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L’enracinement des dirigeants familiaux

Dans le document «Etude du comportement stratégique de (Page 129-134)

Management, développement et pérennité de l’entreprise familiale

Section 1. Le management des entreprises familiales : une gestion des spécificités, et soucis de continuité familiale

B. La communication comme axe majeur de l’introduction

1.3. L’enracinement des dirigeants familiaux

Le contexte dans lequel le capitalisme familial reprend vigueur au cours des années 80 et 90 (Allouche et Amann, 2000), sollicite de réelles dispositions stratégiques de la part des dirigeants familiaux qui souhaitent développer l’entreprise et rester au pouvoir.

La volonté d’enracinement est visible chez ceux qui négligent les questions de succession, s’identifient de manière viscérale à l’entreprise, ou entretiennent une confusion des rôles familial et entrepreneurial, «on parle d’effet spillover lorsque l’entreprise devient un prolongement de la famille et vice versa» (Pichard-Stamford, in Caby et Hirigoyen, 2002, p 58).

Les comportements dynastiques1 qui consistent à assurer la transmission de l’entreprise à l’intérieur du périmètre familial, peuvent être aussi interprétés comme un enracinement intergénérationnel visant à contrôler la chaîne des successions.

1.3.1. Le processus d’enracinement

Le processus d’enracinement du dirigeant familial au sein d’une entreprise familiale diffère de celui du dirigeant de l’entreprise non familiale.

Les entreprises non familiales qui recrutent en interne leur dirigeant, choisissent avant tout, la personne qui s’accorde le mieux avec l’orientation stratégique de l’entreprise.

Ses latitudes managériales sont alors limitées dès le départ de son mandat, car presque tout ce qui est à changer, et ce qui ne l’est pas, lui sont à priori fixés.

Le dirigeant aura même tendance à déléguer beaucoup de décisions et à limiter les changements stratégiques. Ceci s’explique par le fait que son enracinement est conditionné par la performance de l’entreprise et il est contraint au départ au moment où il y a mauvaise performance. Mais lorsque le dirigeant est sélectionné en externe - c’est surtout lorsque l’entreprise subit de mauvaises performances qui appellent des bouleversements stratégiques pour rétablir la situation chaotique- le dirigeant ainsi recruté ne subit pas les contraintes précédemment étudiées pour le dirigeant sélectionné en interne. Bien au contraire, dès le début de son mandat, il est en position de force. Car, il dispose d’un capital spécifique qui rassure les parties prenantes de l’entreprise dans des moments difficiles. Ce qui lui donne

1Une entreprise dynastique est une entreprise familiale qui a été possédée et gérée par la même famille pendant une période égale ou supérieure à quatre générations. Parmi les pays ayant une longue tradition dynastique, l’on trouve des pays aussi divers que l’Inde ayant connu dès le 18èmesiècle des dynasties de marchands dont quelques unes (les TATA et les BIRLA) sont devenus des dynasties d’industriels, ou la Suède où une famille, les Wallenberg, contrôle une partie considérable de l’activité puisqu’un ouvrier suédois sur quatre travaille pour elle

alors un avantage par rapport aux administrateurs auxquels ces compétences manquent (ce qui a d’ailleurs justifié la nécessité du recrutement du dirigeant de l’externe).

Dans l’entreprise familiale, il y a verrouillage familial des organes de contrôle qui permet tout à la fois de préserver le périmètre familial et affaiblir les éventuels successeurs externes. L’enracinement du dirigeant familial s’effectue de manière plus simple que par rapport aux cas précédents des entreprises non familiales. Le fait d’appartenir à la famille, donne sa légitimité au dirigeant dès le début de son mandat. Mais lorsqu’il s’agit d’un dirigeant successeur non familial, celui-ci peut subir plusieurs contraintes qui vont limiter son enracinement.

