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Durant la période à l’étude, mais plus précisément à partir du moment où entrèrent en service les inspecteurs des prisons, asiles, maisons de réforme et autres institutions semblables nommés et employés par le gouvernement à partir de 1859, le pourcentage de réadmissions par rapport à celui des admissions à l’Asile de Beauport fut maintenu à environ 11% jusqu’en 1885. Les propriétaires de l’Asile furent assez fermes à ce sujet, voulant éviter la situation où une décharge trop rapide cause des torts au malade et à sa famille. Témoignant des données statistiques concernant les réadmissions lors de la Commission Duchesneau, le Dr George-Antoine Larue précise toutefois que depuis l’instauration du Bureau médical en 1885, ce pourcentage durant deux ans et demi se tint à 28%. Selon lui, cette forte hausse serait due aux décisions prises par les médecins du Bureau médical qui avaient désormais le pouvoir de recommander les décharges411. Toutefois, après la Commission Duchesneau, les

réadmissions baissèrent légèrement pour atteindre environ 25% des admissions en 1895412.

410 Archives IUSMQ - CIUSSS de la Capitale-Nationale, série documentaire, LAC, volume 1877-1880, lettre #147 « Lettre d’Arthur Vallée aux propriétaires de l’Asile des aliénés de Québec », le 16 février 1880. 411 « Déposition du Dr Georges-Antoine Larue », op. cit., p.12.

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Une fois l’ordre de décharge rédigé et accepté par le Secrétaire provincial, il était du devoir des proches du malade de venir le chercher. Bien que plusieurs patients puissent compter sur l’aide d’un proche pour en prendre soin une fois renvoyé de l’Asile, certains se retrouvaient seuls hors des murs de l’institution. Selon les états de compte du préfet Clément Vincelette413, le gouvernement pouvait défrayer les coûts du transport et des vêtements au

besoin, comme dans le cas d’Alitia Sutton en 1869414. D’autres patients ne pouvaient compter

sur une aide gouvernementale et étaient laissés à eux-mêmes. Il en est ainsi de madame Huband qui, selon les dires des propriétaires de l’Asile de Beauport, se retrouvera sans gîte ni moyen d’existence à la sortie de l’Asile en 1869 : « Sans asile et sans moyens pour s’en procurer : son mari, parait-il, l’a déserté et la pauvre femme ne sait que faire pour éviter les privations de tous genres qui l’attendent à sa sortie de notre institution et pendant tout le temps où elle sera sans gîte et sans moyen de vivre »415.

Les propriétaires de Beauport étaient tout à fait conscients que les risques de récidive étaient plus grands lorsqu’un malade était retourné à la société sans support familial. C’est ce que fit savoir Clément Vincelette au Secrétaire provincial en 1879, au sujet de madame Louise Dubois qui, une fois hors de l’Asile et sans support familial, fut retrouvée dans une maison de prostitution, endroit qui avait causé la perte de sa raison avant sa première admission à l’Asile de Beauport. Dans cette même lettre, Clément Vincelette proposait que soient placées en maison de correction ces femmes sans secours afin d’éviter qu’elles ne retombent « dans des fautes qui doivent amener infailliblement la ruine de l’âme et de la raison »416.

L’espoir de voir un proche guérir pouvait aussi être remis en question en raison des cas de réadmission témoignant du fait qu’un séjour à l’Asile ne fut pas suffisant pour certains.

413 Archives IUSMQ - CIUSSS de la Capitale-Nationale, série documentaire, LAC, volume 1876-1879, p. 73, « Lettre de Clément Vincelette adressée au Gouvernement de la province de Québec », le 23 janvier 1878. 414 Archives IUSMQ - CIUSSS de la Capitale-Nationale, série documentaire, LAC, volume 1865-1872, p. 182, « Lettre des Drs J. E. Landry et F. E. Roy à A. LeMoine, secrétariat provincial », le 30 septembre 1869.

415 Ibidem.

416 Archives IUSMQ - CIUSSS de la Capitale-Nationale, série documentaire, LAC, volume 1876-1879, p. 400, « Lettre de Clément Vincelette au Secrétaire provincial », le 19 juillet 1879.

