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3. Les rouages du processus d’intégration socioéconomique des régions montagneuses du

3.3 Évolution de la situation socio-économique au Laos

Au cours des trente-cinq dernières années, le Laos a connu des changements considérables sur le plan socioéconomique. À la suite de la prise de pouvoir par le Pathet Lao, le gouvernement a adopté une série de politiques qui ont eu pour conséquence de fermer les frontières du pays. Après avoir reconnu les répercussions négatives de la fermeture des échanges avec ses voisins, le gouvernement a adopté le Nouveau Mécanisme Économique (NME) (Chin Thanakaan Mai) en 1986, modèle orienté vers l’économie socialiste de marché. Ce modèle a substantiellement changé l’économie laotienne, amenant bénéfices et conséquences variées, y compris négatives. De manière générale, il s’est produit une transition d’une économie s’appuyant strictement sur l’agriculture vers une économie davantage axée sur les secteurs des services et le domaine manufacturier.

Dans un rapport de 2015, la Banque asiatique de développement (BAD) affirme que la croissance économique du Laos depuis son ouverture dans les années 1980 a contribué à réduire la pauvreté extrême. Toutefois, elle y dénote une nouvelle tendance, à savoir celle de la croissance des inégalités économiques. Ces inégalités sont notables, le coefficient de GINI10 ayant varié de 34,3 en 1992 à 37,9 en 2012 (Tableau 4) (Banque Mondiale, 2015). Cette hausse est d’ailleurs qualifiée par la BAD comme étant une « hausse statistiquement significative » [traduction libre] (Warr et al., 2015 : 1-2). La BAD est préoccupée par cette hausse des inégalités au Laos. Dans un article d’actualité11, elle affirme que « la hausse des inégalités doit être considérée puisqu’elle a des répercussions sur la cohésion sociale, tout comme la pérennité de la croissance du pays » (BAD, 2015). Elle ajoute que « les inégalités ont augmenté non seulement à l’échelle nationale mais également entre les zones urbaines et rurales » (ibid.).

Le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a développé un indice pour calculer le développement humain (IDH). Les dimensions prises en compte par l’IDH

10 Le coefficient de GINI est utilisé pour mesurer les inégalités de revenus dans un pays (OECD, 2018). Une valeur de 0 correspond à une égalité parfaite alors qu’une valeur de 1 correspond à une inégalité parfaite. Certaines organisations telles que la Banque Mondiale et le PNUD calculent le coefficient de GINI sur une échelle de 0 à 100, la valeur 100 correspondant à une inégalité parfaite (voir PNUD, 2013; BM, 2015). 11 Voir ADB (2015) Growth cuts absolute poverty, but inequality rising in Lao PDR.

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sont l’espérance de vie à la naissance (santé), le PIB par habitant (niveau de vie) et le niveau d’éducation chez les 15 ans et plus (éducation) (PNUD, 2015). Cet indice, souvent critiqué puisqu’il comporte certaines limites (ne reflète pas les inégalités, la pauvreté, la sécurité humaine ni l’autonomisation), permet de mesurer sommairement le niveau moyen atteint dans trois dimensions du développement humain. En regard de ce classement, le Laos se situait en 2015 au 141e rang de 187 pays recensés, avec un IDH de 0,575 (PNUD, 2015)12.

Malgré sa position, les données recensées entre 1980 et 2010 démontrent une progression du développement humain au Laos, progression qui suit celle à l’échelle mondiale. Les indicateurs de développement humain se situent maintenant entre faible et moyen, suite à l’augmentation du nombre moyen d’années de scolarisation chez les adultes âgés de plus de 25 ans13 (Tableau 5).

Le produit intérieur brut par habitant a également connu une progression au cours des trente dernières années. Les données démontrent que le PIB/habitant a doublé entre 2000 et 2013 au Laos, suivant la tendance observée à l’échelle de la région sud-est asiatique continentale (Tableau 6).

L’indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM)14 est un outil complémentaire à l’IDH, publié pour la première fois en 2010 par le PNUD. L’indice prend en compte trois dimensions, qui comptent chacune plusieurs indicateurs : la santé (nutrition et mortalité infantile), l’éducation (années de scolarité, intensité de la pauvreté, ratio d’enfants et enfants inscrits à l’école), et les besoins de base (toilette, eau, électricité, combustible pour cuisson, planchers, atouts)15. Les données recensées par le PNUD nous informent que la pauvreté multidimensionnelle a considérablement diminué au Laos entre 2006 et 2012 (données disponibles). Le pourcentage de population vivant dans une situation d’extrême pauvreté multidimensionnelle est passé de 35,2% en 2006 à 18,8% en 2012 (PNUD, 2015). Le

12 Voir UNDP, 2015: Lao People’s Democratic Republic – Human Development Indicators 13 Voir UNESCO, 2013: Data for the Sustainable Development Goals (means year of schooling)

14 Voir PNUD (2015) : Indice de la pauvreté multidimensionnelle (IPM) 15 Voir UNDP (2015) : Calculating the human development indices

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pourcentage de population vivant dans une pauvreté dimensionnelle (incidence) est passé de 55% en 2006 à 36,8% en 2012 (PNUD, 2015).

Tous ces indicateurs, malgré parfois leur imprécision et les critiques qui leur sont portées, convergent pour démontrer que, depuis les années 1980, la situation semble s’améliorer. Mais le Laos demeure dans une situation plutôt précaire et la population en est affectée directement. De plus, ces indicateurs ne prennent pas en compte les facteurs géographiques et culturels qui favorisent ou défavorisent certains groupes et, surtout, les relations de pouvoir. Les données, analysées en fonction des indicateurs géographiques démontrent des inégalités entre les groupes ethniques et aussi, entre les habitants des régions urbaines et rurales (ADB, 2015).

