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Portes ouvertes sur l'institutionnalisation de la folie à Québec : étude de l'Asile de Beauport, 1845-1893

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Texte intégral

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Portes ouvertes sur l’institutionnalisation de la folie

à Québec :

Étude de l’Asile de Beauport, 1845-1893

Mémoire

Vincent St-Pierre

Maîtrise en histoire

Maître ès art (M.A.)

Québec, Canada

(2)

Portes ouvertes sur l’institutionnalisation de la folie

à Québec :

Étude du cas de l’Asile de Beauport, 1845-1893

Mémoire

Vincent St-Pierre

Sous la direction de :

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iii

Résumé

Ce mémoire porte sur la mise en œuvre de la politique d’institutionnalisation de la folie en milieu asilaire durant la seconde moitié du XIXe siècle à Québec. L’étude se penche plus

spécifiquement sur l’Asile de Beauport, premier asile permanent de la province de Québec. Cet établissement fut dirigé par trois générations de propriétaires, de son ouverture en 1845 jusqu’à ce qu’il soit pris en charge par les Sœurs de la Charité de Québec en 1893 selon un système qu’on appela l’affermage. L’accent de cette recherche est mis sur l’expérience et les interactions entre les différents acteurs - les propriétaires, membres du personnel médical et non médical, l’État, la famille et la communauté des patients - présents dans le processus d’institutionnalisation de la folie. Cette manière d’appréhender l’histoire de l’Asile de Beauport permet d’examiner une réalité parfois différente du cadre légal, réalité née de l’adaptation des acteurs en présence à un système dont l’objectif thérapeutique céda la place à celui d’une entreprise lucrative. Ce modèle de gestion à des fins lucratives s’est répercuté de manière manifeste à chacune des étapes de l’institutionnalisation asilaire, à savoir l’admission, l’internement et la décharge des patients.

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iv

Abstract

This thesis concerns the process of institutionalizing madness in asylums, during the middle of the XIXth century in Quebec City. More specifically, this study is concerned with

the Asile de Beauport, the first permanent asylum in the province of Quebec. This establishment was managed by three generations of owners, from its opening in 1845 until 1893, when it fell under the management of the Soeurs de la Charité de Québec, using the farming-out system. The main focus of this research examines the experiences and interactions between different players involved in the process of institutionalizing madness: owners, medical and non-medical staff, the State, the patient’s family and community. This approach to the history of the Asile de Beauport allows the examination of a reality often different from the legal context, a reality born from the adaptation of the various players to the system whose therapeutic objective was replaced by a capitalist enterprise. This profit-focused management model was manifest at every step of the asylum’s institutionalization, such as admission, internment and release of patients.

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v

Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... viii

Liste des figures et graphiques ... ix

Liste des abréviations employées ... x

Remerciements ... xi

Introduction ... 1

Bilan historiographique ... 2

Questionnement et problématique de recherche ... 13

Identification et méthode de traitement du corpus de sources ... 15

Plan de présentation ... 20

1 L’Asile de Beauport et ses propriétaires ... 21

1.1 Le portrait des propriétaires de l’Asile de Beauport : l’histoire de trois générations ... 22

1.1.1 Douglas, Morrin et Frémont : la formation d’une élite médicale à Québec ... 24

1.1.2 Jean-Étienne Landry et François-Elzéar Roy, l’émergence d’une élite médicale franco-catholique ... 31

1.1.3 Philippe Landry, Georges-Antoine Larue et Joséphine Delphine Lavigne Roy, à la poursuite de l’entreprise familiale ... 37

1.2 L’Asile de Beauport : une entreprise lucrative au service d’une élite médicale ... 41

1.2.1 Le contexte médical et la formation des médecins aliénistes au Canada ... 41

1.2.2 L’État et le système d’affermage... 47

2 Faire son entrée à l’Asile de Beauport ... 56

2.1 Évolution de la population asilaire ... 57

2.2 Le moment préasilaire : l’apparition de la maladie et des causes de l’internement ... 70

2.3 Le cadre médico-légal du processus d’admission ... 79

2.4 La mise en pratique du processus d’admission ... 85

3 Vivre l’internement à l’Asile de Beauport ... 91

3.1 Le cadre physique... 92

3.1.1 Du manoir au domaine, l’évolution de l’Asile de Beauport ... 92

3.1.2 Occupation et organisation de l’espace à l’Asile de Beauport ... 96

3.2 Routine quotidienne à l’Asile de Beauport ... 100

(6)

vi

3.2.2 Le personnel soignant et le service médical ... 105

3.2.3 Le personnel non soignant et le service régulier aux malades ... 117

3.4 Garder le contact : l’importance de la correspondance familiale pour les malades internés à l’Asile de Beauport ... 131

4 Mettre fin à l’internement et les différentes voies de sortie ... 136

4.1 Analyse quantitative du processus de décharge ... 136

4.2 Processus de décharge : guéri, amélioré et sans amélioration ... 140

4.3 L’après-internement et les réadmissions ... 147

4.4 Évasions ... 151

4.5 Décès ... 156

Conclusion... 164

Bibliographie ... 168

Annexes ... 180

Annexe 1- Répartition du nombre total de lettres selon son recueil de référence ... 180

Annexe 2 - Répartition du nombre de lettres de son recueil de référence selon le sujet général traité ... 180

Annexe 3 - Répartition du nombre de lettres de son recueil de référence selon le sujet spécifique traité... 181

Annexe 4 - Tableau des contrats signés entre le gouvernement de la province du Canada, puis du gouvernement du Québec et les propriétaires de l’Asile de Beauport, 1845-1893 ... 183

Annexe 5 - Tableau des lois concernant l’institutionnalisation des aliénés dans les asiles de 1851 à 1885 ... 184

Annexe 6 - Tableau synoptique du mouvement de la population de l’Asile de Beauport de 1845 à 1893 ... 185

Annexe 7 - Répartition des témoins de la Commission Duchesneau selon les aspects sociaux-profession ... 189

Annexe 8 - Documents nécessaires à l’admission de patients à l’Asile de Beauport de 1851 à 1979 ... 193

Annexe 9 - Plan de l’Asile de Beauport vers 1887 ... 196

Département des femmes ... 196

Département des hommes ... 201

Propriété de l’Asile de Beauport ... 206

Annexe 10 - Horaire d’une journée à l’Asile de Beauport tel qu’établi par les Drs Landry et Roy en 1874 ... 207

Annexe 11 - Récit d’une évasion ... 209

Annexe 12 - L’expérience de Rose Delima Roy ... 211

Annexe 13 – Distribution par comtés des admissions depuis le 1er janvier 1873 au 30 juin 1881. ... 213

(7)

vii

Annexe 14 – Nombre de malades venus des asiles de charité, prisons, et hôpitaux depuis janvier 1873 au 30 juin 1881 ... 215 Annexe 15 - Distribution par comtés des admissions depuis le 1er janvier 1873 au 30 juin 1888. ... 216 Annexe 16 – Nombre de malades venus des asiles de charité, prisons, et hôpitaux depuis janvier 1873 au 30 juin 1888 ... 218

(8)

viii

Liste des tableaux

Tableau 1 - Les trois générations des propriétaires de l’Asile de Beauport ... 23

Tableau 2 - Affiliation des principaux médecins de l’Asile de Beauport selon l’institution professionnelle au temps de la première génération de propriétaires ... 26

Tableau 3 - Affiliation des deux premières générations de propriétaires de l’Asile de Beauport selon l’institution ... 35

Tableau 4 - Financement public accordé aux asiles de Québec selon le pourcentage des dépenses totales de la Province (1867-1896) ... 53

Tableau 5 - Résidence antérieure des patients internés à l’Asile de Beauport ... 61

Tableau 6 - Origine ethnique des patients internés à l’Asile de Beauport 1857-1893 ... 62

Tableau 7 - Origine linguistique des aliénés internés à l’Asile de Beauport 1845-1875 ... 63

Tableau 8 - Appartenance religieuse des aliénés internés à l’Asile de Beauport 1857-1893 ... 63

Tableau 9 - Statut civil des aliénés internés à l’Asile de Beauport ... 64

Tableau 10 - Âge des patients admis à l’Asile de Beauport 1874-1894 ... 66

Tableau 11 - Occupation des patients internés à l’Asile de Beauport 1874-1894 ... 67