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Ce fut le cas pour la fille de madame Lessard qui, par un intermédiaire, demanda des nouvelles de sa fille qui était à l’Asile depuis neuf ans en 1881 :

Je m’informe de vous si sa fille, Emma, qui est internée dans votre asile depuis plusieurs années, huit ou neuf ans, est bien et en état de sortir de l’asile sans danger de récidive. Si toutefois elle est bien depuis longtemps, comme la mère là appris par ses lettres, et par diverses personnes, la mère serait bien contente de luis envoyer de l’argent et de la faire revenir, si au contraire elle n’est pas tout à fait bien, elle préfèrerait l’avoir là pour les raisons ci-haut mentionnées. Je dois vous dire qu’elle est à l’asile pour la troisième fois 417.

Les sources témoignant de la vie des ex-patients de l’Asile de Beauport sont très rares. Certaines lettres de notre corpus en font parfois état lorsqu’il s’agit d’informer les autorités de l’Asile de la guérison du malade. Pour de nombreuses familles, le retour de l’être cher guéri représentait un grand soulagement. On apprend par exemple à quel point il fut bon de voir comment M. Létourneau put se réconcilier avec sa femme lors de sa sortie de l’Asile en 1885, comme le relate le curé de Sainte-Famille d’Orléans au préfet Clément Vincelette :

Je viens vous apprendre que le lendemain de sa sortie, il a fait des demandes pour se réconcilier avec son épouse. Tous deux se trouvaient à Québec avec des parents des deux côtés ainsi que moi-même. Il a montré de très bonnes dispositions, et je crois à la sincérité de ses promesses. Comme j’avais vu le docteur Vallée qui m’avait appris que Mrs les docteurs Larue et Marois n’avaient pu trouver en lui de marques de folie, n’ayant rien à craindre de ce côté, j’ai cru que l’accord pouvait se faire. J’ai donc envoyé et conseillé la femme à le recevoir et je l’ai rassuré et elle a eu le courage et la vertu de l’accepter […] Il est maintenant avec sa femme, il a repris ses occupations et j’espère qu’il se conduira à l’avenir en honnête homme comme il l’a promis et je crois, avec sincérité. Je puis vous rassurer qu’il a fait les choses selon la foi et la religion et la direction de son curé […] Monsieur le Chevalier, je vous remercie de la bienveillance que vous avez eue pour ce jeune homme, ainsi que trouver le docteur Larue, que vous pouvez voir à ce sujet418.

La situation ne fut toutefois pas la même pour une femme de Berthier qui, près d’une dizaine d’années auparavant, au moment de recevoir son mari pour lequel elle avait fait une demande de congé d’essai, s’aperçut que son séjour à l’Asile avait été terriblement difficile physiquement :

Comme vous le savez, mon mari Zéphirin Gauthier est arrivé ici, il est bien quant au moral, mais il est d’une faiblesse physique extraordinaire. Il est sage et tranquil, et je crois qu’il continuera de même. J’ai intention de le garder avec moi pour le soigner. L’ennui le travail et il dit que c’est ça qui l’a rendu malade. Et s’il venait à aller mal, je pourrais vous le renvoyer, mais je crois qu’il mourra avant. Il est excessivement maigre et faible419.

417 Archives IUSMQ - CIUSSS de la Capitale-Nationale, série documentaire, LAC, volume 1881-1885, lettre # 7, « Lettre du Dr Chevalier adressée à Clément Vincelette », le 22 février 1881.

418 Archives IUSMQ - CIUSSS de la Capitale-Nationale, série documentaire, LAC, volume 1881-1885, lettre # 238, « Lettre du curé de Sainte-Famille d’Orléans à Clément Vincelette », le 5 octobre 1885.

419 Archives IUSMQ - CIUSSS de la Capitale-Nationale, série documentaire, LAC, volume 1876-1878, lettre # 38, « Lettre de dame Zéphirin Gauthier au docteur Antoine-Ulric Bélanger », le 20 mai 1876.

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La plupart des informations dont nous disposons sur la vie des malades reposent sur les cas de réadmission dont font état les parents, ou les membres d’une communauté, qui ont vécu la résurgence de la folie chez leur malade, une fois de retour dans leur famille. C’est ce dont témoigne le shérif de la région de Beauce, alors qu’il demande la réadmission d’un malade en expliquant son comportement une fois sorti de l’Asile de Beauport en 1881 : « De nouveau réfugié dans les bois des environs, il a recommencé de suite sa vie d’autrefois et on est venu m’avertir aujourd’hui qu’il se propose d’exercer ses vengeances et de faire bruler des bâtisses de ceux qui l’ont envoyé à l’asile »420.

