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L’attention sur-sollicitée des programmateurs

LES RELATIONS ENTRE COMPAGNIES ET STRUCTURES DE DIFFUSION

1. L’attention sur-sollicitée des programmateurs

Certaines déclarations ont indiqué que les propositions de spectacles reçues par les structures étaient de 3 000 par an pour un établissement culturel de ville43 et 10 000 pour une scène natio-

nale44 toutes disciplines confondues. Les personnes en charge de

la programmation ont souvent déclaré dans les entretiens recevoir environ 300 à 400 courriels par jour. L’alourdissement des tâches administratives des directions de structures réduit la capacité de traitement de cette masse d’informations et la possibilité de se dépla- cer pour assister aux représentations de ces spectacles.

Les entretiens ont interrogé les personnes en charge de la pro- grammation sur leurs façons de gérer ce flux informationnel et les

42. Ibid., p. 30.

43. Michel Lefeivre, président du SNSP, journée d’étude « Les relations entre les directions des scènes publiques et les équipes artistiques », 19 février 2019, Etoile du Nord. 44. Directeur, structure 7.

modes opératoires éventuels pour attirer leur attention. Il en découle quelques recommandations souvent déjà prises en compte par les compagnies interrogées lors des études de cas dans leurs stratégies de communication.

Le traitement des informations par les programmateurs et programmatrices

L’attention des programmateurs et programmatrices est sollicitée par un flux croissant de courriels plus important que les courriers ou envois de dossiers en papier. Pour les lieux repérés, les réponses à toutes les sollicitations seraient trop chronophages pour les res- sources humaines disponibles dans leur équipe permanente.

“ Déjà nous sommes inondés à la fois par le net, que ce soit sur les réseaux sociaux ou par mails. La gestion des courriels, c’est terrible ; donc forcément le matin quand on arrive, on ouvre la boite et on met des croix, et on doit passer à côté de beaucoup de choses. ”

(Directeur, structure pluridisciplinaire 13)

La personnalisation des messages avec un contenu adapté aux objectifs de programmation de la structure est un préalable pour envisager leur lecture. Une méthode de tri pour orienter la lecture des propositions et le consentement à y répondre s’appuie sur les connaissances personnelles des compagnies, notamment celles qui ont été déjà programmées ou accueillies en résidence.

“ Et s’il faut répondre à tous, alors c’est un autre cadre, c’est un métier à part entière. C’est le rôle d’un directeur artistique mais nous, au vu de notre structuration, ce n’est pas tenable physiquement et dans le temps imparti. Donc les seuls retours qu’on peut faire, c’est quand on connaît et que l’on a coproduit, ou une compagnie déjà accueillie. ”

(Directrice déléguée, structure dédiée 9)

“ Je reçois 300 à 400 courriels par jour ; je les regarde quand ils sont per- sonnalisés. Je réponds à mes collègues et aux artistes que je connais. ”

(Directrice adjointe, structure pluridisciplinaire 17)

Les recommandations de collègues mais aussi la lecture des lieux qui se sont déjà engagés dans le soutien au projet constituent des filtres pour l’attention prêtée aux sollicitations selon les affinités nouées avec les sensibilités esthétiques et la conduite des projets de ces collègues.

“ Pour les compagnies que je ne connais pas et que je n’ai pas vues, je regarde les plaquettes et quand je vois que c’est une compagnie qui a été diffusée dans un lieu que je connais, je le mets dans ma case à rappeler ou à voir. C’est le réseau qui marche, qui m’amène à connaître les artistes que je ne connaîtrais pas. ”

(Directrice, structure dédiée 4)

Les propositions écrites de spectacles, si elles sont lues, ne suffisent pas en soi à prendre une décision de programmation en général. Elles créent les conditions d’un échange téléphonique, préalable à la rencontre avec des membres des directions des struc- tures pour approfondir la présentation du projet. Inversement, les rencontres qui ont déjà eu lieu avant l’envoi du message accroissent la probabilité de capter l’attention de son destinataire au sein de la structure.

Pour certaines directions de structures, le dossier artistique constitue un objet important pour attirer l’attention sur la possibilité d’une programmation par des traits saillants dans l’écriture et les documents visuels, surtout s’il s’agit de compagnies peu réputées.

