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1.2.1.2 – Le cas particuliers des spectacles vivants dans le domaine culturel

Parmi les nombreuses performances proposées, les spectacles vivants de type culturel (concerts de musiques classiques, de rock, de chanson, pièces de théâtre, lecture, spectacles de danse…) occupent une large place. C’est pourquoi nous proposons de nous concentrer sur ce secteur particulier. Les paragraphes qui suivent ont pour objectif de cerner les contours de l’entreprise culturelle, en proposant une conception de ce qu’elle est, et des produits qu’elle met à la disposition des publics.

i)L’entreprise des arts et de la culture

La place qu’occupent les entreprises culturelles dans nos sociétés est fondamentale. Ces dernières indiquent au monde l’identité d’un pays. La France n’est-elle pas vue comme le pays des arts et de la culture ? Ne reconnaît-on pas New York comme la ville où toutes les formes d’arts se côtoient ? Le Japon n’est-il pas le pays des innovations artistiques ? Cette identité culturelle est reconnue tant au niveau du contenu des œuvres proposées (sujets, réflexion sur le sens de la vie, valeurs diffusées…) que de la forme que celles-ci peuvent prendre (utilisation de techniques traditionnelles ou de nouvelles technologies).

Les entreprises culturelles peuvent être entendues sous deux sens, un sens étroit qui regroupe les organismes de production et de diffusion des arts en général, et un sens plus large qui inclut également les industries culturelles et les médias.

Toute entreprise culturelle, et par extension, tout produit culturel, repose sur une création artistique, son objectif étant de mettre en avant cette création auprès du plus grand nombre. Cependant, ses missions sont diverses et chaque entreprise décide de réaliser une ou plusieurs d’entre elles, à savoir la conception, la production, la reproduction, la diffusion ou la conservation. A titre d’exemple, un orchestre régional en résidence permanente dans un opéra va concevoir son spectacle et le produire sur scène ; il pourra ensuite être diffusé par d’autres opéras et s’exporter. Une maison de disque pourra se charger de la reproduction de morceaux musicaux, tandis qu’un musée ou une entreprise chargée du patrimoine aura pour mission la conservation de tableaux et d’objets d’arts ou la conservation et la rénovation de bâtis architecturaux. Selon Colbert (2000), la diversité des entreprises culturelles et de leurs missions doit nous inciter à les distinguer à l’aide de deux critères. Il propose ainsi de placer les entreprises culturelles sur une carte comprenant deux continuums, le premier tient à

l’orientation de la mission de l’entreprise ; est-elle tournée vers une optique produit ou vers une optique marché, en d’autres termes, désire-t-elle mettre en avant ce pour quoi elle existe ou désire-t-elle « faire plaisir » au public-consommateur. Le deuxième critère tient à la façon dont l’œuvre est produite ; l’est-elle sans arrière pensée, juste pour l’envie de produire cette œuvre unique, ou alors l’est-elle à des fins de reproduction.

La figure 1.1 ci-dessous représente la carte des entreprises culturelles à partir des deux critères permettant de les différencier.

Figure 1.1 : Les critères de distinction entre les entreprises du secteur des arts et celles des industries culturelles14

Cette figure fournit une description du paysage des entreprises des arts et de la culture mais n’est nullement exhaustive ; par ailleurs, les entreprises peuvent naviguer d’un quadrant à l’autre, mais elle montre bien les distinctions qui peuvent exister entre elles. Celles-ci auront des objectifs distincts et des manières de travailler complètement différentes.

