, mais par sa mère comme le veut la tradition populaire de beaucoup d’Algériens. Rachid Boudjedra a annoncé aux algériens qu’il ne croit ni à l’existence de Dieu ni à la prophétie de Mohamed, deux vérités indiscutables et indiscutées chez les musulmans. Pour lui Mohamed, n’est pas un prophète, mais un révolutionnaire :

Au nom de ma mère, je jure de dire la vérité, toute la vérité. Je ne crois pas en Dieu, ni en la religion musulmane, je ne crois pas en Mahomet comme prophète (…) Si je devais choisir une religion, ce serait le bouddhisme pour son pacifisme (…) Mahomet est un visionnaire, un révolutionnaire162

C’est une prise de position qui n’est point anodine et qui démontre le choix courageux de Rachid Boudjedra de vouloir rester fidèle à la cohérence de son discours, de ses convictions, sans qu’il ait la moindre ambiguïté.

Les téléspectateurs de la chaine privée Echourouk sont restés abasourdis, surtout que les algériens en général sont réticents à l’idée de débattre de questions relatives à l’existence de Dieu, à la véracité de la révélation ou toutes autres questions métaphysiques. Evoquer ces questions c’est tout simplement tenir des propos blasphématoires.

Rachid Boudjedra a admis son athéisme, sa laïcité, sa liberté de pensée tout en ajoutant que ces questions relèvent de l’ordre du personnel et de la liberté du culte.

162 L’émission "Mahkama" (Tribunal), sur Echourouk TV, une chaîne de télévision privée algérienne conservatrice, le 03 juin 2015

109

L’auteur affirmera avec aplomb, face à la présentatrice ensuite que de nombreux autres Algériens « sont athées, mais n'osent pas l'afficher par peur de l'opprobre de la société », ajoutant qu’il « préfère être un athée sincère

qu’un musulman hypocrite. »163

Dans l’imaginaire collectif des Algériens, l’athéisme est une pratique immorale qu’il faut bannir, qui ne peut être acceptée voire même tolérée. Par conséquent, il faut éradiquer les personnes athées perçues comme les ennemis d’Allah et des musulmans.

Suite aux propos tenus par l’écrivain, Le prédicateur salafiste Abdelfattah Hamadache, qui avait déjà dans un premier temps décrété une fatwa contre l'écrivain algérien Kamel Daoud, a aussitôt demandé à ce que Rachid Boudjedra ne soit pas enterré avec les autres musulmans car c’est un mécréant qui va souiller les cimetières des musulmans. S’ensuit alors un branlebas de combat sur les réseaux sociaux ou insultes et menaces se sont multipliées sur Facebook et Twitter et autres forums en ligne demandant la liquidation pure et simple de Rachid Boudjedra, taxé de « représentant du diable » et de « sanglier athée ».

Nous pouvons dire, sans le moindre doute, que les propos de Rachid Boudjedra sont loin d’être une réaction émotionnelle, mais au contraire une conviction qui émane d’une vision philosophique profonde qui repose sur le libre arbitre d’un discours rationnel et cohérent. Ses propos relèvent de sa liberté de conscience et d'expression garanties par la loi algérienne la

163 L’émission "Mahkama" (Tribunal), sur Echourouk TV, une chaîne de télévision privée algérienne conservatrice, le 03 juin 2015.

110

Constitution et surtout par l’Islam. En quoi le fait d’être athée pour un

algérien peut-il porter préjudice à l’islam ?

Quelques temps plus tard Rachid Boudjedra reviendra sur la polémique engendrée par ses propos sur les plateaux de télévision d’Echourouk en donnant plus de précision :

J’ai été très choqué par la question de l’animatrice qui m’a demandé si j’étais athée ; pourquoi une telle question ? J’ai alors répondu : oui je suis athée et après ? (…) je respecte l’Islam et les musulmans164

Dans cette mésaventure, Boudjedra l’iconoclaste a choisi d’agir en Galilée qu’en Socrate, faisant preuve d’un courage et d’une foi en ses convictions qui ne souffrent d’aucune ambiguïté ; et cela ne date pas d’aujourd’hui.

Dieu n’existe pas et cela ne me désespère pas pour autant. Il y a chez moi un athéisme qui peut sembler désuet ; mais il s’agit d’une attitude vitale et saine dans les pays où l’islâm représente une force politique qu’il ne faut pas négliger, sans trop la dramatiser non plus comme on le fait dans les pays occidentaux.165