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5. La sécurité protectrice sert, selon A Sen, à fournir un filet de

1.6 LA MESURE DES CAPACITÉS

1.6.2 L’APPROCHE COMPLÉMENTAIRE

Cette approche se réfère aux procédures traditionnelles de comparaison interpersonnelle dans le domaine des revenus, mais les complète par une analyse des capacités. Comme le souligne A. sen, pour satisfaire des besoins pratiques, on peut, par cette voie, élargir la base d’informations. Les éléments ajoutés peuvent concerner soit les comparaisons de fonctionnements, soit des variables instrumentales autres que le revenu, et qu’on suppose devoir influencer la détermination des capacités. Ainsi, "(…) des facteurs tels que l’accès aux soins et leur qualité, les éléments de discrimination sexuelle dans la répartition familiale du revenu, la prévalence et l’amplitude du chômage, sont susceptibles d’apporter un éclairage supplémentaire à celui fourni par les mesures traditionnelles dans le champ des revenus. Ils peuvent aussi enrichir la compréhension générale des problèmes de pauvreté et d’inégalités en se surajoutant aux données déjà obtenues par les mesures d’inégalités ou de pauvreté liées aux revenus." [SEN, 2000]156

Cette approche est celle que le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) a suivi, au début des années 90, pour développer l’Indice de développement humain (IDH). En tant qu’outil d’évaluation des capacités et compte tenu de son importance et de son utilisation largement répandue, il convient ici d’en dire quelques mots.

L’IDH veut mesurer l’amélioration du niveau de vie à travers différentes capacités : vivre longtemps et en bonne santé, pouvoir s'instruire et avoir accès aux ressources nécessaires pour bénéficier de conditions de vie décentes. Son mode de calcul s’effectue sur la base de l’agrégation, selon différents coefficients de pondération, de trois indicateurs principaux : 1) l’espérance de vie, 2) la scolarisation et l’alphabétisation et 3) le revenu par tête. A noter que l’indicateur relatif au niveau d’instruction est la combinaison du taux d’alphabétisation des adultes (15 ans et plus), à coefficient double, et de l’indicateur de scolarisation combiné (tous niveaux confondus) à coefficient simple. L’IDH correspond ainsi à la moyenne arithmétique de la somme des trois indicateurs ainsi définis.

156 Ibid.

Echelonné sur une échelle de 0 à 1, l’IDH désigne à la fois le niveau atteint par un pays ainsi que le chemin qui lui reste à parcourir pour atteindre la note théorique maximale de 1. Le mode de calcul de l’indicateur repose sur une formule générale comprenant des valeurs minimales et maximales pour chacun des éléments retenus soit l'espérance de vie à la naissance, l'alphabétisation des adultes à partir de 15 ans, le taux brut combiné de scolarisation et enfin le PIB réel par habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA). Ces valeurs plafond et plancher sont fixées en fonction de différents critères. Dans le cas de l'indicateur du revenu, par exemple, une fourchette allant de 100 PPA à 40'000 PPA est établie sur le principe qu'un revenu illimité n'est pas nécessaire pour atteindre un niveau de développement humain jugé acceptable157. Ce mode de calcul permet ainsi de procéder à

des comparaisons internationales entre les pays qui les classent en trois catégories : les pays à IDH élevé, les pays à IDH moyen et les pays à IDH faible.

L’IDH ne prétend pas couvrir l’ensemble des dimensions relatives au développement humain telles que la participation à une vie culturelle et sociale, la sécurité, la viabilité, le respect et la garantie des droits de l'homme158. Le concept demeure évidemment plus profond et riche que ce que peut en restituer n'importe quel indicateur composite. Néanmoins, "(…) l'IDH apporte une mesure plus complète du bien-être humain que la simple constatation d'un revenu suffisant ou d'un déficit de revenu." [PNUD, 2000]159 Partant de là, on peut estimer que l’IDH offre des perspectives nouvelles en matière d’évaluation. A ce titre, il soulève un certain nombre de critiques.

