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Description des conceptions de l’éducation des informateurs

CHAPITRE 3 – LA REPRÉSENTATION SOCIALE DE L’ÉDUCATION

3.1 Description de la représentation sociale de l’éducation

3.1.2 Description des conceptions de l’éducation des informateurs

Ainsi, la visée de développement et la question du financement sont les deux thèmes les plus souvent évoqués par les informateurs quand vient le temps de décrire l’éducation comme valeur. C’est sur la base de cette vision insufflée par eux et traduite par ces quatre conceptions de l’éducation (voir figure 3.4) que j’ai décortiqué les propos recueillis.

Figure 3.4 : Les 4 types de conceptions de l’éducation selon la visée de développement de la personne et le contrôle par des intérêts publics ou privés

Les discours des informateurs ont ainsi été analysés selon deux paramètres, d’une part au regard de la conception de la personne et des objectifs de développement décrits et, d’autre part, en fonction des opinions exprimées spontanément sur le financement de l’éducation, de la recherche ou de la coexistence de systèmes éducatifs public et privé. À partir de ce cadre d’analyse, et avant de m’intéresser à l’influence de la formation des maîtres et du programme d’études enseigné, j’ai été en mesure de faire ressortir à laquelle des quatre visions de l’éducation la description de chaque informateur correspondait. J’en suis arrivée aux constats suivants :

a) Conception progressiste

Tout d’abord, certains informateurs tendent vers une conception progressiste de l’école. Par exemple, l’informateur 10 (M, N, SH) traduit d’emblée l’esprit de la conception progressiste, ancrée dans l’action sociale : « Pour moi, l’éducation c’est une manière de changer le monde… C’est une manière de changer l’ordre des choses et ça, ça passe par l’éducation et plus encore, par l’éducation citoyenne. L’éducation citoyenne, c’est la base d’une société civilisée ». L’informateur 3 (M, O, SH) s’identifie aussi sans hésitation à la conception progressiste, alors qu’il affirme que l’éducation sert à « avoir une population qui peut mieux comprendre les enjeux contemporains ». Il précise son idée en mentionnant qu’« il y a une éducation qui se fait de la part des parents à la base » et qui est ensuite complétée par le système éducatif. « […] l’école est là pour les amener à vivre

en société. On est là pour former des citoyens. C’est ça un peu le rôle des écoles. Ça peut leur faire comprendre comment la société fonctionne et savoir bien vivre dans cette société-là. Former les citoyens de demain avec toutes les responsabilités qu’ils doivent avoir ».

Il en va de même pour l’informateur 7 (M, O, SH). Ce dernier mentionne :

« Mon rôle ce n’est pas juste de transmettre des connaissances et des savoirs, c’est aussi de transmettre des savoir-être et des savoir-faire. […] Mon rôle c’est aussi de les aider […] On a encore un rôle important à jouer à ce niveau- là, pour leur montrer des choses qui ne sont pas nécessairement en lien avec les savoirs disciplinaires […], en termes d’attitudes. L’éducation a pour rôle de former des citoyens. Le jeune aujourd’hui aura à prendre des décisions qui ne seront pas nécessairement en lien avec sa profession, que ce soit au niveau politique ou niveau des valeurs. » (Informateur 7 : M, O, SH)

La conception utilitariste est déplorée par plusieurs enseignants ayant une vision progressiste, comme l’informateur 14 (M, N, SN):

« Je trouve que la vision que l’on a en ce moment, c’est une vision étroite […], très utilitariste de l’éducation et que cette éducation-là ne doit que préparer à des fonctions de travail, donc c’est très réducteur comme approche, alors que l’Éducation c’est beaucoup plus large que cela. C’est des citoyens que l’on forme, avec un regard critique, avec une culture qui va leur permettre de se former des opinions, de nuancer leur position pour pouvoir jouer leur rôle de citoyen de manière active et au mieux et peut-être même changer la société ». (Informateur 14 : M, N, SN)

Il poursuit plus loin en posant la question de la mission de l’enseignement supérieur et en critiquant cette vision utilitariste qui affecte aussi, selon lui, le domaine de la recherche : « Qu’est-ce qu’on veut avoir comme éducation dans l’enseignement supérieur? Est-ce que l’on veut juste des chercheurs ou des travailleurs préoccupés seulement par leur fonction première et l’apport économique qu’ils peuvent avoir? On a une vision très à court terme… On occulte la part citoyenne de l’éducation. »

Au total, 5 informateurs penchent plutôt vers cette conception de l’éducation, comme l’illustre le tableau 3.2.

b) Conception humaniste

Les informateurs sont plus nombreux, soit 7 au total, à s’identifier à une conception plutôt humaniste de l’éducation. Ainsi, l’informateur 6 (M, N, SN) exprime sa tendance humaniste, insistant sur l’importance de faire d’eux de meilleurs humains en ayant des assises intellectuelles solides :

