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Partie II Validation interne 77

4.6 Dimension expérimentale

Au cours des premiers chapitres, nous nous sommes intéressés à la dimension expé-rimentale de la séquence didactique à travers divers aspects (laboratoire, matériel et donc milieu, . . .), mais sans véritablement s’attacher à ce que recouvre explicitement cette expression.

Diasdéclare que « recourir à la dimension expérimentale c’est permettre et surtout

multiplier les allers et retours entre objets (réels et formels, sensibles et théoriques) par des confrontations (adéquation, non adéquation), des vérifications (confirmer ou infirmer une hypothèse), des argumentations (prouver un raisonnement, convaincre dans un débat) », autrement dit, « expérimenter c’est interagir avec des objets selon un rapport dialectique » (Ibid., p. 28).

La dimension expérimentale est liée à « l’importance de la mémoire des circons-tances de l’apprentissage » évoquée par Brousseau qui « ne peut plus être ignorée et ne peut plus être exclue de la responsabilité de l’enseignement » (1998, p. 159). Il poursuit en affirmant que la compréhension des connaissances « est liée aux circons-tances de l’apprentissage, et elle est nécessaire à la mise en œuvre des connaissances institutionnalisées. L’élève doit donc garder la mémoire des savoirs qui lui sont en-seignés, mais aussi une certaine mémoire des circonstances de l’apprentissage qu’il organise à sa guise ». C’est ce à quoi nous espérons aboutir par la confrontation des conceptions initiales des élèves aux résultats des expériences.

Ce que dit Brousseau est évidemment à relier au sens à donner aux apprentissages des élèves. À ce propos, Dias affirme que « l’expérimentation telle que nous l’enten-dons n’a de sens que par ses articulations avec la formulation (dimension langagière) et la validation (par la preuve). Le va-et-vient entre théorie et expérience est pré-cisément ce qui caractérise une démarche de type expérimentale » (2008, p. 27). Et cette démarche expérimentale a une place très importante dans l’apprentissage car, sinon, nous pourrions arriver au même constat que celui mentionné par Boisnard & al. : « Certains font remarquer qu’avec les opérateurs on n’a fait que remplacer un stéréotype par un autre : de même que les élèves cherchaient à compléter mé-caniquement les trous de la règle de trois [. . .], ils cherchent à remplir les cases du fameux tableau de proportionnalité et dessinent des flèches sans trop savoir à quoi cela correspond. » (1994, p. 17). Nous espérons que la séquence proposée évitera aux élèves d’en arriver à ce stade.

Dans la première partie de cette thèse, il a été question des laboratoires et la dimen-sion expérimentale a déjà été évoquée, comme nous l’avons dit, à plusieurs reprises.

Dias relie ces deux éléments : « Le laboratoire se caractérise [. . .] par la culture

du doute (hypothèses émises sur les rétroactions parfois inattendues, parfois an-tagonistes), et de l’expérimentation comme démarche de résolution des problèmes rencontrés. [. . .] le laboratoire possède un statut public guidé par une finalité de communication. L’activité mathématique des élèves au sein du laboratoire est fon-dée sur leurs interactions avec des objets dans les allers et retours du théorique au sensible, de l’abstrait au concret, du nouveau au familier. » (2008, p. 245).

Avant de détailler ce qu’il entend par expérimentation, notons que nous avons utilisé les termes « expérience » et « expérimentation » de manière distincte tout au long du texte, termes que nous devons expliciter. Pour cela, nous nous appuyons sur les propos de Bernard qui écrit que, « dans la langue française, le mot expérience au singulier signifie d’une manière générale et abstraite l’instruction acquise par l’usage de la vie. [. . .] Ensuite on a donné par extension et dans un sens concret le nom d’expériences aux faits qui nous fournissent cette instruction expérimentale des choses » (1865, pp. 39-40). Il indique ensuite qu’« on peut acquérir de l’expérience sans faire des expériences, par cela seul qu’on raisonne convenablement sur les faits bien établis, de même que l’on peut faire des expériences et des observations sans acquérir de l’expérience, si l’on se borne à la constatation des faits » (Ibid., p. 40). La séquence didactique proposée tente évidemment d’éviter la deuxième partie de sa remarque.

Les propos de Dias permettent de compléter la distinction entre expérience et expé-rimentation car il note que, avec la tournure de phrase « faire une expérience sur », « on place le sujet dans un projet d’expérimentation, dans un processus de connais-sance et d’objectivité » (2008, p. 36). Il distingue ensuite la simple expérience de l’expérimentation car cette dernière a la particularité d’avoir un « lien étroit en-tretenu avec le processus de validation » (Ibid., p. 41). Il parle ainsi d’expérience « en référence au jeu interrogatif sur des objets » alors qu’il propose d’employer la terminologie d’expérimentation « pour faire référence à un processus plus global de démarche de construction de connaissances incluant une phase déterminante de validation » (Ibid., p. 43).

Nous avons ainsi utilisé le terme « expérience » lorsqu’il s’agissait de la phase locale de manipulations pour les élèves mais, lorsqu’on a fait référence au processus plus complet, nous avons utilisé le terme d’« expérimentation ».

