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CHAPITRE 5 LA REPRÉSENTATION SOCIALE DE L’ÉTUDIANT ET DE

5.3 L’influence des programmes enseignés

Le second questionnement évoqué dans le cadre méthodologique, après l’influence de la formation initiale en pédagogie sur la représentation de l’éducation, consiste à s’interroger sur le lien entre le programme enseigné par les professeurs et celle-ci. Comme le montre le tableau 5.3 (ci-dessous), sur le plan des dimensions cognitive et affective, bien que des différences individuelles soient perceptibles elles ne se cristallisent pas autour des programmes, ni même des disciplines enseignées. Certains informateurs valorisent une conception de l’apprentissage qui tend vers le constructivisme ou le cognitivisme, alors que d’autres tendent vers le socioconstructivisme. Toutefois, aucune constante en lien avec le programme n’est identifiable. Toujours au regard du tableau 5.3, mais sur le plan de la dimension comportementale, cette fois encore aucune différence n’est relevée. Les informateurs enseignant dans le programme Sciences humaines et ceux enseignant dans le programme Sciences de la nature décrivent des pratiques pédagogiques tout à fait semblables.

Tableau 5.3 : Dimensions cognitive et affective comparativement à la dimension

comportementale, selon des 3 pôles des conceptions de l’apprentissage et le programme enseigné

Dimensions cognitive et affective de la représentation Dimension comportementale de la représentation

Programme enseigné

Pôle 1 Pôle 2 Pôle 3 Pôle 1 Pôle 2 Pôle 3

Objet Proces- sus Symbo- lique Subsym -bolique Action Instruc- tion Objet Proces- sus Symbo- lique Subsym -bolique Action Instruc- tion 1 X X X X X X Sciences de la nature 2 - - - - X X X X Sciences humaines 3 X X X X X X Sciences humaines 4 X X X X X X Sciences humaines 5 X X X X X X Sciences de la nature 6 X X X X X X Sciences de la nature 7 X X X X X X Sciences humaines 8 X X X X X X Sciences de la nature 9 X X X X X X Sciences de la nature 10 X X X X X X Sciences humaines 11 X X X X X X Sciences humaines 12 - - X - - - - X X Sciences de la nature 13 X X - - X X X Sciences humaines 14 X X X X X X Sciences de la nature 15 - - X X X X X Sciences humaines 16 X - - X X - - X Sciences humaines 17 - - - - X X X - - Sciences de la nature SH 1 6 5 2 7 1 9 0 8 0 0 9 SN 0 6 4 3 3 3 7 0 8 0 0 7

En somme, le problème évoqué dans ce chapitre au sujet de l’incohérence de la représentation sociale de l’éducation, au niveau de la sphère individuelle, est commun à l’ensemble du corps professoral des deux programmes représentés. Plus largement, rien ne porte à croire que cette représentation pourrait être plus consistante, c'est-à-dire présenter des dimensions affective, cognitive et comportementale logiquement arrimées les unes avec les autres, dans tout autre programme préuniversitaire. Il serait cependant intéressant de voir si la situation est la même dans les programmes d’études techniques, où l’approche par compétences est plus uniformément implantée et fait, pratiquement, l’unanimité. Le directeur des études d’un collège résume très bien cette situation en ces mots, dans la revue Pédagogie collégiale :

Plusieurs auteurs ont défendu l’idée que les cours de l’enseignement « général » relevaient essentiellement d’une formation humaniste étrangère dans ses formes et ses contenus à l’approche par compétences, conçue comme réductrice, car centrée sur les apprentissages pratiques (les « savoir- faire »). Bien que de nombreuses réalisations dans les cours de la formation générale et des programmes préuniversitaires fassent la démonstration de la compatibilité de l’approche par compétences avec une formation humaniste, il y a encore bien des professeures et des professeurs, dans les cégeps et les universités, qui l’associent à un « instrumentalisme », à un « déclin » de la culture générale, voire à une subordination de l’éducation aux intérêts d’une conception néolibérale de l’éducation. (Tremblay, 2004 : 31)

