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Chapitre 2 Outils théoriques en didactique des mathématiques 31

2.1.4 Contrat didactique

Intéressons-nous maintenant à ce que Brousseau dénomme « contrat didactique ». Il définit le contrat didactique comme « la règle du jeu et la stratégie de la si-tuation didactique. C’est le moyen qu’a le maître de la mettre en scène. [. . .] Le contrat didactique n’est pas un contrat pédagogique général. Il dépend étroitement des connaissances en jeu » (1986, p. 50). Il avait écrit précédemment, dans un autre article : « Dans une situation d’enseignement, préparée et réalisée par un maître, l’élève a en général pour tâche de résoudre le problème (mathématique) qui lui est

présenté, mais l’accès à cette tâche se fait à travers une interprétation des questions posées, des informations fournies, des contraintes imposées qui sont des constantes de la façon d’enseigner du maître. Ces habitudes (spécifiques) du maître attendues par l’élève et les comportements de l’élève attendus par le maître, c’est le contrat didactique. » (Brousseau, 1980a, p. 181).

Vergnaud donne une définition du contrat didactique très semblable à celle de

Brousseau. Le contrat didactique est pour lui « l’ensemble des attentes implicites qui règlent le fonctionnement de la classe et les rapports entre le maître et les élèves » (1981b, pp. 226-227).

On peut voir que les deux propos se rejoignent car les termes « interprétation » et habitudes et comportements « attendus » utilisés par Brousseau sont liés aux « attentes implicites » prises en compte par Vergnaud. Schneider écrit que ce caractère vient de l’objet du contrat didactique : « le savoir qui est, au départ, inconnu d’un des partenaires » (2008, p. 164).

Une autre citation de Brousseau mentionne ce caractère implicite : l’existence d’« un ensemble de règles le plus souvent implicites qui pèsent sur les élèves et sur l’enseignant, et qui conditionnent leur travail » (1989b, p. 58).

Dans le contrat didactique, on retrouve ainsi une part de la « relation qui détermine – explicitement pour une petite part, mais surtout implicitement – ce que chaque partenaire, l’enseignant et l’enseigné, a la responsabilité de gérer et dont il sera, d’une manière ou d’une autre, responsable devant l’autre. » (Brousseau, 1986, p. 51).

Relevons un paradoxe soulevé par Brousseau (1986, p. 66), tant du point de vue de l’enseignant que de celui de l’enseigné.

Ce contrat didactique met donc le professeur devant une véritable injonc-tion paradoxale : tout ce qu’il entreprend pour faire produire par l’élève les comportements qu’il attend, tend à priver ce dernier des conditions nécessaires à la compréhension et à l’apprentissage de la notion visée : si le maître dit ce qu’il veut, il ne peut plus l’obtenir. Mais l’élève est, lui aussi, devant une injonction paradoxale : s’il accepte que, selon le contrat, le maître lui enseigne les résultats, il ne les établit pas lui-même et donc il n’apprend pas de mathématiques, il ne se les approprie pas. Si, au contraire, il refuse toute information de la part du maître, alors, la relation didactique est rompue. Apprendre, implique, pour lui, qu’il accepte la relation didactique mais qu’il la considère comme provisoire et s’efforce de la rejeter.

Notons que cette conclusion est plus nuancée que celle de son texte de 1984 (p. 4) écrite d’une manière légèrement différente : « Apprendre implique pour [l’élève] [de] refuser le contrat mais aussi [d’]accepter la prise en charge du problème. ». Il pour-suivait alors en indiquant que l’apprentissage allait ainsi reposer « non pas sur le bon fonctionnement du contrat, mais sur ses ruptures ».

