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Daniel Urrutiaguer, Laure Ciosi, Gilles Suzanne, « La diversification de l’offre des établissements culturels patrimoniaux dans les Métropoles du Grand Paris et

L’évolution de la fréquentation des spectacles de danse

60. Daniel Urrutiaguer, Laure Ciosi, Gilles Suzanne, « La diversification de l’offre des établissements culturels patrimoniaux dans les Métropoles du Grand Paris et

d’Aix-Marseille-Provence par le spectacle vivant », in Yann Nicolas (éd.), Modèles économiques des musées et des bibliothèques, Paris, La Documentation française, p. 91-140.

Le témoignage de cette chorégraphe entre en résonance avec la perception d’une crise de la diffusion chorégraphique par des compagnies, exposées à des difficultés accrues pour capter des opportunités de représenter leurs spectacles sur des séries. La mise en avant des contraintes budgétaires par les lieux pluridisci- plinaires paraît pour certaines équipes comme amplifiée par le choix de davantage préserver la programmation théâtrale en reportant davantage l’impératif de remplir la jauge de la salle sur les compa- gnies chorégraphiques.

“ C’est souvent dans la danse que ça coupe. Des lieux qui voulaient programmer deux pièces et qui n’en programment qu’une. On fait de moins en moins de séries, même sur les petites jauges de 300- 400 places. ”

(Administratrice, compagnie 6)

L’importance des séries de plusieurs représentations pour les chorégraphes afin de permettre à un spectacle de danse de gagner en maturité esthétique, en relation avec l’écoute des spectateurs, et en visibilité professionnelle a été confirmée dans les entretiens. Par exemple, la chorégraphe de la compagnie 16 a indiqué avoir vu « l’écart foudroyant entre la première et la sixième représentation » de sa dernière création dans un contexte où la présence massive des programmateurs à la première fragilise le devenir de la diffusion des pièces.

En réponse à la question sur l’importance de différents moyens pour développer le public, les structures répondantes ont considéré accorder peu d’importance à l’allongement des séries de repré- sentations avec une note d’importance moyenne de 0,94 sur 3. Leurs équipes se démarquent ainsi de la croyance partagée par de nombreux chorégraphes sur le pouvoir d’amplification de la fré- quentation prêté aux séries de représentations en faisant jouer le bouche-à-oreille. Il n’y a pas de différence majeure dans cette échelle d’opinion entre les structures selon leur évolution du nombre de représentations chorégraphiques ou l’origine géographique domi- nante des compagnies de danse programmées.

Parmi les structures qui ont répondu à la question sur l’évolution de leur nombre de représentations par spectacle et ont renseigné l’évolution du total de leurs représentations, 40 ont déclaré un allon- gement des séries, 74 une stabilité et 13 une baisse. L’évolution de la longueur moyenne des séries de représentations chorégraphiques est corrélée positivement à celle du nombre total de représentations en danse, donc à celle de la fréquentation des spectacles choré- graphiques.

Nombre et pourcentage des structures selon l’évolution du nombre moyen de représentations par spectacle en fonction de l’évolution du total des représentations en danse de 2014/15 à 2016/17

La volonté d’équilibrer la composition des salles en limitant le nombre de groupes scolaires dans les représentations tous publics peut se manifester par une obligation de réserver un abonnement pour les groupes accueillis.

“ À partir du collège, nous ne faisons plus d’accueil en séances sco- laires. Les élèves doivent se sentir comme de vrais spectateurs. […] Nous ne dépassons pas trois à quatre classes par salle pour l’équi- librage à condition qu’un abonnement de trois spectacles ait été souscrit afin de créer un lien plus long, un point de rencontres et de comparaisons. ”

(Directrice, structure pluridisciplinaire 5)

Dans certaines configurations, la formule de l’abonnement peut être jugée inappropriée par des directions de structures, en raison soit de la volatilité des choix des spectateurs et spectatrices qui prennent leurs décisions de sorties tardivement et ne souhaitent pas « être badgé∙es » (Directeur, structure 12), soit de la nécessité d’entrer en partenariat avec des centres sociaux pour éveiller un désir de sortie dans l’établissement culturel auprès de la population locale majoritairement pauvre (Directeur, structure pluridisciplinaire 18).

