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Description des conceptions de l’apprentissage des informateurs

CHAPITRE 5 LA REPRÉSENTATION SOCIALE DE L’ÉTUDIANT ET DE

5.1 Description de la représentation sociale de l’enseignant et de l’étudiant

5.1.2 Description des conceptions de l’apprentissage des informateurs

Dès la réalisation des premières entrevues, j’ai pris conscience qu’une dichotomie importante et récurrente survenait chez les informateurs au moment de décrire les dimensions cognitive et affective de leur représentation de l’enseignant et de l’étudiant d’une part, puis la dimension comportementale d’autre part. Par exemple, au moment d’aborder leur vision du rôle de l’étudiant dans son apprentissage ou encore de leur propre rôle auprès des étudiants, plusieurs des informateurs optent pour une description à tendance socioconstructiviste, mettant en valeur généralement l’appropriation d’un processus, allant dans le sens de l’action et faisant, dans certains cas, appel à des méthodes subsymboliques. Le tableau 5.1, ci-dessous, montre cette tendance socioconstructiviste en ce qui concerne les dimensions cognitive et affective de la représentation, tel que présente dans le discours des informateurs au sujet de ce qu’ils conçoivent et valorisent comme conception de l’apprentissage et du rôle de l’enseignant et de l’étudiant.

Tableau 5.1 : Dimensions cognitive et affective comparativement à la dimension comportementale, selon des 3 pôles des conceptions de l’apprentissage Dimensions cognitive et affective de la

représentation Dimension comportementale de la représentation Occur- rence d’élé- ments identi- ques

Pôle 1 Pôle 2 Pôle 3 Pôle 1 Pôle 2 Pôle 3

Objet Proces- sus Symbo- lique Subsym -bolique Action Instruc- tion Objet Proces- sus Symbo- lique Subsym -bolique Action Instruc- tion 1 X X X X X X 0/3 2 - - - - X X X X 0/1 3 X X X X X X 0/3 4 X X X X X X 1/3 5 X X X X X X 0/3 6 X X X X X X 2/3 7 X X X X X X 2/3 8 X X X X X X 2/3 9 X X X X X X 2/3 10 X X X X X X 1/3 11 X X X X X X 2/3 12 - - X - - - - X X 1/1 13 X X - - X X X 1/2 14 X X X X X X 0/3 15 - - X X X X X 0/2 16 X - - X X - - X 0/2 17 - - - - X X X - - 0/0 1 12 9 5 11 4 16 0 16 0 0 16 14/41

Pourtant, quand vient le temps de décrire leurs pratiques (soit la dimension comportementale), les choix des stratégies pédagogiques et des méthodes d’évaluation

ne sont pas cohérents aux dimensions cognitive et affective de leur représentation telles que les informateurs les ont déclarées. En effet, les pratiques des professeurs interrogés sont uniformément tournées vers le cognitivisme, soit vers l’appropriation d’objets, via l’instruction plutôt que l’action, et ce, au moyen de symboles, comme le met en lumière le tableau 5.1 (page précédente).La description de la dimension affective et cognitive diverge donc, dans la plupart des cas, des pratiques déclarées. En effet, le tableau 5.1 montre également qu’au regard des trois pôles, les pratiques déclarées (dimension comportementale) ne concordent que 14 fois sur 41 avec les ce que les informateurs affirment concevoir et valoriser (dimensions cognitive et affective).

À titre d’exemple, en ce qui concerne la dimension comportementale, l’informateur 1 (F, N, SN) affirme faire en bonne partie appel à des tests et des examens à choix multiples quand vient le temps d’évaluer, testant ainsi des connaissances acquises par cœur. En ce qui concerne le premier pôle, les moyens d’évaluation retenus indiquent donc que ses pratiques sont axées sur l’objet plutôt que sur le processus. Pour ce qui est de ses stratégies d’enseignement, l’informateur 1 procède en général à l’explication théorique d’un processus. Il fait assez souvent suivre cette explication d’une illustration à l’aide de vidéos ou d’une démonstration faite par le professeur à l’étudiant. Parfois, l’étudiant est invité à reproduire ensuite le processus sur la base des explications données, en se conformant à un protocole d’expérimentation à suivre pas à pas. Au regard du deuxième pôle et la dimension comportementale, ses enseignements sont donc orientés, selon la description qu’il en fait, vers l’instruction plutôt que vers l’action, le rôle de l’étudiant demeurant relativement passif dans son apprentissage. Enfin, ce même informateur affirme que l’exposé magistral est au centre de son enseignement. Cette méthode, quoiqu'efficace pour présenter du contenu de façon structurée et pour couvrir une grande quantité de matière en peu de temps, confirme la fonction essentiellement passive de l’étudiant dans sa classe, son rôle étant axé sur l’écoute et à de la prise de notes. Cela indique également, en ce qui concerne le troisième pôle et la dimension comportementale, que son enseignement fait surtout appel à l’utilisation de symboles.