Ainsi, lorsqu’il succède directement au fondateur, et que ce dernier aurait exercé le pouvoir dans son entreprise pendant une longue période, le nouveau dirigeant peut être confronté à une situation très délicate. Le départ du fondateur peut entraîner sur son sillage des ruptures de bon nombre de relations qu’il avait nouées durant son « très long mandat » qui a commencé dès la création de l’entreprise. Sans en arriver à une destruction totale de l’adéquation entre l’entreprise et son environnement, la situation de départ du successeur qui débute son mandat, a devant lui une situation très difficile à gérer. Celui-ci peut également dans un autre cas de figure faire face à l’ « ombre du successeur » (Frédy-Planchot, in Caby et Hirigoyen, 2002).

Le prédécesseur peut influencer et limiter les marges de manœuvre du successeur par diverses manières. Il peut par exemple, en sortant de la direction, intégrer personnellement les organes de contrôle, ou bien veiller à y placer ses anciens collaborateurs. Le prédécesseur peut même l’avoir choisi intentionnellement le successeur au poste de direction qu’il occupe, non pas pour ses compétences mais parce qu’il est une « personnalité effacée » qui va lui permettre de continuer à peser de tout son poids sur les orientations de l’entreprise.

Ce verrouillage familial contribue alors à l’affaiblissement de la relation turn over/performance dans le poste de dirigeant lorsque le contrôle familial est direct et à son renforcement lorsqu’il est indirect.

Cependant, malgré les facilités d’enracinement du dirigeant familial (n’étant pas conditionné par les exigences de performances), l’agrandissement de la famille augmente les risques de conflits. Il devient alors plus sage au dirigeant familial de faire preuve d’aptitudes à

les pressions des membres de la famille, notamment lorsque ceux-ci ont des pouvoirs de sanctions (vente des actions de l’entreprise familiale).

En poursuivant son mandat, et une fois la période initiale d’acclimation au poste de dirigeant, sa liberté, qui était avant limitée, commence à s’organiser en profitant de son apprentissage initial (tiré de la phase d’acclimatation) jumelée à ses propres compétences qu’il a accumulées durant sa carrière professionnelle, pour en construire un capital spécifique qui lui servira à organiser l’entreprise du point de vue des structures, des procédures à sa propre manière. Aussi, le dirigeant peut exploiter la spécificité de son capital ainsi construit pour tirer profit de la difficulté que va rencontrer le conseil d’administration pour l’évaluer et le contrôler, ce qui va augmenter conséquemment alors son pouvoir.

Le dirigeant pourra ainsi s’enraciner de diverses manières et non seulement en s’affranchissant de la contrainte initiale (qu’exerçait le conseil d’administration sur ses latitudes managériales) mais aussi en exploitant la spécialisation de son capital humain pour influencer ses collaborateurs et subordonnés à travers l’ébauche d’image de compétence, d’identification, de dépendance ou de persuasion qui seront autant de méthodes d’influence utilisées dans la conduite d’un projet ou d’un programme quelconque (Frédy-Planchot, in Caby et Hirigoyen, 2002).

La dernière phase du mandat du dirigeant correspond au moment où il se désintéresse de son poste. Cette situation peut avoir pour origine bon nombre de facteurs, notamment d’ordre psychologique qui consistent en des questionnement personnels et professionnels qui vont rendre le dirigeant sujet à un vide et une confusion profonde (le dirigeant devient désenchanté de son succès professionnel en prenant conscience des coûts de sa réussite : problèmes de santé, négligence de son rôle de parent, etc.).

Il s’agit alors d’une phase de consommation de pouvoir qui fait courir un risque énorme à l’entreprise notamment lorsque l’on n’a pas encore préparé la succession, car avec le désengagement du dirigeant toute l’équipe qu’il animait peut être bloquée par ce vide.

A cette fin de mandat, le dirigeant aurait maximisé son pouvoir, son comportement s’oriente alors vers la consommation de son pouvoir. Il aura tendance à prendre certaines décisions spécifiques : réduction des dépenses de recherche et développement, prise de décisions plus risquée, laisser le dividende et le payout fluctuer plus librement (Pichard-Stamford, in Caby et Hirigoyen, 2002).

