• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 Outils théoriques en didactique des mathématiques 31

2.3 Autres outils théoriques

Les deux théories principales utilisées pour la construction de la séquence didactique ont été développées dans les sections ci-dessus. Toutefois, deux autres théories ont eu une place importante dans l’élaboration de cette suite d’activités. Il s’agit des « jeux de cadres » de Douady ainsi que des « registres de représentations sémiotiques » de Duval. Nous en dressons les principaux éléments dans les quelques lignes ci-dessous.

2.3.1 Jeux de cadres

La séquence didactique développée au sein de notre ingénierie engage les élèves dans diverses représentations des modèles proportionnels et non proportionnels. Douady a montré tout l’intérêt des changements de cadres pour améliorer les apprentissages. Donnons un rapide aperçu de cette théorie.

Dans un article de 1986, elle reprend une partie des propos développés dans sa thèse, notamment sur les « jeux de cadres ». Elle y donne la définition suivante (Douady, 1986, p. 6).

Les jeux de cadres sont des changements de cadres provoqués à l’initiative de l’enseignant, à l’occasion de problèmes convenablement choisis, pour faire avancer les phases de recherche et évoluer les conceptions des élèves.

Douady spécifie que « le mot “cadre” est à prendre au sens usuel qu’il a quand

on parle de cadre algébrique, cadre arithmétique, cadre géométrique. . ., mais aussi cadre qualitatif ou cadre algorithmique. Disons qu’un cadre est constitué des objets d’une branche des mathématiques, des relations entre les objets, de leurs formu-lations éventuellement diverses et des images mentales associées à ces objets et ces relations. [. . .] Deux cadres peuvent comporter les mêmes objets et différer par les images mentales et la problématique développée » (Ibid., pp. 10-11). Lorsque

Douady signale que « la familiarité, l’expérience peuvent conduire à des conflits

entre ce qu’on attend et ce qui se produit effectivement et par suite à renouveler les images ou les faire évoluer » (Ibid., p. 11), c’est précisément ce qui est attendu par la séquence didactique mise en place.

La notion de cadre est à concevoir « comme une notion dynamique. Le changement de cadres est un moyen d’obtenir des formulations différentes d’un problème qui sans être nécessairement tout à fait équivalentes, permettent un nouvel accès aux difficultés rencontrées et la mise en œuvre d’outils et techniques qui ne s’imposaient pas dans la première formulation » (Ibid., p. 11).

Douady souligne que « les concepts sont en général présentés dans un cadre, et

les applications demandées n’en sortent pas. On pratique la séparation des cadres » (Ibid., p. 12). Il est vrai que, dans l’étude de la proportionnalité, les exercices mêlant différents cadres sont peu courants. La séquence didactique réalisée a notamment pour objectif de proposer une telle activité.

2.3.2 Registres de représentations sémiotiques

Quelques années plus tard, Duval a développé une théorie qui suit la même idée que celle de Douady mais plus ciblée. Il s’agit de faire travailler les élèves sur différents registres de représentations sémiotiques et, tout comme le suggère Douady pour les changements de cadres, de les encourager à passer d’une de ces représentations à une autre afin de consolider leur perception des objets mathématiques.

Commençons par décrire ce que sont les représentations sémiotiques selon Duval. Dans un article de 1993, il définit les représentations sémiotiques comme « des pro-ductions constituées par l’emploi de signes appartenant à un système de représen-tation qui a ses contraintes propres de signifiance et de fonctionnement. Une figure géométrique, un énoncé en langue naturelle, une formule algébrique, un graphe sont des représentations sémiotiques qui relèvent de systèmes sémiotiques différents ». Il dit qu’« on accorde beaucoup plus d’importance aux représentations mentales qu’aux représentations sémiotiques » en définissant les représentations mentales comme re-couvrant « l’ensemble des images et, plus globalement, des conceptions qu’un in-dividu peut avoir sur un objet, sur une situation, et sur ce qui leur est associé » (Duval, 1993, pp. 38-39). Notons qu’il catégorise les représentations sémiotiques comme des représentations à la fois conscientes et externes, et les représentations mentales comme des représentations conscientes mais internes (Duval, 1995, p. 27). Nous sommes en complète adéquation avec l’auteur lorsqu’il souligne que « les di-verses représentations sémiotiques d’un objet mathématique sont absolument néces-saires. En effet, les objets mathématiques ne sont pas directement accessibles dans la perception, ou dans une expérience intuitive immédiate, comme le sont les ob-jets communément dit[s] “réels” ou “physiques” ! Il faut donc pouvoir en donner des représentants. Et, en outre, la possibilité d’effectuer des traitements sur les objets mathématiques dépend directement du système de représentation sémiotique uti-lisé. [. . .] Les représentations sémiotiques jouent un rôle fondamental dans l’activité mathématique » (Duval, 1993, p. 38).

