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Chapitre 3 Séquence didactique 61

3.1.1 Dans l’esprit d’une Math & Manip (recherche du CREM) 62

La séquence dont il est question dans cette thèse est ainsi en lien avec une des recherches menées au CREM de Nivelles.

De 2010 à 2013, une équipe de chercheurs a reçu un financement pour mettre au point et diffuser des activités, appelées Math & Manips (Guissard, Henry, Lam-brecht, Van Geet, Vansimpsen & Wettendorff, 2014), intégrant des mani-pulations destinées à diverses tranches d’âge de l’enseignement, de 2 ans et demi à 18 ans. Les auteurs indiquent que « l’intérêt de cette recherche est de présenter aux enseignants l’apport d’une activité expérimentale dans le processus de construction des savoirs mathématiques » (Ibid., p. 4).

Ces séquences présentent une forte composante adidactique et visent à provoquer chez les élèves de la curiosité par des expérimentations dont les résultats semblent en contradiction avec leurs connaissances antérieures. Elles veulent amener les élèves à entrer dans un processus de questionnement visant à faire émerger un modèle qui correspond au mieux à la réalité de la situation.

Cette thèse et la recherche Math & Manips ont une origine et des objectifs communs. En plus des idées développées dans le premier chapitre de cette thèse, la recherche Math & Manips a pour origine les éléments supplémentaires présentés ci-dessous et poursuit les objectifs spécifiques explicités plus loin.

Origine

Différents documents sont à l’origine du projet. Le texte de Borel (2002) dont il est question à la section 1.1.3 en fait partie, mais d’autres documents tel que le rapport Danblon (1990) ont également contribué à l’émergence de la recherche. Les documents officiels de la Communauté française de Belgique (Ministère, 1999a et 1999b) ont évidemment tenu un rôle important dans l’élaboration des Math & Manips. La section 3.1.2 leur est entièrement consacrée.

Il est important de mentionner que, « depuis sa création en 1992, le CREM s’est attaché à identifier les difficultés d’apprentissage liées aux mathématiques et à dé-velopper des outils permettant aux enseignants de détecter ces difficultés et d’y remédier » (Guissard & al., 2014, p. 3). Les résultats de ces recherches se trouvent notamment dans les documents du CREM de 1995, 2002, 2004, 2005 et 2011. Ces ouvrages ont été pensés avec, en arrière-plan, l’espoir de répondre à ce qui est relaté dans le préambule du rapport Danblon (1990).

Les mathématiques sont mal perçues d’une partie du public même cultivé : elles sont trop souvent à la fois rejetées et objet de préjugés profonds. (p. 6) [. . .] Or une fraction importante de la population recule devant les tâches mathématiques les plus élémentaires (et parfois en tire vanité) : l’analphabétisme mathématique doit être combattu. Dans la mesure où [. . .] les activités des citoyens relèveront toujours plus de la réflexion que des automatismes, l’éducation mathématique doit viser la compréhen-sion plus que les exécutions d’algorithmes. (p. 8) [. . .] L’accident le plus fréquent dans l’apprentissage des mathématiques est la perte de sens et le repli de la forme sans contenu [. . .] (p. 9).

La recherche Math & Manips s’est plus particulièrement attelée à l’introduction, dans le cours de mathématiques, d’une dimension expérimentale qui puisse donner du sens aux apprentissages et, par là, offrir un nouveau cadre à l’apprentissage de diverses matières.

Objectifs

Le projet de la recherche Math & Manips a été développé pour rencontrer les ob-jectifs et recommandations des documents qui servent de référence dans l’enseigne-ment. Ainsi, dans le décret définissant les missions prioritaires de l’Enseignement Fondamental et de l’Enseignement Secondaire (Ministère, 1997), on trouve parmi

les objectifs généraux l’article 6 (2o).

Amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des com-pétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle.

La recherche Math & Manips « s’attache à étudier comment de telles compétences peuvent être développées par des activités où les élèves construisent eux-mêmes leurs savoirs à partir d’expérimentations » (Guissard & al., 2014, p. 5). La section 3.1.2

développe plus en détail les compétences à atteindre mentionnées dans les documents de référence, spécifiquement pour la séquence didactique développée dans cette thèse. Suivant les propos de Rouche (in Bkouche & al., 1991), « l’enseignement doit partir (mais pas camper) sur le terrain familier de l’élève et dans sa langue ». C’est dans cet esprit que les activités proposées dans la recherche Math & Manips partent du quotidien des élèves et s’attellent à développer chez ceux-ci les compétences mathématiques visées.

