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1.1 Analyses préalables

1.1.3 Autres origines de la recherche

Pour parvenir à une proposition permettant un tel enseignement, ce travail de thèse s’est attaché à divers aspects. Le premier a trait à l’expérimental, notamment par l’introduction de matériel dans les cours de mathématiques. Le deuxième concerne la recherche du sens dans les activités mathématiques. Le troisième porte sur l’in-troduction de situations de non-proportionnalité dans l’enseignement de la propor-tionnalité.

Les paragraphes ci-dessous présentent ces trois points à la lumière de différents auteurs.

Laboratoires et utilisation de matériel, l’expérimental

Lors d’une conférence prononcée à Paris en 1904, Borel proposait déjà la mise en place de laboratoires de mathématiques, au même titre que des laboratoires de physique ou de chimie. Lors de cet exposé, il a cherché à « montrer l’intérêt, le rôle et la nécessité des exercices pratiques qui permettent d’introduire “plus de vie et de sens du réel” dans l’enseignement des mathématiques » (Borel, 2002, introduction à son texte p. 48). Borel dit notamment : « il semble que la valeur éducative de l’enseignement mathématique ne pourra qu’être augmentée si la théorie y est, le plus souvent possible, mêlée à la pratique » (Ibid., p. 61) ou encore « une éducation mathématique à la fois théorique et pratique [. . .] peut exercer la plus heureuse influence sur la formation de l’esprit » (Ibid., p. 63).

Ces idées sont étayées par l’ouvrage écrit par les membres du bureau de la Com-mission Internationale pour l’Étude et l’Amélioration de l’Enseignement des Mathé-matiques (Gattegno & al., 1958) dans lequel l’usage du matériel est appuyé par la complémentarité de la perception et de l’action, par le nécessaire va-et-vient entre le concret et l’abstrait dans l’activité et enfin par l’importance du recours à l’objet et à l’action notamment dans l’enseignement de la géométrie intuitive. Plus parti-culièrement, pour Gattegno, « la perception et l’action sont parties intégrantes [de l’activité mathématique] » et, pour Castelnuovo, « le rendement est meilleur, pour l’ensemble des élèves, si on introduit une conception dynamique de l’appren-tissage et qu’on donne à l’activité des élèves eux-mêmes une place plus grande » (Gattegno & al., 1958, pp. 5-6).

La position de Matheron, lors de la présentation d’un séminaire lié à la mémoire dans l’étude des mathématiques (2014), reflète encore un aspect important de l’in-troduction de manipulations dans les activités mathématiques. Il est important de ne pas opposer les activités « de l’esprit » et « celles de la main », les concepts et les instruments, ce qui ne peut être qu’évoqué et ce qui est perçu.

Dias a développé dans sa thèse l’aspect expérimental. Il évoque évidemment les laboratoires de Borel mais, pour définir sa terminologie de laboratoire, il fait

réfé-rence à Hacking14qui fait du laboratoire « le lieu significatif de l’expérimentation »

(Dias, 2008, p. 101). Il y écrit les propos suivants (Ibid., p. 102).

L’idée est que le matériel ne doit pas être l’élément fort de ces labo-ratoires, mais rester au service du questionnement scientifique, et éven-tuellement support à la représentation. [. . .] L’idée de ces salles d’ex-périmentation en mathématiques dépasse selon nous le simple caractère matériel d’un lieu au sein d’un établissement scolaire. Il s’agit plutôt de créer un dispositif d’enseignement/apprentissage ayant ses propres par-ticularités, ses variables didactiques, ses caractéristiques pédagogiques et psychologiques.

Il espère insuffler un nouvel élan à l’introduction de l’expérimental dans les classes car « bien que l’idée des laboratoires de mathématiques ait été reprise par la com-mission de réflexion sur l’enseignement des mathématiques (présidée par Jean-Pierre Kahane), puis par Jacques Lang, alors ministre de l’éducation nationale, elle n’a été que peu suivie d’effet » (Ibid., p. 243).

Avec Durand-Guerrier, Dias soutient « l’intérêt et la possibilité de concevoir des situations d’apprentissage mettant en œuvre le recours à l’expérience dans la perspective de favoriser l’accès aux connaissances mathématiques pour le plus grand nombre d’apprenants » (Dias & Durand-Guerrier, 2005, p. 61).

Pelay évoque un autre point qui concerne le côté captivant des expériences (2011,

pp. 43-44).

Alors que les chimistes peuvent réaliser des expériences étonnantes, que les physiciens peuvent proposer des constructions (fusées, ballons expé-rimentaux, cerfs-volants, robots, etc.), que les biologistes peuvent s’ap-puyer sur des observations de l’environnement (plantes, animaux, etc.), les mathématiques semblent éprouver des difficultés à trouver des acti-vités aussi captivantes que les expérimentations et les constructions.

Par l’insertion dans les classes de la séquence didactique décrite dans le chapitre 3, nous espérons montrer qu’il est possible d’introduire le côté captivant des expériences en mathématiques.