Dans son ouvrage de 1995, Duval parle ainsi de « registres de représentation sé-miotique » lorsque les systèmes sésé-miotiques permettent d’accomplir trois activités cognitives fondamentales (p. 21) :

– « constituer une trace ou un assemblage de traces perceptibles qui soient identi-fiables comme une représentation de quelque chose dans un système déterminé » ; – « transformer les représentations par les seules règles propres au système de façon à obtenir d’autres représentations pouvant constituer un apport de connaissance par rapport aux représentations initiales » ;

– « convertir les représentations produites dans un système en représentations d’un autre système, de telle façon que ces dernières permettent d’expliciter d’autres significations relatives à ce qui est représenté ».

Il utilise les expressions suivantes pour caractériser ces trois activités. La première correspond à la « formation d’une représentation identifiable », la deuxième au « trai-tement d’une représentation » et la troisième à la « conversion d’une représentation ».

Il note que le traitement est une transformation interne à un registre tandis que la conversion est une transformation externe au registre de départ (Duval, 1993, pp. 41-42).

Comme le souligne Duval, remarquons que « tous les systèmes sémiotiques ne per-mettent pas ces trois activités cognitives fondamentales, par exemple le morse ou le code de la route. Mais le langage naturel, les langues symboliques, les graphes, les figures géométriques, etc. les permettent » (Duval, 1995, p. 21). De plus, « le langage naturel et les langues symboliques ne peuvent pas être considérées comme formant un seul et même registre. De même les schémas, les figures géométriques, les graphes cartésiens ou les tableaux. Ce sont des systèmes de représentation très différents entre eux et qui posent chacun des questions d’apprentissage spécifiques » (Ibid., pp. 21-22).

Il est important de s’approprier de multiples registres car « il est essentiel, dans l’ac-tivité mathématique, soit de pouvoir mobiliser plusieurs registres de représentation sémiotique [. . .] au cours d’une même démarche, soit de pouvoir choisir un registre plutôt que l’autre » (Duval, 1993, p. 40). L’auteur poursuit son idée en déclarant que, « indépendamment de toute commodité de traitement, ce recours à plusieurs registres semble même une condition nécessaire pour que les objets mathématiques ne soient pas confondus avec leurs représentations et qu’ils puissent aussi être reconnus dans chacune de leurs représentations ». Il ajoute que, « en phase d’apprentissage, la conversion joue un rôle essentiel dans la conceptualisation » (Ibid., p. 47) car « la conceptualisation implique une coordination des registres de représentation » (Ibid., p. 50).

Duval indique que « cette coordination est loin d’être naturelle », on peut

effecti-vement, comme l’a fait remarquer Douady à propos des cadres, « observer à tous les niveaux un cloisonnement des registres de représentation chez la très grande ma-jorité des élèves ». Duval poursuit son idée : « ce cloisonnement subsiste même après un enseignement sur des contenus mathématiques ayant largement utilisé ces différents registres. Naturellement, l’absence de coordination n’empêche pas toute compréhension. Mais cette compréhension, limitée au contexte sémiotique d’un seul registre, ne favorise guère les transferts et les apprentissages ultérieurs : elle rend les connaissances acquises peu ou pas mobilisables dans toutes les situations où elles devraient réellement être utilisées. En définitive, cette compréhension mono-registre conduit à un travail à l’aveugle, sans possibilité de contrôle du “sens” de ce qui est fait » (Ibid., p. 52).

Ajoutons une remarque de Duval à propos d’un registre auquel on ne pense pas souvent en priorité en mathématiques : « il n’est pas possible de négliger ou d’écarter la langue naturelle dans le cadre de l’enseignement des Mathématiques, elle est un registre aussi fondamental que les autres registres, et plus particulièrement que ceux qui permettent des traitements de type calcul » (Ibid., p. 64). Cependant, il indique qu’une des activités les plus complexes pour lui concerne « l’activité de conversion dans laquelle la représentation de départ est un énoncé en langue naturelle ou un texte » (Ibid., p. 62).

Notons à ce sujet que c’est un point d’entrée que nous avons choisi pour les questions qui ont servi aux tests de la validation externe dont il est question dans la troisième partie de la thèse.

Portons attention à une autre observation intéressante de Duval : « L’existence de plusieurs registres permet de changer de registre, et ce changement de registre a pour but de permettre d’effectuer des traitements d’une façon plus économique et plus puissante. » (Ibid., p. 49). C’est une idée importante à mettre en place avec les élèves, notamment vis-à-vis de la proportionnalité et de ses différents modes de représentation.

Pour clore ce chapitre, citons Duval (1995, p. 44) qui met en garde sur la difficulté de ce type de travail.

[. . .] la conversion des représentations sémiotiques constitue l’activité cog-nitive la moins spontanée et la plus difficile à acquérir chez la grande ma-jorité des élèves. Non seulement le changement de registres soulève des obstacles qui sont indépendants de la complexité du champ conceptuel dans lequel on travaille, mais en outre l’absence de coordination entre différents registres crée très souvent un handicap pour les apprentissages conceptuels.

Comme nous le verrons dans les prochains chapitres, une attention particulière a été accordée à faire œuvrer les élèves sur différents registres de représentation sé-miotiques et à les inviter à convertir les représentations d’un registre à un autre. La séquence didactique qui en rend compte est présentée dans le chapitre suivant.