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L’archéologie du rituel et l’archéologie cognitive appliquée au vaudou béninois

CHAPITRE 1. LA RELIGION VAUDOU AU BÉNIN : PRÉSENTATION ET APERCU HISTORIQUE

1. Quelques repères historiques et géographiques

1.3 La place de l’archéologie dans les rituels vaudou

1.3.4 L’archéologie du rituel et l’archéologie cognitive appliquée au vaudou béninois

Concernant l’archéologie du rituel, le rituel peut être défini comme une pratique sociétale qui doit prendre en compte son contexte social et les traces matérielles qu’il laisse. Le terme « rite » s’applique au domaine religieux, mais également sur toutes les activités répétitives qui ne sont pas nécessairement liées à un culte ou à la religion au sens large (Renfrew, 2007 :112). Le principal problème que pose l’archéologie du rituel est la tendance à vouloir reconstituer le déroulement d’un rituel complet alors que les traces matérielles disponibles ne permettent pas une telle reconstruction. Les rituels peuvent être perçus comme un mécanisme de formation de croyances, d’idéologie, d’identité voire même être source de pouvoir pour celui qui y participe.

Les archéologues qui souhaitent étudier cette approche archéologique se heurtent à des difficultés concernant l’étude des traces matérielles. Elles peuvent n’avoir aucun changement perceptible à l’œil nu sur les matériaux et objets qui nous sont parvenus. Ils peuvent également laisser des traces qui ne survivent dans le temps long. Cependant, le rituel induit une action répétée fréquemment et dans le temps. Si cette action se fait sur un matériau périssable, il y a de fortes chances pour que les traces laissées nous parviennent. Il faut faire attention dans l’analyse de ces traces pour ne pas tomber dans de la reconstitution archéologique abracadabrantesque. L’étude ne se base donc pas sur les rituels en eux-mêmes, mais sur l’effet physique qu’il peut avoir sur un matériel (Kyriakidis, 2007 : 2-9).

Pour commencer à comprendre l’archéologie du rituel, il faut comparer les données récoltées sur différents sites afin d’avoir une visibilité quant à la pertinence des informations collectées, mais également comparer les rituels entre eux. Les objets mis au jour peuvent avoir deux interprétations ; dans un premier cas il peut s’agir d’objets usuels du quotidien qui n’ont pas nécessairement de lien avec un caractère sacré ou religieux. Dans un second temps, il peut s’agir

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d’un élément faisant partie d’un rituel précis. Dans le cas présent il faut prendre en compte le contexte dans lequel il a été mis au jour. Par exemple, de la vaisselle dans un sous-sol d’une maison à un caractère usuel et n’a pas de lien avec le sacré. De la vaisselle mise au jour dans une sépulture s’apparente à un banquet funéraire et s’acre dans un rituel funéraire précis (ex : silicernium antique).

Les rituels, par leur caractère répété, sont facilement identifiables, mais ils doivent néanmoins être étudiés dans leur contexte, mirent en relation avec des traces semblables et comparées avec des archives et sources historiques. Il faut également prendre en compte le caractère évolutif de certaines pratiques. Bien que certains côtés restent immuables il peut y avoir des évolutions au cours du temps dans l’exécution des rituels.

L’anthropologue américain Rappaport Roy utilise le terme « rituel » pour désigner une exécution de séquences variables comprenant des actes qui ne sont pas nécessairement codés pour celui qui l’interprète. Ce terme regroupe les actes profanes169. Dans le domaine de la socio- anthropologie, il désigne plusieurs événements sociaux (pas nécessairement religieux) et s’étend à certains mammifères pour décrire leurs comportements. Cependant, bien que ce terme désigne deux actes diamétralement opposés, des différences sont présentes pour veiller à les distinguer. Lorsque l’on s’intéresse à l’archéologie du rituel, il est intéressant d’étudier les sanctuaires. Ce sont de véritables lieux socioreligieux porteurs de traces d’occupations, d’actions rituelles ou de cultes rendus à des divinités. Ils sont l’un des piliers pour comprendre la relation qu’entretiennent les vivants avec les ancêtres et/ou divinités. Suivant le sanctuaire on doit y entrer torse nu, pieds nus, vêtu d’un pagne, de libation, etc.170 Généralement dans un tel lieu le demandeur déclame le nom de l’ensemble de ses ancêtres et peut être aidé par des membres de sa famille (Etou, 2013 : 305). Cet exercice de mémoire permet de faire vivre les traditions et l’histoire d’une famille. L’accès à de tels lieux est règlementé, les chercheurs locaux ou étrangers ont du mal à étudier de tels lieux. Le sacré de ce lieu est tel qu’un contact avec le lieu reviendrait à le profaner, de mauvaises intentions suffisent pour s’attirer les foudres des divinités.

