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CHAPITRE 4 APERÇU DE LA SITUATION DE LA TRAITE DES PERSONNES À DES

4.5 Grandes tendances et particularités provinciales

En somme, le contexte canadien nous démontre qu’il est impossible de dresser un profil unique des trafiquants, des victimes et des clients de la traite à des fins d’exploitation sexuelle au Canada. Cependant, en nous basant sur des études menées en Colombie- Britannique, en Alberta, au Manitoba, en Saskatchewan, en Ontario, au Québec et à Halifax, nous avons pu dégager certaines caractéristiques communes aux différents acteurs de la traite de personne au Canada, telles que décrites ci-haut.

Ces études font ressortir certaines tendances au niveau national, d’abord l’invisibilité grandissante de la traite des personnes due à l’utilisation de l’Internet pour la diffusion de

280 Id., p. 27‑28. 281 Id., p. 11.

l’offre des services ; un changement de tactique chez les trafiquants qui recrutent de plus en plus de jeunes canadiennes en établissant un lien de confiance basé sur la romance (trafiquant « boyfriend ») ; les victimes canadiennes de la traite interne sont recrutées de plus en plus jeunes, l’âge moyen d’entrée dans le processus de traite se situe entre 13 et 14 ans au Canada282. D’autre part, les victimes de la traite semblent avoir un historique de

pauvreté et de violence physique et sexuelle en plus d’avoir grandi dans un environnement sans influence masculine positive (par exemple absence du père ou exposition à la violence conjugale durant l’enfance) ; les victimes autochtones seraient surreprésentées dans les études de terrain, mais leurs cas demeurent largement sous-enquêtés. Finalement, parmi les victimes de la traite internationale, on dénote une augmentation du nombre d’asiatiques, mais celles-ci collaborent très peu avec les autorités283. Quant aux trafiquants, ils sont

majoritairement de sexe masculin, âgés de 19 à 32 ans et utilisent tous des méthodes de domination teintées de violences physiques, psychologiques et sexuelles à l’égard des victimes. Nous avons aussi noté la présence grandissante de femmes au sein des trafiquants. Celles-ci semblent jouer un rôle important au niveau du recrutement des victimes.

Au niveau provincial, on dresse un portrait de la traite qui varie d’une province à l’autre. Par exemple, en Colombie-Britannique et en Alberta, la majorité des victimes de la traite interne sont des femmes et des enfants autochtones canadiennes ayant été recrutées majoritairement par des gangs ou des membres de leur propre famille, alors que les victimes de la traite internationale seraient majoritairement des femmes asiatiques liées au crime organisé284. Au Québec et en Ontario, la majorité des victimes de la traite sont des

jeunes femmes canadiennes (14 à 34 ans) de diverses origines ethniques provenant de milieux défavorisés ou ayant un historique de violence, alors que les victimes étrangères proviennent surtout de l’Europe de l’Est (Roumanie, Ukraine, Moldavie). Celles-ci

282 Nicole A. BARRETT, An Assessment of Sex Trafficking in Canada, Canadian Women’s Foundation, 2013,

p. 14, en ligne :

<http://www.canadianwomen.org/sites/canadianwomen.org/files//Assessment%20of%20Sex%20Traffickin g%20in%20Canada.pdf>.

283 Id., p. 15. 284 Id., p. 17.

semblent entreren sol canadien à l’aide de documents frauduleux et de faux visas de travail, mais se retrouveraient souvent à travailler dans les salons de massages et les agences d’escortes285. Peu d’informations sont disponibles sur la traite dans les autres provinces

canadiennes.

Bilan du chapitre 4

Les recherches fournissant des informations sur la traite interne et internationale des personnes, la provenance des victimes et les profils des trafiquants démontrent clairement que le Canada est confronté à la problématique de la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle sur son territoire. Toutefois, en l’absence d’un système de collecte de données centralisées sur la problématique de la traite des personnes, nous avons dénoté d’importantes disparités entre les statistiques fournies par les services d’application de la loi et celles des organismes communautaires. Les études et enquêtes menées sur le sujet permettent néanmoins d’identifier certaines particularités et grandes tendances propres à la problématique de la traite au Canada permettant de mieux comprendre et appréhender ce phénomène.

D’abord, les informations recueillies dans ce chapitre démontrent qu’au Canada, la majorité des cas recensés par les autorités concernent la traite interne. Bien que la force, la menace et la coercition soient utilisées pour maintenir les victimes dans leur situation d’exploitation, le recrutement s’effectue surtout par le biais de la manipulation. De plus, alors que la majorité des trafiquants soient des hommes, les cas portés devant les tribunaux témoignent de l’augmentation du nombre de femmes et de mineurs(es) impliqués dans le recrutement des victimes ainsi que l’omniprésence du crime organisé, tant pour les cas de traite interne qu’internationale.

La pauvreté, l’historique de violences physiques et sexuelles, le faible niveau d’éducation, le manque d’opportunités économiques et le peu de soutien social ont été identifiés comme étant des facteurs de risques pouvant mener certaines personnes à l’exploitation sexuelle. Outre ces facteurs, l’une des particularités ayant retenu notre attention est la surreprésentation des victimes autochtones dans les statistiques portant sur la traite des personnes au Canada. Alors que l’impact intergénérationnel de la colonisation et des pensionnats autochtones s’ajoute à la liste des facteurs de risques pouvant mener les femmes et les enfants autochtones à l’exploitation sexuelle, les relations dysfonctionnelles entre les autorités et ces communautés semblent marginaliser davantage ces victimes.

L’examen de la situation nationale fournit d’importantes informations qui contribueront à façonner les politiques de lutte contre la traite des personnes. D’ailleurs, ayant été identifié comme pays source, de transit et de destination, le Canada a décidé de prendre les mesures nécessaires pour combattre ce phénomène. S’engageant d’abord à l’international en ratifiant plusieurs traités élaborés notamment par l’ONU, le Canada doit maintenant respecter ses obligations prises sur la scène internationale en adaptant son droit interne et en adoptant les mesures appropriées pour punir les trafiquants et fournir l’assistance et la protection nécessaires aux victimes.

Tel qu’indiqué dans le chapitre 3, les Nations Unies ont adopté un instrument juridique particulier, soit le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies sur la

criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants de 2000 (auquel le Canada est partie depuis 2002), fournissant un cadre juridique assez souple permettant aux État d’adopter différentes stratégies de lutte contre la traite des personnes. Les prochains chapitres seront consacrés à l’analyse des mesures prises par le gouvernement canadien pour lutter contre la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle. Le prochain chapitre portera sur l’obligation internationale d’incriminer l’acte de « traite des personnes » et la législation canadienne pertinente en la matière. Il sera suivi du chapitre 6 sur l’obligation de combattre, poursuivre et sanctionner les trafiquants et celle de protéger et de porter assistance aux victimes de la traite des personnes. À l’issue de cette analyse, nous déterminerons si le

Canada s’est acquitté de ses obligations internationales relatives à la lutte contre la traite des personnes, conformément aux dispositions du Protocole et de la Convention de Palerme.

CHAPITRE 5 - L’INCRIMINATION DE L’INFRACTION

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