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Le Bureau international pour la suppression de la traite des blanches (1899-

CHAPITRE 1 La traite d’hier à aujourd’hui : les origines complexes et l’évolution juridique

1.2 Fin du XIXe siècle : Premiers mouvements féministes et lutte contre la traite des

1.2.4 Premiers mouvements internationaux pour combattre la traite des blanches : vers

1.2.4.3 Le Bureau international pour la suppression de la traite des blanches (1899-

En 1899, la NVA fonda le Bureau international pour la suppression de la traite des blanches (Bureau international), une branche de son organisation entièrement dédiée à la lutte contre la traite internationale. Afin de faciliter son combat tant au plan juridique que militant, la NVA voulu rallier le plus de gouvernements possibles à sa cause en créant une offensive anti-traite multilatérale soutenue par les États39.

Pour obtenir le support des gouvernements, le Bureau international dut se séparer de la rhétorique abolitionniste de la FAI demandant la suppression du système réglementariste. En effet, à cette époque, les représentants des États européens considéraient la prostitution à la fois comme un mal nécessaire pour répondre aux besoins sexuels des hommes (surtout

37 Voir l’analyse de William Alexander COOTE, A vision and its fulfillment: Being the history of the origin of

the work of the National Vigilance Association for the Suppression of the White Slave Traffic, National

Vigilance Association, 1910, en ligne : <http://hdl.handle.net/2027/mdp.39015091341498>.

38 Rachael ATTWOOD, « Stopping the Traffic: The National Vigilance Association and the International Fight

Against the ‘White Slave’ Trade (1899–c.1909) », (2015) 24-3 Womens Hist. Rev. 325‑350, 325.

des militaires et des travailleurs dans les centres urbains et les colonies) et comme une menace pour la nation40. Considérant que les États européens étaient largement en faveur

d’une réglementation de toute activité liée à la sexualité jugée contraire à la moralité publique et davantage préoccupés par les enjeux de santé et d’ordre publique, le Bureau international décida de mettre de côté le combat pour l’abolition de la réglementation afin d’assurer une plus grande participation des États à sa lutte anti-traite. Il adopta une approche centrée sur la protection de la nation en appelant notamment à un « renforcement des contrôles gouvernementaux relatifs à l’immigration, à l’interdiction de l’utilisation de femmes étrangères dans les bordels et au rapatriement des prostituées étrangères vers leur pays d’origine »41.

En s’alignant ainsi avec les intérêts étatiques, le Bureau réussit à mettre sur pied le premier congrès international contre la traite des blanches à Londres, en 1899, regroupant douze nations42. Influencés par le mouvement anti-esclavagiste, les États-Unis se joignirent aux

nations européennes lors de ce congrès pour mener le combat contre la traite des blanches. L’appellation « traite des blanches » (White Slavery) faisant un parallèle direct avec la traite des Noirs, « on conférait la légitimité morale de la lutte contre l’esclavage à la traite qui représentait désormais une forme d’exploitation sexuelle de nature esclavagiste »43.

Les rapports du premier congrès international sur la traite des blanches tenu du 21 au 23 juin 1899 organisé sous l’égide du Bureau international à Londres permirent de dresser un portrait de la traite internationale suggérant à la fois l’existence d’une traite intra- européenne et extra-européenne, la seconde étant la principale44. Alors que Vienne et

40 S. LIMONCELLI, préc., note 24, p. 7. 41 Traduction libre. Id., p. 57.

42 Lors du premier congrès international sur la traite des blanches qui s’est tenu en 1899 au Palace Hotel de

Londres, les douze nations présentes étaient : l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Norvège, la Russie, la Suède, la Suisse et les États-Unis.

43 Jean-Michel CHAUMONT, Le mythe de la traite des blanches: enquête sur la fabrication d’un fléau, Paris,

La Découverte, 2009, p. 33.

Budapest furent désignés comme étant les principaux marchés occidentaux, la France et l’Angleterre furent plutôt identifiés comme étant des pays de transit. D’autres pays comme l’Égypte, l’Argentine, l’Australie et l’Afrique du Sud furent aussi identifiés comme étant d’importants lieux de traite. Outre l’exposition des routes et des principaux marchés de consommation, les congrès organisés par le Bureau international servirent aussi de plateformes de discussion sur les causes de la traite (déclin des maisons closes en Occident, problématiques d’émigration et d’immigration), l’identification des pratiques constituant la traite, les politiques nationales et internationales à adopter pour la combattre, les mesures législatives et administratives à adopter, etc.