4.6.1 Rôle des estimations et place de l’erreur

Nous avons donné une place importante aux estimations afin de renforcer le conflit cognitif, mais aussi avec l’intention d’apporter davantage de sens à la notion de proportionnalité. Au cours de la séquence didactique, les estimations interviennent avec deux objectifs différents. L’un est d’exercer l’aptitude des élèves à estimer, l’autre est de permettre la confrontation entre leurs conjectures et résultats.

Le temps qui précède le remplissage de la casserole correspond au premier objectif. On demande aux élèves de proposer une estimation du nombre nécessaire de verres pour remplir la casserole jusqu’à la moitié de sa hauteur, uniquement dans le but de développer leur capacité à donner un ordre de grandeur correct. Il est indispensable de confronter par la suite le résultat obtenu aux estimations préalables des élèves. Après avoir versé le premier verre, il est proposé aux élèves de revoir leur estimation. Le second objectif est rencontré à plusieurs reprises. Avant de réaliser les expé-riences, les élèves sont invités à faire part de leurs conjectures. Dans le premier cas qui consiste à observer combien de mesurettes sont nécessaires pour atteindre les hauteurs double et triple, les résultats de l’expérience devraient coïncider avec leurs estimations. Par contre, lorsque les élèves réalisent l’expérience liée à la variation du diamètre d’un cylindre, tous les élèves qui auront formulé une estimation basée sur un modèle proportionnel s’apercevront que les résultats expérimentaux ne corres-pondent pas à leurs conjectures. Cette confrontation invite ainsi les élèves à réfléchir aux raisons qui peuvent expliquer que le modèle proportionnel n’est pas adapté à cette situation.

À ce propos, voici une réflexion du groupe de travail « Mathématiques et Réalités » de l’IREM de Bordeaux : « La réalité est perçue par tous à travers des modèles qui peuvent faire obstacle à la construction d’un nouveau modèle nécessaire à un certain stade de notre enseignement. À l’aide de situations didactiques spécialement orga-nisées par le maître, le modèle insuffisant peut être mis à jour. Quand les situations problèmes portent sur des objets réels ou réalisés dans le cadre physique, le retour à

la réalité par la confrontation entre les résultats prévus et la réalisation effective peut vaincre l’obstacle. Le nouveau modèle peut alors se construire. » (1987, p. 7). Comme nous l’avons développé dans la section 4.2.2, l’obstacle dont il est question est celui de la prégnance de la linéarité et le modèle à construire correspond quant à lui au savoir visé : le modèle proportionnel et, à travers lui, la reconnaissance de situations de non-proportionnalité. Une précision est cependant à donner lorsque les auteurs affirment que la confrontation peut vaincre l’obstacle, nous l’entendons pour notre part comme l’amorce de ce franchissement. C’est effectivement toute la réflexion qui s’ensuit qui permet de dépasser cet obstacle, via les phases de formulation et de validation.

Notons qu’il est donné aux élèves la possibilité de revoir leurs estimations après l’obtention du résultat correspondant au remplissage du cylindre de diamètre double. Avec les estimations et les confrontations aux résultats de l’expérience, nous revenons de manière implicite sur le statut de l’erreur et le rôle qui lui est donné, ce qui a été le sujet de la section 4.2.1. Ajoutons un élément supplémentaire. Une autre place laissée à l’erreur se situe au niveau du milieu matériel. Bien que les élèves s’astreignent à être les plus rigoureux possible, on observe des résultats différents. C’est un atout pour la séquence car, si les élèves obtenaient dans tous les groupes exactement les mêmes résultats, il leur serait plus difficile d’admettre que l’expérience ne dicte pas la solution, ce qui freinerait le déclenchement des phases de formulation et de validation.

4.6.2 Dévolution de la situation

La dimension expérimentale de la séquence didactique nous a amenés à œuvrer avec un milieu spécifique et à choisir des variables didactiques particulières. L’en-semble de ces composantes permet de dévoluer la situation aux élèves à travers des phases adidactiques. L’enseignant reste, dans un premier temps et en apparence, en dehors du travail des élèves. Comme le dit Brousseau, « la situation est mainte-nue adidactique par le professeur, qui n’intervient que pour maintenir favorables les conditions non spécifiques du savoir : matériel, appétence, discipline. . . ». Il poursuit en indiquant que « l’élève peut considérer le savoir solution comme “objectivement” déterminé par le milieu seul et par ses connaissances et qu’il ne dépend plus du

professeur » (2010, p. 13 de la 2e partie relative aux prolongements actuels, suite

au cours de 1975). Tout au long de la séquence, l’enseignant est donc présent pour « faire fonctionner la machine » comme le dit Brousseau (1998, p. 311) « mais, sur la connaissance elle-même, ses interventions [sont] pratiquement annulées ».