169 Des psychiatres utilisaient ce terme comme synonyme de « cérémonie » pour désigner certaines névroses et

actions répétées entre deux ou plusieurs personnes (Rappaport, 1999 : 24).

170 Bien que ces pratiques ne laissent pas de trace matérielle observable par les archéologues, elles doivent être

prises en considération dans l’étude des rites religieux au travers les sources orales qui nous rapportent ces informations.

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Les données issues de l’archéologie du rituel doivent être systématiquement mises en parallèle avec les sources écrites et orales notamment au travers des entretiens avec la population locale. Ce sont des éléments précieux pour la compréhension d’un site et des objets présents.

Notre étude sur l’archéologie du rituel dans le vaudou béninois s’appuie sur des traces archéologiques, des entretiens avec la population locale (notamment avec les « anciens ») et sur des écrits qui nous sont parvenus. Le vaudou étant basé sur une culture orale, il n’y a pas de texte sacré.

En parallèle à cette archéologie du rite, nous devons mettre, en complémentarité de cette discipline, la compréhension de la pensée des populations passées ; c’est l’archéologie cognitive. Cette archéologie s’attache à répondre à une question principale : comment retracer la cognition des populations passées ?171 L’expression « archéologie cognitive » est apparue dans les années 80 pour désigner un type de recherche « orientée vers la reconstitution des contenus et des processus mentaux attribués aux sociétés passées » (Gardin, 1996 : 1222). L’étude de la façon de penser des populations anciennes est primordiale pour étudier les rituels notamment dans le domaine de la religion. Les chercheurs de cette spécialité doivent décrire ce qu’il se passait dans l’esprit des ancêtres à partir d’éléments matériels mis au jour lors de fouilles. Le temps altère les sources anciennes et nuit à leurs interprétations, les hypothèses émises sont donc à prendre avec prudence. L’anthropologue ou l’historien doit prendre en considération le changement culturel induit par le temps qui passe et la « force motrice » qui pousse la société à effectuer ces rites (Renfrew, 2007 :111).

Les traces matérielles peuvent être de différents types ; vêtements, pagnes, outils, objets du quotidien, etc. Ce sont ces témoins qui font partie d’un monde et qui ont subi une modification par l’homme pour s’en servir lors de cérémonies (des pagnes deviennent des linceuls pour les funérailles, des pots en céramique servent pour des cérémonies religieuses, etc.). L’anthropologue français Sperber Dan précise que pour que ces objets existent, il faut que l’homme en fasse une représentation mentale afin qu’ils s’ancrent dans une représentation du culte (Sperber, 1996 :81). Les archéologues cognitifs soulignent également que l’homme à des

171 Beaucoup d’anthropologues et archéologues étudient l’archéologie cognitive et son évolution au travers

l’évolution des Hommes depuis l’hominisation. Nous ne traitons pas de cet aspect dans cette étude puisque nous traitons exclusivement des pratiques et gestes de l’homme moderne.

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états et représentations mentales nécessaires à la compréhension des objets. Le lien entre les pratiques religieuses et les représentations mentales est plus perceptible que celui qui lie les représentations mentales et les objets (Mc Cauley, 2007 : 212). L’approche cognitive des rituelles permet d’étudier les ressemblances entre les représentations mentales des gestes rituels et sur l’implication des différents états cognitifs qui caractérise la multitude de rituels possibles.

Étudier le rituel en passant par les représentations mentales qu’ils suscitent offre de nombreux avantages, notamment celui d’augmenter le nombre d’hypothèses plausibles quant à l’interprétation des objets. La psychologie et les sciences cognitives ont développé de nombreuses techniques beaucoup plus étendues et sophistiquées afin de tester ces hypothèses. Pour mener à bien l’étude d’un rituel au travers les objets, il est nécessaire de prendre en considération l’environnement, l’objet en lui-même, la religion dans laquelle se placent l’objet et les représentations mentales qui sont faites (Fig.24).

Fig.24: Causes et relations entre les représentations culturelles (Mc Cauley, 2007 : 212).

L’archéologie cognitive doit raisonner de manière indirecte pour atteindre ses objectifs en raison de l’absence d’éléments directs pour comprendre la cognition ancestrale. L’archéologie cognitive a pour particularité de raisonner à partir d’éléments indirects pour décrypter la pensée des populations passées. Christophe Coupé chercheur français au CNRS, spécialisé dans les sciences cognitives dégage deux directions pour comprendre cette approche archéologique (Coupe, 2009 : 165) :

1. Bottom-up. Il s’agit de la reconstruction d’une partie du substrat biologique pour comprendre les activités cognitives de l’homme.

