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2.3.2.2 – L’expérience vécue par les festivaliers, analyse des données

Il est maintenant temps de passer à l’analyse complète des données recueillies. Nous avons décelé plusieurs grandes dimensions relatives à l’expérience vécue par les festivaliers concernant leur venue à un festival de musique. Cette expérience est basée sur deux thématiques principales, à savoir le rapport à l’objet et le rapport à l’individu. Cette seconde dimension se divise elle-même en trois sous facettes, à savoir la relation à soi, la relation à l’artiste et la relation au public. Ces différentes relations peuvent être schématisées de la façon suivante (cf. figure 2.5 : la conceptualisation de l’expérience vécue lors d’un festival rock). Nous allons à présent détailler chacune de ces relations et tenter de déceler les composantes de la valeur de consommation qui s’y rattache. Nous mettrons également en avant des thématiques relevées dans le discours des festivaliers qui se rattache à la valorisation de la consommation, sans en être une composante.

Figure 2.5 : La conceptualisation de l’expérience vécue lors d’un festival rock

Comportement du festivalier

=> Expérience culturelle vécue : festival Rock

Relation à l’évènement festival

Evasion Plaisir

Relation à soi

Connaissance

Relation à lArtiste sur scène (concert)

Plaisir Emotion

Relation aux autres

Lien social Statut social

Rapport à lindividu Rapport à lobjet

i)La relation à l’objet

Tout d’abord, nous avons remarqué que le festivalier envisageait sa consommation au travers de l’évènement en tant que tel.

Partant de là, plusieurs valorisations du festival sont envisagées.

Les individus qui se rendent dans ces manifestations cherchent à vivre des moments inoubliables, surprenant, inhabituels. Ils désirent s’échapper des contraintes du quotidien, mais aussi des contraintes de temps et d’espace. Ils cherchent à se faire surprendre. Certains évoquent par exemple les décors, la théâtralisation du lieu ou encore la mise en place d’une nouvelle monnaie, autant de caractéristiques qui les ont fortement et agréablement surpris. La dimension Evasion (Pulh, 2002 ; Passebois, 2003) de la consommation de festival ne fait aucun doute. Le festival est vu comme un monde ré enchanté, un monde à part, loin du monde réel, c’est une zone d’autonomie temporaire qui permet aux spectateurs d’être émerveillés, surpris par les choses qui les entourent.

« on est coupé de l’actualité »

« on est dans une bulle »

« [on vit] autre chose »

« c'est vraiment étonnant, il faut vivre le truc » « toute la déco, toutes les couleurs »

« c’est ça qui me fait vraiment être déconnectée quoi »

« c’est pour ça le festival Rock pour moi, c’est l’exutoire de l’année un peu »

D’un autre coté, les spectateurs analysent également leur consommation au travers de caractéristiques utilitaires de la consommation (organisation générale, programmation, restauration, bars, toilettes, qualité du son et des lumières, services annexes, flux et file d’attente). Ces caractéristiques entraînent parfois un sentiment d’excellence vis-à-vis du festival. A l’inverse, ils conviennent parfois de leur déception à son égard.

« il est réputé, et il y a toujours de grosses affiches »

« pour l'accès handicapés sur la grande scène, j'ai trouvé que ce n'était pas terrible, ils sont super loin, ils ont juste une petite rampe et ils sont vraiment loin »

Une autre dimension de la consommation doit être pris en considération, à savoir celle liée aux caractéristiques fonctionnelles, recherchées par les participants, relatives aux commodités et aux aspects pratiques qui poussent les gens à se rendre dans tel évènement (Mencarelli, 2005a, 2005b, 2008 ; Pulh, 2002).

« c’est moins cher qu'une place pour un concert »

« c’est parce que c’est le festival de chez moi, de mon coin »

« je m'intéressais plus au prix de la place, au camping, aux trucs […] pratiques » « je fais que celui là en fait, déjà parce que c’est dans la région »

L’ambiance générale de la manifestation et l’état d’esprit de celle-ci sont également recherchés par les festivaliers, qui viennent pour faire la fête, pour s’amuser, pour se faire plaisir. Les dimensions hédoniques (Derbaix, 2008) sont au centre des préoccupations des festivaliers.