“ Pour les compagnies émergentes, il n’y a pas beaucoup de critères. Donc s’il y a quelques visuels, un teaser de quelques minutes, pour moi ça va être des déclencheurs. Pour le spectacle X, j’ai été dans les premiers à les accueillir en lien avec le CCN du Havre – c’est avec la vidéo que j’ai vu que le travail était intriguant. Et aujourd’hui ils tournent dans tous les sens. ”

(Directeur, structure dédiée 3)

L’absence de réponse à court terme ne signifie pas forcément que l’objet de la sollicitation a été ignoré par son destinataire. Plu- sieurs personnes interrogées ont indiqué pratiquer des classements thématiques des propositions reçues, en fonction des axes de la programmation, et reporter la lecture des vidéos et des contenus des dossiers non prioritaires à leur période de vacances.

L’attraction de l’attention des programmateurs laisse aussi une place au hasard. En dehors des filtrages couramment utilisés selon les connaissances personnelles des artistes ou de professionnel∙les qui les soutiennent, la subjectivité intervient dans les choix de lecture des autres sollicitations. La démarche peut être intuitive en s’appuyant sur un faisceau d’indicateurs thématiques qui attirent l’attention du moment pour décider de lire certains messages ou être difficilement explicable.

(Codirectrice, structure 16)

“ Il n’y a pas beaucoup de places pour la réelle découverte, c’est-à-dire ce qui n’est pas encadré. Et pourtant ça marche quand même. […] Je dis ça parce que cette année j’ai programmé quelqu’un. Je ne sais même pas d’où il sort, pourquoi j’ai ouvert le mail, pourquoi j’ai pris le temps de regarder le teaser, pourquoi j’ai passé à une autre personne de mon équipe. Il n’y avait aucune raison que j’ouvre ce mail plutôt qu’un autre. C’est totalement irrationnel. Après ça représente deux spectacles par an ; le reste, ce sont des fidélités, des découvertes dans un cadre donné. ”

(Directeur, structure 7)

Les démarches contreproductives

Une connaissance minimale de la ligne de programmation des structures est nécessaire pour sélectionner les destinataires d’une proposition de spectacle, susceptible d’entrer en résonance avec les objectifs du projet artistique et culturel. Les envois massifs de messages standardisés sont rejetés d’emblée.

La charte déontologique du Groupe des 20 en Auvergne-Rhône- Alpes a été cosignée avec des représentants des compagnies afin de réguler les flux de communication et permettre les réponses des structures dans un délai raisonnable. Elle souligne la néces- sité de prendre connaissance du projet artistique de la structure afin d’anticiper la possibilité d’une programmation avant l’envoi d’une sollicitation. Certaines compagnies ne se sont pas encore appropriées cette règle évidente.

Le phénomène de massification de la communication numérique globalisée, observé par des directions de structures, peut être mis en rela- tion avec les difficultés de diffusion des compagnies chorégraphiques.

“ A tous les festivals de rue ils ont envoyé un mail qui est similaire. C’est compliqué et révélateur de leurs difficultés, ils tapent un peu partout de façon uniforme. On faisait la remarque lors de la dernière réunion de notre réseau régional : […] depuis cinq ans, c’est de pire en pire et, au niveau de la danse c’est de pire en pire, parce qu’il y a, je pense, de moins en moins de programmation de danse dans les salles pluridisciplinaires. ”

(Directrice, structure pluridisciplinaire 19)

“ Le style écrit du dossier peut indisposer des programmateurs atta- chés à la simplicité du discours pour refléter la dynamique vivante du spectacle de danse proposé et rétifs au « jargon philosophique ». ”

(Directrice, structure dédiée 11).

La place de la danse dans les structures pluridisciplinaires ou non spécialisées en danse

L’étude d’Arcadi sur la diffusion de la danse en Île-de-France de 2003 à 2012 a indiqué une tendance à la réduction de la place de la danse dans les lieux de diffusion pluridisciplinaires non labellisés, en contraste avec la hausse du nombre de représentations choré- graphiques dans les lieux dédiés à la danse45. L’étude d’Opale et

d’Arcadi sur les théâtres de ville franciliens confirme cette tendance à la baisse du poids de la danse dans leur programmation en com- parant les saisons 2011-2012 et 2012-2013 au profit du théâtre, des arts de la marionnette et du théâtre d’objets46.

Les structures pluridisciplinaires ayant renseigné le nombre de spectacles et de représentations par domaine artistique pour les trois saisons de 2014/2015 à 2016/2017 sont constituées de 22 éta- blissements culturels de ville, 23 scènes conventionnées, 23 scènes nationales, 5 CDN et 13 autres structures (dont des festivals, EPIC et lieux indépendants). Les données des tableaux sont centrées sur les trois premiers types de structures pluridisciplinaires, les plus représentatifs de leur catégorie.