Représentations mentales Pratiques religieuses Artefacts et environnement structuré

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2. Top-down. Étudie des manifestations comportementales pour la compréhension des activités cognitives.

Ces deux directions sont complémentaires pour mener à une bonne compréhension du comportement de l’homme passé.

Pour ce qui est de l’approche cognitive des pratiques mortuaires, l’enterrement d’un mort encadré par des pratiques funéraires montre une relation spécifique entre les vivants qui partagent un groupe de représentations spirituelles qui poussent les vivants à effectuer une série de gestes (Coupe, 2009 : 178)172. Les pagnes utilisés lors des cérémonies funéraires accompagnent le défunt dans l’au-delà, des offrandes pour le défunt, des gestes particuliers effectués sur le corps d’un défunt comme, par exemple, sur le corps d’une personne décédée d’une maladie incurable voit sa plaie recouverte d’un linge blanc pour éviter des représailles outre-tombe. Ces gestes montrent la capacité à envisager un monde au-delà de celui que nous percevons avec nos sens physiques et d’ouvrir nos sens dans le monde dans lequel pénètre le défunt. Nous déplaçons notre esprit dans un nouvel univers. Les funérailles sont également un témoignage d’un comportement social induit par un groupe d’individus qui partagent les mêmes valeurs et les mêmes croyances (De Beaune, 2011 : 68). Pour attester du caractère religieux et ritualisé d’une sépulture, il faut observer son environnement afin de découvrir des traces archéologiques (dépôts offrandes, position particulière des membres qui ne traduisent pas d’un dépôt volontaire, etc.). Il n’y a pas de distinction suffisante pour différencier les preuves de la pratique rituelle quotidienne de celle religieuse. L’archéologue britannique Colin Renfrew a identifié quatre aspects du rituel religieux. Ces points servent à identifier les traces archéologiques qui peuvent suggérer une pratique cultuelle. Les quatre principaux points sont (Coupe, 2009 : 178) :

1. Attention focalisée sur la zone, 2. Aspect de la zone liminale,

3. Analyse du transcendant et de la symbolique, 4. Participation et offre.

Les points n°2 et 3 mettent l’accent sur le sacré et le transcendant alors que les points 1 et 4 mettent l’accent sur les caractéristiques du rituel influencé par le côté séculier. Ce schéma s’appuie aussi bien au rituel religieux que séculier, rien ne prouve qu’un rituel est exécuté à l’égard d’un être ou d’une forme supérieure.

172 La force qui pousse les hommes à effectuer des rites quotidiens peuvent être qualifiées de surhumaine,

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Qu’il soit religieux ou non, le rituel inclut un caractère régulier, répétitif et structuré. Les personnes présentes à ce rituel ne sont pas toutes actrices, certaines personnes peuvent regarder c’est ce que l’on appelle l’« observance rituelle ». Généralement la durée d’un culte est calculée par rapport au cycle lunaire et aux saisons. Ils peuvent également être régis par le cycle naturel de la vie (naissance, baptême mariage, etc.).

La représentation du culte se traduit par la présence d’objet et de pratiques. L’archéologue étudie les relations causales entre les rituels, les objets et la représentation mentale faite par le participant/spectateur des rituels et gestes qui l’accompagnent. Sans ces trois éléments, les représentations et interprétations culturelles seraient biaisées.

La différence entre action quotidienne et rituels religieux est difficile notamment d’un point de vue de leur représentation cognitive. Les significations d’un rituel peuvent varier, mais cette variabilité n’a pas d’effet sur la stabilité des pratiques (Mc Cauley et Lawson, 2007 : 220-221).

Le principal problème quant à la représentation mentale qui est faite sur les religions basées sur une culture orale est la pression et les influences auxquelles elles sont soumises et qui modifient les pratiques, actes et discours qui en découlent. C’est ce qui se passe avec le vaudou béninois. Cette religion animiste tire sa culture de sources orales qui diffèrent avec le temps qui passe et les interlocuteurs qui narrent ses croyances et pratiques.

Ce premier chapitre vise à brosser un portrait des différents mouvements migratoires qui ont façonné la population actuelle du Bénin, ainsi que les explorations et implantations européennes. Ces grands événements ont contribué à la mise en place des croyances religieuses et la façon dont les cultes y sont rendus. Les croyances vaudou ont été replacées dans un cadre religieux. Cette religion s’appuie sur un dieu suprême, Mawu-Lisa, secondé par une multitude de divinités appelées vòdũn répartit dans des panthéons. Chaque vòdũn possède ses attributs et ses compétences. Il a également été question de faire un point sur la place de l’archéologie dans les rituels vaudous ; les études s’intéressent essentiellement à l’archéologie de l’urbanisme, mais également à la transformation du paysage, de l’économie et de la politique engendrée par la traite négrière.

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