« D’abord, faire d’eux autres de meilleures personnes […] Ils auront une meilleure analyse et une meilleure vision globale que ce soit au niveau de la planète, au niveau social, de l’entraide et tout ça. Au bout du compte, ils feront peut-être les mêmes choix, mais ils seront plus en mesure de justifier leurs choix, de les argumenter. Ça, c’est la petite partie sociale. Le rôle c’est de donner tous les fondements, tous les concepts et tous les outils. Eux feront ce qu’ils voudront avec ça après. […] Peu importe ce qu’ils feront après, l’important c’est d’avoir une formation qui est solide ». (Informateur 6 : M, N, SN)

L’informateur 16 (M, O, SH) offre un autre exemple de conception humaniste de l’éducation, déplorant cette fois encore une vision trop utilitariste de la société par rapport à l’éducation :

« L’éducation devrait être accessible à tous… mais en principe elle l’est, mais non, mais oui, mais en tous les cas, le problème c’est surtout la valorisation de l’éducation. L’éducation n’est pas valorisée. En fait oui, elle est valorisée, mais dans certains milieux, mais elle n’est pas valorisée en général, c’est l’emploi qui est valorisé. Donc, de plus en plus les étudiants viennent à l’école pour avoir une job. Et là, ils veulent savoir ce qu’ils peuvent faire avec [ce qu’ils apprennent dans mes cours]… Bien, rien! Bien en fait, oui, plein d’affaires, mais ce n’est pas pour ça que tu viens à l’école. Moi, ce qui m’inquiète, comme le disait Foglia, c’est que ma coiffeuse, elle, n’a pas entendu parler de Platon. Donc le problème, c’est que l’éducation est valorisée juste par ceux qui font des études. L’idée ce n’est pas d’empêcher ceux qui veulent faire des D.E.P. [diplôme d’études professionnelles] d’en faire, mais si l’éducation était plus valorisée, ils y auraient plus de gens qui feraient des études [supérieures], quitte à retourner ensuite faire un D.E.P., sans avoir l’impression d’avoir perdu leur temps. (Informateur 16 : M, O, SH)

Comme les propos précédents l’illustrent, on constate que certains informateurs identifiés à la conception humaniste, comme ceux associés à la conception progressiste, déplorent une vision qu'ils jugent trop utilitariste de l’éducation qui aurait cours, selon eux, dans la société. En ce sens, des craintes ont aussi été exprimées par certains professeurs vis-à- vis du développement du savoir et de la science, comme le résume l’informateur 15 (F, N, SH) :

Ce qui fait peur là, c’est que c’est tout le niveau de la recherche qui est beaucoup financé par le privé et les intérêts des corporations qui viennent jouer dans la connaissance et ça, c’est vraiment un défi qu’ils ont à l’université. Les profs ont des chaires de recherches financées par le fédéral… c’est sûr qu’on a des recherches qui ont des intérêts fédéralistes. La recherche est trop liée au financement et aux subventions et non plus à la connaissance, mais à la marchandisation. Et ma vision de l’éducation, c’est l'inverse de ça! (Informateur 15 : F, N, SH)

c) Conception néolibérale

Rares sont les informateurs qui tendent au final vers une vision plus néolibérale de l’éducation. Deux d’entre eux, après avoir fait dans un premier temps une description plus utilitariste ou humaniste de l’école, penchent vers cette conception en définitive. L’informateur 1 (F, N, SN) mentionne :

On construit la société. Les adultes que l’on est en train de former, ce sont les prochains dirigeants, on va dire, pour ceux qui se rendront-là en tous les cas, mais les travailleurs de demain et d’après-demain. Alors si on veut que la société fonctionne, ils doivent être aptes à faire leur travail, et je pense que la profession est très importante pour amener les gens vers certains niveaux… Pas juste de connaissance, pour devenir de bonnes personnes ». (Informateur 1 : F, N, SN)

Après avoir été relancé relativement à ce qu’il entend par « être une bonne personne », cet informateur précise que c’est d’apprendre à « bien se comporter en groupe […] même s’il y a certains individus un peu plus lents » et pour qui « c’est plus long à acquérir certains concepts, qui ont de la difficulté à suivre… », précisant au passage que dans leur programme [Sciences de la nature] « il y a de ça, même s’il n’y a pas de trouble de comportement » contrairement à d’autres programmes. L’informateur 13 (M, N, SH) adopte également une vision idéale de l’éducation plutôt néolibérale, mais cette fois en déplorant « la faillite » du système éducatif actuel à former une certaine élite intellectuelle :

