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L’influence du fleuve Mékong sur l’intégration du Laos à l’échelle régionale

2. Le Laos : un État enclavé

2.1 L’influence du fleuve Mékong sur l’intégration du Laos à l’échelle régionale

d’un accès direct à la mer. Il est toutefois traversé par le puissant fleuve Mékong. Celui-ci s’étire sur 4 350 kilomètres et son bassin s’étend sur 808 500 kilomètres carrés. Il se distingue comme étant le fleuve le plus international du continent asiatique puisque six pays2 différents se partagent ses rives (Taillard, 2004 : 377-378). Parmi les privilégiés, le Laos est celui qui en bénéficie le plus, 25% du bassin fluvial y étant concentré. Suivent la Thaïlande (23%), la Chine (21%) et le Cambodge (19%).

Bien que le fleuve Mékong ait été un axe de peuplement important, il n’a pas été possible d’en faire un axe de communication international. La présence de chutes et de rapides rend son exploitation difficile, ne permettant pas son utilisation pour le commerce entre les régions d’aval et d’amont, dont avec la Chine méridionale (Mignot, 2003 : 43, Taillard, 2004 : 378, De Koninck, 2012 : 287). Mignot (2003) cite Jean Delvert (1975) qui décrit le Mékong sur

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le territoire laotien comme étant « un torrent encaissé de la frontière chinoise à Louang Phrabang […] coupé par de rapides infranchissables une grande partie de l’année de Louang Phrabang à Vientiane […] une bonne navigation de Vientiane à Savannakhet […] puis les chutes de Khong infranchissables à la frontière khmère ». Le fleuve Mékong est caractérisé par son débit irrégulier et le Laos est directement touché par son irrégularité, considérant les 1 900 kilomètres qu’il parcoure à travers le pays (De Koninck, 2012 : 289). Plus de 90% du territoire laotien relève de ce bassin fluvial alors que ses plaines et ses rives rassemblent 80% de la population laotienne (ibid.).

Le Laos jouit également d’un potentiel hydroélectrique évalué à 21 000 mégawatt (Mottet et Lasserre, 2014 :525). C’est d’ailleurs le premier gisement énergétique du pays. Dès la fin des années 1960, trois chantiers hydroélectriques ont été mis en place (ibid.). Le fleuve Mékong était alors perçu comme une ressource inutilisée, un espace vierge pouvant être exploité au profit des pays riverains (Pholsena et Banomyong, 2006 : 86). En 2013, selon les informations tirées des documents du gouvernement laotien (2013), on compte dix-sept installations hydroélectriques opérationnelles, quatorze chantiers en construction, vingt- quatre en planification et trente-deux en étude de faisabilité (Mottet et Lasserre, 2014 : 526). Alors que ces projets hydroélectriques sont promus comme étant des moteurs importants pour l’économie laotienne, ils engendrent des conséquences importantes sur les communautés locales. Philip Hirsch évoquait d’ailleurs, 20 ans avant cette recherche, trois défis auxquels le gouvernement laotien était confronté au début des années 1990: stimuler le développement national, se soucier des conditions de vie des personnes affectées ou déplacées par les projets hydroélectriques et créer une politique équilibrée en lien avec les ressources naturelles (Hirsch, 1996 : 265-277). Il est d’ailleurs possible de croire que ces défis perdurent encore aujourd’hui en raison des divers projets hydroélectriques en chantier.

La position du fleuve Mékong le place également au cœur de plusieurs enjeux géopolitiques dans la région. Au XIXe siècle, avant que le Siam n’annexe le plateau de Khorat, le puissant fleuve représentait un élément d’unification entre les deux rives (Mignot, 2003 : 42). Ce rôle s’est modifié au cours du dernier siècle, le Mékong ayant joué le rôle de frontière entre des systèmes politiques opposés. Lors de la période coloniale, le Siam s’interposait entre les

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forces britanniques et françaises qui tentaient de coloniser le territoire. Le passage du fleuve Mékong agissait à titre de division entre les deux pays colonisateurs. Lors de l’émergence du socialisme sur le territoire sud-est asiatique continental, il a séparé les nations se basant sur une économie libérale, telle que la Thaïlande, de celles qui ont adopté l’économie socialiste (Taillard, 2004 : 378).

Afin de stimuler l’intégration régionale au sein de l’Asie du Sud-Est continentale, deux comités ont été mis sur pied. Le premier, le Comité international pour l’aménagement du bassin inférieur du Mékong, soutenu par la Commission régionale des Nations unies, a été initié en 1957. Les premiers mandats réalisés par ce comité ont permis de colliger des informations dans le bassin inférieur du Mékong sur une période s’échelonnant de 1957 à 1968. Le Comité a également initié des projets dans les différents pays traversés par le fleuve pour y aménager des barrages d’affluents, permettant entre autres l’irrigation ou la production d’électricité. Les projets initiés par le Comité ont toutefois connu un blocage lorsque ce dernier a voulu étendre les projets de barrages d’affluents sur le cours d’eau principal. Ce type de projet nécessite l’approbation de tous les États concernés. Certains s’y opposaient sous prétexte que le projet favoriserait la Thaïlande puisque le principal bailleur de fonds du projet était les États-Unis (Taillard, 2004 : 379).

Le deuxième comité a été initié en 1992, par la Banque asiatique de développement (BAD). L’initiative nommée « Great Mekong Subregion (GMS) » vise la promotion des échanges commerciaux, qui ont été interrompus en raison des conflits coloniaux et des guerres subséquentes (Fau et al., 2014 : 23). Le Mékong est ici utilisé comme un symbole d’une stratégie d’intégration transnationale à l’échelle continentale. Les principaux projets et enjeux priorisés sont axés sur le transport, l’énergie, les télécommunications, l’environnement, le tourisme, le commerce, les investissements privés et l’agriculture à une échelle régionale afin de stimuler le développement économique de la partie continentale de la région sud-est asiatique. D’ailleurs, le président de la Banque asiatique de développement (BAD), Mitsuo Sato, présentait le Mékong comme étant « un trait d’union, symbole d’un nouvel esprit de coopération » lors de sa présentation sur la vision stratégique d’intégration de l’Asie du Sud-Est continentale (BAD, 1994; cité dans Taillard, 2004 : 380).

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Les deux comités, le Comité international et le GMS coexistent encore aujourd’hui. Tous deux influencent le contexte géopolitique de la région, bien qu’ils poursuivent des approches de construction et de l’instrumentalisation régionale différentes. Toutefois, les deux comités utilisent le fleuve Mékong comme outil stratégique d’intégration (Taillard, 2004 :380).

Le fleuve Mékong joue un rôle prédominant sur le territoire laotien, que ce soit par sa physiographie, son influence sur la géopolitique de la région ou encore sur l’émergence de projets visant à stimuler l’économie.