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3. Les rouages du processus d’intégration socioéconomique des régions montagneuses du

3.4 Contrôle du territoire par l’État

3.4.4 Allocation des terres

Historiquement, l’acquisition de terres au Laos se faisait en fonction du travail. Le premier acte lié à l’exploitation de la terre était le défrichement des terres (Taillard, 1974 : 120).

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Toutefois, la diversité ethnique du territoire laotien influençait les pratiques foncières coutumières. Plusieurs pratiques étaient utilisées; variant selon les dynamiques historiques locales et culturelles (Ducourtieux, 2004 : 210).

Lors de la prise du pouvoir par le gouvernement royal, le mode « traditionnel » d’acquisition a été mis de côté. La royauté détenait le pouvoir et le roi était l’exclusif propriétaire des terres (Dufumier, 2005 : 96; Taillard, 1974 : 120). Les parcelles étaient temporairement allouées aux paysans, à condition de les cultiver. Considérant le faible poids démographique sur le territoire, l’application de la législation s’avérait plutôt souple (Taillard, 1974 : 120). Pendant la période de guerre, alors que le gouvernement lao a cessé de prélever des impôts, la « priorité d’exploitation effective » permettait aux paysans d’occuper un terrain (ibid.). Le premier occupant à travailler la terre acquiert la parcelle et le droit d’occuper ce terrain (Taillard, 1974 : 120). Un abandon de la terre sur une période prolongée libère ce terrain de tout droit et quiconque qui retravaille cette terre peut en bénéficier.

Lorsque le Pathet Lao obtint le pouvoir en 1975, la propriété privée est devenue illégale. La collectivisation des terres agricoles n’a toutefois pas permis l’abolition des droits que les familles avaient acquis sur les grandes parcelles de terres. Connaissant l’échec de ces mesures, le Pathet Lao a amorcé la décollectivisation en 1979. Ce n’est qu’en 1997 que le gouvernement a reconnu le droit de propriété privée sur les terres agricoles (Dufumier, 2005 : 97).

De nouvelles politiques et orientations stratégiques concernant les domaines agricoles et forestiers ont été adoptées à partir des années 1980. Ces changements font suite aux demandes des bailleurs de fonds, tels le FMI et la Banque mondiale, à l’endroit de qui le Laos est de plus en plus dépendant. Parmi les demandes de ces institutions, notons la réalisation de réformes structurelles qui touchent la formalisation du droit foncier (Evrard, 2004 : 15). À titre d’exemple, il a été demandé, pour le domaine forestier, d’établir un recensement et un contrôle des surfaces boisées (ibid.). Pour ce qui est du domaine agricole, les politiques mises en place visaient à éliminer l’abattis-brûlis en limitant les surfaces disponibles et en sécurisant les droits des agriculteurs. Des mesures formelles ont ainsi été entreprises par

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l’État laotien. L’allocation des terres, testée et introduite au début des années 1990, fait partie des nouvelles politiques mises en place (Evrard, 2004 : 18). Différents buts et stratégies y sont poursuivis (Tableau 7).

Chaque processus d’allocation des terres s’effectue de la même manière dans chacun des villages. Une procédure formelle a été formulée à l’aide d’agences nationales et internationales. Une distinction est portée entre le plan d’usage des terres (LUP, kan vang pén nam saï ti din en lao) et l’allocation foncière (LA, mob din bob pha en lao). Le LUP s’effectue à l’échelle du village alors que le LA s’effectue à l’échelle des ménages (Evrard, 2004 : 22). Les processus d’usage des terres et d’allocation foncière sont complexes et nécessitent la rédaction et la signature de documents officiels. D’ailleurs, les compétences en termes de concession des terres varient selon les surfaces à concéder. Selon les informations obtenues par les fonctionnaires au département des ressources naturelles de la province de Champassak (juillet 2015), pour un terrain de trois hectares et moins, la décision relève du district. Pour un terrain de plus de trois hectares et moins de cent hectares, il revient à la province d’accepter ou non. Lorsqu’il est question de terrains de plus de cent hectares, la décision revient au gouvernement national.