14 Adaptée de Colbert (2000). Optique du marché Optique du produit Production d’une œuvre unique

Reproduction de l’œuvre Industries culturelles

Entreprise à but lucratif, production d’œuvres destinées au marché (Comédie musicales)

Secteur des arts Entreprises sans but lucratif, généralement de petite taille (sculpture, peinture) Entreprises à but lucratif,

reproduction d’œuvres en plusieurs exemplaires pour le marché (productions de films grand public)

Secteur des arts

Entreprises sans but lucratif, qui produisent des œuvres en plusieurs exemplaires (productions de films indépendants)

ii)La spécificité des produits culturels

Dans ce paragraphe, nous proposons de faire le point sur ce qui caractérise les produits culturels par rapport à d’autres consommations plus classiques. Pour se faire, nous nous appuyons sur la définition de Hirschman (1983), pour qui « le produit culturel est unique, hédonique et vécu de façon subjective, à l’inverse du produit traditionnel », à laquelle nous apportons des compléments. Ainsi, en mixant les critères distinctifs des spectacles vivants à ceux des produits culturels, nous serons à même de définir un spectacle vivant de type culturel.

a)Unique

Hirschman (1983) insiste sur le caractère unique du bien culturel. Ce dernier tient à deux raisons principales, sa subjectivité (Bourgeon et Filser, 1995) et sa non reproductibilité à l’identique (Evrard, 1991). En effet, les biens culturels, issus de la création artistique, sont des prototypes qui reflètent la représentation de l’artiste. L’artiste a entière liberté pour créer son œuvre (Agid et Tarondeau, 2003). Bourgeon et Filser (1995) expliquent que la création artistique est « la recherche d’un support permettant de communiquer les sentiments de l’artiste à travers sa conception de la beauté ou de l’esthétique ». Les artistes expriment ainsi leur vision du monde (une vision subjective) par l’intermédiaire de leurs œuvres (Greffe et Simonnet, 2008).

Par ailleurs, les biens culturels ne sont pas reproductibles à l’identique. Dans le cadre d’œuvres d’art (entendu dans son sens commun) telles que les sculptures ou les peintures, la reproduction n’est pas permise, et si reproduction il y a, on parlera de copies. Toutefois, la diffusion, et par la même, la reproduction des œuvres est acceptée dans certains secteurs artistiques. Les secteurs du cinéma, de la musique ou encore de la littérature reposent sur ce schéma. Les artistes créent une œuvre originale qui est ensuite reproduite sur différents supports dans le but d’être largement diffusée. Le développement de la technologie est à l’origine de cette démarche. L’imprimerie a facilité la diffusion des œuvres littéraires, les œuvres cinématographiques ont atteint le grand public au travers des salles de cinéma, des cassettes vidéo puis des dvd. Quant aux œuvres musicales, les supports se sont multipliés, allant du disque vinyle à la numérisation, en passant par les cassettes audio et les cd, ce qui n’empêche pas que l’œuvre originale reste unique.

b)Hédonique et expérientiel

Le caractère hédonique des produits culturels tient à leur dimension expérientielle. Ceci découle des travaux de Holbrook et Hirschman (1982), qui voient l’expérience de consommation, et plus particulièrement, l’expérience de consommation culturelle, comme « un phénomène dirigé à travers la poursuite de l’imaginaire, des sentiments et du plaisir ». Partant de là, nous proposons de montrer en quoi les produits culturels représentent une expérience de consommation mais également en quoi ce sont des produits expérientiels tels que définis par Bénavent et Evrard (2002). Ces derniers assument que les produits et services culturels sont expérientiels car ils sont consommés pour eux-mêmes, pour se qu’ils procurent, et pas simplement pour des qualités intrinsèques au produit ou pour ses fonctions utilitaires (Holbrook et Zirlin, 1985 ; Havlena et Holbrook, 1986).

L’expérience de consommation d’un produit culturel relève aussi de l’expérience esthétique (Holbrook, 1986). Holbrook et Zirlin (1983)15 définissent « l’appréciation esthétique comme une expérience qui est aimée purement par son propre intérêt, sans regarder d’autres considérations plus pratiques ». Selon Evrard (1991), la consommation de produits culturels relève davantage de l’ordre du désir que de la nécessité. Les émotions éveillées par un travail d’artiste ou la stimulation intellectuelle font qu’ils sont intrinsèquement satisfaisants. C’est pourquoi les consommateurs utilisent ces produits non pas pour atteindre un but utilitaire ou pragmatique mais plutôt pour l’expérience elle-même. Le produit culturel est une consommation hédonique.