Par son mode de calcul, l’IDH met sur un même plan les libertés substantielles (scolarisation, alphabétisation, espérance de vie) et les libertés instrumentales (revenu) qui sont consubstantielles au développement. Il confond ainsi les moyens et les fins du développement. En outre, si l’IDH mesure l’accès aux capacités, il ne dit rien sur le degré d’inaccessibilité, voire le non accès aux capacités. Or, cette question est centrale. Elle exprime notamment une contrainte réelle qui pèse sur les personnes et les institutions. Pour pallier ce manque, le PNUD a créé en 1997 l’indice de pauvreté humaine (IPH)160. Cet indice renseigne sur le déficit de capacités ou le dénuement des personnes à travers le risque de décéder avant l’âge de quarante ans, le taux d’analphabétisme, le non accès aux services de santé et

157 PNUD [2000], op. cit., p. 269 158 Ibid. p. 17

159 Ibid. p. 147

160 L’indicateur du développement humain (IDH) est complété en 1995 par un indicateur sexospécifique du

développement humain (ISDH) et un indicateur sur la participation des femmes (IFP) puis, en 1997, par un indicateur de pauvreté humaine (IPH). Ce dernier donne la mesure du déficit de capacités participation à la vie sociale.

à l’eau potable ainsi que le degré de malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans.

Ces observations suscitent deux remarques. D’une part, la mesure des capacités ne peut pas se réduire à un indice composite, même complexe. Elle suppose une variété d’instruments pour saisir le caractère multidimensionnel des capacités et pour assurer une diversité des angles d’observation. D’autre part, l’approche par les capacités renvoie obligatoirement à la question des droits humains. Par conséquent, hormis la question des ressources, l’évaluation doit porter sur celle de l’accessibilité aux droits. C’est sur cette double dimension comprenant les droits et les ressources que repose l’approche par les capacités.

Quant à l’utilisation qui peut être faite de l’IDH par les populations en tant qu’outil d’information, de gouvernance et de développement, elle pose problème. En effet, outre la difficulté de compréhension du sens même de l’indicateur, en raison notamment de son mode de calcul complexe, l’IDH ne permet pas, à première vue, de rendre compte des disparités importantes que peuvent cacher les valeurs moyennes. Dans la mesure du possible, les données devraient être désagrégées par sexe, par zones (urbain-rural) et par secteur (ex. éducation formelle et non formelle). Aussi, l’IDH désagrégé par sexe et par zone s’avère-t-il déjà nettement plus pertinent161. Enfin,

l’instrument doit privilégier une analyse dynamique et contextuelle des données à une analyse statique par comparaison et classification des résultats qui suscite bien plus de controverses qu’elle n’apporte de solutions. Pour illustrer ceci, prenons l’exemple de l’alphabétisation au Burkina Faso, sur lequel nous nous pencherons longuement par la suite. En 1998, le taux d’alphabétisation de la population de 9 à 45 ans se situait à 26 % selon le Ministère de l’éducation de base et de l’alphabétisation (MEBA). D’ici à 2010, le Plan décennal de développement de l’éducation de base (PDDEB) prévoit d’atteindre un taux de 40 %. Cet objectif paraît modeste eu égard aux objectifs de l’éducation pour tous (EPT) mais, en réalité, il demeure élevé en regard des contraintes qui pèsent sur le système éducatif burkinabé. En premier lieu, il implique pour le secteur formel le passage du taux brut de scolarisation des enfants au cycle primaire de 40 % à 70 % en moyenne au niveau national. Cette progression ne garantit ni la rétention des enfants à l’école ni l’acquisition d’un minimum de connaissances. Il implique ensuite, pour le secteur non formel, un accroissement de la capacité d’accueil des programmes d’alphabétisation de l’ordre de 37 %162. Concrètement, cela correspond au passage progressif d’environ 200'000 personnes inscrites par

161 PNUD [2000], op. cit., pp. 150-155

an à environ 375’000 en 2010. Ces efforts se mesurent également qualitativement. Considérant le taux de déperdition, la contrainte apparaît d’autant plus forte. A titre d’exemple, en 2003, ce taux atteignait 44 % pour la première année d’alphabétisation dans la Province du Sanmatenga. A la lumière de ces quelques données, on perçoit différemment la réalité de la question de l’alphabétisation. Celle-ci ne se résume pas seulement à un résultat atteint, dont la validité paraît d’autant plus douteuse qu’il est considéré comme un stock cumulé et immuable de personnes et de connaissances. L’alphabétisation est une capacité. Elle n’apparaît donc plus comme un chiffre attestant du niveau acquis au sein de la population mais comme un ensemble de dimensions auxquelles il convient de prêter attention pour apprécier la dynamique engagée. Parmi celles-ci on retient l’accessibilité du système éducatif (qui a accès ?), sa dotation (quelle est la capacité d’accueil ?), son acceptabilité (le système éducatif est-il légitimé par les acteurs ?) et, enfin, son adaptabilité (le système est-il adapté aux réelles attentes des acteurs ? Quels acquis et quelles sont les contraintes qui pèsent sur le système ?).

Revenons maintenant à la troisième voie définie par A. Sen pour évaluer les capacités.