Tableau 12 - Classification des formes de maladies des patients admis entre 1873 et 1893 ... 68

Tableau 13 - Lettres reçues par l’administration de l’Asile de Beauport selon le type d’auteur ... 71

Tableau 14 - Liste des médecins internes de l’Asile de Beauport ... 106

Tableau 15 - Admissions, décharges et décès à l’Asile de Beauport, 1845-1893 ... 137

Tableau 16 - Taux de guérison des malades des principaux asiles du Canada selon le nombre d’admissions durant l’année (moyenne de 1882 à 1886) ... 139

(9)

ix

Liste des figures et graphiques

Figure 1- Les propriétaires de l’Asile de Beauport, en partant de la gauche, les Drs James Douglas,

Joseph Morrin et Charles-Jacques Frémont ... 24

Figure 2- Dr Anthony von Iffland ... 27

Figure 3- Dr Joseph Painchaud ... 27

Figure 4 - Les propriétaires de l’Asile de Beauport, les Drs Jean-Étienne Landry (à gauche) et François-Elzéar Roy (à droite) ... 31

Figure 5 – Le préfet Clément Vincelette ... 33

Figure 6 - L’honorable Joseph-Édouard Cauchon ... 34

Figure 7 - Les propriétaires de l’Asile de Beauport, en partant de la gauche, Philippe Landry, le Dr Georges-Antoine Larue et Dame Joséphine Delphine Lavigne Roy ... 37

Figure 8 - Dr Arthur Vallée ... 40

Figure 9 - Le manoir de Robert Giffard vers 1870 ... 92

Figure 10 - Beauport Lunatic Asylum vers 1850 ... 94

Figure 11 - Peinture de Charles Huot représentant l’Asile des aliénés de Québec en 1873 ... 95

Figure 12 - Procédure du gavage à l’aide de l’entonnoir ... 105

Figure 13 - Un groupe de patients employés au travail des champs ... 113

Figure 14 - Un groupe de patientes employées au repassage ... 114

Figure 15 - Un groupe de patients avec leurs gardiens ... 124

Figure 16 - L’incendie de l’Asile de Beauport du 29 janvier 1875 ... 157

Graphique 1 - Nombre d’admissions annuelles à l’Asile de Beauport 1845-1893 ... 57

Graphique 2 - Augmentation annuelle de la population de l’Asile de Beauport 1845-1893 ... 59

Graphique 3 - Augmentation de la population totale à l’Asile de Beauport à la fin de chaque année, 1845-1893 ... 59

Graphique 4 - Âge des patients internés à l’Asile de Beauport 1845-1893 ... 65

(10)

x

Liste des abréviations employées

LAC : Lettres d’affaires – correspondances

IUSMQ – CIUSSS : Institut universitaire en santé mentale de Québec - Centre Intégré Universitaire de Services Sociaux et de Santé de la Capitale-Nationale

DBC : Dictionnaire biographique du Canada

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xi

Remerciements

Je tiens à exprimer toute ma gratitude à tous ceux et celles qui ont participé de près ou de loin à la réalisation de ce mémoire. Au moment d’écrire ces lignes, deux ans se seront écoulés depuis que j’ai pris la décision de me lancer dans l’aventure de la maîtrise en histoire. Deux ans de recherche, d’écriture et de réécriture conjugués à toutes les gammes d’émotions pour en arriver au moment fatidique du dépôt. La fin de ce parcours que j’ai entrepris approche, parcours que je suis fier d’avoir accompli avec l’aide de certaines personnes à qui j’aimerais exprimer mes remerciements.

Ce travail d’envergure n’aurait jamais pu être possible sans le soutien inconditionnel, le professionnalisme, la disponibilité et surtout la bonne humeur de ma directrice de maîtrise de recherche Johanne Daigle. Avec elle à titre de directrice, j’ai profité d’un encadrement dont plusieurs de mes collègues à la maîtrise auraient été jaloux. Merci, Johanne, pour ton énergie, ta passion et tes connaissances qui ont su m’inspirer tout au long de ces deux dernières années.

Je tiens aussi à remercier France St-Hilaire anciennement responsable du Musée Lucienne- Maheux, de m’avoir si aimablement donné accès aux fonds d’archives historiques autrefois conservés au Musée. Malgré un horaire serré et des conditions pour le moins peu avantageuses à la veille du déplacement des archives du Musée vers celles de l’IUSMQ – CIUSSS de la capitale, elle s’est montrée ouverte et disponible afin que cette recherche puisse voir le jour.

Merci aussi à Abel Laflamme pour son aide à la mise en page et à la traduction en anglais de mon résumé.

Sur une note plus personnelle, je termine en remerciant mon amour Jade Avoine de m’avoir gardé éveillé devant l’ampleur de ma tâche tout au long de ces deux années de travail. Tes rappels quotidiens me poussant au travail m’ont été essentiels afin que je puisse aujourd’hui franchir la ligne d’arrivée de ce marathon de deux ans.

(12)

1

Introduction

Durant les premières décennies du XIXe siècle, la question des soins offerts aux aliénés

dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord devient préoccupante pour les autorités coloniales. En ville, certaines institutions préasilaires servent déjà de réceptacles pour répondre aux besoins de cette population aliénée. Parmi les réponses institutionnelles à la folie, il y avait principalement les prisons et les hôpitaux (loges). Les autres options que l’on retrouvait plus souvent dans les milieux ruraux consistaient à prendre en charge la personne atteinte au sein du foyer familial, en recourant parfois à l’emploi de domestiques ou à des volontaires pour ce faire1. Ces moyens qui perdurent même après l’avènement de l’Asile de

Beauport2 (sauf toutefois pour les loges) s’avèrent cependant bientôt insuffisants. Alors

qu’ailleurs en Europe et aux États-Unis, les premiers asiles d’aliénés font leur apparition à la toute fin du XVIIIe et à l’aube du XIXe siècle, la première institution de ce genre au sein des

colonies britanniques d’Amérique du Nord n’ouvre ses portes qu’en 1836 dans l’actuelle province du Nouveau-Brunswick3.

Au Bas-Canada, ce n’est que lorsque Sir Charles Metcalfe prend les rênes du Gouvernement du Canada en 1843 que la question des asiles d’aliénés connait son dénouement. Bien qu’un asile temporaire commence à accueillir des aliénés dans l’ancienne prison de Montréal en 18394, aucun asile permanent n’avait encore vu le jour au Bas-Canada.

C’est finalement le 16 septembre 1845 que l’Asile de Beauport reçoit ses premiers patients5.

Les premiers asiles d’aliénés au Canada sont mis en place et contrôlés directement par l’État. Ainsi, l’asile de Saint-Jean au Nouveau-Brunwick (1836), celui de Toronto en Ontario (1841) et les autres qui suivirent étaient tous des asiles d’État excepté l’Asile de Beauport (1845) et

1 James E. Moran, « Dangerous to be at large? Folie et criminalité au Québec et en Ontario au XIXe siècle », dans Robert Comeau, dir, « Folie et société au Québec, XIXe-XXe siècle », Bulletin d’histoire politique, 3, 10 (printemps 2002), p. 15.

2 Le nom de cet asile changea à trois reprises (Asile provisoire de Beauport, Quebec Lunatic Asylum et Asile des aliénés de Québec) durant notre période à l’étude. Par souci d’uniformité et pour éviter les confusions, nous emploierons : « Asile de Beauport » dans le cadre de ce mémoire. Il s’agit aussi de l’appellation commune qu’on lui désigna durant la seconde moitié du XIXe siècle.

3 Nérée St-Amand et Eugène Leblanc, Osons imaginer de la folie à la fierté. Les victimes de la psychiatrie

racontent l’histoire de la santé mentale au Nouveau-Brunswick, Moncton, Our Voice/Notre voix, 2008, p. 25.

4 André Cellard et Dominique Nadon, « Ordre et désordre : le Montreal Lunatic Asylum et la naissance de l'asile au Québec », Revue d'histoire de l'Amérique française, 39, 3 (1986), p. 346.