Alors que les directions des structures 11 et 16 ont indiqué en entretien la plus forte attractivité actuelle des arts du cirque auprès des publics, les réponses de l’échantillon sur l’évolution du nombre et de la part des spectacles de danse dans la programmation des structures pluridisciplinaires ne corroborent pas un phénomène de substitution de la danse par les arts du cirque. Il convient néanmoins de prendre en compte le biais possible d’auto-sélection avec un recueil de données auprès des directions de structures plus motivées par la programmation chorégraphique.

La progression du poids des arts de cirque dans la programma- tion n’a pas empêché une hausse de la part des spectacles de danse pour les scènes conventionnées. Dans un contexte où le nombre moyen de spectacles programmés par les scènes nationales répon- dantes a légèrement reculé au cours des trois saisons, en passant de 54 en 2014/2015 à 52,7 en 2016/17, la part de la danse s’est stabilisée. Le renforcement du poids des arts du cirque dans la programmation s’est plutôt effectué au détriment du théâtre et des autres domaines artistiques.

Nombre moyen de spectacles programmés par les structures pluridisciplinaires selon le domaine artistique (saisons 2014/15 à 2016-17)

45. Arcadi, « La diffusion des spectacles de danse en Île-de-France de 2003 à 2012 », Cultures en Île-de-France # 2, 2013, p. 13-14.

46. Bruno Colin, « Approche de l’activité des théâtres de ville franciliens (2012-2013). Un portrait économique des scènes publiques permanentes », Cultures en Île-de- France # 5, 2016, p. 21.

Danse Théâtre Cirque Autres Total

2014/ 2015 2015/ 2016 2016/2017 2014/ 2015 2015/ 2016 2016/2017 2014/ 2015 2015/ 2016 2016/2017 2014/ 2015 2015/ 2016 2016/2017 2014/ 2015 2015/ 2016 2016/2017 Etabl. Cult. Ville 4,5 4,8 4,4 11,8 11,4 11,2 2,8 2,2 2,5 12,6 13,8 13,6 31,8 32,4 31,7 Scène Convent. 11,0 10,6 11,7 12,7 12,1 13,1 3,2 4,2 4,4 13,0 13,2 12,7 41,7 40,5 41,9 Scène Nationale 11,1 10,7 10,9 17,5 16,2 16,7 5,8 5,7 6,3 19,7 18,3 18,9 53,2 53,9 56,3

Pourcentage moyen de spectacles programmés par les structures pluridisciplinaires selon le domaine artistique (saisons 2014/15 à 2016-17)

Danse Théâtre Cirque Autres

2014/ 2015 2015/ 2016 2016/2017 2014/ 2015 2015/ 2016 2016/2017 2014/ 2015 2015/ 2016 2016/2017 2014/ 2015 2015/ 2016 2016/2017 Etabl. Cult. Ville 14,0 14,7 13,9 37,1 35,3 35,2 8,9 6,7 8,0 40,1 43,3 42,8 Scène Convent. 26,3 26,1 27,9 30,6 29,9 31,3 7,6 10,3 10,6 35,6 33,7 30,2 Scène Nationale 20,9 19,8 19,3 32,9 30,1 29,6 10,9 10,6 11,3 35,3 39,5 39,9

Le nombre moyen de représentations chorégraphiques est resté assez stable pour les établissements culturels de ville et les scènes conventionnées qui ont répondu au questionnaire tandis qu’il a augmenté au même rythme que le nombre total de représentations pour les scènes nationales répondantes.

La diversification de la programmation au cours de la période s’est effectuée par la musique pour les établissements culturels de ville, par le théâtre pour les scènes conventionnées, par le théâtre et les arts de la marionnette pour les scènes nationales. Le poids des arts du cirque est resté stable pour ces dernières et a un peu diminué pour les établissements culturels de ville et les scènes conventionnées.

En conclusion de cette section, les démarches contreproduc- tives de certaines compagnies dans un contexte de sur sollicitation des programmateurs portent notamment sur des envois groupés de courriels standardisés. Les connaissances personnelles des choré- graphes, d’interprètes ou de directions de structures associées au montage du spectacle accroissent la probabilité de capter l’attention, tout en laissant une place au hasard. La réduction de la part de la danse dans la programmation des structures pluridisciplinaires, pointée par les études franciliennes antérieures, n’est pas corroborée par les réponses au questionnaire, tandis que l’exploitation de la base de données de la SACD a indiqué une stabilisation de cette part dans les structures de diffusion labellisées et un recul des scènes et saisons municipales en 2014.

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