Pourtant, sur le plan des dimensions cognitive et affective, ce même informateur explique à l’opposé que son enseignement vise le développement de la capacité des étudiants à acquérir par eux-mêmes les connaissances, bien plus que l’acquisition de connaissances en tant que telles. En analysant ses propos, il appert qu’il estime davantage l’apprentissage axé sur le processus plutôt que l’objet (premier pôle). Pour ce faire, il

valorise mettre les étudiants en action (deuxième pôle) en préconisant la transmission par habituation (troisième pôle) :

Ce qui est le plus essentiel, je pense, c’est [que les étudiants] retiennent qu’ils sont capables de faire des choses par eux-mêmes […] parce qu’on leur a toujours tellement dit exactement ce qu’il fallait qu’ils fassent, exactement comment le faire, exactement dans quel livre il fallait qu’ils cherchent que souvent ils n’en prennent pas la peine […]. Donc de les amener là, à se faire confiance et à travailler par eux-mêmes, ça, je pense que ça vaut même probablement plus que la connaissance qu’ils acquièrent au niveau de la matière… car la connaissance, s’ils sont capables d’aller la chercher dans les livres, ils vont la trouver. (Informateur 1 : F, N, SN)

Bref, un écart flagrant apparait dans son discours entre affect et pensées d’une part, et actes et comportements d’autre part. Et c’est le cas pour la vaste majorité des informateurs. Sur le plan des dimensions cognitive et affective, les professeurs accordent plus de valeur à l’acquisition de processus d’apprentissage que d’objet d’apprentissage; ils considèrent qu’il faut privilégier l’apprentissage par l’action à celui par l’instruction; ils affirment qu’il est préférable de faire appel à cette fin à une communication subsymbolique (par pratique et habituation) plutôt que symbolique. Pourtant, sur le plan de la dimension comportementale, du moins si l’on se fie aux pratiques déclarées, ils adoptent des attitudes contraires à celles proposées dans leurs discours : ils font des choix de méthodes, d’outils, de stratégies et de techniques allant dans le sens d’évaluer des objets d’apprentissage; ils favorisent un apprentissage plus passif, par l’instruction; ils utilisent pour ce faire surtout la communication symbolique comme le langage, des modèles théoriques, des équations. Cette dichotomie entre les dimensions cognitive et affective, d’une part, et comportementale, d’autre part, illustre que les pratiques effectives des informateurs ne correspondent que très peu (14 fois sur 41, voir tableau 5.1) à celles que leurs valeurs et leur compréhension rationnelle du monde seraient susceptibles d’induire.

Une autre inconsistance de la représentation qui ressort des propos des informateurs est spécifiquement relative au but de l’évaluation. Sur le plan de la dimension cognitive et affective, lorsque les informateurs abordent le but de l’évaluation (ce qui est le cas de 12 des 17 professeurs interviewés), ils affirment systématiquement que l’objectif d’une activité d’évaluation est d’évaluer soit le degré d’intégration des connaissances, soit le niveau de maitrise d’habileté ou de compétence.

Pour ce qui est de la dimension comportementale, pourtant, il en va tout autrement. En effet, nombreux sont ceux pour qui l’évaluation sert à d’autres fins que de mesurer le

degré d’acquisition de connaissances ou de la maîtrise d’une certaine compétence. Dans la pratique, 10 informateurs sur 12 abordent le sujet, mentionnant spontanément se servir d’une partie de leurs activités d’évaluation à d’autres fins. Selon le cas, ils l’utilisent pour sélectionner les meilleurs, pour stimuler « l’effort pour l’effort », pour obliger la présence en classe ou la participation active, pour gérer les relations difficiles à l’intérieur d’une équipe de travail, etc.