5 Les mots « malade » et « aliéné » seront utilisés dans ce mémoire à titre de synonyme du mot « patient » afin d’en éviter la répétition.

(13)

2

l’Asile Saint-Jean-de-Dieu (1873), les deux grands asiles d’aliénés du Québec. L’institutionnalisation des aliénés au Québec s’est fait selon le système d’affermage. À l’Asile de Beauport, ce système était le résultat d’une entente contractuelle prise entre l’État provincial, soucieux de réduire ses dépenses, et un groupe de médecins formés des Drs James Douglas, Joseph Morrin et Charles-Jacques Frémont. La responsabilité et la gestion de l’Asile de Beauport sont laissées entre les mains de ces médecins en échange desquelles l’État doit fournir un montant précis d’argent par malades internés et soignés à Beauport.

Ainsi, au Bas-Canada, l’Asile de Beauport permet de mettre fin au système des loges, premier réceptacle spécifique des aliénés de la province, dans lesquelles les conditions sont maintes fois considérées comme horribles6. Selon ses propriétaires, l’Asile de Beauport est

une institution bien supérieure, tant au niveau médical qu’hygiénique7. Pourtant,

l’enthousiasme de départ vis-à-vis l’objectif thérapeutique de l’Asile commence s’évanouir dès la rédaction par les propriétaires de leurs premiers rapports. C’est le constat auquel en arrive l’historien Cellard affirmant que : « l’asile et le traitement moral ne rencontraient pas les objectifs de guérison que l’on s’était fixés au départ »8. Afin d’y voir plus clair, nous

analyserons le fonctionnement interne de l’Asile de Beauport, à travers la pratique quotidienne des acteurs impliqués dans le processus d’internement des malades. Ceci permettra de mettre en valeur les capacités réelles de l’Asile de Beauport et de ses médecins à soigner la folie lors de son premier demi-siècle d’existence (1845-1893). Il convient au préalable d’examiner l’état de la question qui fut débattue en grande partie selon deux grands mouvements historiographiques.

Bilan historiographique

Dans un travail historiographique sur l’histoire de la folie au Québec, il apparait fondamental de remonter dans le temps afin de comprendre quelles ont été les influences des premiers aliénistes sur la prise en charge de la folie au Québec. Au premier abord, en France, l’historiographie s’est longtemps rattachée au succès des nouveaux traitements

6 James E. Moran, Committed to the State Asylum: Insanity and Society in Nineteenth-Century Quebec and

Ontario, Montreal, McGill-Queen's University Press, 2001, p. 15-20.

7 Rapport annuel sur le service de l’Asile de Beauport, 1849, p. 10-12.

8 André Cellard, « Folie, internement et érosion des solidarités familiales au Québec : une étude quantitative », Bulletin d’histoire politique, 10, 3 (printemps 2002), p. 50.

(14)

3

psychiatriques apportés par l’aliéniste Philippe Pinel9. Ce médecin de l’Asile de Bicêtre avait

comme projet de libérer les fous de leurs chaînes grâce à une nouvelle thérapie morale qu’il explique dans son ouvrage psychiatrique10. Il s’opposait au traitement physique axé sur la

contention et préconisait plutôt une approche psychiatrique plus humaine dans un endroit spécifique au traitement de la folie : l’asile. Pour le médecin aliéniste, la guérison du fou passe par l’écoute, l’observation et la proximité avec le patient. Pinel établit sa propre classification scientifique de la folie qui sera reprise par plusieurs médecins à l’époque11. En

Angleterre, la production scientifique sur le traitement de la folie passe nécessairement par le médecin William Tuke. Tout comme Pinel, son contemporain Tuke préconise une nouvelle méthode du traitement de la folie. Ce dernier avait fondé tout d’abord « le York Retreat en 1792 où l’on traitait les malades avec douceur et compassion »12. Tuke désirait offrir aux

aliénés un environnement serein dans lequel le travail et les loisirs feraient partie intégrante d’un retour à la raison.

Ainsi, les médecins aliénistes, parmi lesquels Pinel et Tuke représentent les modèles phares, ont en quelque sorte dicté la façon dont l’Occident allait traiter la folie pour la majeure partie du XIXe siècle. Par leur théorie médicale respective conçue comme une marche vers

un projet progressiste dans la foulée des philosophes des Lumières, Pinel et Tuke ont inspiré les premiers auteurs racontant l’histoire de l’avènement de l’asile et du traitement moral, dont le Dr T.J.W. Burgess13. La thèse de Burgess, considérée comme le premier travail historique

sur les institutions asilaires au Canada, s’inscrit dans une approche whig14 de l’histoire

considérant que : « the asylum was a noble humanitarian "reform", the inevitable concomitant

of the moral progress and enlightenment of the Canadian comrmunity »15. Cette pensée

9 André Cellard, Histoire de la folie au Québec de 1600 à 1850 : "le désordre", Montréal, Boréal, 1991, p. 131. 10 Philippe Pinel, Le Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie (1800-1801), Paris, Richard, Caille & Ravier, IX, 1800-1801, 318p.

11 Dans son traité médical, Pinel propose la classification suivante de la folie : hypocondrie, mélancolie, manie et hystérie.

12 Comme le rapporte André Cellard, Histoire de la folie, p. 132.

13T. J. W. Burgess, « A Historical Sketch of Our Canadian Institutions for the Insane », Transactions of the

Royal Society of Canada, Section IV, 1898, 4.

14Hubert Butterfield, The Whig Interpretation of History, Londres, G. Bell and sons, 1931, 132p. L’auteur définit la conception whig de l’histoire comme une interprétation qui se veut progressive, inspirée du mouvement des Lumières et qui étudie le passé selon des références du présent.

15 Thomas E. Brown, « Foucault plus twenty: On writing the history of Canadian psychiatry in the 1980s »,

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4

domine jusque dans les années 1960, alors que de nouvelles études viennent revisiter cette interprétation.

L’analyse de la folie que propose Michel Foucault dans son ouvrage à succès16 est

radicalement opposée à celle de Burgess. Pour Foucault, les aliénistes Pinel et Tuke ne seraient parvenus qu’à enchaîner le fou, tant moralement que socialement, ce qui se révèle plus inhumain à ses yeux que la répression physique exercée auparavant17. Ses travaux ont

permis l’essor de nouvelles recherches rompant avec l’histoire traditionnelle de l’avènement de l’asile en Occident. Ainsi, David Rothman18 et Andrew Scull19 souscrivent à la perspective

de Foucault, jugeant qu’en regard des promesses de progrès scientifiques de Tuke et Pinel, l’avènement du système asilaire aux États-Unis et en Angleterre s’est soldé par un échec. En effet, les asiles n’ont pas été des entreprises humanitaires, mais bien des endroits où l’on s’efforce d’isoler ceux que la société considère comme déviants. D’autres auteurs ont néanmoins revu cette vision de l’échec du système asilaire. Gérald Grob20 opte pour une

approche plus conciliante de cette histoire indiquant que ce sont les transformations sociales et économiques majeures, imprévues durant les années qui suivirent l’établissement des

16 Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 2003 (1972), 688p.

17Foucault rejette rapidement toute idée de progrès ou de science dans l’avènement de l’asile tel qu’apportée par le traitement moral de Pinel et Tuke.

18David J. Rothman, The Discovery of the Asylum; Social Order and Disorder in the New Republic, Boston, Little, Brown, 1971, 376p. Rothman observe qu’au début du XIXe siècle, la classe dirigeante considère que le meilleur moyen de remédier au problème du nombre grandissant de pauvres, de criminels et d’aliénés serait par la construction d’institutions à cet effet. Cependant, malgré les promesses de réussite attendue,

notamment dans le traitement de la folie, les institutions asilaires ont complètement failli à leur tâche initiale.

19Andrew Scull, Museums of Madness: The Social Organization of Insanity in Nineteenth-Century England, New York, St. Martin's Press, 1979, 275p. Scull évalue que l’échec de l’entreprise asilaire en Angleterre eut lieu en raison du contexte socio-économique qui aurait compromis la capacité des familles à prendre soin de leurs fous. Cela aurait poussé la classe bourgeoise au confinement en asile d’un nombre grandissant

d’inaptes à prendre part à cette économie.