Dans son plan de lutte à la pauvreté (NGPES), le gouvernement laotien a établi des critères concernant les indices de pauvreté. Un ménage considéré comme étant pauvre se définit par « un revenu inférieur au seuil qui permettrait d’acheter du riz en quantité suffisante pour atteindre la diète de 2 100 calories/jour/habitant » (Doliguez, 2005 :62-63). L’identification d’un village ou d’un district comme étant pauvre dépend du nombre d’individus pauvres qui s’y retrouvent.

Un village pauvre est constitué de plus de 51% de ménages pauvres. Sont également considérés les éléments géographiques et structurels, tels que l’accès à l’éducation, à l’eau potable, le réseau routier et les infrastructures de santé. Un accès limité à ces services contribue à la classification d’un village comme étant pauvre (ibid.). Un district est identifié comme pauvre s’il est constitué de plus de la moitié de villages pauvres. De plus, 40% des villages se retrouvent sans infrastructures scolaires ni de centres de santé, 60% d’entre eux n’ont pas accès au réseau routier et 40% n’ont pas accès à l’eau potable. Pour des fins de lutte à la pauvreté, de nombreux investissements sont réalisés et autorisés par le gouvernement laotien depuis les années 2000. L’objectif de ces investissements est de désenclaver les populations, par la mise en place d’infrastructures sanitaires, routières et scolaires.

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Tableau 4 : Évolution du coefficient de GINI au Laos entre 1992 et 2012

Année Coefficient (sur 100)

1992 34,30

1997 34,90

2002 34,66

2007 36,64

2012 37,90

Sources : Banque mondiale, 201516

Tableau 5 : Années de scolarisation (moyenne) chez les adultes âgés de 25 ans et plus dans le monde et au Laos entre 1980 et 2010, en fonction de l’indice de développement humain

Développement humain très élevé Développement humain élevé Développement humain moyen Développement

humain faible Laos

1980 8,5 4,4 2,5 1,5 2,1

1990 9,5 5,5 3,4 2,3 3,1

2000 10,8 7,1 4,5 3,1 3,9

2010 11,7 8,1 5,5 4,1 4,6

Sources : UNDP, 2013.

Tableau 6 : Produit intérieur brut par habitant entre 1990 et 2013 (PPP$)

1990 1995 2000 2005 2010 2013 Cambodge N/D 1091,10 1368,00 1956,60 2513,10 2943,50 Chine17 1488,20 2500,00 3609,30 5567,50 9230,40 11 524,60 Laos 1622,40 1908,10 2326,90 2930,40 3900,70 4667,30 Thaïlande 6368,80 9238,60 8938,90 10 901,00 12 821,70 13 931,80 Vietnam 1501,10 2041,80 2649,70 3484,80 4486,30 5124,60 Sources : UNDP, 2016.

16 Voir Banque mondiale (2015) Indice GINI – République populaire démocratique du Laos

17 Ici la Chine est insérée dans le tableau puisqu’elle joue un rôle d’influence au Laos. La Birmanie (ou Myanmar) n’est pas insérée puisque les données ne sont pas disponibles.

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Dans son plan d’élimination de la pauvreté, le gouvernement a partagé les responsabilités entre les différents niveaux d’administration. Les décisions et les stratégies sont développées et décidées à l’échelle provinciale. Le district est reconnu comme l’entité administrative responsable d’appliquer le plan d’élimination de la pauvreté. Le district a également la responsabilité de l’élaboration technique et budgétaire des actions. Pour sa part, le village est responsable de la mise en œuvre technique et il assume une part des coûts par les contributions villageoises (Doliguez, 2005 : 63-64).

En consultant « The Geography of Poverty and Inequality in the Lao PDR » (2008), il est possible de constater les inégalités socio-économiques sous une perspective géographique. Le Laos est divisé en provinces, elles-mêmes sous-divisées en districts. Trois catégories socio-économiques servent à identifier les ménages pauvres par district. Selon les données recensées en 2004, quarante-sept districts sont identifiés comme très pauvres et jugés comme prioritaires à l’action; vingt-cinq districts ont été jugés pauvres et soixante-dix districts considérés comme n’étant pas pauvres (Epprecht et al., 2008 :40).

Divers facteurs géographiques sont pris en compte par les auteurs du rapport pour expliquer l’incidence de la pauvreté au Laos. Parmi ceux-ci, notons que les populations des régions montagneuses du Laos ont une propension plus élevée à la pauvreté, principalement celles bordant la frontière vietnamienne. Inversement, l’incidence est plus faible pour les populations habitant les centres urbains, les plaines fertiles ou celles bordant la frontière thaïlandaise (Epprecht et al., 2008 : 57).

Des facteurs géophysiques tels que l’altitude, les terres accidentées, les pentes raides, la pauvreté de nutriments dans les sols ou encore les écarts de températures extrêmes sont identifiés par les auteurs du rapport comme étant également des facteurs qui accroissent la prédisposition à la pauvreté (Epprecht et al., 2008 : 57).

L’accessibilité aux centres urbains et aux cours d’eau est également un facteur prédisposant à la pauvreté. L’accessibilité est mesurée en fonction du temps de voyagement entre le lieu de résidence et le centre urbain ou la rivière le plus proche (Epprecht et al., 2008: 57). Le

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taux de pauvreté rurale est plus élevé dans les endroits où le temps de voyagement est plus élevé. Lorsque les villages se situent à proximité des villes et qu’ils ont un meilleur accès aux marchés, le taux de pauvreté est plus faible (ibid.). Selon ce rapport, les infrastructures de transport sont déterminantes dans la sphère des activités économiques (Epprecht et al., 2008: 57).