Les cartes Pass constituent une formule d’abonnement illimité pendant une période donnée en contrepartie du versement d’un forfait. Elles incitent des spectateurs et spectatrices à densifier leurs sorties dans l’établissement culturel et à diversifier leurs choix en prenant plus de risques dans la découverte d’œuvres et d’équipes qu’ils ne connaissent pas. Ce qui contribue à élargir la culture cho- régraphique des personnes concernées.

“ Et ce qu’on n’avait pas prévu, c’est qu’avec l’abonnement ils choi- sissent ce qu’ils pensent qu’ils vont aimer ; avec la carte Pass ils viennent voir des spectacles qu’ils n’auraient pas choisis. Et ils se sont aperçus qu’ils ont apprécié des spectacles qu’ils n’auraient pas choisis. Donc ça va à l’encontre de cette fausse idée comme quoi on choisit bien. Des gens qui ne seraient jamais venus voir de la danse sont venus. ”

(Directeur, structure pluridisciplinaire 10)

La durée courte d’une carte Pass est un obstacle à sa diffusion. Une temporalité assez longue est nécessaire pour passer de la fré- quentation de spectacles pour lesquels on anticipe une satisfaction à la prise de risques pour découvrir des propositions inconnues

“ On a essayé de voir sur les temps forts, comme X qui regroupe des spectacles dans lesquels certains domaines artistiques se croisent, la musique, le théâtre parfois et la danse ; on a fait des Pass pour ça et ça ne fonctionne pas. ”

(Directrice, structure pluridisciplinaire 19)

Les séries de représentations

“ Les chiffres parlent d’eux-mêmes ; on a vu, en moins de 15 ans, un changement de programmation hallucinant. Au départ quand on a commencé tous les deux, ce n’était absolument pas rare d’arriver dans un théâtre et de jouer 8 à 12 fois. Mais même pas dans un grand théâtre. Et vers 2005/2006 il y a une bascule qui a commencé et là où il y avait huit représentations il n’y en avait plus que quatre ; là où au départ il y en avait quatre, il n’y en avait plus que deux. Et maintenant les séries, c’est extrêmement compliqué. ”

(Chorégraphe, compagnie 1)

Représentations/spectacle Total représ. hausse stable baisse

hausse (62,2%)23 (37,8%)14 0

stabilité (25%)7 (67,9%)19 (7,1%)2 contraste (18,9%)7 (67,6%)25 (13,5%)5 baisse (12%)3 (64%)16 (24%)6

Les spectacles pour l’enfance et la jeunesse, qui rencontrent une forte demande, offrent le plus communément l’opportunité de programmer des séries plus longues de représentations. Elles ne suffisent pas forcément à satisfaire la demande des établissements scolaires, ce qui contraint les équipes des structures à sélectionner les sollicitations des enseignants.

“ Les séries c’est plus sur des petites formes et des jauges très réduites, et pour le jeune public on est plutôt sur des séries, oui. Selon la jauge ça va de deux à quatre représentations. Pour les tous petits, le maximum c’est 8 avec des jauges à 60 ou 90. Parce que là, j’ai une forte demande. Quand elle vient du milieu scolaire, l’offre n’est pas suffisante. ”

(Directeur, structure pluridisciplinaire 13)

Les temps forts et les festivals

Les arbitrages temporels dans l’agencement d’une program- mation chorégraphique d’une structure portent sur la répartition des représentations entre la saison et d’éventuels temps forts ou festivals organisés par l’établissement culturel. Cette différenciation tend à organiser des événements susceptibles d’attirer l’attention de publics occasionnels avec un rassemblement d’équipes cho- régraphiques dans un esprit de convivialité, mais aussi celle de programmateurs et programmatrices si la structure a une réputation professionnelle suffisamment consolidée. Un festival organisé par une grande structure peut servir de tremplin au développement de carrière de chorégraphes sans notoriété s’ils ou elles sont distinguées par le public et/ou les professionnel∙les.