20Ainsi, Grob fait état de l’importance des surintendants médicaux qui travaillaient « within the context of benevolent, humanitarian, and scientific goals ». Dans un ouvrage plus récent, Gérald Grob, indique que l’émergence des asiles étaient des institutions « that reflected the human condition, with all of its strenghts and weaknesses », Gérald Grob, Mental Illness and American society, 1875-1940, Princeton, Princeton University Press, 1983, p. 16.

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5

premiers asiles aux États-Unis, qui ont finalement mis un frein au mouvement humanitaire de l'asile21.

Notre étude ne peut faire abstraction des travaux des pionniers dans la recherche sur l’histoire sociale de la maladie mentale au Québec que sont Fernand Harvey et ses collaborateurs22. Ce travail daté de 1974 présente, « un discours historique dépassant le

simple récit des évènements pour s’interroger sur les liens entre folie et économie, entre folie et société »23. Dans un article paru l’année suivante24, Harvey approfondit le concept de

maladie mentale au Québec en cernant quatre thèmes connexes : problèmes institutionnels, évolution de la psychiatrie comme science et comme pratique, approche quantitative de nature sociographique et épidémiologique et étude des rapports entre la maladie mentale et la société25. Suivant ces recherches, le débat entourant l’avènement de l’asile au Québec s’est

scindé en deux courants de pensée aux visions dichotomiques.

D’une part des historiens comme André Paradis et ses collaborateurs26 retiennent la thèse

du contrôle social, de la répression et de la déviance dans l’avènement des asiles québécois. Ils s’inspirent à la fois de l’approche révisionniste de Michel Foucault, de l’analyse marxiste et des théories de la décolonisation en vogue dans les années 1960-1970. Paradis note que dès les premières années de l’établissement de l’Asile de Beauport, le traitement moral ne parvient pas à répondre aux attentes de guérison. Ce qu’on observe clairement, dès 1855 dans le réseau asilaire québécois, tient au « surpeuplement rapide, à l’exiguïté contraignante de l’espace asilaire, à l’irrationalité de la classification des patients aliénés, à l’incompétence du personnel de soutien […] à l’impossibilité de satisfaire une population de plus en plus

21Pour un bilan historiographique exhaustif concernant la période pré années 1990, voir : Thomas E Brown, « Dance of the Dialectic? Some Reflections (Polemic and Otherwise) on the Present State of Nineteenth-Century Asylum Studies », Canadian Bulletin of Medical History/ Bulletin canadien d'histoire de la médecine, 11, 2 (1994), p. 267-295.

22Fernand Harvey, Matériel pour une sociologie des maladies mentales au Québec, Québec, Institut supérieur des sciences humaines, Université Laval, 1974, 143p.

23 Thierry Nootens, « To be quiet, orderly, obedient and industrious : La normalité dans le district judiciaire de Saint-François entre 1880 et 1820 d’après l’interdiction des malades mentaux », Mémoire de maîtrise, Sherbrooke, Université de Sherbrooke, 1997, 159p.

24Fernand Harvey, « Préliminaires à une sociologie historique des maladies mentales au Québec », Recherches sociographiques, XVI, 1 (janvier 1979), p. 113 à 117.

25Ibidem.

26André Paradis, dir., Essais pour une préhistoire de la psychiatrie au Canada (1800-1885), Trois-Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, Département de philosophie, 1977, 345p.

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6

socialement différenciée »27. André Paradis28 estime que l’Asile de Beauport représente à

une plus petite échelle la société du Bas- Canada : le milieu asilaire serait dominé par une classe sociale de bourgeois aisés profitant de l’asile pour s’enrichir au détriment du fou, dominé, vivant dans des conditions difficiles, à l’instar du prolétariat canadien-français catholique et irlandais soumis aux volontés de la bourgeoisie marchande anglaise. S’agissant de la nomination du docteur Jacques Frémont, Canadien français aux côtés du Canadien anglais Joseph Morrin et de l’Écossais James Douglas à la tête de l’Asile de Beauport, Hubert Wallot voit le reflet de « la politique canadienne où le conquérant agit comme majoritaire et rend son pouvoir plus subtil en favorisant une élite indigène locale qui sert de courroie de transmission au pouvoir colonial »29.

D’autre part, certains historiens, dont Peter Keating, présentent une vision plus optimiste

des traitements offerts aux aliénés au début du XIXe siècle. Dans son ouvrage sur

l’émergence de la psychiatrie au Québec30, Keating affirme que la folie et son traitement ne

furent pas synonymes d’échec, du moins sous l’angle de l’apprentissage médical, jouissant d’une relative autonomie dans le contexte de la médicalisation de la folie. Le traitement moral y serait même apparu avant l’établissement du premier asile : « [le traitement moral] a d’abord fonctionné comme pratique thérapeutique au sein de l’institution hospitalière »31; «

l’institution d’un asile au Québec obéissait, en fait, à une autre exigence […], à savoir la prise en charge médicale des aliénés incurables dans une institution subventionnée par les autorités gouvernementales »32. Bref, pour Keating, ce n’est pas le fou ou la folie qu’on

institutionnalise, c’est la pratique du traitement moral qui « […] a joué un rôle central dans le processus d’institutionnalisation de la psychiatrie qui allait aboutir à la reconnaissance d’une expertise médicale »33.

27 Ibid., p. 34.

28André Paradis, « L’émergence de l’asile québécois au XIXe siècle », Santé mentale au Québec, 2, 2 (novembre 1977), p. 7-44.

29Hubert Wallot, « Perspective sur l’histoire québécoise de la psychiatrie : le cas de l’asile de Québec ».

Santé mentale au Québec, 4, 1 (1979), p. 104.

30Peter Keating, La science du mal. L’institution de la psychiatrie au Québec 1800-1914, Montréal, Boréal, 1993, 208p.

31 Ibid., p.31. 32 Ibid., p.32. 33 Ibid., p. 147.

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Si la première école de pensée allie de manière judicieuse l’histoire du développement de l’institut asilaire à celle de la société de l’époque, elle discrédite à notre avis les théories des aliénistes, voyant plutôt les traitements offerts aux aliénés comme un moyen d’assoir le pouvoir d’une classe particulière sur une autre. D’un autre côté, alors que la deuxième école de pensée renseigne efficacement sur la nature des premiers traitements offerts aux fous et sur les penseurs derrière ces traitements, elle tend à évacuer le contexte social et à présenter le projet asilaire comme une suite de progrès qui ont mené à la situation psychiatrique d’aujourd’hui. Suivant ce débat houleux, plusieurs auteurs à partir des années 1990 ont voulu se sortir de ce carcan. C’est ainsi que de nouvelles études concernant l’histoire de la folie et des institutions asilaires, moins théoriques et plus axées sur de nouveaux terrains d’enquête ont vu le jour. Les chercheurs se sont penchés sur le fonctionnement spécifique des institutions asilaires en accordant une place de plus en plus importante aux acteurs des milieux concernés. Pour ce faire, ces travaux ont mis à profit de nouvelles sources archivistiques, incluant les dossiers et rapports sur les internés et le personnel au sein des asiles, les documents relatifs aux formes d’internement des aliénés et la correspondance entre les internés et leurs familles.

Dans cette nouvelle vague d’études, on compte plusieurs auteurs québécois. Soulignons l’importance de l’historien André Cellard. En plus de son excellent ouvrage de synthèse34,

Cellard marque un tournant dans l’histoire de la folie à l’époque préindustrielle. Ses travaux mettent l'accent sur la perception de la folie, sa représentation, en étudiant les pratiques discursives. Cellard s’intéresse à la « […] genèse de l’institutionnalisation et de la médicalisation de la folie au Québec »35 et se place dans le domaine de l’histoire des

mentalités36. Il restitue ceux qu’on désignait alors comme fous dans le contexte

socio-économique et historique pertinent. S’appuyant sur les archives de la curatelle37, il dresse un

portrait de la perception de la folie jusqu’au milieu du XIXe siècle et des réponses sociétales

34Cellard, Histoire de la folie, 280p. 35 Ibid., p.14.

