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3. Les rouages du processus d’intégration socioéconomique des régions montagneuses du

3.4 Contrôle du territoire par l’État

3.4.5 Accaparement des terres

Depuis le début des années 2000, les paysans du Laos font face à un nouveau phénomène : l’acquisition des terres agricoles par les compagnies étrangères. Ce phénomène, aussi appelé « accaparement des terres », amène des conséquences considérables sur les populations locales qui se retrouvent parfois dépossédées des terres desquelles elles survivent. L’accaparement des terres s’observe à l’échelle mondiale et touche des millions de personnes (The Oakland Institute, 2016).

Selon Daniel et Mittal (2009), le terme accaparement des terres réfère « à l’acquisition de vastes étendues de terres par des investisseurs privés, des pays plus favorisés ou des nations

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n’arrivant pas à assurer la sécurité alimentaire de leur peuple sur leur propre territoire, afin de produire une agriculture d’exportation, au détriment des pays en développement. L’accaparement des terres est le résultat d’une combinaison complexe de facteurs motivés par la volatilité des prix sur le marché mondial, la crise alimentaire internationale et la hausse des activités spéculatives ». Daniel et Mittal (2009) identifient trois facteurs qui orientent l’accaparement des terres : « le besoin d’augmenter les sources alimentaires pour les pays en insécurité alimentaire; la demande pour les agrocarburants et biocarburants ou pour les ressources naturelles; et la forte hausse dans les investissements pour le marché foncier et les ressources naturelles » (2009 : 2; 18).

Divers rapports, études et médias locaux et internationaux19 décrient la situation. La concession de grandes terres agricoles vulnérabilise les populations locales, souvent confrontées à la situation. De plus, ces dernières ne détiennent pas les ressources nécessaires pour la défense de leurs droits. Baird et Fox (2015) affirment qu’en plus des sérieux impacts négatifs générés par la concession de grandes parcelles de terres à des investisseurs étrangers, l’utilisation du sol et les activités économiques des paysans sont bouleversées. Le Cambodge et le sud du Laos sont principalement touchés par l’expansion de l’hévéaculture par des compagnies vietnamiennes (Baird et Fox, 2015; Rubber Barons, 2013).

Plusieurs études répertorient des cas d’accaparement des terres au sud du Laos, où divers pouvoirs (Hall et al., 2011) s’allient pour exproprier des paysans de leurs terres au profit de l’exploitation industrielle. Dans certains cas, on peut dire que les paysans ne font pas face à de l’accaparement des terres, mais carrément à une exclusion d’un territoire donné, pour la poursuite d’objectifs économiques ou en raison des relations de pouvoir prédominantes.

Dans une étude, publiée en 2007 par Tubtim et Hirsch, il est question d’un cas où l’accès à un bassin d’eau a été interdit aux villages avoisinants. Ce bassin, rempli d’eau toute l’année amenait la présence de poissons durant la mousson. Dix-sept villages avaient accès au bassin avant qu’une nouvelle législation soit appliquée et qu’elle interdise l’accès aux paysans. Plus

19 Parmi quelques études et rapports recensés, notons : Baird & Fox, 2015; Hall, 2011, 2013; The Great Land Grab : rush for world’s farmland threatens food security for the poor (Daniel & Mittal, 2009); Rubber Barons (Global Witness, 2013); Farmlandgrab.org ; The Economist (2013) The future of Laos: A bleak landscape; Vientiane Times (2016) No more land concessions in Champassak.

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qu’un accès à la pêche ou à l’eau, le bassin était également un lieu de rassemblement où des événements sociaux se tenaient. Une application stricte de la LA visait à délimiter le périmètre et à protéger le bassin d’eau, afin d’éviter l’assèchement du bassin et le déclin la vie aquatique. Par l’entremise de travaux réalisés sous divers projets gouvernementaux, avec l’aide financière de AusAID, des limites ont été fixées entre les villages. Des négociations s’en sont suivies et le village où se situait le bassin en question a obtenu l’accès exclusif à celui-ci. Les seize autres villages se sont donc vu interdire l’accès au bassin d’eau, ce qui a soulevé de nombreuses contestations. Tubtim et Hirsch (2007: 49) identifient dans ce processus d’exclusion deux facteurs : les interventions extérieures et les interventions à l’intérieur du village concerné. Ainsi, les pouvoirs externes et internes ont favorisé l’exclusion de populations au détriment d’une autre.

Cet exemple permet de constater que le processus d’exclusion peut être légitimé pour un territoire donné, même s’il implique des répercussions sur les populations avoisinantes. Tel que mentionné par Tubtim et Hirsch (2007 : 43), la délimitation de frontières et la légitimité d’accès restreint, sous le prétexte d’améliorer les conditions de vie ou agricoles des populations occupant le terrain délimité peut rendre acceptable l’exclusion des communautés avoisinantes et ce, même si elles dépendent également de la ressource.

Cette mise en contexte rapide permet de mieux comprendre comment les changements observés au Laos depuis les années 1980 s’articulent. L’aide internationale et les relations avec les États voisins renforcent le désir du Laos de se développer pour stimuler son économie. Toutefois, cela crée une relation de dépendance, puisque le Laos se voit contraint de suivre le rythme de ses investisseurs, amenant une pression supplémentaire pour promouvoir un développement rapide. Cette pression se répercute sur les populations, où des changements notables sont entrepris. Le gouvernement adopte des mesures qui visent l’intégration socioéconomique, et vise particulièrement les zones montagneuses et enclavées, afin de réduire la pauvreté extrême et les vulnérabilités socioéconomiques. Dans les prochaines sections, les ramifications de l’intégration socioéconomiques seront exposées, en s’intéressant à la province de Champassak, au sud du Laos. D’une part, un portrait de la situation en 2015 sera présenté pour les districts de Bachiang Chaleunsouk et Pathoumphone. D’autre part, un portrait de l’évolution de l’utilisation du sol dans la province de Champassak

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sera présenté. Celui-ci permettra d’analyser les principaux changements observés sur le territoire étudié. Par la suite, le processus d’adaptation des populations des districts de Bachiang Chaleunsouk et Pathoumphone sera exposé.

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