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L'EPT ET L'EFFECTIVITÉ DU DROIT À L'ÉDUCATION

L’EXEMPLE DU BURKINA FASO

5. Développer les capacités de pilotage, de gestion et d’évaluation du système éducatif

2.3.3 L'EPT ET L'EFFECTIVITÉ DU DROIT À L'ÉDUCATION

De la présentation des objectifs mondiaux de l'EPT à celle des indicateurs choisis pour évaluer leur degré de réalisation, on peut tirer le constat suivant.

Les six objectifs de Dakar couvrent les différentes dimensions de l'EPT. Ils souscrivent ainsi à une approche en termes de capacités. Celle-ci se fonde, d'une part, sur la définition et le suivi d'objectifs sociaux pertinents en termes de création de capacités individuelles et institutionnelles. Elle se fonde, d'autre part, sur le respect du principe d’une justice sociale. Or, les six objectifs de l'EPT répondent à ces critères, à la condition toutefois qu'ils soient compris comme un ensemble cohérent, interdépendant et systémique. Cela signifie que sans considération des dimensions relatives à la qualité de l'éducation et à la diversité des besoins éducatifs fondamentaux (des petits enfants, des enfants, des adolescents et des adultes), l'EPT n'est pas en mesure d'engager une réelle dynamique de création des capacités.

Si la multidimensionnalité de l'EPT est reconnue d'un point de vue théorique dans les textes officiels (rapports internationaux de suivi EPT, rapports nationaux du PDDEB et du CSLP pour le Burkina Faso), il en va autrement du point de vue des logiques d'évaluation de l'EPT et du choix des indicateurs censés mesurer leur degré de réalisation.

En effet, on a pu observer en premier lieu que les logiques évaluatives privilégiaient l'analyse de l'efficacité, de l'efficience et de la cohérence du système éducatif sur celle de sa pertinence, à savoir l’acceptation du système par les acteurs (sur ses valeurs, son contenu et sur les politiques définies). Or, cette dimension, relative au droit, est cruciale pour l'atteinte des objectifs EPT car elle est un déterminant essentiel à l'adéquation de l'offre à la demande éducative.

En ce qui concerne ensuite le choix, la répartition et l'interprétation des indicateurs de suivi EPT, mais aussi ceux du PDDEB et du CSLP, on a également pu relever certaines difficultés voire manquements. Ceux-ci portent principalement sur les points suivants:

- difficultés liées à la mesure de la qualité (durée de la scolarité et volume horaire, absentéisme des enseignants, prise en compte de la diversité des besoins, y compris la question linguistique, et conditions d’apprentissage ex. cantines scolaires, santé des enfants et des apprenants) et à la mesure du niveau d'alphabétisation de la population (informations de type déclaratif et évaluation directe des connaissances); - répartition inégale entre les indicateurs du secteur formel d'éducation

relatifs à la scolarisation primaire universelle et ceux du secteur non formel relatifs à l'alphabétisation et à la formation des jeunes et des adultes;

- fragilité des données sur lesquelles reposent les indicateurs. Celle-ci provient avant tout du manque de capacités institutionnelles mais aussi de la provenance des données (non pas en raison de la diversité des sources de données mais de l'amalgame qui est fait parfois entre ces différentes sources de données) et du mode de calcul de certains indicateurs;

- faible désagrégation des données. Celle-ci empêche une analyse pertinente en termes de qualité et de droit;

- utilisation exclusive d'indicateurs répondant au critère de comparabilité spatiale par référence au cadre d'évaluation internationale. Ce choix obère les données qui pourraient être considérées comme pertinentes dans un contexte donné. Or ces données contextualisées contribuent à la définition et à l'orientation des politiques en matière éducative;

- non implication des acteurs locaux concernés dans la définition et le choix des indicateurs. Le choix des indicateurs n'est donc pas le fruit d'une concertation ouverte aux acteurs concernés et impliqués dans

l'évaluation des politiques éducatives mais celui d'un groupe d'experts au niveau international.

Pour ces différentes raisons et en regard des contraintes majeures qui pèsent sur les systèmes éducatifs des pays qui n'ont pas atteint l'EPT, comme le Burkina Faso (plus de 4,5 millions d’analphabètes adultes en 2006 (UIS), plus de la moitié des enfants ayant l'âge officiel n'est pas scolarisée), a émergé la volonté de mener une étude plus approfondie sur la problématique du droit à l'éducation en lien avec l'EPT et sur celle des indicateurs. Les indicateurs sont en effet un outil précieux d'orientation et d'action: ils orientent l'interprétation du droit lui-même (clarification des champs et des acteurs) et permettent d'évaluer les situations, les stratégies, leurs résultats et leurs effets sur le développement durable.

Par conséquent, l'objectif de cette étude a consisté à l'élaboration et au test d'un cadre d'évaluation permettant de mesurer le degré d'effectivité du droit à l'éducation sur la base d'un ensemble d'indicateurs. Ce cadre d'évaluation avait pour buts principaux:

- de rendre compte de la réalisation effective des objectifs de l'EPT par la mise en œuvre du droit à l'éducation de base;

- de considérer la multidimensionnalité de l'EPT en s'appuyant sur différentes capacités du système éducatif (cf. infra la méthode des capacités ou des 4 "A");

- d'intégrer le caractère systémique de l'EPT à travers la dynamique des droits humains. Le droit à l'éducation est compris dans l'ensemble du système des droits humains : l'analyse du champ à évaluer nécessite donc de comprendre les interactions avec les droits humains connexes, ainsi que les institutions et systèmes nécessaires à son implémentation; - de créer un outil d'évaluation opérationnel (cf. tableau de bord) qui se

fonde sur une logique de seuils. Ces seuils correspondent au noyau intangible du droit considéré et des droits connexes qui lui sont connexes. Il s'agit autrement dit des seuils de capacités (droits et libertés) sans lesquels le respect de la dignité humaine est impossible et des seuils de responsabilité des différents acteurs impliqués.