36 Selon Nootens, « To be quiet, orderly, obedient and industrious », p.25.

37 Les archives de la curatelle fournissent le nom de la personne interdite, son sexe, son âge, sa profession, son lieu de résidence, la description de la maladie telle que présentée par les proches du malade et ses causes présumées, les attitudes adoptées, les questions posées par le juge et les remarques qu'il a formulées, enfin les commentaires de l'interdit sur lui-même et sur sa situation.

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conséquentes à cette forme de déviance. Ce sont à son avis les représentations, les regards posés sur le fou, qui détermineraient la réponse sociale et institutionnelle à la déviance mentale38.

Dans un autre ordre d’idées, Guy Grenier s’est intéressé à l’histoire de la folie dans un cadre criminel. Dans cette optique, Grenier conçoit que « l’expertise psychiatrique dans les procès criminels a connu au Québec, entre 1845 et 1945, de constantes évolutions, mais aussi, paradoxalement, d’importantes continuités. »39 L’auteur montre comment l’évolution des

savoirs en matière de traitement de la folie40 aurait accentué les tensions entre les aliénistes

et les jurys. Grenier dresse un portrait complet et explique les conditions d'émergence de la responsabilité pénale et celles aussi de l'expertise psychiatrique, des notions qui assoient non sans peine la 1égitimité de la psychiatrie.

Poursuivant dans la volonté d’élargir la question du traitement de l’histoire de la folie, le

Bulletin d’histoire politique proposait un numéro thématique intitulé : Folie et société au Québec, XIXe-XXe siècle41. Aux fins de la présente étude, trois auteurs en particulier se

démarquent, soit Thierry Nootens, Marie-Claude Thifault et James E. Moran. Dans son article42, Nootens invite « à une réévaluation des rôles respectifs de la famille, de l’État et

des institutions dans la gestion de la déviance au XIXe siècle. »43 Cette approche a été mise

à profit dans un article du même auteur44, issu de son mémoire de maîtrise45, qui en a exposé

les détails plus récemment dans un ouvrage paru en 200746. Pour la période du tournant des

38Cellard, Histoire de la folie, p. 158.

39 Guy Grenier, Les monstres, les fous et les autres la folie criminelle au Québec, Montréal, Trait d'union, 1999, p.16.

40 Voir Guy Grenier, « L'implantation et les applications de la doctrine de la dégénérescence dans le champ de la médecine et de l'hygiène mentale au Québec entre 1885 et 1930 », Mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 1990, 172 p.

41 Robert Comeau, dir., « Folie et société au Québec, XIXe-XXe siècle », Bulletin d’histoire politique, 3, 10 (printemps 2002), 221p.

42Thierry Nootens, « Mainmise familiale sur la folie au XIXe siècle ? », Bulletin d’histoire politique, 3, 10 (printemps 2002), p. 58-66.

43Ibid., p.64.

44Thierry Nootens, « Familles, communauté et folie au tournant du siècle », Revue d'histoire de l'Amérique

française, 53, 1, 1999, p. 93-119.

45Thierry Nootens, « To be quiet, orderly, obedient and industrious : la normalité dans le district judiciaire de Saint-François entre 1880 et 1920 d’après l’interdiction des malades mentaux » op. cit., 159p.

46 Thierry Nootens, Fous, prodigues et ivrognes : Familles et déviances à Montréal au XIXe siècle, Montréal,

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XIXe et XXe siècles en particulier, il utilise des archives judiciaires et notamment les dossiers

d’interdiction et de curatelle pour souligner le rôle de l’instance familiale, mais aussi de la communauté dans les situations de prise en charge et/ou d’exclusion de la folie.

Enfin, Marie-Claude Thifault, en plus d’avoir ouvert la porte à une histoire sociale de l’asile vue par les patients, prend en compte la perspective du genre dans l’histoire de la folie. À ce sujet, elle a publié de nombreux articles47 et un ouvrage qu’elle a coécrit avec André

Cellard48. Dans ce dernier, les auteurs affirment s’inscrire dans un courant récent de

l’historiographie de la folie où quelques chercheurs49 « ont tenté de donner la parole aux

internés »50. À partir d’une analyse qualitative, les auteurs font la description du vécu de

résidents « typiques » comme Évariste, Bernadette, Thomas, Joseph-Napoléon, Marie-Louise et Olivine51. À partir des dossiers consultés, les auteurs donnent une double interprétation de

l’acceptation par le patient de l’internement en milieu asilaire. D’une part, observent-ils, « Accepter d’y être interné est […] interprété comme étant une preuve flagrante d’aliénation mentale »52. D’autre part, en renversant la perspective usuelle, en prenant l’exemple de

l’internement d’Émile Nelligan, ils voient l’institution psychiatrique comme « un milieu dans lequel l’anormal devient norme ; un milieu créé par la folie, en réaction contre l’intolérance d’une société qui ne supporte plus l’anormal […] destiné à prémunir les aliénés contre le regard des autres, à les protéger du monde extérieur […] »53.

47 Voir Marie-Claude Thifault, « L’enfer préasilaire à la fin du XIXe siècle et au début du XXe : perceptions, interprétations et discours masculins sur la folie des femmes mariées », Recherches féministes, 23, 2 (2010), p. 127-142 et « C’est une impossibilité scientifique et matérielle que de garantir l’avenir’. Idiots, aliénés incurables ou déments séniles en congé d’essai, fin XIXe début XXe siècle », Globe, Revue internationale

d’études québécoises, 16, 2 (2013), p. 75-94.

48André Cellard et Marie-Claude Thifault, Une toupie sur la tête : visages de la folie à Saint-Jean-de-Dieu. Montréal, Boréal, 2007, 324p.

49Voir Benoît Majerus, Parmi les fous : une histoire sociale de la psychiatrie au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 305p. Cet ouvrage qui traite du cas de l’Asile de Bruxelles tend, au même titre que le travail de Cellard et Thifault, à donner une place de choix à l’histoire des patients.

50 Cellard et Thifault, op. cit., p. 15.

51C’est en consultant les dossiers médicaux et les lettres et documents laissés par les personnes internées que les auteurs veulent nous faire voir, mais surtout nous faire vivre, le visage de la folie.

52 Cellard et Thifault, op. cit., p. 294. 53 Ibid., p.296.

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Dans son étude sur l’Asile provincial de Toronto, Geoffrey Reaume poursuit dans la même perspective que Cellard et Thifault qui ont donné la parole à la population asilaire54.

En effet, Reaume présente les « inmates in mental institutions as individual human beings who deserve to be understood on their own terms as people, rather than labels, free from the clutter of medical terminology and diagnostic categories »55. Selon les différentes étapes

vécues par les patients lors de leur passage à l’Asile de Toronto, Reaume retrace leur histoire en leur donnant la parole autant de fois que possible.

L’historiographie concernant l’étude du cas de l’Asile de Beauport est quant à elle fort variée. D’abord, nous retrouvons certains travaux généraux comme ceux de Charles-A. Martin56 et Jules Lambert57 qui permettent de retracer les grandes étapes de l’histoire de cet

asile. Cependant, ces études restent descriptives et sans perspective d’analyse interprétative et critique. Il faut attendre en 1992 avec la thèse de doctorat de Louise Labrèche-Renaud intitulée De la folie à la maladie mentale en common law et l’institutionnalisation au Québec

de 1845 à 189258 pour qu’un regard plus critique soit porté sur l’histoire de l’Asile de

Beauport. En effet, dans le chapitre 2 de son étude : « La mise sur pied de l’Asile de Beauport »59, Labrèche-Renaud aborde différents problèmes auxquels l’asile dut faire face

durant les premières années suivant son ouverture dont ceux concernant la gestion de l’asile et du traitement moral. Pour ce faire, l’auteure fait appel aux trois Livres de minutes des commissaires de Beauport, aux rapports annuels des médecins-propriétaires et au journal de James Douglas. De plus, son étude nous révèle les relations souvent litigieuses entre les principaux acteurs en présence (médecins-propriétaires, commissaires, inspecteurs, médecins-visiteurs, etc.) Toutefois, ses observations à propos de l’asile touchent principalement les années 1845 jusqu’au début des années 1870, d’où l’importance de poursuivre son travail pour la période suivante.

54 Geoffrey Reaume, Remembrance of patients past : patient life at the Toronto Hospital for the Insane,

1870-1940, Don Mills, Ont., Oxford University Press, 2000, 362p.