Par contre, dans les entreprises familiales, cette phase de consommation du pouvoir est moins visible parmi les dirigeants familiaux en vertu de deux raisons essentielles et contradictoires (Pichard-Stamford, in Caby et Hirigoyen, 2002) : le dirigeant familial a tendance à prolonger le plus possible son mandat (ce qui peut l’inciter même à négliger de préparer la succession) et le désir de transmettre l’entreprise à un descendant afin d’assurer la continuité familiale de l’entreprise. De ce fait, et contrairement aux entreprises non familiales, le dirigeant familial en fin de son mandat aura tendance au conservatisme dans ses prises de décisions.

Dans la confrontation de l’enracinement du dirigeant familial avec le développement de l’entreprise, le dirigeant familial a tendance à négliger la question de la croissance de l’entreprise, lorsque celle-ci peut mettre en jeu son enracinement. Ceci le conduit alors à privilégier des politiques financières très conservatrices affichant des niveaux d’endettement très bas et insuffisants pour concrétiser des opérations de croissance. Ce fait a été validé empiriquement, comme l’étude menée par Allouche et Amann (2002) pour le cas français.

Toutefois, lorsqu’il s’agit de petites entreprises familiales, celles-ci subissent les mêmes contraintes que les PME non familiales en matière d’accès au financement bancaire.

1.3.2. La structuration informelle du pouvoir à travers le capital relationnel

Un dirigeant peut agir de telle sorte qu’il devienne de plus en plus difficile à d’autres candidats pour prétendre le remplacer. Celui-ci peut adopter des stratégies de diversification qui vont renforcer la complémentarité de ses compétences avec les caractéristiques de l’entreprise. En effet, le pilotage de l’entreprise qui intervient sur plusieurs secteurs devient plus complexe. De plus, les compétences du dirigeant s’élargissent et s’approfondissent, le rendant irremplaçable par une autre personne. Toutefois, les études empiriques ont montré que la stratégie de diversification reste marginale pour les entreprises familiales par rapport à leur forte tendance à la spécialisation.

La spécialisation de niche peut également constituer un vecteur d’enracinement du dirigeant dans la mesure où elle lui permet d’enrichir son capital relationnel qui va s’accumuler à travers les liens interpersonnels qui découlent des relations de coopération avec

A partir de cela le dirigeant devient l’intégrateur d’un faisceau d’informations informelles qui enrichit son portefeuille de compétences spécifiques et de connaissances tacites pour gouverner l’entreprise.

Le système apparaît d’autant plus efficace, qu’il se justifie du point de vue de l’organisation par le fait que «le capital relationnel externe du dirigeant se transforme en capital organisationnel pour l’entreprise qui bénéficie des économies réalisées. Celles-ci, non seulement, en termes de mécanismes de sauvegarde et de la plus grande flexibilité des échanges (qui évoluent avec le temps en fonction des informations additionnelles progressivement incorporées par les acteurs), mais également en fonction d’un apprentissage de la confiance» (Pichard-Stamford, in Caby et Hirigoyen, 2002, p 60).

1.3.3. La comparaison des cycles d’enracinement des dirigeants familiaux et des dirigeants non familiaux

La littérature souligne que l’enracinement du dirigeant de l’entreprise non familiale qui a été sélectionné en interne s’effectue grâce aux performances qu’il réalise par rapport aux objectifs stratégiques initiaux pour lequel il a été engagé tandis que les mauvaises performances vont les contraindre à abandonner le poste.

Cette dépendance (ou fragilité) de la position du dirigeant est atténuée lorsque celui-ci est recruté hors de l’entreprise qui peut être le résultat de changements radicaux dans l’organisation de la direction de l’entreprise suite à de mauvaises performances.

Cette situation va conférer au dirigeant un pouvoir plus important par rapport aux administrateurs. En effet, ses compétences vont lui conférer un capital spécifique à partir duquel il aura un différentiel de pouvoir par rapport à l’équipe des administrateurs.

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