Dans l’ensemble, la part des spectacles chorégraphiques présen- tés dans les temps forts ou les festivals a vu son poids majoritaire se renforcer au cours de la période en représentant 55 % du total des spectacles programmés en 2016. Il s’agit donc d’une pratique assez fréquente et en expansion parmi les structures répondantes. Les établissements culturels de ville et les CDN répondants se

sont déclarés le plus à l’écart du recours à l’allongement des séries envisagé comme un moyen pour développer les publics, tout comme les structures ayant une moindre fréquentation en danse (moins de 3 500 entrées par an) et celles qui ont un faible niveau de diffusion chorégraphique (moins de 10 représentations par an).

En réponse à la question à choix multiples sur les causes prin- cipales (deux au maximum) de l’évolution du nombre moyen de représentations par spectacle, les choix artistiques ont été évoqués par 58,3 % des structures, sans différence sensible selon l’évolution de la programmation chorégraphique, et les contraintes budgétaires par 31,3 % d’entre elles, avec une part plus élevée de lieux ou festivals ayant connu une stabilité ou une baisse de leur programmation en danse. Les contraintes techniques ont été plus évoquées par les structures en repli de leur programmation en danse et l’évolution de l’offre sur le territoire par celles qui ont augmenté leur nombre total de représentations chorégraphiques. Le lien de causalité dans un sens dominant (augmentation de la fréquentation causée par l’allongement des séries de représentations ou condition le permet- tant ?) ne peut à ce stade être clairement établi.

Dans les entretiens, les directions de structures ont également mis en avant des obstacles budgétaires, en ressources humaines et techniques disponibles, et dans certains cas la prise en compte d’un bassin de population trop limité pour permettre un allonge- ment des séries de représentations chorégraphiques, surtout quand l’appétence pour la danse est peu développée sur le territoire d’im- plantation.

“ Le choix est fait en rapport avec les jauges et la capacité de mobi- lisation. On ne peut pas dire que la danse contemporaine attire en masse ici. Même si les choses ont bien bougé - il y a eu des évolutions. ”

(Directeur, structure pluridisciplinaire 18)

“ Et j’ai du mal à faire deux séances parce que même si je me dis que, pour la compagnie, ça serait mieux financièrement, c’est compliqué pour l’avoir vécu de danser devant des salles pas très remplies. ”

(Directrice, structure pluridisciplinaire 19)

La direction de la structure pluridisciplinaire 17, implantée sur un très large bassin de population, s’est démarquée en mettant en avant l’allongement des séries de représentations comme le premier moyen de développer le public, avant même l’implication dans l’éducation artistique et culturelle. Elle a parallèlement souligné l’importance de la diversification de la programmation en la jalonnant de temps thématiques.

La viabilité des séries de représentations chorégraphiques est plus communément envisagée quand un circuit itinérant peut être organisé avec la collaboration de plusieurs établissements sur le territoire de la structure programmatrice, notamment avec des petites jauges, ou quand un festival déconcentre ses activités dans une diversité de lieux. Plusieurs structures ont indiqué réserver les séries de représentations chorégraphiques pour les créations de leurs artistes associés, qui doivent s’impliquer dans des actions pédagogiques et artistiques sur le territoire avec la population locale. Une présence continue sur le territoire tout comme la notoriété de certains chorégraphes sont des facteurs plus favorables aux séries.

L’importance des temps forts et des festivals dans la structuration de la programmation des établissements culturels est corrélée positi- vement avec le sens de l’évolution du total de leurs représentations. En effet, elle a été la plus faible pour les structures qui ont baissé leur nombre de représentations en danse et la plus forte pour les établissements qui les ont augmentées ou stabilisées.