55 Ibid., p. 5.

56 Charles-A. Martin, « Le premier demi-siècle de la psychiatrie à Québec », Beauport, Audio-visuel et information, Centre hospitalier Robert-Giffard, 1983. Ce texte est repris de la revue Laval médical, (septembre 1947), 24p.

57 Jules Lambert, Milles fenêtres, Beauport, Centre hospitalier Robert-Giffard, 1995, 209p.

58 Louise Labrèche-Renaud, «De la folie à la maladie mentale en common law et l’institutionnalisation au Québec de 1845 à 1892 », Thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, 1992, 570 p.

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Deux années après la thèse de Labrèche-Renaud, André Paradis a lui aussi offert un regard analytique sur le premier demi-siècle de l’Asile de Beauport. Dans ses deux articles, ce dernier examine à la fois des sujets comme la médicalisation de la folie et l’administration de l’Asile de Beauport ainsi que son financement. Plus important encore dans le cadre de ce mémoire, Paradis, en fouillant notamment dans les archives de la Commission royale d'enquête sur les asiles d'aliénés (1887-1888) communément appelée Commission Duchesneau, dresse un portrait sommaire, mais très révélateur des conditions difficiles en asile, et ce, plus spécifiquement pour l’Asile des aliénés de Québec. Dans son premier article, Paradis s’efforce de montrer que « le mouvement de médicalisation des asiles n’eut pas vraiment lieu au Québec, en tout cas pas avant 1880, et que l’asile finit par se retrouver dans une situation de crise qui éclata au grand jour au milieu des années 1880 »60. L’auteur attribue

les déboires du système asilaire au système d’affermage, qui aurait engendré un sous-financement des asiles au Québec, empêchant du coup une véritable médicalisation de la folie. Dans son second article, Paradis montre comment les difficultés du système d’affermage, même après la crise du milieu des années 188061, « […] persistèrent durant la

période qui va de 1890 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale »62. À son avis, cette

période de transition fut marquée par le passage de « l’asile prison » caractéristique des années 1845 à 1890, à « l’asile-hôpital », de 1890 à 191463.

L’historiographie portant sur l’Asile de Beauport, peut compter sur la thèse de doctorat de Mary Glennon Okin qui traite de la question du genre. Elle étudie la trajectoire des femmes internées et les causes de leur internement à l’Asile de Beauport de 1894 à 194064. L’auteure

révèle que la religion catholique et le rôle domestique de la mère - deux des fondements de la société canadienne-française - eurent des répercussions marquantes sur la façon dont s’est

60André M. Paradis, « L'asile québécois et les obstacles à la médicalisation de la folie (1845-1890) »,

Canadian Bulletin of Medical History / Bulletin canadien d'histoire de la médecine, 11 (1994), p. 300.

61Lorsque l’auteur fait mention de cette crise des années 1880, il parle des évènements qui ont amené la tenue de la Commission Duchesneau qui devait s’enquérir des causes réelles des problèmes concernant les asiles d’aliénés au Québec.

62 André M. Paradis, « Le sous-financement gouvernemental et son impact sur le développement des asiles francophones au Québec (1845-1918) », Revue d'histoire de l'Amérique française, 50, 4 (1997), p. 575. 63 Ibid.

64 Okin, Mary Glennon, « "Madwomen" in Quebec: An Analysis of the Recurring Themes in the Reasons for Women's Committal to Beauport, 1894-1940 », Thèse de doctorat en histoire, Orono, Université du Maine, 2008, 328 p.

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exprimée la maladie mentale chez les femmes internées à l’Asile de Beauport. Elle montre aussi à quel point la communauté et la famille des femmes internées à l’Asile jouèrent un rôle de premier plan dans le signalement de la folie chez ces dernières qui avaient tendance à rejeter le rôle prescrit de la « mère canadienne-française »65.

Enfin, James E. Moran, dans Committed to the State Asylum, s’est donné comme objectif de faire une histoire sociale de l’asile au Québec et en Ontario au XIXe siècle. Pour le Québec,

Moran s’est principalement intéressé au cas de l’Asile de Beauport durant les vingt premières années de son existence66. En plus d’examiner la question de la naissance de l’asile au

Québec et en Ontario, Moran s’intéresse aux interactions entre les différents acteurs impliqués, dont l’État, la communauté, les aliénistes, etc. Il nous offre aussi une perspective très intéressante du processus concret de l’internement asilaire dans une approche comparative entre le Québec et l’Ontario. Pour ce faire, Moran a puisé dans les riches archives des secrétaires provinciaux des deux provinces. L’ensemble de son ouvrage met en évidence et ce, de plusieurs façons, la manière dont la mise en place et le fonctionnement de l’asile furent le résultat « the conflicting interactions of people from a hierarchy of social and economic circumstances – government inspector, asylum superintendent, local legal or religious authority, jail surgeon, and relatives or neighbours of the person considered to be insane »67. En d’autres mots, l’auteur fait ressortir tout le réseau d’acteurs impliqués dans

l’institutionnalisation de la folie dans les asiles de Beauport et de Toronto, montrant ainsi toute la complexité de ces milieux dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Dans l’ensemble, comme nous avons pu le constater, l’historiographie de l’histoire de la folie a connu deux phases distinctes. Réalisé tout d’abord dans une perspective de type idéologique centrée sur les fondements de la prise en charge de la folie, le corpus d’études examinées ici s’est ensuite porté sur le fonctionnement interne de l’asile, alors que les chercheurs recouraient aux témoignages d’acteurs spécifiques du milieu asilaire. Notre étude s’inscrit dans cette seconde tendance.

65 Ibid., p. 12.

66 James E. Moran, Committed to the State Asylum : insanity and society in nineteenth-century Quebec and

Ontario, Montreal, McGill-Queen's University Press, 2001, 226p.

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Questionnement et problématique de recherche

Les constats réalisés par les chercheurs dans le cas d’études spécifiques à une institution asilaire poussent à se demander si de pareilles situations et phénomènes décrits ont pu se retrouver au sein d’autres institutions, d’autant plus que les sources relatives aux expériences quotidiennes et vécues dans les asiles révèlent un portrait bien différent de ce que les lois prévoyaient. En effet, les aliénistes, malgré leurs prétentions curatives et thérapeutiques, se sont révélés, à la fin du XIXe siècle, bien impuissants dans leur objectif de guérir leurs

patients atteints d’aliénation mentale.

Par ailleurs, la recherche sur l’Asile de Beauport ne s’est toujours pas intéressée en détail au quotidien des acteurs qui y ont vécu et travaillé. Dès lors, il nous paraît utile et pertinent d’examiner comment se matérialisa concrètement l’institutionnalisation de la folie à l’Asile de Beauport. Qui plus est, cet asile fut le premier permanent de la province et le seul asile jusqu’en 186168, mais véritablement jusqu’en 187369. Son étude permet d’illustrer comment

se mit en branle l’institutionnalisation de la folie au Québec durant la seconde moitié du XIXe

siècle. L’Asile de Beauport fut dirigé par trois générations de propriétaires laïques avant de passer aux mains des Sœurs de la Charité de Québec en 1893. Ceux-ci participèrent à sa formation et à son évolution de 1845 à 1893, alors que l’institution accueillait, en l’espace de 48 ans, 6004 patients.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, ce mémoire a pour objectif de cerner concrètement comment s’est réalisée l’institutionnalisation de la folie à l’Asile de Beauport durant la seconde moitié du XIXe siècle, à partir des témoignages des acteurs en présence.

On se demandera de quelles façons les différentes parties impliquées – les propriétaires de l’Asile de Beauport et ses employés, la famille des aliénés, les amis et les membres de la communauté (paroisse ou municipalité de provenance) – ont participé au processus d’internement et aux soins des malades admis à Beauport. Il s’agit de cerner quelle place prirent ces différents acteurs dans la mise en forme du système d’affermage des asiles au Québec et d’identifier quelles furent les répercussions de ce système sur le traitement de la

68 On ouvrit un second asile au Québec, à Saint-Jean-d’Iberville. Cet asile n’eut toutefois jamais plus de 80 patients.

69 En 1873, un second asile permanent ouvrit ses portes, l’Asile de Saint-Jean-de-Dieu situé à la Longue-Pointe.

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folie à l’Asile de Beauport. On se demandera également si la manière de faire au Québec et plus spécifiquement à l’Asile de Beauport eut les mêmes répercussions sur le plan du traitement médical qu’ailleurs, notamment au sein d’autres asiles d’aliénés au Canada.