Par exemple, l’informateur 13 (M, N, SH) mentionne que les tâches d’évaluation les plus difficiles servent à « départager le bon grain de l’ivraie ». Autre exemple, l’informateur 11 (F, O, SH) indique « Moi, je donne toujours des examens pour la simple et bonne raison qu’en donnant des examens, ils viennent aux cours et ils prennent des notes ». Elle ajoute par la suite « Pis on va se le dire, je fais des tests de lecture pour les obliger à lire ». Dans le même sens, l’informateur 15 affirme :

« Mais moi je ne suis pas quelqu’un de notes. Si tu fais le travail, t’as assez bûché là, t’as fait un assez gros dossier que, un coup qu’ils ont fait ça […] je ne me mettrai pas à être sévère sur la correction! Ils ont passé 10 heures là- dessus! C’est sûr que ce qu’ils ont à faire c’est long, mais les notes récompensent. Fait que si tu le fais, c’est sûr que tu vas avoir une bonne note, fait qu’ils sont contents, ils sont là : “j’ai travaillé, mais ça a donné quelque chose!”. Fait que je ne fais pas une correction sévère, ils ont assez travaillé, je ne me verrais pas les planter. » (Informateur 15 : F, N, SH)

Mais comment expliquer ces écarts dans le discours des informateurs? Pourquoi cette différence en ce qu’ils affirment vouloir faire et ce qu’ils font effectivement? Dans la mesure où les valeurs sont communément conçues comme le guide de nos actions, aussi bien sur le plan individuel que sur le plan collectif, ces contradictions entre les différentes dimensions de la représentation sociale ne créent-elles pas une incohérence interne inconfortable? Bref, pourquoi les pratiques déclarées des informateurs ne correspondent- elles pas davantage à la dimension affective et cognitive de leur représentation, assurant ainsi la concordance entre les valeurs qui façonnent les comportements et les comportements en tant que tels?

Deux situations peuvent spontanément être envisagées à cet égard : soit les informateurs font une description qui reflète de manière juste les dimensions affective et cognitive de leur représentation, soit les informateurs font, consciemment ou non, une description qui n’en est pas exactement représentative. Dans le premier cas, il se pourrait que la description qu’ils font de leurs valeurs et de leur vision soit juste, mais que ces dernières ne se traduisent pas adéquatement dans leurs pratiques pour différentes raisons d’ordre

contextuel : manque de temps pour développer d’autres pratiques pédagogiques, classes trop nombreuses pour les méthodes qu’ils jugeraient plus adaptées, absence ou méconnaissance des solutions concrètes qui pourraient s’offrir à eux à cet égard. Dans le second cas, il se pourrait que la description qu’ils font de leurs valeurs et de leur vision soit distorsionnée par des pressions externes qui les influencent, les poussant à modifier leur discours afin de le conformer à ce qu’ils ressentent comme une certaine forme de désirabilité sociale. En outre, ces pressions externes n’auraient pas d’impact significatif sur leurs pratiques et ne mèneraient qu’à une conformité de surface, ne se traduisant pas jusqu’au bout, dans leurs gestes.

Bien que la source de ces contradictions perçues entre les différentes dimensions de la représentation demeure incertaine et qu’elle est sans doute multifactorielle, cette dernière explication semble toutefois faire partie des éléments de réponse. En effet, les observations suivantes laissent croire que des pressions découlant des jugements de valeur sont ressenties par les informateurs relativement aux méthodes ou aux stratégies pédagogiques qualifiées de « traditionnelles », tout particulièrement par rapport à l’utilisation de l’exposé magistral en classe. Du point de vue des pratiques, les 16 informateurs qui traitent de cette méthode d’enseignement lors de l’entrevue, au regard de la dimension comportementale, affirment y faire appel comme principal moyen de transmission de la connaissance. Pourtant, la vaste majorité affirme spontanément le faire, mais avec réserve. En effet, la plupart de ceux qui abordent spontanément ce sujet au regard de la dimension cognitive et affective, soit 13 des 14, ressentent un malaise ou croient qu’il n’est pas bien vu d’utiliser cette méthode pédagogique. L’informateur 6 (M, N, SN) l’exprime très clairement : « J’vais te dire, c’est ben traditionnel mes cours. Je l’sais que ce n’est pas à la mode ça, mais je donne des cours magistraux. Pis je trouve que c’est bien correct de même! »

