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CHAPITRE 5 L’INCRIMINATION DE L’INFRACTION DE « TRAITE DES

5.2 L’incrimination de la « traite des personnes » en droit canadien

5.2.2 Les infractions spécifiques du Code criminel (C.cr)

5.2.2.2 L’article 279.04 du Code criminel : L’exploitation

Si l’exploitation est l’élément moral qu’il faut prouver pour condamner une personne accusée de traite des personnes, nous devons définir le concept d’exploitation dans le cadre de la loi canadienne.

D’abord, conformément à la définition de la traite des personnes contenue à l’article 3(a) du Protocole de Palerme, pour être constitutifs de la traite, les actes prohibés doivent être commis avec l’intention d’exploiter. Selon les standards internationaux, l’exploitation comprend, au minimum, « l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes »321. Le concept

d’exploitation n’est pas défini en droit international, mais la définition de la traite des personnes du Protocole propose des exemples de pratiques dont l’objectif serait

319 Code criminel, préc., note 305, art. 279.01(1).

320 Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11, (R.-U.). 321 Protocole de Palerme, préc., note 1, art. 3(a).

l’exploitation. La liste de ces pratiques que l’on retrouve à l’article 3(a) n’est pas exhaustive et laisse aux États le choix de décider de ce que constitue l’exploitation. Les États Parties peuvent ainsi allonger la liste en ajoutant des pratiques qui seraient propre au contexte ou à la culture nationale, ou encore la raccourcir.

Le Canada a adopté une approche très différente de celle prise par les Nations Unies lors de l’élaboration de la définition de la traite des personnes du Protocole de Palerme et décida d’inclure sa propre définition du concept d’exploitation dans son Code criminel, au lieu d’élaborer une liste des différentes formes d’exploitation possible. C’est en 2012, plusieurs années après l’adoption des infractions spécifiques 279.01 à 279.03 visant à lutter contre la traite des personnes, que le Code criminel fut modifié par la création d’une disposition précisant le sens d’« exploitation »322.

Cette disposition est la suivante :

Exploitation

279.04 (1) Pour l’application des articles 279.01 à 279.03, une personne en exploite une autre si elle l’amène à fournir son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre, compte tenu du contexte, à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît.

Facteurs

(2) Pour déterminer si un accusé exploite une autre personne au titre du paragraphe (1), le tribunal peut notamment prendre en compte les faits suivants :

a) l’accusé a utilisé ou menacé d’utiliser la force ou toute autre forme de contrainte ; b) il a recouru à la tromperie ;

c) il a abusé de son pouvoir ou de la confiance d’une personne323.

322 Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes), L.C. 2012, c. 15 323 Code criminel, préc., note 305, art. 274.04.

Le concept d’exploitation est défini en termes assez souples à l’article 279.04 du Code

criminel. Ici, l’exploitation s’entend de l’intention de l’accusé d’amener une personne (la

victime) à fournir son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît. Pour établir l’infraction de traite, il faut donc prouver qu’il y a eu exploitation ou intention d’exploiter. Pour établir qu’il y a eu exploitation, il faut démontrer que la victime « a fourni son travail ou ses services » ou « aurait été amenée à fournir son travail ou ses services » croyant qu’un refus de le faire mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît324.

Définir les concepts de travail et de services - L’article 279.04 n’apporte pas de précisions

sur le type de « travail » ou de « services » que les victimes de traite sont amenées à fournir. Par contre, selon le Guide sur la traite des personnes à l’usage des praticiens de la justice

pénale rédigé par le Ministère de la Justice du Canada, le « travail » ou les « services »

incluent : « tous les types de services de nature sexuelle, les services domestiques ou tout type de travail, notamment en agriculture, en restauration ou en construction, ou dans toute autre industrie »325.