En ce qui concerne le cas de l’Asile de Beauport, nous posons l’hypothèse qu’en raison du caractère unique que revêtit l’institutionnalisation de la folie, ses propriétaires ont administré l’institution de manière à en retirer des dividendes. Afin d’en mesurer les impacts au quotidien, nous illustrerons le fonctionnement de cette institution à travers le cheminement des malades, et ce, de leur admission, des conditions de l’internement et jusqu’à la décharge. En plus de procéder à une analyse fine de la réalité du système asilaire de Québec, nous présenterons aussi un portrait global de la population aliénée qui fut internée à Beauport.

Cette approche sociale, centrée sur le rôle des acteurs, mais aussi sur les processus internes reliés à l’institutionnalisation des malades, permet de cerner ce à quoi servit réellement l’Asile de Beauport. Notre recherche s’inscrit dans la foulée des études d’André Paradis et de James E. Moran concernant le caractère unique du modèle de gestion et de financement de l’Asile de Beauport. Nous souhaitons toutefois allez plus loin que ces études pionnières en mesurant l’impact du système d’affermage à travers l’analyse du vécu au quotidien du personnel de l’Asile et de sa clientèle malade. Notre recherche se démarque par une approche centrée sur le quotidien à l’Asile de Beauport, contrairement à l’approche plus institutionnelle et étatique de Moran et de Paradis dans une moindre mesure. Pour ce faire, nous nous sommes inspirés des historiens Cellard, Thifault et Reaume, en ayant recours aux témoignages des acteurs clefs de l’Asile de Beauport comme moyen privilégié d’appréhender l’histoire de cette institution. En plus de donner la parole aux acteurs du milieu de l’Asile de Beauport, notre étude laisse une part significative à l’histoire familiale, une dimension encore méconnue pour le cas de Beauport. Comme nous le verrons tout au long du mémoire, la famille joua un rôle de premier plan dans l’histoire de l’institutionnalisation de la folie à l’Asile de Beauport. Ceci n’est pas sans rappeler les recherches de Nootens qui a su démontrer pour le cas de Montréal comment les familles des aliénés, selon leur état et conjoncture domestique, ont eu recours à l’asile70.

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Identification et méthode de traitement du corpus de sources

Afin de répondre à ce questionnement de recherche, plusieurs sources ont été consultées. Tout d’abord, nous avons découvert, au sein des archives de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec - Centre Intégré Universitaire de Services Sociaux et de Santé de la Capitale-Nationale (IUSMQ – CIUSSS) (anciennement les archives du Musée Lucienne-Maheux), l’existence de la série documentaire Lettres d’affaires - Correspondances (LAC). Selon nos informations, en raison de réaménagements nécessaires au sein du CIUSSS de la Capitale-Nationale, toutes les archives présentes sont en processus de rapatriement dans le secteur de gestion documentaire de cette institution. Le fonds d'archives historique comprend des documents textuels, des épreuves photographiques, des négatifs, des diapositives, des enregistrements audiovisuels et sonores, des plans, etc. À travers tous ces documents d’archives, très peu traitent de la période 1845 à 1888 mis à part la série documentaire LAC, les rapports annuels des propriétaires et quelques photos. Nous présentons donc les résultats de l’étude, à la fois quantitative et qualitative, du contenu original de cette série.

La série documentaire LAC est constituée, selon nos propres calculs, de 2247 lettres répertoriées dans huit recueils. Selon les dernières informations que nous avons, ces lettres auraient été données au Musée Lucienne-Maheux par les Sœurs de la Charité de Québec en 2004. Ces recueils contiennent un nombre variable de lettres selon les années considérées71.

Le support de chacun des recueils est variable. Six d’entre eux (les recueils compris entre 1868-1878 et 1877-1888) sont de très vieux cartables sous forme d'un scrapbook. À l’intérieur y sont collées les lettres originales envoyées généralement par quatre types d’auteurs : le gouvernement (ou le bureau du Secrétaire provincial), les compagnies qui font affaire avec l’Asile (fournisseurs de biens matériels ou de services), la famille des malades et la municipalité de résidence (shérifs, notaires, curés, etc.). Toutes les lettres sont numérotées et répertoriées dans un index à la fin de chaque recueil afin de nous donner le nom de chacun des auteurs. La correspondance est destinée, en forte majorité, au préfet et homme de confiance des propriétaires de l’Asile, Clément Vincelette.

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Le support des deux autres recueils est différent. Contrairement aux six premiers recueils, celui de 1865-1872 est constitué de copies des lettres envoyées par les propriétaires de l’Asile de Beauport, soit les docteurs James Douglas, Jean-Étienne Landry et François-Elzéar Roy. Certaines lettres sont signées par les propriétaires et par les médecins internes de l’époque, les docteurs John W. Pickup, de 1865 à 1869, et Jean-Magloire Turcotte, de 1869 à 1872. Les copies sont écrites à la main dans un livre muni de grandes feuilles lignées. L’autre recueil daté de 1876-1879 est constitué des copies écrites - sur papier calque - des lettres envoyées par le préfet Clément Vincelette. Environ les trois quarts des lettres sont écrites en français et les autres en anglais. Un très petit nombre est dactylographié. L’état de conservation est en général très bon72.

Pour ce qui est du contenu de cette correspondance, nous avons procédé à une analyse qualitative73 en distinguant les lettres portant sur les patients (827 lettres) et celles portant sur

les affaires de l’Asile (1420 lettres) (voir Annexe 2 p. 172). Dès lors, une grande partie de ces lettres concernant les affaires de l’Asile de Beauport (réparations, achats divers, livres de comptes et contenu administratif divers) ont été mises de côté dans l’élaboration de notre corpus. Seulement les lettres d’affaires ayant un rapport direct avec l’internement des patients furent conservées pour la réalisation de notre corpus final (187 lettres d’affaires et 827 des patients). Les lettres concernant les patients ont été regroupées en plusieurs catégories afin d’en faciliter la recherche qui compte plus d’un millier de pages. Les principales rubriques qui se dégagent des lettres envoyées et reçues sont les admissions, les décharges, les conditions d’internement, la correspondance gouvernementale, les lettres d’affaires, les évasions et autres incidents, les pensions des malades internés, les décès et les employés de l’Asile de Beauport (voir tableau complet en Annexe 3, p. 173). Riche en données qualitatives, cette catégorisation vise à connaître le fonctionnement de l’institution quant au processus d’internement asilaire (lors des trois étapes de l’admission, l’internement et de la décharge) et des personnes ayant gravité autour des malades internés. Les lettres échangées entre les autorités de l’Asile de Beauport, les familles des patients, le bureau du Secrétaire

72 Il n’y a que le recueil daté de 1876-1879 qui est plus difficile à lire, parfois même impossible, en raison de son support en papier calque. Le contenu de plusieurs de ces lettres est totalement effacé.

73 André Cellard, « L’analyse documentaire », dans La recherche qualitative : enjeux épistémologiques et

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provincial et la communauté nous ont servi à mieux comprendre le milieu asilaire de l’intérieur et à saisir les diverses visions de l’institutionnalisation souvent divergentes selon l’acteur étudié.

Nous avons par ailleurs mis à profit les Rapports annuels sur le service de l’Asile des aliénés de Québec pour les années 1848 à 1858 et 1872 à 189574. Ces rapports75 contiennent

de précieuses données qualitatives sur la manière dont les propriétaires géraient leur institution, sur les dimensions physiques et les changements apportés à l’Asile (agrandissements, incendies, achat de matériel divers, etc.). Ceux de 1872 à 1875 offrent des données qualitatives riches concernant le traitement de la maladie mentale telle que théorisée par ses propriétaires. Ceux de 1876 à 1894 ont été consultés partiellement76. On y retrouve

essentiellement des informations sur la population de l’Asile de Beauport concernant les admissions (lieu de résidence, âge à l’internement, sexe, maladie, occupation professionnelle, réadmissions, etc.) et les sorties (décharges, évasions et morts).