Dans ce but, l'étude s'est articulée autour de deux axes de recherche :

1. la création d'un partenariat de recherche au Burkina Faso pour la construction des indicateurs du droit à l'éducation et leur interprétation;

2. la définition d'une méthode d'observation du droit à l'éducation et d'une méthode de collecte des données y relatives afin d'assurer que les indicateurs revêtent un sens clair par rapport au droit et qu'ils reposent sur des données pertinentes et fiables.

Cette étude a été réalisée grâce à l'engagement de la Direction du développement et de la coopération suisse (DDC). Celle-ci a confié à l'Institut interdisciplinaire d'éthique et des droits de l'homme (IIEDH) deux mandats de recherche de deux ans (2001-2003 et 2003-2005)70 au sein desquels j'ai assuré la création et la coordination du partenariat de recherche. Ce partenariat s'est concrétisé par la formation d'un groupe de pilotage comprenant 16 chercheur(e)s d'horizon divers et acteur(e)s de l'éducation au Burkina Faso71.

Ce mandat est l'aboutissement d'une recherche initiée conjointement par l'IIEDH et la Chaire d'histoire et de politique économiques et d'un premier colloque portant sur "Les indicateurs du droit à l'éducation. La mesure d'un droit culturel, facteur du développement"72. Ce colloque, duquel me fut confié l'organisation, et auquel j'ai également contribué, s'est tenu en juin 2000 à l'Université de Fribourg. En respectant une démarche à la fois descendante (analyse des champs du droit à l'éducation compris dans le système des droits culturels et comme facteur de développement, en tenant compte de la diversité culturelle) et ascendante (analyse et évaluation des données existantes), ce colloque avait pour objectifs:

- de faire le point sur la définition du champ du droit à l'éducation à considérer et les difficultés posées (lien avec les autres droits culturels, notamment le droit à l'information, et dimension interculturelle);

- d'évaluer les problèmes logiques posés par les indicateurs existants au regard du droit à l'éducation compris dans sa logique culturelle ;

- d'analyser les conditions de faisabilité d'un système d'indicateurs assez objectif pour servir de source d'informations et d'analyse;

- d'orienter la suite de la recherche entre les partenaires concernés.

70 1er mandat 8B t.731-4 de mai 2001 à octobre 2003, Second mandat du 1er octobre 2003 au 31 décembre 2005 71 Koumba Boly-Barry, historienne; Maxime Compaoré, historien; Claude Dalbera, économiste et spécialiste

éducation-développement; Jean-Jacques Friboulet, économiste; Idrissa Kaboré, géographe-démographe; Jacques Ki, planificateur de l'éducation; Marie-France Lange, sociologue; Valérie Liechti, économiste; Patrice Meyer- Bisch, philosophe; Anatole Niaméogo, Prof, de Lettres; Marc Pilon, démogrpahe; Germaine Ouédraogo, économiste; Rosine Ouédraogo, linguiste; Adama Ouédraogo, psychosociologue; Salimata Sanou-Zerbo, planificatrice de l'éducation; Fati Ouédraogo, spécialiste de l'éducation, Thierry Lairez, statisticien.

72 FRIBOULET J.-J., MEYER-BISCH P., LIECHTI V. (éd.) [2000], Les indicateurs du droit à l’éducation. La

Comme le colloque de Fribourg l'a montré, le droit à l'éducation ne soulève pas que des difficultés de ressources, financières et humaines. Un autre obstacle est la grande inadéquation des systèmes de formation aux besoins éducatifs de la population, en particulier dans les pays d'Afrique subsaharienne. Il en est ainsi pour beaucoup d'habitants des campagnes où les écoles sont rares et sous-encadrées, pour les jeunes des villes qui ont massivement abandonné le cursus officiel, pour les filles qui sont souvent discriminées par rapport aux garçons. Par conséquent, l'application du droit à l'éducation n'est pas qu'une affaire quantitative de taux de scolarisation. Elle est avant tout une question qualitative reliée au bénéfice réel que les populations concernées retirent de l'éducation de base et des instruments d'alphabétisation.

Face à ce constat, il est apparu urgent de construire des indicateurs qui s'inscrivent en complément des indicateurs EPT existants. L'ensemble de ces indicateurs doit permettre à la fois un constat réaliste de la situation de l'éducation de base, l'analyse du développement du droit sur le long terme et l'émergence d'idées nouvelles quant à sa concrétisation. A cet effet, il doit considérer l'ensemble des acteurs qui interviennent dans la concrétisation du droit.

La méthodologie et l'ensemble des résultats de la recherche sur les indicateurs du droit à l'éducation menée au Burkina Faso de 2001 à 2005 sont présentés au chapitre 3 avec l'accord de la DDC.

CHAPITRE 3

LA MESURE DU DROIT À L’ÉDUCATION DE BASE