Caractéristiques des Math & Manips

L’idée de la recherche Math & Manips est que chaque élève trouve l’occasion de se sentir à l’aise au cours de mathématiques. À travers les activités proposées, les élèves devraient s’exprimer dans le langage et le registre qui leur conviennent et apporter leur participation à la construction d’un concept. Dans le document issu de la recherche, Guissard & al. indiquent que « c’est par le va-et-vient perma-nent entre les aspects expérimentaux et théoriques que le concept mathématique se construit, que le modèle mathématique s’élabore. Les aspects pratiques et théoriques se complètent, chacun d’eux est nécessaire à l’autre et lui donne du sens » (2014, p. 6).

La recherche vise à réintroduire dans les classes du primaire « des activités où la nécessité de la manipulation est réellement motivée par le savoir visé, où l’expéri-mentation fournit la réponse à une question pertinente » (Ibid., p. 8). Dans celles du secondaire « un espace où les liens entre le concret et les modèles mathématiques émergent des manipulations physiques réalisées par les élèves et où ces modèles deviennent une nécessité pour traiter les problèmes posés plutôt qu’une donnée pré-existante » est recherché (Ibid., p. 8).

Contrairement aux laboratoires décrits par Borel, les Math & Manips ne doivent pas nécessairement être menées dans un local spécifique, séparé du lieu de cours habituel. Le souhait est de mener de telles expériences au sein même de la classe car elles font partie intégrante de l’activité mathématique. De plus, « une Math & Manip doit pouvoir être menée à bien par n’importe quel enseignant et ne devrait pas prendre trop de temps, les professeurs étant déjà contraints à suivre des programmes assez chargés. Le matériel utilisé doit pouvoir être soit acquis à moindres frais, soit fabriqué facilement avec des matériaux “bon marché” » (Ibid., p. 6). À ce sujet, la recherche adopte le même point de vue que Borel qui recommande de créer un laboratoire qui « ne doit pas coûter cher ; les appareils coûteux et encombrants n’y sont pas à leur place » (Borel, 2002, p. 59).

Notons enfin que « les Math & Manips se définissent soit comme action de décou-verte, soit comme renforcement des acquis, elles intègrent pratique et théorie. [. . .] [Elles sont ainsi] des activités où les élèves sont confrontés par le milieu à des phé-nomènes interpellants, et qui constituent une suite bien construite d’épisodes pour lesquels le recours à l’expérimentation avec divers matériels pédagogiques est pro-pice à une meilleure compréhension. L’activité expérimentale a pour but d’ancrer

un nouveau concept dans la réalité. Elle débouche nécessairement sur un relevé d’in-formations qui doivent être traitées de diverses manières selon l’âge des élèves. Les informations recueillies sont décrites dans le langage courant, intégrées dans des ta-bleaux de nombres, ou encore interprétées sous forme de graphiques » (Guissard & al., 2014, p. 7).

3.1.2 Compétences

Comme la section 3.1.1 l’a présenté, la séquence didactique a été élaborée pour les besoins d’une recherche-action qui puisse répondre aux attentes des différents documents officiels de la Communauté française de Belgique.

L’enseignement est organisé selon une approche par compétences et il est fréquent que les enseignants ne soient pas conscients des compétences exercées dans certaines des activités menées. C’est pourquoi le CREM s’attache à les mettre en exergue dans ses publications.

Une réflexion sur ces compétences a donné lieu à un article publié dans la revue Repères-IREM (Henry & Lambrecht, 2012). Tout au long de cette section, nous reprenons quelques propos de cet article pour illustrer les fondements de la séquence didactique présentée à la section 3.2.

En 1997, le Décret Missions (Ministère, 1997) a défini les missions prioritaires de l’enseignement pour la Communauté française de Belgique. Les documents officiels qui en ont découlé sont les « socles de compétences » (Ministère, 1999a) pour l’en-seignement fondamental et le premier degré de l’enl’en-seignement secondaire ainsi que les « compétences terminales » (Ministère, 1999b) pour les deux derniers degrés de l’enseignement secondaire. Les programmes actuels suivent ainsi une approche par compétences. Nous présentons ci-dessous quelques points qui nous intéressent plus particulièrement au vu de leur importance pour le développement des compétences au premier degré du secondaire.