Vu l’ampleur du corpus de sources et sa fragilité, l’ensemble de cette documentation (correspondance et rapports des propriétaires) a été numérisé sous la supervision de France St-Hilaire, responsable de la collection muséale, et reproduit uniquement dans le cadre de ce mémoire. Nous tenons aussi à mentionner que les noms et prénoms des malades internés à l'Asile de Beauport qui apparaissent dans la correspondance ne seront pas dévoilés. À la demande de madame St-Hilaire, nous avons employé des noms fictifs.

Nous avons également mis à profit le fonds d’archives de la Commission royale d’enquête sur les asiles d’aliénés (Commission Duchesneau, 1873-1888). Les documents

74 Les Rapports annuels sont actuellement en processus de déplacement du musée Lucienne-Maheux vers les archives IUSMQ – CIUSSS de la Capitale.

75 L’appellation donnée à ces rapports changea durant la période étudiée. Ceux compris entre 1848 et 1858 se nommaient : « Rapport des propriétaires et directeurs de l’Asile des aliénés du Bas-Canada aux

commissaires ». Ceux rédigés entre 1872 et 1893 avaient comme titre : « Rapport sur le service de l’Asile d’aliénés de Québec adressé à l’honorable premier ministre par les médecins directeurs-propriétaires ». Enfin, après 1893 les rapports eurent pour nom, pendant un certain temps : « Rapport sur le service de l’Asile d’aliénés de Québec adressé à l’honorable Secrétaire provincial par le surintendant médical ». Par souci d’uniformité et pour éviter les confusions, nous emploierons : « Rapport annuel sur le service de l’Asile de Beauport » pour l’ensemble de la période.

76 Étant donné que les archives du musée Lucienne-Maheux étaient en processus de transfert aux archives de l’IUSMQ au moment de l’étude, nous n’avons pas été en mesure, faute de temps, de reproduire l’intégralité des rapports de 1872 à 1894. À l’heure actuelle, l’accessibilité de ces archives est inconnue.

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textuels sont disponibles sur microfilm (0.44 mètre linéaire de document textuel) à Bibliothèques et Archives nationales du Québec centre de Québec (BAnQ-Q). Nous y avons puisé des données tant quantitatives que qualitatives concernant les acteurs du milieu asilaire. La Commission Duchesneau devait faire « enquête sur les difficultés soulevées au sujet des asiles d'aliénés, et de la mise en force du statut relatif à ces asiles, et sur les causes réelles de ces difficultés, et sur les moyens propres à les faire cesser. »77 Les commissaires (Drs Alfred

Duchesneau (président), J. B. Lavoie et Louis Benjamin Durocher ainsi que le député libéral William Rhodes qui remplace Walton Smith décédé avant le début des travaux de la commission) entendront 59 témoignages provenant principalement des médecins et des gardiens travaillant au sein des cinq établissements pour le traitement des aliénés de la province durant deux mois, soit en novembre et décembre 188778. Dans l’ensemble des

témoignages, 32 ont été réalisés auprès de personnes associées à l’Asile de Beauport79. La

Commission a produit deux rapports. Les Drs J. A. Duchesneau et Lavoie et le député libéral William Rhodes furent les auteurs du rapport majoritaire80, tandis que le Dr L. B. Durocher

et l’avocat N. H. Bourgouin publient l’année suivante un rapport minoritaire81 puisque

ceux-ci divergent d’opinion avec leurs confrères sur l’étude des asiles et les recommandations. L’étude de la Commission Duchesneau impose des limites précises. Dans le cadre de cette recherche, nous avons eu recours d’abord et avant tout aux témoignages entendus devant la Commission. Certaines réticences concernent l’utilisation des témoignages. Il est indéniable que les témoins entendus durant la Commission n’ont pas les mêmes intérêts pour témoigner. Nous avons analysé les témoignages de médecins, gardiens, membres de l’administration, de membres du clergé et d’autres employés de l’Asile de Beauport. Si les

77Gazette officielle du Québec (Non publié), Arrêté en conseil 444 Sur la nomination d'une commission

royale, 19 septembre 1887.

78Dans son rapport, le Dr Duchesneau identifie les cinq établissements suivants : l’asile de Québec, l’asile Saint-Jean de Dieu, l’asile St-Julien, la maison de santé de Belmont et l’asile Saint-Benoît-Joseph. Ces établissements seront visités par la commission entre le 20 octobre 1887 et le 27 décembre 1887.

79 La liste des témoins ayant un lien avec l’Asile de Beauport est reproduite à l’annexe 7, p. 181. Rappelons que la commission a produit 46 documents différents, notamment des rapports d’inspection des différentes institutions asilaires visitées, de la correspondance et des mémoires d’avis et d’opinions.

80 J. A. Duchesneau, Rapport de la Commission des asiles d'aliénés de la province de Québec, Québec, C.-F. Langlois, 1888. 180 p.

81 Louis B. Durocher, et N. H. Bourgoing, Commission des asiles d'aliénés de la province de Québec : rapport, Québec, C.-F. Langlois, 1889. 28 p.

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témoignages sont en mesure de nous fournir des souvenirs d’expériences vécues, « la mémoire des personnes interrogées peut être défaillante, ou pis, il peut s’y mêler des confusions et l’incorporation inconsciente de souvenirs tenus d’autres personnes ou de lectures »82. Il faut parfois lire entre les lignes ce que les témoins avancent ou omettent de

dire et remettre les témoignages dans leur contexte historique83.

À la lumière de notre corpus de source, le principal sujet d’étude de ce mémoire, soit le quotidien de l’Asile de Beauport, ne pourra être couvert parfaitement durant toute la période (1845-1893). En effet, ce corpus pose une certaine limite chronologique, puisque nous couvrirons principalement la période 1872-1894. En effet, l’étude du quotidien que nous avons réalisée sur l’Asile de Beauport est principalement mise en évidence dans la correspondance des propriétaires de l’Asile de Beauport et dans les dépositions des témoins de la Commission Duchesneau. Afin de pallier à cette lacune, nous ferons appel aux rapports des inspecteurs des prisons, asiles, maisons de réforme et autres institutions semblables pour la période allant de 1859 à 1871. Ces rapports contiennent entre autres des données statistiques globales et des commentaires qualitatifs sur l’Asile de Beauport qui témoignent, bien que différemment, du quotidien de l’asile. De plus, la correspondance du secrétaire provincial aurait pu nous fournir davantage d’informations sur le vécu à l’Asile de Beauport entre 1845 et 1859. Toutefois, nous avons choisi de ne pas consulter cette source puisque d’autres l’ont déjà fait avant nous84. Nous avons eu recours à leurs propres analyses pour les

années 1845 à 1859 dans le but de les comparer à nos observations et d’en établir les tendances ou ruptures avec la période que nous avons étudié en détail.

82André Crovisier, Sources et méthodes en histoire sociale, Paris, Société d'édition d'enseignement supérieur, 1980, p. 230.

83Harvey, op. cit., p.11.

84 Nous faisons référence ici à James E. Moran qui a consulté la correspondance des secrétaires provinciaux du Québec et de l’Ontario, ainsi qu’à Louise Labrèche-Renaud qui a fait ses recherches dans les Livres de

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20 Plan de présentation

Le mémoire est divisé en quatre chapitres. Le premier, porte sur la mise en place du système asilaire de Beauport et discute de sa vocation de 1845 à 1893. Pour ce faire, nous présenterons un portrait des propriétaires de l’Asile pour ensuite étudier les relations qu’ils entretenaient avec l’État, de manière à illustrer la formation d’un système unique de gestion et de financement à l’Asile de Beauport. Pour chacun des trois chapitres subséquents, nous examinerons un aspect spécifique de l’institutionnalisation de la folie au sein de l’institution en regard de ce qu’ont pu voir et vivre ses acteurs. Ainsi, nous exposerons successivement, au chapitre deux le processus d’admission, au chapitre trois les conditions de l’internement et au chapitre quatre, le moment de la décharge. Nous discuterons de la place qu’a prise la famille à chaque étape de l’internement des patients de l’Asile de Beauport.

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