Un autre aspect du caractère paradoxal du contrat didactique est qu’il est « à la fois nécessaire et irrémédiablement illusoire », comme le déclare Brousseau dans la deuxième partie de son texte de 2010 (p. 16), écrite suite au cours donné en 1975. Examinons à présent l’un des effets connus du contrat didactique. Une équipe de l’IREM de Grenoble a présenté à de jeunes élèves des problèmes tels que « sur un bateau, il y a 26 moutons et 10 chèvres. Quel est l’âge du capitaine ? ». Une très grande majorité des élèves interrogés répondent par un résultat issu d’une opération sur les deux nombres contenus dans l’énoncé. Brousseau remarque à ce propos qu’« ils font leur métier d’élèves : ils doivent répondre, et peut-être pensent-ils que la stupidité incombe à celui qui pose des questions idiotes, comme le dit le proverbe » (1989b, p. 58). En effet, lorsque l’équipe a interrogé les élèves par après, ceux-ci ont fait part de leur malaise vis-à-vis des questions posées. Près de la moitié des élèves les ont trouvées bizarres et même stupides « car l’âge du capitaine n’a rien à voir avec les moutons » (Ibid., p. 58). Ce type de commentaire montre que les élèves res-sentent donc apparemment une obligation de donner une réponse « mathématique » lorsqu’ils se trouvent face à un problème à résoudre en classe. Leur réponse serait peut-être toute autre si la question leur était posée en dehors d’un contexte scolaire. Selon la classification de De Bock & al., ce genre de questions fait partie des « un-solvable problems », tout comme les questions de la troisième famille, posées en test préliminaire (section 1.1.5). Précisons que si le taux de réponse cohérente (impossi-bilité de répondre à la question) est élevé pour une des questions, c’est notamment parce que nous avons pris la précaution, au début de la séance, de préciser aux élèves que le questionnaire contenait des questions sans réponse « mathématique », afin d’atténuer cet effet de contrat didactique.

Pour poursuivre cette section, intéressons-nous à certaines définitions de contrats spécifiques. Brousseau a répertorié de nombreux types de contrat (voir notam-ment 1995). Plusieurs d’entre eux nous intéressent pour l’analyse de notre séquence dans la suite du travail. Il s’agit, pour les deux premiers, de contrats que l’auteur caractérise de « fortement didactiques portant sur un savoir “nouveau” » dans le sens où « l’institution enseignante prend la responsabilité du résultat effectif de son action sur son élève » (Brousseau, 1995, pp. 21, 25).

Contrats d’apprentissages empiristes : Dans ce cas la connaissance est supposée s’établir essentiellement par le contact avec le milieu auquel l’élève doit s’adapter. La responsabilité de l’apprentissage est renvoyée au milieu et à la nature.

Contrats constructivistes : Situations non « naturelles ». Le professeur or-ganise le milieu et délègue la responsabilité des acquisitions aux élèves. Ce milieu peut d’ailleurs être effectif ou fictif. Les savoirs (anciens) ne se manifestent que comme prérequis. Le recours à des phases adidac-tiques (d’action, de formulation ou de validation) pour faire créer diverses formes de connaissances est un exemple de ce contrat.

Les deux contrats suivants sont des contrats « basés sur la transformation des savoirs “anciens” » (Brousseau, 1995, pp. 26-27).

La révélation : Le savoir ancien n’est évoqué, le plus souvent implici-tement que pour servir de décor, de faire valoir, d’antinomie, au savoir nouveau et finalement être « péjoré » ou rejeté.

La reprise : La forme ancienne est dans ce cas ouvertement mise en cause, dans sa forme, elle fait l’objet d’une formulation, ou d’une traduction, ou dans sa constitution même, elle est alors l’objet au moins d’un commen-taire, souvent d’une explication, d’une remise en cause, d’une critique, ou même d’un rejet. La reprise place le savoir ancien dans une nouvelle dialectique.

Suite à la présentation des différents contrats, Brousseau nous dit que « la théo-rie des situations montre le caractère insuffisant de chacun de ces contrats pour construire à la fois un savoir canonique, les connaissances qui l’accompagnent et les pratiques qui caractérisent [sa] mise en œuvre, au cours de genèses souvent longues. L’enseignant, dans la relation didactique[,] se manifeste, localement, par le choix, la rupture et le remplacement des contrats suivant des indices et des stratégies de régulation qui échappent pour l’instant à nos moyens d’investigation » (1995, p. 26). Même s’il est difficile de percevoir distinctement les changements de contrats, nous tâcherons de définir, à la section 4.3.3, les différents contrats en jeu qui permettent de faire évoluer la séquence didactique proposée.

L’auteur insiste également sur la régulation des contrats « de façon à maintenir des équilibres et des conditions optimales et non pas à appliquer contre vents et marées une méthode, aussi sophistiquée soit elle » (Brousseau, 1995, p. 28).

Pour clôturer cette section sur le contrat didactique, remarquons que « l’analyse du contrat permet non seulement de déterminer si les conditions d’enseignement et d’apprentissage sont bien celles des situations adidactiques mais aussi d’analyser des leçons “ordinaires” qui échappent à ce modèle » (Schneider, 2008, p. 199) et que « tout ce qui est dit sur le contrat didactique n’est pas à prendre sur un mode moralisateur mais à penser dans le sens d’une contrainte inéluctable qui pèse sur le fonctionnement de toute institution didactique » (Ibid., p. 182).