La communauté, souvent représentée par le curé, et la famille devaient alors se débrouiller comme elles le pouvaient devant un malade agressif, par exemple. Comme l’explique le curé Georges Vaillancourt de Saint-Georges-de-Windsor dans sa lettre à Clément Vincelette en 1887 : « Monsieur, Honoré Rochebou, de cette paroisse qui a été interné pour une seconde fois, à l’asile, l’année dernière, et qui a été remis en liberté, si je ne me trompe, dans le mois de décembre, est retombé dans son ancienne folie. Dans ses accès de fureur, il cherche à tuer. Ses parents sont obligés de l’enchainer »421.

Les causes de réadmission des patients à l’Asile étaient dues, selon les propriétaires de l’institution, aux familles qui demandaient la sortie d’un patient trop rapidement. Les propriétaires de l’Asile, en rapportant huit cas de réadmission durant l’année 1874, soutiennent ainsi :

Ces réadmissions proviennent pour la plupart des renvois effectués sur la demande des parents, avant même que la convalescence ait été suffisamment établie. En arrivant dans leur famille, ces malades ne sont point assez préparés à se soustraire aux circonstances fâcheuses qui ont occasionné la première attaque de la maladie, trop faibles pour lutter contre les causes morales d’excitation qui règnent encore, à leur retour, dans le centre où ils vivaient avant leur entrée à l’asile, ils retombent dans les mêmes troubles et reviennent à notre maison422.

Les cas de réadmission représentent un sujet épineux. À Beauport, les médecins responsables des aliénés ainsi que les propriétaires de l’institution demandent certains assouplissements dans la loi dès 1866. À la suite d’un échange de lettres, et après avoir reçu

420 Archives IUSMQ - CIUSSS de la Capitale-Nationale, série documentaire, LAC, volume 1881-1885, lettre # 46, « Lettre de François Hébert adressée à Clément Vincelette », 17 juillet 1881.

421 Archives IUSMQ - CIUSSS de la Capitale-Nationale, série documentaire, LAC, volume 1885-1888, lettre #104, « Lettre du curé Georges Vaillancourt adressée à Clément Vincelette », 18 août 1887.

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l’ordre du Secrétaire provincial de toujours procéder selon les mêmes formalités pour la réadmission d’un patient423, les propriétaires de l’Asile de Beauport acceptèrent de se plier

au règlement. C’est ce qui est illustré dans une lettre parvenue au préfet Clément Vincelette par le curé de Sainte-Marie de Beauce, en 1876 :

Une femme de ma paroisse […] ayant passé en 1872-1873 six à sept mois à l’Asile, après lequel espace de temps elle revint dans sa famille guérie. Cette femme est retombée de nouveau dans sa maladie qui amène avec elle la folie. Ses parents veulent la faire entrer de nouveau à l’Asile. Son mari est pauvre et chargé d’une nombreuse famille et ne peut payer sa pension à l’Asile. Elle n’a reçu les soins d’aucun médecin depuis trois ans qu’elle a quitté l’Asile. Comme elle est connue des médecins de l’Asile, je crois qu’il n’est pas nécessaire d’observer les formes ordinaires requises pour l’admission d’un aliéné424.

En réponse au curé de Sainte-Marie de Beauce, Clément Vincelette illustre en détail, en 1878, de quelle manière il fallait s’y prendre afin de procéder à l’internement d’un malade dont la famille ne pouvait payer l’hébergement :

En réponse il est de mon devoir de vous informer que je ne puis recevoir votre aliéné avant que l’admission du gouvernement ne me soit envoyée, car un malade ne peut être reçu ici autrement. Si le malade a le moyen de payer sa pension, il faut qu’il soit interdit et alors il faut que la pension soit payée trois mois d’avance c’est-à-dire qu’il faudra payer cinquante piastres en amenant le malade425.

Bref, les cas de réadmission présentés ici auront permis d’éclairer comment fut vécu le retour dans la société de certains malades préalablement internés à l’Asile de Beauport. Ce ne fut toutefois pas toutes les sorties qui furent autorisées par les propriétaires de l’Asile, comme en témoignent les cas d’évasions dans la section qui suit.