Je ne te sortirai pas le refrain des enfants gâtés là, mais sauf que je me dis, regarde, le drame ce n’est pas d’augmenter les petits frais de scolarité, le drame, pour tous ceux qui œuvrent dans le domaine, c’est le secondaire! C’est quoi? C’est que 35 % des jeunes ne finissent pas leur secondaire, et si on met en ratio homme/femme, le ratio pour les jeunes hommes est encore plus haut! Et c’est encore plus grave quand ceux qui nous arrivent [au collégial] ne savent pas la différence entre un démonstratif et un possessif […] Alors, pourquoi on permet tellement de choses, c’est que le taux de réussite est tellement faible quand on regarde tous ceux qui ne passent pas, que l’on se dit, merde, il faut bien le monter ce christi de taux de réussite là […] Alors on nivèle par le bas. Rendu là [études supérieures], je ne suis pas contre l’élitisme… jene suis pas pour l’intégration à tout prix. Tu sais, je regarde au Canada anglais, les frais de scolarité sont bien plus chers, et pourtant les taux de fréquentation de l’université sont bien plus élevés. (Informateur 13 : M, N, SH)

d) Conception utilitariste

Enfin, certains décrivent une conception de l’éducation essentiellement utilitariste. L’informateur 9 (M, O, SN), par exemple, affirme d’emblée avoir une « vision froide » de la chose :

Moi je n’ai pas de misère avec la vision sur laquelle l’éducation permet simplement aux gens de prendre une place dans la société, de se faire une vie heureuse dans quelque chose où ils seront compétents et tirer un salaire de ça pour vivre comme il leur plait. […]Peu importe comment on le décrit, ça demeure ça… Sans dire que c’est un bien de consommation, mais le but est de se trouver un salaire pour vivre. C’est une vision un peu utilitaire de la chose, mais le but c’est ça : ça prend un diplôme pour que quelqu’un qui ne te connait pas puisse croire que tu as la compétence. (Informateur 9 : M, O, SN)

D’autres précisent que si le système éducatif doit, à la base, offrir une formation générale pour tous (dans un esprit plus humaniste ou progressiste, selon) cette formation doit se spécialiser au fur et à mesure vers une fonction plus utilitariste, comme c’est le cas pour l’informateur 2 (M, O, SH) : « Mais après [le primaire et le secondaire], rendu au cégep et à l’université, il y a des choix professionnels qui doivent se faire. On doit s’approcher tranquillement pas vite du marché du travail, donc l’éducation doit répondre à ça aussi, donc une vocation un peu plus utilitaire ».

Au total, c’est 3 informateurs qui, avec plus ou moins de nuances, optent en définitive pour une conception utilitariste de l’éducation au travers leur discours.

e) Portrait global

Bien qu’aucun informateur n’ait une vision dogmatique ou clairement tranchée en faveur de l’une ou de l’autre des conceptions de l’éducation et que la plupart y apportent de nombreuses nuances, leurs descriptions de la place idéale de l’éducation dans la société collent assez fidèlement au type idéal présenté des quatre conceptions de l’éducation. C’est sans surprise que l’on constate que la vision humaniste de l’éducation est la plus répandue (voir tableau 3.2, page suivante).

La conception humaniste est celle qui se rapproche le plus de celle traditionnellement véhiculée par notre système éducatif. Essentiellement public, il se veut accessible à tous et axé sur la transmission de valeurs sociétales communes, conformément à la mission dévolue à ce système depuis la Commission Parent. Bien que le Programme de formation de l’école québécoise (primaire et secondaire) tende actuellement vers une conception un peu plus progressiste, certains diraient même utilitariste, les programmes de formation

des Cégeps tombent plus franchement dans la catégorie humaniste, comme le démontrent ses visées de formation générale (voir figure 1.2, page 20).

Tableau 3.2 : Répartition des informateurs selon leur type de conception de l’éducation

Il est à noter que toutes les conceptions ont été critiquées négativement par au moins un informateur, à l’exception de la vision humaniste. La vision néolibérale fut critiquée en raison des inégalités qu’elle alimenterait, la vision progressiste pour son présumé « anti- intellectualisme » et la vision utilitariste pour… sa vision trop utilitaire, perçue comme réductrice. Tous les informateurs, malgré certains penchants vers ces trois dernières conceptions, s’entendent, à la base, sur un noyau dur humaniste. En effet, la vision humaniste est valorisée par tous, même si ce n'est pas au premier titre. Les informateurs se réclament de l’être, même lorsqu’ils tendent en fait vers une autre catégorie. C’est d'ailleurs le cas de l’informateur 14 (M, N, SN), qui après avoir décrit une vision progressiste, affirme : « Des profs, il y en a de tous les genres, on est un microcosme [en termes d’orientations politiques], mais je pense qu’en général les profs partagent cette vision humaniste que je viens de vous partager ».

L’éducation est présentée par tous, en somme, comme une forme d’instrument au service de la société dans son ensemble, de son maintien. Seulement, cette conception se précisera plutôt en une visée culturelle ou économique, sociale ou politique, pour le meilleur ou pour le pire, selon les perceptions de chacun. Bref, au-delà de ces types de conception de l’éducation auxquels ils sont identifiés sur la base de leurs opinions et de leurs pratiques rapportées, il y a, plus important encore, cette impression commune et

Informateurs Progressiste Humaniste Néolibérale Utilitariste

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partagée d’adhérer à une vision humaniste de l’éducation comme cadre de référence et comme valeur fondamentale.

3.2 L’influence de la formation des maitres sur la représentation sociale de