Recherche du sens

Dans son texte qui invite à la mise en place de laboratoires, Borel (2002, pp. 57-58) annonce déjà le deuxième point que nous voulons aborder dans ce paragraphe, il souligne toute l’importance de la réflexion que doivent avoir les élèves par rapport à leurs réponses.

[. . .] on peut signaler bien des moyens qui pourraient être employés pour introduire plus de vie et de sens du réel dans notre enseignement

matique [. . .] Par exemple, on peut demander à chaque élève d’appor-ter dans sa poche un mètre en ruban ; lui faire mesurer les deux côtés d’un rectangle (du tableau noir, d’une table, etc.), et lui faire calculer la diagonale, puis vérifier le résultat. On peut, de même, faire calculer expérimentalement le rapport de la circonférence au diamètre, le volume d’un vase de forme simple, etc. On habituera aussi les élèves à évaluer les longueurs et les angles à vue d’œil. [. . .] en résumé, on doit recher-cher toutes les occasions de faire mesurer à nos élèves des grandeurs concrètes : longueurs, temps, angles, vitesses, etc., de manière qu’ils ap-pliquent le calcul à des réalités et se rendent compte par eux-mêmes que les Mathématiques ne sont pas une pure abstraction.

Dans un même ordre d’idées, Verschaffel et de Corte discutent, dans un ou-vrage collectif de 2005, une série d’études visant à investiguer le phénomène de mise entre parenthèses du sens. Les auteurs y abordent le sujet de problèmes qu’ils appellent « verbaux ». Les élèves ne prennent malheureusement pas assez en con-sidération la réalité liée au contexte de ces problèmes d’application, avec habillage (description verbale). Selon les auteurs, cela peut être expliqué par le fait que la modélisation est un processus complexe. De tels problèmes impliquent l’articulation de différentes techniques, ce à quoi les élèves sont peu familiarisés. Ces différentes recherches montrent de manière générale que les élèves ont très fortement tendance à exclure leurs connaissances du monde réel dans la résolution de problèmes et cela, même s’ils ont été mis en garde auparavant.

Par contre, lorsque les élèves sont placés dans une situation plus authentique et en présence d’un matériel concret, les auteurs déclarent qu’une amélioration dans leurs réponses et dans leur prise en compte du réel est observée : « La plupart des élèves semblent se débarrasser de leur tendance à répondre [. . .] de façon stéréotypée, vide de sens, sans prêter attention aux contraintes réalistes qui rendent les solutions routinières inadéquates. » (Verschaffel & de Corte, 2005, p. 163).

Le groupe de travail « Mathématiques et Réalités » de l’IREM de Bordeaux émet, quant à lui, l’avis suivant : « D’après notre pratique, il nous apparaît que la “réalité” doit intervenir nécessairement à un certain moment dans notre enseignement des mathématiques, pour lui donner du sens, en particulier pour placer l’acquisition du savoir dans un contexte, – une histoire – propre à chaque élève et sans lequel le savoir ne peut se construire. » (1987, p. 4).

Nous conclurons ce paragraphe avec un extrait du texte de Simard (2012a, p. 58). L’apprentissage des techniques de la proportionnalité [. . .] n’a de sens que si l’élève sait reconnaître, au moins intuitivement les situations de proportionnalité. En effet, tout élève peut être très compétent technique-ment mais ne pas savoir quand utiliser ces techniques ou alors les utiliser à mauvais escient. Ainsi, parallèlement à l’apprentissage des techniques, le rôle de l’enseignant est de faire acquérir le sens de la proportionnalité aux élèves. Pour cela, le maître doit confronter ses élèves à des situations de proportionnalité et à des situations de non-proportionnalité.

Cette remarque conduit directement au troisième point sur lequel nous souhaitons réfléchir.

Non-proportionnalité

Comme Simard le souligne ci-dessus, la plupart des recherches mentionnées à la section 1.1.2 s’entendent pour dire qu’il est important d’introduire des situations de non-proportionnalité dans l’étude de la proportionnalité. Citons pour autre exemple

Géron & al. (2007, p. 80).

Pour pouvoir résoudre correctement un problème et utiliser les outils de résolution les plus efficaces, il est impératif que les enfants perçoivent la relation qui existe (ou non) entre deux grandeurs. Il n’est pas conce-vable d’appliquer les procédures propres à la proportionnalité, telles que le rapport interne, le rapport externe ou les propriétés de linéarité, à des problèmes qui ne relèvent pas de cette catégorie. Il est donc pri-mordial de confronter assez rapidement les enfants à des problèmes de non-proportionnalité afin d’aiguiser leur esprit de réflexion et d’analyse de manière à éviter l’usage abusif du modèle multiplicatif.

Dans le même ordre d’idée, Rouche note : « Non seulement ces situations [de non-proportionnalité] différentes des précédentes sont intéressantes par elles-mêmes, mais en outre elles montrent ce que la proportionnalité n’est pas. » (2006, p. 205). Les propos de Brousseau appuient cette idée : « une notion apprise n’est utili-sable que dans la mesure où elle est reliée à d’autres, ces liaisons constituant sa signification, son étiquette, sa méthode d’activation » (1976, p. 103).