Décret Missions

Le Décret Missions (Ministère, 1997) définit les missions prioritaires de l’enseigne-ment fondal’enseigne-mental et de l’enseignel’enseigne-ment secondaire. On y retrouve dans le chapitre II, consacré aux objectifs généraux de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire, l’article 6 qui mentionne les objectifs suivants (p. 3) :

1o promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de

chacun des élèves ;

2o amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des

compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle ;

3o préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de

contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures ;

Pour atteindre ces objectifs, l’article 8 énonce une série de démarches à mettre en place par les établissements dont les trois premières nous intéressent particulièrement (Ibid., pp. 3-4) :

– mettre l’élève dans des situations qui l’incitent à mobiliser dans une même démarche des compétences transversales et disciplinaires y com-pris les savoirs et savoir-faire y afférents ;

– privilégier les activités de découverte, de production et de création ; – articuler théorie et pratique, permettant notamment la construction

de concepts à partir de la pratique.

Dans l’article 5, une compétence est définie comme une « aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches ». Les compétences transversales y ont la définition suivante : « attitudes, démarches mentales et démarches méthodologiques communes aux différentes disciplines à acquérir et à mettre en œuvre au cours de l’élaboration des différents savoirs et savoir-faire ; leur maîtrise vise à une autonomie croissante d’apprentissage des élèves ».

Le Décret Missions propose, via son chapitre III, des objectifs communs à l’en-seignement fondamental et au premier degré de l’enl’en-seignement secondaire, définis notamment par les socles de compétences (Ministère, 1999a). Ces socles accordent la priorité, entre autres, à l’apprentissage de la lecture centrée sur la maîtrise du sens et à la maîtrise des outils mathématiques de base dans le cadre de la résolution de problèmes. Une attention particulière à ces deux points a évidemment été portée dans l’élaboration de la séquence.

Socles de compétences

Dans une première version des socles de compétences (Mahoux, 1994), antérieure au Décret Missions, nous retrouvions déjà la volonté d’établir la continuité entre la fin du primaire et le début du secondaire.

Dans cette version, que l’on pourrait qualifier d’expérimentale, la problématique de l’apprentissage des mathématiques était bien établie. Nous y lisons, entre autres, le texte suivant (Ibid., pp. 53-54).

À l’école fondamentale, l’étude de la mathématique s’effectue au départ d’objets, de faits vécus et observés dans le réel. L’accent est mis, non sur une accumulation quantitative et répétitive d’exercices, mais sur une véritable formation mathématique au travers de la construction et du développement d’une compétence essentielle : relever des défis à l’in-telligence, résoudre des situations problématiques en recourant tant à l’intuition qu’à la mise en évidence des liens logiques. [. . .] Par vrai défi à l’intelligence, par situation problématique, il faut comprendre toute situation « déstabilisante », nouvelle ou non, dont les modalités de ré-adaptation n’apparaissent pas immédiatement.

Par la suite, les auteurs de ce document ajoutent que la situation problématique est, premièrement, « personnelle (elle peut piquer la curiosité de l’un, ne pas intéresser un autre ou ne pas constituer un obstacle pour un troisième) », deuxièmement, elle n’existe « qu’à un moment donné (une fois résolue, elle n’est plus un problème, et si elle se représente, elle n’aura plus la même intensité) », troisièmement, elle doit « être un défi à l’intelligence de l’apprenant mais doit rester adaptée à son bagage cognitif si on veut qu’il puisse s’y investir vraiment » et, quatrièmement, elle est « dynamisée par l’interaction sociale, la confrontation des idées » (Ibid., p. 54). Concernant plus particulièrement le premier degré du secondaire, nous lisons ceci (Ibid., pp. 126-127).

Pour être porteur de compétences, l’enseignement doit :

– susciter l’enthousiasme en proposant tout au long du degré des situa-tions stimulantes qui engagent l’activité de tous et éveillent la curio-sité ;

– rencontrer l’intérêt des jeunes pour ce qui est neuf [. . .] ; – recourir aux supports pratiques [. . .] ;

– utiliser des représentations [. . .] ;

– donner l’occasion de relever des défis [. . .] ;

– maintenir intérêt et enthousiasme en valorisant à chaque étape la par-ticipation des élèves [. . .].

La conclusion de cette première version des socles de compétences résume particu-lièrement bien ce que toute activité mathématique se doit de viser (Ibid., p. 133).

Toutes ces compétences contribuent à façonner une personnalité capable : – de clarifier ses hypothèses et contrôler son intuition avant d’émettre

un jugement ;

– d’éviter les généralisations abusives ;

– de fonder sa conviction sur un raisonnement chaque fois que c’est né-cessaire ou utile ;

– d’user d’esprit critique et de rigueur.

C’est ainsi que la formation mathématique épanouit les qualités néces-saires à toute activité intellectuelle avec les exigences et l’éthique qu’elle comporte.