« on est obligé d’aimer l’ambiance parce que c’est vraiment, vraiment bien » « on vient quand même pour faire la fête, c’est rigolo »

« ça fait partie du festival l’ambiance, dans les concerts on pourra voir les artistes à part mais là, y a vraiment plein de gens qui sont venus pour faire la fête »

« c’est plus pour l’ambiance du festival que je suis venue que pour autre chose » « j’pense que c’est l’humeur du festival en fait, les gens sont joyeux, ils ont envie de

parler, ils ont envie de faire la fête, de s’amuser »

De façon plus spécifique, les personnes interrogées envisagent le festival au travers des artistes présents sur scène. Les motivations sont alors affectives (Holt, 1995 ; Lai, 1995 ; Holbrook, 1999 ; Bouchet et Pulh, 2006). Les émotions prennent le dessus, en plus de vouloir vivre des choses intense par le biais du festival, ils veulent appréhender la manifestation par l’intermédiaire de leur relation avec les artistes.

« c’est vraiment quelque chose […] de magique…de voir comme ça son groupe devant nous »

« bah c’est entrer dans leur monde…on reste pas seulement passif à écouter…on est dedans…on a l’impression d’être dedans »

« c’est vrai que la performance en elle-même, quand l’artiste se défonce sur scène est très importante »

« les artistes ils sont à fond avec ceux qui viennent, avec les festivaliers » « ce n'est pas tous les groupes qui arrivent à motiver autant le public »

Les différentes motivations que nous venons d’évoquer sont d’ordre intrinsèques et orientées vers soi, à l’exception des dimensions utilitaire et fonctionnelle qui sont extrinsèques.

ii)La relation à l’individu

Celle-ci se décompose en deux sous partie selon que l’on s’intéresse à la consommation de festival à titre privée (consommation individuelle) ou à titre public (consommation sociale).

a)Une consommation orientée vers soi

Dans le cadre d’une consommation de festival à titre privée, en plus des caractéristiques intrinsèques liées à la consommation du festival, les personnes interrogées valorisent le festival pour des raisons extrinsèques à la manifestation. Effectivement, beaucoup nous ont fait part de leur envie de découvrir de nouvelles choses, de faire des connaissances, d’enrichir leurs acquis musicaux. Par ailleurs, le festival leur permet d’exercer leur sens critique. Ils valorisent ainsi leur venue au festival par des considérations intellectuelles. Le festival est capable de leur fournir de nouvelles connaissances, au travers des groupes proposés sur scène. En effet, la dimension artistique leur permettra d’ouvrir leur domaine de connaissance, ils peuvent ainsi intellectualiser leur venue à l’évènement et faire des découvertes.

« le festival permet de découvrir de nouvelles choses, d’être au courant des nouveautés ».

« on fait de super découvertes »

« pour voir des groupes qu'on ne connaissait pas »

« je suis continuellement à la recherche de nouveautés […] je suis en recherche d’écouter autre chose »

« le chantier des Francos pour découvrir de nouveaux artistes » « c’est l'occasion de découvrir des nouveautés ».

b)Une consommation orientée vers les autres

D’un autre coté, le festival peut être valorisé en tant que consommation sociale. Dans ce cas, plusieurs raisons incitent les personnes à se rendre dans ce genre de manifestation.

Tout d’abord, le festival rock est vu comme intrinsèquement capable de fournir aux festivaliers du lien social, en ce sens où ils viennent entre amis ou en famille à la manifestion, c’est une pratique sociale de groupe, rares sont ceux qui se rendent dans un festival seul. Par ailleurs, le festival est vu comme une sorte de rendez-vous obligatoire, venir au festival est vécu comme un rituel. Les gens reviennent chaque année, soit avec les mêmes personnes, soit

avec des nouvelles, ils retrouvent des personnes qu’ils ne voient qu’une fois l’an, au festival. Notons que, selon Debenedetti (2003), le rôle des personnes accompagnatrices est extrêmement important dans la façon dont les individus vivront leur expérience de culture. Les amis jouant parfois aussi un grand rôle dans le processus décisionnel du fait de se rendre ou non à ce type de manifestations (Decrop et al., 2004).