Le milieu rend ainsi possible des étapes d’action, de formulation et de validation. Par exemple, dans la situation propre à la variation du diamètre d’un cylindre, les interactions avec le matériel invalident les premières conjectures des élèves et le processus continue par les interactions entre élèves, au sein de leur groupe ou lors des mises en commun qui amènent les élèves à prolonger leur réflexion.

com-porte implicitement la question de la reconnaissance d’un modèle (proportionnel ou non) pour chacune des situations qui sont dévolues aux élèves. Ces questions impliquent la construction du savoir visé, celui de la proportionnalité. La séquence aboutit à une phase d’institutionnalisation développée à la section 4.7.4 et, pour y parvenir, engage une construction de différents temps de travail.

Comme cela a déjà été soulevé, certaines de ces phases sont menées individuellement, d’autres en petits groupes et d’autres encore en groupe-classe, que ce soit pour des mises en commun ou pour mener une expérience collective. Détaillons ces moments à travers lesquels on voit se former la possibilité de dévolution.

La première phase, qui correspond à la situation d’introduction du remplissage de la casserole, se déroule en commun. Il est important de la mener devant toute la classe car c’est à ce moment que l’enseignant établit avec les élèves les éléments clefs d’un processus expérimental. La réalisation de l’expérience par un élève devant ses camarades permet de mettre en évidence naturellement des questions qui sont amenées par les autres élèves qui observent l’expérience et qui sont invités à réagir. La prise de conscience de ces éléments devrait faciliter la dévolution de la suite de la séquence aux élèves car ils entrent, par cette situation d’introduction, dans une première appropriation du problème.

Afin que chaque élève puisse entrer dans le processus de dévolution, il est impor-tant qu’il s’investisse personnellement. Pour cela, avant toute expérience, les élèves donnent une estimation du résultat de manière individuelle. Il leur est demandé de noter ces estimations sur leur propre feuille de travail.

Ensuite, lorsqu’il s’agit de mener les expériences sur la variation de la hauteur ou du diamètre d’un cylindre, les élèves fonctionnent en groupe de quatre ou cinq élèves. Ils ont ainsi la possibilité de s’approprier pleinement la situation. La comparaison des résultats issus des différentes expériences qui s’ensuit fait entrer les élèves dans les processus de formulation et de validation. Ces phases de mise en commun se déroulent après chacune des expériences, avec un apport minimal de l’enseignant qui se limite à favoriser les interactions entre les élèves.

La succession de ces phases et de ces alternances entre travail collectif ou en petits groupes permet de dévoluer une partie de l’apprentissage aux élèves. Il sera ensuite complété par l’institutionnalisation, cadrée par l’enseignant. À la page 32, nous avons cité Bessot qui parle de « mise en scène » à propos de cette succession de situations car elle permet de confronter la nécessité d’un apport théorique à la variété des résultats issus des expériences. C’est dans la préparation de cette mise en scène que l’enseignant joue son rôle.

Dans le chapitre suivant, dédié à l’analyse a posteriori, nous listons ces divers mo-ments, sur base d’un enregistrement de l’une des expérimentations.

Revenons à l’intérêt de la dévolution en citant Brousseau (1986, p. 66). [. . .] si l’élève produit sa réponse sans avoir eu à faire lui-même les choix qui caractérisent le savoir convenable et qui différencient ce savoir de connaissances insuffisantes, l’indice devient trompeur. Ceci se produit

en particulier dans le cas où le professeur a été conduit à dire à l’élève comment résoudre le problème posé ou quelle réponse donner. L’élève n’ayant eu à effectuer ni choix, ni essais de méthodes, ni modification de ses propres connaissances ou de ses convictions, n’a pas donné la preuve attendue de l’appropriation visée. Il n’en a donné que l’illusion.

C’est ce qui arriverait si l’enseignant demandait par exemple aux élèves de recon-naître si telle ou telle situation est de proportionnalité ou de non-proportionnalité. Sans proposition de démarche supplémentaire, la correction de l’enseignant résonne-rait chez les élèves comme un fait, sans aucun espoir d’une réelle réflexion. Clôturons cette section avec une autre réflexion de Brousseau (1998, p. 300).

Le travail du professeur consiste donc à proposer à l’élève une situation d’apprentissage afin que l’élève produise ses connaissances comme ré-ponse personnelle à une question et les fasse fonctionner ou les modifie comme réponses aux exigences du milieu et non à un désir du maître. La différence est grande entre, s’adapter à un problème que le milieu vous pose, incontournable et, s’adapter au désir du professeur : la signification de la connaissance est complètement différente ; une situation d’appren-tissage est une situation dans laquelle ce qu’on fait a un caractère de nécessité par rapport à des obligations qui ne sont pas arbitraires, ni didactiques.

Nous pensons avoir mis en évidence la nécessité que doivent ressentir les élèves de trouver le modèle qui correspond à la situation de la variation du diamètre, face aux résultats qui ne corroborent pas leurs prévisions. Toutefois, notons que Brousseau soulève là un paradoxe car la situation ne devrait pas dépendre d’obligations didac-tiques or « toute situation didactique contient une part d’intention et de désir de la part du maître » (Ibid., p. 300) puisque c’est lui qui choisit de mener cette séquence avec les élèves.

4.7 Stratégies attendues et particularités