Tout ce qui vient d’être souligné se résume dans les quelques lignes, reprises de l’in-troduction de la partie destinée à la formation mathématique de la version actuelle des socles de compétences (Ministère, 1999a, p. 23).

La formation mathématique s’élabore au départ d’objets, de situations vécues et observées dans le réel, de questions à propos de faits mathé-matiques. Le cours de mathématiques ne se limite pas à transmettre des connaissances. De l’école fondamentale à la fin du premier degré du secondaire, solliciter l’imagination, susciter la réflexion et dévelop-per l’esprit critique à propos de ces observations, conduisent l’élève à comprendre et à agir sur son environnement.

Compétences visées

Visant l’implantation dans l’enseignement ordinaire, la séquence respecte les con-traintes institutionnelles et développe donc diverses compétences issues des socles de compétences (Ministère, 1999a), tant disciplinaires que transversales. Les com-pétences disciplinaires, propres à chaque partie de la séquence, sont directement présentées dans le corps du texte destiné aux enseignants (annexe B). Afin de faci-liter la lecture des paragraphes suivants, elles sont rassemblées ci-dessous.

Les nombres

– Relever des régularités dans des suites de nombres.

– Identifier et effectuer des opérations dans des situations variées avec des entiers, des décimaux et des fractions [. . . ], y compris l’élévation à la puissance.

– Estimer, avant d’opérer, l’ordre de grandeur d’un résultat. – Utiliser les conventions d’écriture mathématique.

Les solides et figures

– Associer un point à ses coordonnées dans un repère. Les grandeurs

– Effectuer le mesurage en utilisant des étalons familiers et conven-tionnels et en exprimer le résultat.

– Établir des relations dans un système pour donner du sens à la lecture et à l’écriture d’une mesure.

– Reconnaître un tableau de proportionnalité directe parmi d’autres. – Déterminer le rapport entre deux grandeurs, passer d’un rapport

au rapport inverse.

Les compétences disciplinaires liées aux nombres sont principalement exercées au travers de tableaux de nombres réalisés avec les résultats des expériences. L’une de ces compétences relève l’importance d’estimer l’ordre de grandeur d’un résultat. Dans la séquence proposée, un regard attentif à été porté à cette compétence. Tou-tefois, elle est utilisée dans deux optiques différentes. L’une d’elles est liée à l’intérêt de faire des estimations correctes, l’autre est de faire entrer les élèves en conflit avec leurs conceptions initiales, nous reviendrons sur ce point dans l’analyse a priori au chapitre 4.

Le cadre graphique est exploité au-delà de ce qui est préconisé dans les compétences. Au cours de la séquence didactique, les élèves sont en effet amenés à distinguer les graphiques de situations de proportionnalité des autres.

Le thème des grandeurs est quant à lui exploré grâce à l’exploitation des objets éta-lons que nous avons appelés « mesurettes ». Les compétences liées à l’apprentissage de la proportionnalité sont pour leur part au centre de la séquence.

Les compétences transversales sont quant à elles communes à plusieurs activités proposées dans la recherche du CREM. Elles sont donc présentées dans le préambule de l’ouvrage (Guissard & al., 2014), nous les reprenons ci-dessous.

Analyser et comprendre un message – Se poser des questions.

– Distinguer, sélectionner les informations utiles des autres ; per-cevoir l’absence d’une donnée nécessaire et la formuler.

Résoudre, raisonner et argumenter

– Raccrocher la situation à des objets mathématiques connus. – Agir et interagir sur des matériels divers (tableaux, figures,

solides, instruments de mesure, . . .).

– Utiliser un schéma, un dessin, un tableau, un graphique lorsque ces supports sont pertinents.

– Estimer le résultat, vérifier sa plausibilité.

– Exposer et comparer ses arguments, ses méthodes ; confron-ter ses résultats avec ceux des autres et avec une estimation préalable.

Appliquer et généraliser

– Évoquer et réactiver des connaissances, des démarches, des ex-périences en relation avec la situation.

– Créer des liens entre des faits ou des situations.

– Reconnaître des situations semblables ou dissemblables. – Se poser des questions pour étendre une propriété, une règle,

une démarche à un domaine plus large.

– Combiner plusieurs démarches en vue de résoudre une situation nouvelle.

Structurer et synthétiser

– Procéder à des variations pour en analyser les effets sur la réso-lution ou le résultat et dégager la permanence de liens logiques.

Le travail de l’ensemble de ces compétences transversales est inhérent à la conception-même de la séquence.