Une enquête menée par la BAD, de même que la littérature scientifique, démontrent que l’allocation des terres est perçue par les villageois comme étant une cause d’appauvrissement (Evrard, 2004 : 27; Vandergeest, 2004 Guttal, 2011 :94; BAD, 2015). Parmi les facteurs cités, notons : « l’esprit général de la réforme, la réduction de l’accès à la terre, la détérioration des conditions de vie locales » (ibid.). Vandergeest (2004) évoque également les critères et restrictions auxquels font face les paysans sur l’utilisation du sol. Ceux-ci les obligent à réduire les périodes de jachère, à cultiver des espaces plus restreints et ce, de manière plus intensive. Il est alors observé une détérioration des sols et de plus faibles rendements.

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Tableau 7 : Buts et stratégies de la politique sectorielle d’allocation des terres au Laos

Buts principaux de la politique sectorielle de l’allocation des terres

Stratégies mises en place pour y parvenir

Disparition complète de l’agriculture sur brûlis à l’horizon 2010

Zonage des finages villageois basés sur le degré de pente des terres considérées Intensification et diversification de l’agriculture

de montagne

Planification de l’affectation des espaces selon le type de production Protection des forêts dans les bassins versants Introduction de cultures commerciales

et de vergers pour diversifier l’agriculture

Protection de la biodiversité Amélioration des réseaux de transports

et des connections avec les marchés locaux

Classification nationale des sols forestiers et agricoles

Généralisation des systèmes de micro- financement

Classification et sécurisation des droits pour chaque parcelle

Délivrance de titres fonciers Encouragement des investissements permettant

l’intensification agricole

Amélioration des conditions de vie des montagnards par l’adoption de modes de vie sédentaires

Source : Evrard, Olivier (FAO) (2004) La mise en œuvre de la réforme foncière au Laos. LSP Document de travail 8.

Les politiques d’allocation des terres ont également amené un nouveau phénomène au Laos, l’explosion de certaines cultures agricoles ou forestières à haut rendement. Plus souvent connue sous le nom de « crop booms » dans la littérature scientifique anglophone, cette expression n’a pas d’équivalent dans la langue française18. Les « crop booms » sont définies par Derek Hall (2011 : 840) comme suit :

Crop booms may be defined as taking place when there is a rapid increase in a given area in the amount of land devoted to a given crop as a monocrop or near- monocrop, and when that crop involves investment decisions than span multiple growing seasons.

La pratique de la monoculture est déjà très présente en Asie du Sud-Est depuis quelques décennies. Les cinq cultures dominantes sont le cacao (Malaysia et Indonésie), le café (Indonésie et Vietnam), les arbres à croissance rapide, dont l’eucalyptus et l’acacia (Indonésie, Vietnam, Laos et Cambodge), les palmiers à huile (Malaysia et Indonésie) et la

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crevetticulture (Thaïlande et Vietnam) (Hall, 2011 : 840). Depuis le début des années 1990, le phénomène s’observe au Laos, où l’hévéaculture a connu une croissance fulgurante. En 2008, le gouvernement laotien estimait déjà à 200 000 hectares la superficie des terres consacrées à l’hévéaculture sur son territoire (Baird, 2010 : 1-2). Ces « crop booms » ne sont pas sans répercussions. Bien souvent, les terres allouées à la monoculture et la culture de rente sont acquises aux dépens des paysans qui les possédaient. Alors que dans certains cas, les paysans se départissent eux-mêmes de leurs terres pour en retirer des bénéfices économiques instantanés, d’autres situations laissent percevoir des rapports de pouvoirs inéquitables pour les agriculteurs. À certains égards, l’acquisition des terres est orchestrée par l’État alors qu’à d’autres moments ce sont les compagnies privées qui persuadent les dirigeants de leur céder les terres convoitées.

Ces dynamiques sous-tendent des rapports de pouvoir, un pouvoir d’exclusion, que Hall et al. (2011) ont divisé en quatre catégories : la légitimité, la force, le marché et la régulation. La légitimité implique les arguments évoqués pour allouer ou non la terre et la manière dont elle sera utilisée. La force est perçue comme une forme de menace, voire de violence, envers les acteurs impliqués (les paysans, l’État ou encore les potentiels exploitants de la terre). La régulation implique les manières dont l’État et les autres groupes impliqués établissent les règles selon lesquelles la terre peut et doit être utilisée. Finalement, le marché établit les règles économiques en fonction de l’accès aux terres. Les acteurs peuvent accéder à la terre ou non en l’achetant, ou ils peuvent en être exclus considérant le coût de celle-ci.