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CHAPITRE 1 La traite d’hier à aujourd’hui : les origines complexes et l’évolution juridique

2.3 Les années 1990 : Le boom de l’exploitation sexuelle en Europe

L’explosion de l’Union soviétique au début des années 1990 a provoqué une instabilité politique et économique en Europe de l’Est qui a favorisé l’essor du crime organisé et, avec celui-ci, le développement de réseaux de traite de personnes qui perdurent à ce jour. Mis à part les changements des structures de l’économie mondiale, l’instabilité politique, l’ouverture des frontières et l’intensification des flux migratoires, les industries du sexe et la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle ont pris un essor fulgurant à la fin du XXe siècle grâce à la révolution technologique du milieu des années 1990. En effet, les nouvelles technologies de communication telles que l’Internet, les téléphones cellulaires, le e-commerce et les réseaux sociaux en ligne ont créé de nouveaux canaux et opportunités d’exploitation.

2.3.1 Chute du communisme, migrations et féminisation de la pauvreté

Au début des années 1990, l’éclatement de l’Union soviétique a entraîné l’afflux massif de migrants en provenance de l’Est vers les pays de l’Europe de l’Ouest. Des milliers de ressortissants des pays de l’ex-Union soviétique se sont retrouvé dans des conditions précaires et les trafiquants ont rapidement su tirer profit de cette situation, utilisant la tromperie, la contrainte ou la violence pour recruter de nombreuses femmes et jeunes filles afin de les exploiter. Alors que dans les années 1960-1970 les victimes de la traite étaient surtout originaires d’Asie du Sud-Est et d’Amérique latine161, dans les années 1990, de

nombreuses femmes européennes à la recherche d’emploi se sont retrouvées prises dans les réseaux de traite de personnes pour y être exploitées sexuellement suite à l’ouverture des frontières en Europe, à l’augmentation du chômage dans les anciens pays communistes de l’Est et à la pauvreté qui l’accompagne. L’instabilité politique et économique dans les pays de l’ex-Union soviétique a fourni les conditions idéales de l’essor du crime organisé est-européen qui s’est vite implanté favorisant l’explosion de la traite en direction de l’Europe de l’Ouest, de la Turquie, d’Israël et même de certains pays arabes. Aujourd’hui, la majorité des victimes de la traite en Europe proviennent des Balkans et des pays de l’ex- Union soviétique, particulièrement la Roumanie, la Bulgarie, l’Ukraine, la Russie et la Moldavie162. L’Office des Nations Unis contre la Drogue et le Crime (UNODC), estimait

à 140 000 le nombre de victimes de la traite aux fins d’exploitation sexuelle en Europe en 2006163.

2.3.2 L’innovation technologique : vers une traite virtuelle

Outre les nouvelles conditions économiques, sociales et politiques émanant de la mondialisation, certains facteurs culturels ont permis à la traite de prospérer à la vitesse de l’éclair en plus de diversifier son offre et de rendre ses services plus facilement accessibles

161 G. V. CABRAL, préc., note 72, p. 32. 162 UNODC, préc., note 3, p. 3. 163 Id., p. 7.

que jamais. L’explosion de l’utilisation de la technologie comme moyen d’information et de communication et l’innovation constante de ces nouveaux moyens techniques furent exploités autant par les trafiquants que par les clients prostitueurs. Les nouvelles technologies facilitent, d’une part, le recrutement des victimes à travers de fausses annonces d’emplois, les sites de rencontres ou encore les sites d’agences de mannequins. D’autre part, les technologies facilitent leur contrôle par les trafiquants grâce aux cellulaires et aux caméras, par exemple. Elles facilitent aussi l’accès aux corps des femmes et des enfants grâce aux sites proposant le choix des services et de la personne prostituée en plus de rejoindre un maximum de clients potentiels en diffusant du matériel pornographique, pédopornographique ou encore des publicités pour les services proposés. Grâce à de nombreuses agences de voyages et compagnies aériennes en ligne, les clients peuvent aussi organiser leurs déplacements et transports vers la « marchandise ». Finalement, les nouvelles technologies permettent l’échange d’information entre les clients qui peuvent discuter de la qualité des services reçus, de leur appréciation du « produit », et s’échanger du matériel (légalement ou non) tout en gardant un certain anonymat.

Les nouvelles technologies de communication et de l’information ont joué un double de rôle dans l’essor de la traite des personnes. D’une part, elles ont servi de tremplin pour la cybercriminalité, développant de nouvelles tactiques de recrutement et d’exploitation en plus de rendre accessible le matériel de pédopornographie, de faciliter les échanges entre clients « prostitueurs » et de les faciliter les échanges entre ceux-ci et les victimes de façon anonyme. D’autre part, ces technologies sont devenues d’importants outils utilisés pour réprimer le crime de traite des personnes. Nous y reviendrons dans la seconde partie de cette recherche.

Bilan du chapitre 2

Vers la fin du XXe siècle, la traite des femmes et des enfants à des fins d’exploitation sexuelle a atteint une ampleur précédemment inégalée. Les conflits armés et le déploiement des troupes occidentales à l’étranger, notamment lors des guerres de Corée (950-1953) et

du Vietnam (1954-1975), ont engendré la création de bordels militaires dans les pays limitrophes (en l’occurrence, en Thaïlande et aux Philippines) créant les infrastructures nécessaires à l’exploitation sexuelle à grande échelle dans cette région du globe. Puis, dans les années 1980, les inégalités de développement entre les pays et la crise de l’endettement des pays du Sud ont mené plusieurs pays à investir dans l’industrie du divertissement contribuant au développement du tourisme sexuel et avec celui-ci à l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales. Finalement, d’autres facteurs tels les migrations internationales, l’essor du crime organisé et l’innovation constante des nouvelles technologies ont permis à la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle de prospérer et d’atteindre des proportions sans précédent. Tous ces facteurs liés au nouveau contexte mondial ont suscité un nouveau débat sur la traite et remis en cause la pertinence de la Convention de 1949 comme principal instrument régissant la lutte contre ce fléau. Il fallait un nouvel instrument adapté à la réalité d’aujourd’hui. Après plusieurs années de négociations, l’Assemblée des Nations Unies a adopté, le 15 novembre 2000, la Convention

des Nations Unies contre la criminalité organisée et son Protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.

CHAPITRE 3 - Vers une nouvelle définition de la traite des

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