La part des spectacles diffusés dans les temps forts et festi- vals des structures est inversement proportionnelle à l’étendue du rayonnement dominant des équipes chorégraphiques programmées par les structures non festivalières répondantes. Elle est la plus élevée pour les établissements qui privilégient plus les compagnies régionales et la plus faible pour ceux plus tournés vers les équipes chorégraphiques étrangères. Les temps forts et festivals organisés par les structures non festivalières semblent ainsi jouer un rôle de renforcement de la visibilité des équipes régionales.

La pratique des temps forts et des festivals apparaît beaucoup plus privilégiée par les structures répondantes spécialisées dans la diffusion de la danse que par les établissements culturels pluridis- ciplinaires. Ces temps forts semblent ainsi contribuer à densifier la programmation chorégraphique des structures.

Le positionnement des structures interrogées dans les études de cas est différencié. Certains établissements ne disposent pas des

“ Plus ça va, plus la culture en général s’événementialise, à ma grande tristesse. Et aujourd’hui je pense que pour rendre lisibles et faire entendre les messages, on est obligé d’événementialiser. Et il faut trouver des pitch. ”

(Directrice, structure pluridisciplinaire 16)

Nombre de spectacles de danse programmés au total et dans les temps forts par les structures non festivalières entre 2014/15 et 2016/1761

Nombre de spectacles de danse programmés au total et dans les temps forts par les structures non festivalières selon le rayonnement dominant des équipes programmées entre 2014/15 et 2016/1762

Nombre de spectacles de danse programmés au total et dans les temps forts par les structures non festivalières selon leur nature entre 2014/15 et 2016/1763

temps forts total spectacles pourcentage temps forts Evolution 2014/15 2015/16 2016/17 2014/15 2015/16 2016/17 2014/15 2015/16 2016/17 hausse 8,2 10,5 12,5 15,4 16,3 19,3 53,0 64,3 64,4 stable 6,8 6,0 6,8 9,8 9,3 10,9 69,3 64,2 62,8 contrastée 5,5 4,9 4,9 12,7 11,3 10,8 43,7 43,4 45,3 baisse 2,6 1,9 2,2 9,4 9,0 7,6 28,2 21,2 29,3 TOTAL 6 6,2 7 12,2 11,9 12,7 49,2 52,1 55,1

temps forts total spectacles pourcentage temps forts Rayonnement 2014/15 2015/16 2016/17 2014/15 2015/16 2016/17 2014/15 2015/16 2016/17

régional 6,3 6,8 8,1 10,1 10,8 12,0 62,3 63,4 67,1

multirégional 8,0 8,7 10,4 15,2 15,1 16,9 52,7 57,7 61,4

national 5,9 5,5 5,7 13,0 12,1 12,2 45,5 45,6 46,6

international 0,7 1,6 1,7 6,1 5,7 5,3 11,6 27,5 32,4

temps forts total spectacles pourcentage temps forts Structure 2014/15 2015/16 2016/17 2014/15 2015/16 2016/17 2014/15 2015/16 2016/17

spécialisée 15,6 16,6 18,5 24,3 23,8 25,9 64,2 70,0 71,3

pluridisciplinaire 2,7 2,6 3,1 8,1 7,9 8,2 33,7 33,5 38,0 ressources humaines, budgétaires et techniques suffisantes pour créer ces temps forts dédiés à la danse, ou estiment cette logique inappropriée par rapport aux spécificités sociodémographiques de leur territoire, qui requièrent un travail d’action culturelle plus continu auprès de la population locale.

“ Une seule salle rend compliquée la perspective de festival. ”

(Directrice, structure pluridisciplinaire 5)

L’organisation de temps forts est parfois vécue comme une concession à une dynamique sociétale, renforcée par la montée en puissance de la logique d’action et d’évaluation du marché dans un contexte de surinformation.

61. En réponse au questionnaire, parmi les structures non festivalières, 33 d’entre elles ont connu une progression du nombre de leurs représentations, 23 une stabilité, 32

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