Notons que le plaisir retiré de l’expérience de consommation culturelle dépendra de facteurs individuels (tels que le goût, la culture, l’implication et l’histoire familiale…) et situationnels (comme la période, le lieu, l’absence ou la présence d’autres personnes…). Colbert (2000), parle de dimension circonstancielle, qui inclut les facteurs individuels et situationnels. Celle-ci se réfère aux Celle-circonstances éphémères de la perception des produits. En effet, une œuvre d’art sera perçue différemment en fonction du moment où l’individu en fera la consommation, mais aussi en fonction des personnes avec qui il se trouve, ou encore en fonction de son humeur.

Parmi les facteurs individuels, le niveau d’implication de l’individu à l’égard du produit/service consommé joue un rôle important (Laurent et Kapferer, 1985, 1986 ; Ben Miled-Cherif, 2001). Selon Evrard (2004), les produits culturels sont considérés comme étant

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fortement impliquant. En effet, la consommation des produits culturels est une consommation volontaire qui ne répond pas, a priori, à une nécessité fondamentale. Le fait que la consommation de services culturels ne relève pas de l’achat de type contraint mais plutôt de l’achat plaisir renforce l’attachement des individus à leur égard.

Au sein des facteurs situationnels, l’aspect social est certainement le facteur qui relève de la plus grande importance (Crandall, 1979 ; Allen et Donnely, 1985 ; Field, 2000 ; Kyle et Chick, 2002 ; Debenedetti, 2003). Effectivement, ce type de biens s’inscrit dans une approche sociale : le rapport aux autres y joue un rôle prépondérant. La consommation culturelle va permettre aux individus de se créer un statut. Elle sert de marqueur social, elle permet de créer des relations avec d’autres individus et de développer sa sociabilité.

c)Vécu subjectivement

Le secteur culturel est un secteur privilégié qui jouit d’une certaine autonomie de l’offre par rapport à la demande. Effectivement, les artistes proposent des œuvres, qui seront mises à la disposition d’un public, qui les consommera, s’il le souhaite. Filser (2001) parle d’une demande d’activités culturelles et de loisirs réactive. Partant de là, l’artiste, qui propose « des objets, de représentations ou des signes qui interprètent le monde » (Greffe et Simonnet, 2008), fournira au public le fruit de son activité artistique de création, qui devra interpréter cette œuvre. Selon Filser (2001), l’activité culturelle sera évaluée à l’aide de dimensions symboliques. C’est dans ce sens que l’on peut dire que le produit culturel sera vécu de façon subjective. En effet, les individus ne vivront pas leur consommation de la même manière que leurs pairs. Ils recevront l’œuvre d’art de manière spécifique. Chacun comprenant l’œuvre par rapport à sa vision, à l’interprétation du monde dans lequel il vit.

Cette interprétation subjective des publics dépendra également des facteurs individuels et situationnels décrits dans le paragraphe précédent.

d)Addictif

L’originalité de la consommation culturelle tient également à son caractère addictif (Evrard, 1991, 2004). Effectivement, contrairement aux consommations traditionnelles qui vont satisfaire un besoin (par exemple la faim) et aboutir à la satiété, une première consommation culturelle en entraîne généralement d’autres. Il s’agit d’un cercle vertueux, car plus l’on consomme de culture, plus on a envie d’en consommer. Là encore, les facteurs individuels et

situationnels joueront un rôle important car c’est plus le temps (et donc la disponibilité des individus), mais aussi la conception individuelle qu’ils ont du temps (Bouder-Pailler, 2007), qui rendra possible telle ou telle consommation culturelle.

Cette addictivité des produits culturels joue à deux niveaux, dans la même classe de produits et dans des classes de produits annexes. En effet, un individu se rendant au théâtre et appréciant la prestation aura tendance à y retourner (consommation intra classe). Et un individu se rendant à un concert aura envie d’acheter le cd du groupe (consommation interclasse).