À Paris le 25 juillet 1902 se réunirent une seconde fois les représentants des gouvernements engagés dans la lutte contre la traite des blanches dans le but d’harmoniser leurs législations et leurs politiques pour contrer les trafiquants. À l’issue de cette conférence, on jeta les bases d’un arrangement administratif comportant des mesures pour la défense des victimes de la traite internationale et leur rapatriement vers leurs pays d’origine. L’aboutissement de ces travaux se traduisit par la conclusion de l’Arrangement international en vue

d’assurer une protection efficace contre le trafic criminel connu sous le nom de « Traite des Blanches » du 18 mai 1904 (succinctement appelé l’Arrangement international de

1904), ratifié par quatorze nations45. Constitué de plusieurs traités, l’Arrangement de 1904

visait seulement les femmes majeures contraintes et les filles mineures abusées ou forcées de se prostituer à l’étranger. Ainsi, seule la traite internationale était visée. On invoquait la responsabilité de l’État en matière de lutte, les mesures à prendre pour dénoncer et prévenir

45 Lors de son entrée en vigueur le 18 juillet 1905, douze États avaient ratifié l’Arrangement international en

vue d’assurer une protection efficace contre le trafic criminel connu sous le nom de « Traite des Blanches » de 1904, soit l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal,

le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la Russie, les Royaumes Unies de Suède et de Norvège, ainsi que la Suisse. L’Autriche et la Hongrie qui furent identifiés comme étant les principaux marchés occidentaux de traite de personnes à cette époque ont adhéré à l’Arrangement, ainsi que le Brésil, la Bulgarie, la Colombie, les États-Unis d’Amérique, le Liban, le Luxembourg, la Pologne et la Tchécoslovaquie. L’Arrangement a été déclaré applicable à plusieurs colonies, dominions et protectorats, dont le Canada. Cet Arrangement fut amendé par le Protocole signé à Lake Success, New York, le 4 mai 1949.

la traite des blanches, ainsi que l’importance de retourner les victimes dans leur pays d’origine46. L’Arrangement international de 1904 fut le premier traité multilatéral à

invoquer l’enjeu de la traite de personnes.

Quelques années plus tard, un autre traité international fut négocié : la Convention

internationale relative à la répression de la traite des blanches du 4 mai 1910. Cette Convention mit l’accentsur la criminalisation des personnes responsables de l’enrôlement, l’embauche ou le détournement des filles mineures (âgées de moins de 20 ans) et des femmes majeures à des fins de débauche (prostitution), même avec leur consentement, ainsi que sur l’importance de la coopération des États pour la répression des infractions prévues à la Convention47, instituant même des « offices centraux » chargés de recueillir

et d’échanger des informations policières et judiciaires sur la traite. Le Protocole de clôture faisant partie de la Convention de 1910 précise toutefois que « le cas de rétention, contre son gré, d’une femme ou fille dans une maison de débauche n’a pu, malgré sa gravité, figurer dans la présente Convention, parce qu’il relève exclusivement de la législation intérieure »48. Ceci limita grandement la portée de la Convention,laissant aux États Parties

le soin de juger de la politique à adopter en ce qui a trait à la régulation des bordels.

Finalement, entre 1899 et 1921, sept49 congrès furent organisés sous l’auspice du Bureau

international (qui fut rebaptisé International Bureau for the Suppression of Trafficking in

Women and Children en 1919), avant que la Société des Nations (SDN) prenne

officiellement la relève. En mettant de côté les revendications abolitionnistes et en abordant la traite des Blanches sous l’angle de la sécurité publique et de l’immigration, le Bureau

46 SOCIÉTÉ DES NATIONS, Arrangement international en vue d’assurer une protection efficace contre le trafic

criminel connu sous le nom de « Traite des Blanches », (1904), R.T.S.N., vol. I. 83.

47 SOCIÉTÉ DES NATIONS, Convention internationale relative à la répression de la traite des blanches, (1910),

R.T.S.N., vol. VIII. 278 [Convention de 1910].

48 Id.

49 International Conference on the Suppression of the White Slave Traffic (Conférence de la Société des

Nations sur la traite des femmes organisée avec l’assistance du Bureau International) Londres 1899 ; Paris 1902 ; Zurich 1904 ; Paris 1906 ; Madrid 1910 ; Londres 1913 ; Genève 1921.

international réussit à rallier plusieurs gouvernements à sa lutte anti-traite. Bien que l’Arrangement international de 1904 concerne uniquement la traite internationale et que la Convention de 1910 soit axée sur la répression des proxénètes (tout en excluant les tenanciers de maison de débauche), l’élaboration de ces deux premiers instruments juridiques internationaux de lutte contre la traite mit officiellement cette problématique sur l’agenda politique international.

1.3 Mythe et réalité de la traite des femmes et des enfants au temps de la

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