Le critère de la crainte raisonnable - Tel que mentionné précédemment, la définition de l’exploitation du Code criminel prévoit qu’une personne en exploite une autre si elle l’amène à fournir son travail ou ses services, par des agissements dont il est raisonnable de s’attendre, compte tenu du contexte, à ce qu’ils lui fassent croire qu’un refus de sa part mettrait en danger sa sécurité ou celle d’une personne qu’elle connaît. Dans ce contexte la « sécurité » peut inclure la sécurité mentale, psychologique et émotionnelle326, en plus de

la sécurité physique. En utilisant les termes « qu’ils lui fassent croire », l’intention du

324 GROUPE DE TRAVAIL FÉDÉRAL-PROVINCIAL-TERRITORIAL SUR LA TRAITE DES PERSONNES, préc., note 302,

p. 24.

325 Id., p. 25.

326 Le terme « sécurité » a été interprété par les tribunaux canadiens, notamment dans le cadre du harcèlement

criminel (prévu à l’article 264 du Code criminel canadien). Voir, par exemple, R. c. Skoczylas, 1997 CANLII 3881(BC C.A.); R. c. Hau, 1996 CANLII 488 (BC S.C.).

législateur établit « qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que la victime craignait pour sa sécurité, mais seulement que, dans ces circonstances, une personne raisonnable placée dans la situation de la victime aurait eu une telle crainte »327. Puisque plusieurs facteurs tels que

l’âge, le sexe, la relation entre la victime et l’accusé, ainsi que les moyens utilisés (la force ou la contrainte psychologique, émotionnelle) doivent être pris en considération pour déterminer le caractère raisonnable de la crainte, l’interprétation de la situation d’exploitation et l’établissement du critère de la crainte raisonnable semblent être de nature objective et subjective à la fois.

Selon le Ministère de la Justice du Canada : « l’infraction de traite des personnes requiert uniquement le caractère raisonnable de la crainte, qu’il ait été démontré ou non que la victime ait une expérience réelle et subjective de cette crainte »328. Dans son étude de 2015

portant sur le concept d’exploitation, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a noté que selon les praticiens du droit sondés, il est difficile d’évaluer le caractère « raisonnable » de la crainte éprouvée par la victime, puisqu’il n’existe aucuns paramètres précis sur lesquels les juristes et les avocats peuvent se baser pour répondre à ce critère dans la pratique329. Jusqu’à maintenant, aucune Cour ne s’est prononcée sur les

standards applicables pour répondre au critère de la crainte raisonnable.

Les moyens - Le second paragraphe de l’article 279.04 du Code criminel canadien

décrivant l’exploitation énumère certains moyens par lesquels l’accusé peut amener une victime à fournir son travail ou ses services. La liste de ces moyens comprend : le recours ou la menace de recours à la force ou toute autre forme de contrainte ; le recours à la tromperie ; l’abus de pouvoir ou de la confiance d’une personne. Certains des moyens

327 GROUPE DE TRAVAIL FÉDÉRAL-PROVINCIAL-TERRITORIAL SUR LA TRAITE DES PERSONNES, préc., note 302,

p. 25.

328 Id., p. 26.

329 Voir l’analyse de l’UNODC dans UNODC, The Concept of « Exploitation » in the Trafficking in Persons

Protocol, Issue Paper, Vienna, 2015, p. 99‑102, en ligne : <https://www.unodc.org/documents/congress/background-

énoncés à l’article 279.04(2) ont été repris de la définition de la traite des personnes proposée par le Protocole de Palerme. Or, cette liste n’est pas exhaustive. Elle comporte néanmoins plusieurs exemples de pratiques dont le tribunal peut tenir compte pour établir s’il y a eu exploitation.

En somme, l’article 279.01(1) consacre l’infraction de traite des personnes en droit canadien. Bien que la définition du crime de traite des personnes proposée par le législateur canadien diffère de celle des Nations Unies, les actes constitutifs de l’infraction se ressemblent. La principale différence réside dans l’application de l’élément d’exploitation qui requiert des juristes canadiens de répondre au critère de la crainte raisonnable pour prouver qu’il y a eu exploitation ou intention d’exploiter.

5.2.2.3 L’article 279.011(1) du Code criminel : La traite de personnes âgées de

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