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Partie II Validation interne 77

4.2 De l’erreur à l’obstacle

Au vu de la forte tendance des élèves à appliquer le modèle linéaire dans des si-tuations inappropriées, relevée dans les analyses préalables, notre volonté a été de proposer un milieu antagoniste afin que les élèves soient confronté à l’obstacle. Il nous a dès lors semblé pertinent d’intégrer une situation de non-proportionnalité à l’apprentissage de la proportionnalité.

La séquence a en effet été construite pour que les élèves entrent en rupture avec leurs conceptions erronées, qui peuvent se trouver renforcées par la première situation qui est de proportionnalité.

4.2.1 Statut de l’erreur

Cette confrontation à l’erreur a été à l’origine de la conception de la séquence. À la section 2.1.7, les notions d’obstacle et d’erreur ont déjà été reliées. Ajoutons ici quelques éléments qui appuient la démarche suivie.

Trop souvent, comme Dan Draghici l’écrit (2002, p. 1) dans un travail sur un ouvrage d’Astolfi, « symptôme d’une incompétence quelconque, l’erreur est [. . .] synonyme de “faute” ». Il faudrait plutôt, selon lui, « transformer l’erreur en tremplin afin de débloquer les démarches d’apprentissage », propos auquel nous adhérons pleinement et que nous avons mis en œuvre dans la séquence didactique.

Brousseauannonce également qu’« il faut laisser aux enfants une chance de

décou-vrir leurs erreurs », il précise d’ailleurs que « c’est une nécessité dans la construction de la connaissance » (1998, p. 42). Dans un article écrit suite au cours de 1975, il indique qu’« il ne s’agit pas de faire la promotion des erreurs mais de leur laisser jouer leur rôle au sein des connaissances » (2010, p. 14). C’est une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de placer la situation de non-proportionnalité à la suite de la situation de proportionnalité. Provoquer l’erreur chez les élèves a pour but de les placer face à leurs conceptions erronées et de les aider à les dépasser.

Citons encore Astolfi (1997, p. 15) qui mentionne que « les modèles constructi-vistes [. . .] s’efforcent [. . .] de ne pas évacuer l’erreur et de lui conférer un statut beaucoup plus positif. [. . .] le but visé est bien toujours de parvenir à les éradiquer des productions des élèves, mais on admet que pour y parvenir, il faut les lais-ser apparaître – voire même quelquefois les provoquer – si l’on veut réussir à les mieux traiter ». Il poursuit en signalant que « les erreurs commises ne sont plus des fautes condamnables ni des bogues regrettables : elles deviennent les symptômes intéressants d’obstacles auxquels la pensée des élèves est affrontée ». Ces propos correspondent tout-à-fait à la direction que nous avons souhaité prendre.

4.2.2 Obstacle de la prégnance de la linéarité

Outre ce qui a été développé jusqu’ici, complétons par des propos qui permettent de préciser nos choix en lien à la confrontation de l’obstacle qu’est la rémanence de la linéarité.

Dan Draghici écrit que, « pour donner à l’erreur un statut positif, il faudrait

comprendre la “logique” de l’erreur afin d’en tirer parti pour améliorer les appren-tissages » (2002, p. 4). C’est ce qui a été fait face au constat de la persistance des élèves à utiliser le modèle proportionnel même lorsque la situation ne s’y prête pas. Le premier chapitre de la thèse en fait part.

Selon Bachelard (1934, p. 17), « on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites ». Comme cela a été répété à plusieurs reprises, la séquence a ainsi été construite, avec cette intention de permettre aux élèves de commettre l’« erreur » de penser à un modèle proportionnel pour un cas où il n’est pas d’application, dans le but final d’améliorer les savoirs visés.

Une idée supplémentaire, qui s’appuie sur les propos de Brousseau, vient des auteurs du « Livre blanc ». Ils notent (SBPMef, 1991, p. 17) qu’« il ne faut pas croire que les élèves parcourent la suite des modèles correspondant à un concept donné d’une façon linéaire ni qu’un modèle soit jamais définitivement abandonné. Sous l’influence d’une perturbation, un élève peut régresser, revenir à un modèle antérieur, donner l’impression qu’il n’a rien compris. C’est aussi sous l’influence d’une perturbation qu’il peut progresser, accéder à un modèle plus élaboré ». C’est encore pour ces raisons que nous avons choisi de confronter les élèves à l’obstacle de la prégnance de la linéarité.