Comme l’évoque lui-même ce directeur des études dans cet extrait, l’approche par compétence et sa vision axée sur une conception socioconstructiviste de l’apprentissage sont loin de faire consensus auprès des professeurs du collégial. Cela est vrai, particulièrement chez les professeurs des programmes préuniversitaires et de la formation générale, qui demeurent généralement prudents et critiques vis-à-vis des sciences de l’éducation et des formations en pédagogie. Daoust, dans l’ouvrage Main basse sur l’éducation, exprime cette vision critique de l’état actuel des sciences de l’éducation. Pour lui, elles sont « devenues statiques, elles veulent s’imposer à tous comme une nouvelle théologie; pour enseigner, il faut passer par ce nouveau séminaire où on prétend assurer une formation professionnelle plus importante, selon les adeptes, que la maîtrise des disciplines d’enseignement ». (in Jasmin, 2000 : 567) Bref, il y a manifestement dissension entre le corps enseignant préuniversitaire qui est critique, voire rébarbatif, à l'égard d'une approche plus socioconstructiviste de l’apprentissage, et un système de l’éducation qui met de plus en plus de l’avant cette approche. Le système d’éducation, pour le meilleur et pour le pire, perçoit de ce fait de plus en plus le professeur du collégial

d’abord comme un professionnel de l’enseignement, avant de le considérer comme un spécialiste de sa discipline.

Ce constat n’est sans doute pas étranger à l'inconsistance relevée tout au long de ce chapitre dans la représentation que les enseignants du préuniversitaire, indépendamment du programme enseigné, se font de leur rapport à l'étudiant. C'est en fait la dimension comportementale qui s’avère être la plus parlante, nous révélant les valeurs silencieuses, mais bien réelles, cachées sous les dimensions affective et cognitive de la représentation. Cette uniformité des pratiques, qu’ils qualifient eux-mêmes de traditionnelles, ne révèle-t- elle pas, en soi, une vision traditionnelle du « triangle pédagogique »? Malgré un discours parfois progressiste ou socioconstructiviste, n'adhèrent-ils pas fondamentalement à un rapport plus classique, où le savoir prédomine sur la pédagogie et où le professeur est le maitre de ce savoir? La sociologue Duru-Bellat évoque très bien ce débat actuel :

La question de la transmission scolaire a toujours fait débat. Le vieil affrontement entre tenants de l’instruction et ceux de l’éducation resurgit aujourd’hui, à travers de virulentes critiques de la notion de compétences. Il n’est guère de question plus centrale pour l’école que de définir ce que l’on juge bon et nécessaire d’y transmettre aux élèves. Depuis plusieurs décennies, les débats autour de ce que l’école doit transmettre sont marqués par une opposition polémique : faut-il transmettre aux élèves des compétences – savoir prélever une information dans un texte, par exemple, ou des savoirs – ou leur faire connaître une récitation par cœur ? Cette opposition recouvre sans nul doute des positions idéologiques, mais elle soulève aussi de vraies questions pédagogiques et philosophiques. » (Duru- Bellat, 2012 : 30)

En somme, l’incohérence entre les dimensions de la représentation qui s’exprime au travers le malaise ressenti par les enseignants interviewés, porte à croire que ceux-ci tiennent un discours qu’ils ressentent comme « acceptable » vis-à-vis la vision imposée par le système éducatif. Pourtant, au regard de la dimension comportementale de leur pratique, il semble que ce discours heurte des valeurs « muettes », mais plus fondamentales, une forme de conviction, de croyance profondément ancrée en un enseignement humaniste.

CONCLUSIONS

Le sociologue rompt le cercle enchanté en essayant de faire savoir ce que l'univers du savoir ne veut pas savoir, notamment sur lui-même.

Pierre Bourdieu L’objectif premier de mon étude était d’en arriver à décrire, sous l’angle de la sphère sociale, institutionnelle et individuelle, les dimensions cognitive (la vision, la compréhension), affective (les valeurs, les idéologies) et comportementale (les agissements, les pratiques déclarées) de la représentation sociale des enseignants du collégial vis-à-vis l’éducation. En outre, elle visait à examiner si les différentes dimensions étaient liées les unes aux autres et comment ces trois dimensions variaient, ou non, par rapport à la formation des maitres et au programme enseigné. À terme, je souhaitais en arriver à dégager quelques réflexions sur le lien entre valeurs et pratiques enseignantes.

6.1 Conclusions sur la description de la représentation sociale de