« y a une sorte d’émulation qui se crée entre chacun et on se pousse »

« y avait des copains surtout, en fait on avait décidé de se retrouver là-bas, ça nous faisait un bon petit weekend »

« j’étais avec des amis et ça m’a motivé » « en général on est toute une bande »

« je pense que c’est un événement à vivre entre potes »

« moi j'y vais beaucoup avec ma tante qui m'emmène »

« oui j'y allais avec mon frère surtout pour faire la fête »

Par ailleurs, au-delà du groupe avec lequel on est venu, l’échange avec les autres membres du public, mais aussi avec les artistes, est une motivation supplémentaire pour venir dans ce type de manifestation. On sait que l’on rencontrera des gens, que l’on pourra échanger des idées, discuter sur tel ou tel groupe ou même avec les membres des groupes. Les individus ont besoin de se sentir proches des autres, du public, de la foule.

« le groupe était là, on a discuté avec eux »

« je trouve qu’en festival, y a moins cette barrière entre les gens, on est tous venu pour la même chose et on arrive à causer avec des gens »

« c’est plus facile de parler aux gens »

« on va parler à des gens avec qui […] dans la rue on n’aurait jamais parlé »

Enfin, nous avons fait émerger des discours des individus une dimension extrêmement importante, que l’on rencontre dans d’autres domaines et notamment le milieu sportif. Celle-ci consiste en une recherche de partage de sensations communes. On peut parler de communion sociale, du fait des émotions partagées, de la proximité existant entre les artistes et le public mais aussi, et surtout, entre les membres du public.

« je me rapproche des gens qui le vivent de la même manière […] y a des regards qui

s’échangent, des petits sourires […] ça te permet effectivement d’échanger, voir de communier »

« se retrouver avec des gens que je connais pas mais qui sont venus pour les mêmes choses »

« t’as vécu quelque chose, t’as vraiment une expérience commune et forte souvent au niveau des émotions »

« quand on ressent quelque chose d'agréable pendant un concert souvent les autres le partage aussi […] on le ressent tous ensemble »

« de voir qu’il y a d’autres gens qui sont comme toi, qui pensent les mêmes choses que toi, qui écoutent les mêmes trucs que toi et de voir que ça les emballe tout autant que toi […] y a une sorte de mini solidarité »

« on vient pour la même chose et on vit la même chose, même si on ne le vit forcément pas de la même manière, on réagit de la même manière »

« Un moment vécu en commun […] c'est encore plus fort de le vivre et de le partager

en fait » (Célia)

D’autre part, le festival peut être un vecteur de conformité sociale. Si l’on veut être comme les autres, il faut venir au festival. Cette motivation est d’ordre extrinsèque. Le festival permettant d’acquérir un certain statut, une certaine estime. Si l’on va au festival, c’est que l’on appartient à un groupe reconnu. Il faut aller au festival pour montrer que l’on appartient à la jeunesse rock de la région, et pour pouvoir discuter de cette manifestation en connaissance de cause. Le concert et le festival deviennent un mode d’expression culturelle, ils permettent aux spectateurs d’obtenir un statut particulier. Par ailleurs, les souvenirs et photos ramenés du festival sont des preuves de leur présence à l’évènement.

« le festival, c’est la sortie de l’année que tout le monde doit faire » « on en parle entre nous après le festival »

« montrer aux autres que j’y suis allé »

« je me dis que ce t-shirt […] il est un peu rare »

« je remets mon T-shirt […] après on te dit « oh, tu es allé au festival » »

Ainsi, l’expérience vécue par les spectateurs au sein d’un festival rock repose sur plusieurs « cocons », à savoir 1) l’artiste et la scène ; 2) le spectateur, sa famille, ses amis, ses pairs et 3) le festival qui englobe les deux premiers. Nous pouvons illustrer ceci à l’aide de la figure ci-après (cf. figure 2.6 : Le rapport des festivaliers au festival).