La rémanence de l’utilisation des propriétés de la linéarité nous semble ainsi un obstacle indispensable à franchir afin d’avoir une meilleure connaissance du concept de proportionnalité.

Les quatre conditions pour être qualifié d’obstacle, relevées par Brousseau et dé-taillées à la page 44 de ce texte, sont :

1. un obstacle est une connaissance ;

2. la connaissance obstacle a son domaine de validité et d’efficacité ; 3. un obstacle résiste et reparaît ;

4. un obstacle épistémologique est constitutif de la connaissance achevée, du sa-voir.

Montrons ce pourquoi nous estimons que la « prégnance du modèle linéaire » peut être qualifiée d’obstacle. Notons que nous sommes dans un cas particulier où l’obs-tacle et le savoir visé s’entremêlent.

La prégnance du modèle linéaire, et par là l’utilisation de règles simples de propor-tionnalité, est bien une connaissance qui a son domaine de validité (situations de proportionnalité), les élèves investissent d’ailleurs le modèle proportionnel dans la première situation proposée (variation de la hauteur d’un cylindre) et dans nombre de situations de la vie courante. Les deux premières conditions sont rencontrées. La troisième l’est aussi car la prégnance de la linéarité est résistante au changement comme De Bock et son équipe l’ont mis en évidence (page 18 de ce texte). Quant à la quatrième condition, même si nous ne pouvons confirmer nous trouver face à un obstacle épistémologique, c’est par la reconnaissance de circonstances dans lesquelles il ne s’applique pas que les élèves construisent une connaissance plus profonde du modèle proportionnel.

Il est donc important de rencontrer cet obstacle et de le traiter dans l’enseignement, ce que nous proposons via cette séquence didactique. Il a une part de didactique. En effet, comme nous l’avons évoqué dans le premier chapitre, l’utilisation de la proportionnalité à outrance peut s’expliquer par son caractère naturel ou intuitif mais aussi par les expériences vécues dans les classes comme le disent De Bock et ses co-auteurs. On peut y ajouter que la proportionnalité est presque omniprésente, on la rencontre autant dans l’environnement direct qu’à l’école. Elle fait partie des connaissances quotidiennes des élèves et c’est d’ailleurs un modèle très fréquemment usité dans l’enseignement primaire. Sans se cantonner à ce niveau d’enseignement, de nombreuses matières utilisent les propriétés de la proportionnalité, sans

néces-sairement les citer. Il n’est dès lors pas si étonnant que les élèves les utilisent même lorsque les situations ne s’y prêtent pas.

Page 44, nous citions Brousseau qui indiquait que le franchissement d’un obstacle exige un travail de même nature que la mise en place d’une connaissance. Reprenons ses propos.

Organiser le franchissement d’un obstacle consistera à proposer une si-tuation susceptible d’évoluer et de faire évoluer l’élève selon une dialec-tique convenable. [. . .] il faudra que cette situation permette d’emblée la construction d’une première solution ou d’une tentative où l’élève inves-tira sa connaissance du moment. Si cette tentative échoue ou ne convient pas bien, la situation doit néanmoins renvoyer une situation nouvelle mo-difiée par cet échec de façon intelligible mais intrinsèque, c’est-à-dire ne dépendant pas de façon arbitraire des finalités du maître.

La séquence proposée nous semble suivre cette organisation. La situation relative à la variation de la hauteur d’un cylindre invite les élèves à investir leurs connaissances relatives à la proportionnalité. Cette première situation incite certains élèves à ré-exploiter ces mêmes connaissances dans la situation suivante, celle qui fait varier le diamètre d’un cylindre. L’expérience met alors en défaut les prévisions des élèves, ils constatent par eux-mêmes que leur connaissance du moment ne peut être appliquée dans cette situation. De plus, la rétroaction du milieu fournit également un indice de la réponse attendue.

Un travail de réflexion doit faire suite à cette première partie de la séquence afin que les élèves prennent réellement conscience que le modèle proportionnel ne s’applique que lorsque la situation s’y prête.