1.2.1.3 – Motivations et valorisation de la consommation de spectacles culturels

La mise en commun des caractéristiques distinctives des spectacles vivants, d’une part, et des produits culturels, d’autre part, conduit à privilégier certaines sources de motivations et de valorisation liée à l’évènement culturel. Plusieurs dimensions apparaissent essentielles dans la consommation de spectacles culturels, parmi lesquelles, les dimensions affective et sociale. Toutefois, d’autres dimensions entrent en jeu. Les aspects cognitif et utilitaire de la consommation de spectacles culturels, par exemple, ne sont pas à négliger, et doivent être intégrés aux composantes de la valorisation de l’expérience de consommation (Bourgeon-Renault et al. 2006 ; Greffe et Simonnet, 2008).

En effet, en tant que produit expérientiel, le spectacle vivant est recherché pour les significations qui lui sont attachées plus que pour ses attributs matériels. Incontestablement, même s’il est important que l’artiste qui se produit sur scène chante juste ou joue bien la comédie (composante utilitaire), il est nécessaire que d’autres éléments interviennent. La dimension esthétique en est un parmi d’autres. Les individus ont la volonté d’assister à quelque chose de beau (Joy et Sherry, 2003) qui leur procure du plaisir (composante affective) et leur fasse ressentir des émotions (Pulh, 2002). Ce plaisir peut être accentué par le caractère hédonique de la consommation culturelle qui offre la possibilité aux spectateurs de s’échapper du quotidien le temps de cette consommation. Parallèlement, le spectacle culturel, en tant que loisir, répond à des besoins de divertissement, de distraction. Il est capable d’offrir aux spectateurs un moment récréatif, une sortie distrayante, amusante (Mencarelli, 2005a, 2005b, 2008).

Au-delà de ces considérations, le spectacle vivant peut être recherché par les individus dans un but d’enrichissement intellectuel et de connaissance. Participer à une représentation peut

demander des efforts intellectuels pour comprendre les œuvres proposées (Lacher, 1989), et peut aussi favoriser le développement de connaissances chez les spectateurs (composante cognitive).

Par ailleurs, bien que cette consommation puisse être motivée par un désir individuel (esthétique, plaisir, connaissance), la consommation de spectacles vivants se base également sur une motivation sociale. En effet, plus que d’autres consommations, la sortie culturelle favorise la construction et le maintien du lien social. Cette consommation repose sur une pratique de groupes (constitués ou non). Les spectateurs se rendent rarement seuls dans des évènements culturels, le principe étant que ce type de sortie s’effectue en famille ou entre amis (Debenedetti, 2003). De plus, une fois sur le lieu de la manifestation (tribunes des stades, fosses dans les salles de concerts, gradins ou loges des opéras…), les individus peuvent rencontrer d’autres spectateurs et échanger, soit de façon directe avec eux, en commentant, par exemple, la prestation de tel ou tel acteur, soit de façon indirecte, en réagissant de la même manière que l’ensemble des spectateurs. Cet aspect social de la consommation culturelle s’étend aux niveaux des considérations symboliques, également recherchées par les spectateurs dans leurs consommations. En effet, les consommations de spectacles culturels peuvent permettre aux individus de s’affirmer socialement et de répondre à la pression sociale (Rook, 1985 ; Belk, 1987 ; Derbaix, 2008).

Ainsi, l’expérience de consommation d’un spectacle vivant de type culturel est valorisée par les individus à travers ses composantes affectives et cognitives, associées à des facteurs individuels, sociaux et situationnels. Chaque individu percevra son expérience de manière différente en fonction de ces critères. Et la mise en commun de ceux-ci impliquera un ressenti global de la part des spectateurs qui leur permettra de dire si oui ou non ils ont vécu une expérience de spectacle culturel. Ces diverses composantes forment ainsi un modèle intégrateur global, dont il conviendra de tenir compte lors de notre travail empirique.