D’autres prennent la peine de justifier, voire d’excuser, leur recours à l’exposé magistral, expliquant que leur manière de faire est cependant dynamique, interactive, que leur exposé est tout de même fait sous forme de dialogue, entrecoupé d’exercices ou découpé dans le temps. Certains considèrent en outre que le recours à l’exposé magistral ne relève pas d’un choix personnel, mais d’une obligation qui va contre leur volonté. Par exemple, l’informateur 14 (M, N, SN) explique :

Il y a la question, évidemment, des connaissances dont [les étudiants] ont besoin et qui leurs sont demandées dans les devis [ministériels] et par les universités. Alors on est avec une approche par compétence, c’est sûr, mais

moi je considère qu’au préU[niversitaire] les compétences à aller chercher sont beaucoup plus déclaratives, c’est-à-dire des connaissances, que procédurales ou conditionnelles […] Au préU, on n’a pas le choix d’aller beaucoup plus dans le déclaratif. C’est des connaissances qu’on donne. Et souvent on entend, de nos jours, qu’on devrait plus être des accompagnateurs et, dans le fond, qu’eux c’est des apprenants. Nous, on les aide à apprendre et, oui, c’est vrai jusqu’à un certain point, dans un monde idéal où ils auraient été formés pour ça. Mais il y a quelque chose dans la préparation qui fait qu’on n’a pas le choix d’assurer plus un rôle traditionnel de maître et d’être plus magistral […] et on a eu tendance à essayer, pas d’évacuer le magistral parce qu’il y en aura toujours besoin, mais d’en mettre moins. J’essaye encore de le faire d’ailleurs, mais on n’a pas le choix que la part [de magistral] reste importante, parce qu’ils ne sont pas formés au primaire et au secondaire pour faire les efforts et se prendre en main pour vraiment avoir le rôle d’apprenants qui, théoriquement, devrait être le leur, donc on n’a pas le choix d’être plus magistral qu’on devrait l’être » (Informateur 14 : M, N, SN)

En somme, pour la sphère individuelle, spécifique de la représentation sociale de l’éducation relative à l’étudiant et à l’enseignant, un écart assez vaste existe entre les dimensions cognitive et affective, d’une part, et la dimension comportementale de la représentation, d’autre part. Est-ce suffisant pour affirmer que la représentation sociale de l’étudiant et de l’enseignant est la seule des trois sphères de la représentation sociale de l’éducation qui souffre d’incohérence? Les sphères sociale et institutionnelle analysées précédemment, visant plus spécifiquement la représentation de l’institution et la représentation de l’éducation au sein de la société, font-elles preuve de cohésion pour autant? Peut-être pas. En fait, si le manque de consistance est évident au niveau « micro » de cette sphère individuelle (voir figure 2.2, p. 33), c’est probablement davantage parce que la sphère de la représentation sociale de l’éducation relative à l’étudiant et à l’enseignant est la seule où il est possible de comparer plus concrètement la valeur accordée (dimension affective) et la conception théorique (dimension cognitive) qui guident les attitudes et les comportements, d’avec les pratiques déclarées (à titre de portrait de la dimension comportementale) dans le contexte de cette étude. Cette incohérence est donc peut-être également présente, quoiqu’inapparente, dans les autres sphères de la représentation.

Quoi qu’il en soit, ces contradictions entre ce qui est souhaité et voulu et ce qui est effectivement fait traduisent une forme d’inconfort interne dans la représentation que les professeurs se font de leur rôle et de celui de l’étudiant. Les informateurs semblent sentir une certaine pression pour se conformer à des pratiques qui leur semblent être socialement désirables, mais auxquelles ils n’adhèrent pas véritablement. Ils en

viendraient donc à modifier superficiellement leur discours en ce sens, sans que pour autant les amendements à leur discours n’entrainent de transformations, plus durables ou significatives, dans leurs attitudes et leurs comportements.