Figure 2.6 : Le rapport des festivaliers au festival

AVANT LE FESTIVAL VIE QUOTIDIENNE Accès à l'évènement

Spectateur

Amis / famille / accompagnants

Autres spectateurs / pairs / foule

Artiste / groupe Scène / concert / spectacle

FESTIVAL

Évènement / monde à part / moment exceptionnel /

APRES LE FESTIVAL

RETOUR A LA VIE QUOTIDIENNE Sortie hors de l'évènement

Synthèse

Une revue de littérature associée à une phase exploratoire nous a permis de déterminer les caractéristiques propres au style musical rock.

Celui-ci est défini au travers de ses dimensions historico-sociales, affectives, esthétiques, et intellectuelles.

De la même manière, une analyse théorique des festivals rock, alliée à une étude qualitative menée auprès de spectateurs, ont mis en avant leurs spécificités et leur mode de valorisation par les individus.

Les festivals rock se différencient d’autres festivals de musiques, classiques ou de jazz, par exemple, du fait de leur temporalité, des lieux dans lesquels ils prennent place et du caractère global de la manifestation.

Par ailleurs, l’étude qualitative a mis en évidence les différentes sources de motivations des spectateurs se rendant dans ce genre d’évènement. Les festivals rock sont donc appréhendés par les individus en fonction de critères affectifs, sociaux, fonctionnels, mais aussi par rapport à des dimensions propres à la stimulation intellectuelle et au caractère échappatoire de la consommation.

Partie 2 : La relation entre la perception du style musical et la satisfaction des spectateurs de festivals rock : une étude empirique

Chapitre 4 : Des construits à leur mesure, une rencontre avec les festivaliers

Chapitre 6 : Le perçu et le vécu, des ingrédients complémentaires favorisant la satisfaction

Chapitre 5 : La formation des jugements de satisfaction : le rôle moteur de l'expérience de consommation et de son antécédent

Chapitre 1 : Consommation et satisfaction des spectateurs dans le champ culturel des spectacles vivants

Chapitre 2 : Le cas particulier des festivals rock : la nécessaire prise en compte du style musical proposé et des facteurs expérientiels

Chapitre 3 : L’expérience de consommation, médiateur de la relation perception – satisfaction : une tentative de modélisation

Partie 1 : La satisfaction des spectateurs de festivals de musiques rock : une analyse croisée du produit festival et du type de musique

CHAPITRE 3 : L’EXPERIENCE DE CONSOMMATION,

MEDIATEUR DE LA RELATION PERCEPTION –

SATISFACTION : UNE TENTATIVE DE MODELISATION

La revue de la littérature concernant la satisfaction dans le cadre général, puis, dans celui plus spécifique des spectacles vivants, a mis en avant le caractère prépondérant de l’expérience de consommation dans la formation de la satisfaction. En effet, la satisfaction apparaît lorsque l’on a vécu une expérience supérieure ou égale à ses attentes. Nous avons également montré, au travers un état de l’art, mais aussi via des études qualitatives exploratoires, que cette expérience dépendait de nombreux facteurs (fonctionnels, sociaux, affectifs…). Dans le cas des festivals rock, les individus recherchent une expérience, et, par conséquent, tout ce qui est déterminant dans l’expérience de spectacles vivants ; mais également une expérience rock, d’où l’intérêt d’aborder la notion de ressenti global du spectateur.

La question qui est posée ici est : qu’est-ce qui fonde le ressenti global d’un spectateur lors de sa consommation ? Nous postulons que deux variables sont déterminantes dans ce processus : l’expérience, au travers de ses facteurs expérientiels, a priori accessibles à tous même si chacun pourra les vivre différemment, et un antécédent de l’expérience de consommation, la perception à l’égard du rock, qui sera elle propre à chaque individu. Nous pouvons donc postuler que les éléments relatifs à la perception qu’ils se font de ce type de musique influenceront l’expérience, et, par conséquent la satisfaction.

Ainsi, avant de fournir le cadre conceptuel de cette recherche et les hypothèses qui en résultent, nous proposons, dans une première section, de revenir sur ce concept de perception, variable déterminante de notre modèle, et sur la construction d’un outil permettant de le mesurer.

SECTION 3.1 : LA PERCEPTION, UN CONSTRUIT PERTINENT POUR LA

COMPREHENSION DES COMPORTEMENTS DE CONSOMMATION