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Historiographie de cette discipline dans l’ancien Danxomἑ

CHAPITRE 1. LA RELIGION VAUDOU AU BÉNIN : PRÉSENTATION ET APERCU HISTORIQUE

1. Quelques repères historiques et géographiques

1.3 La place de l’archéologie dans les rituels vaudou

1.3.1 Historiographie de cette discipline dans l’ancien Danxomἑ

Le Bénin est l’un des pays de l’ex-AOF le moins étudié d’un point de vue archéologique. C’est pourtant une discipline précieuse pour mieux appréhender l’histoire de la construction de ce pays notamment au travers les différents mouvements de population. Dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest, les recherches archéologiques au Bénin sont supplantées par celles du Nigeria et du Ghana.

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Les premiers archéologues sont venus en Afrique subsaharienne avant les années 1900. Dans la majorité des cas, il faut attendre la fin du régime colonial européen pour voir les premières recherches structurées et durables se mettre en place. La constitution d’un nouveau régime politique pousse les populations locales, toutes classes confondues, à demander des explications sur ses origines, sur la culture de leur peuple. On voit la création d’universités, de musées, de services d’antiquités, etc. afin d’attirer les chercheurs, notamment en archéologie, du monde entier. Majoritairement, ce sont les expatriés qui sont les premiers à s’engouffrer dans cet engouement. Cela mène à l’apparition de deux écoles de pensée ; l’école dite « universaliste » et l’école dite d’« africaniste ». Ces deux écoles s’opposent, mais pas de manière clairement définit (Sutton, 2017 : 10-11).

Pour les adeptes de l’école des universalistes, l’archéologie est universitaire et mondiale. Les régions sont découpées pour effectuer des études afin de comprendre les modes de vie des populations locales. L’objectif est de retracer les grands évènements passés jusqu’au présent qui ont structuré leurs histoires. Pour ce faire, ils s’appuient sur des sources locales (ex : entretiens oraux), des traces du changement dans le paysage sur le temps long. Le seul désagrément présent dans cette école de pensée est qu’elle n’est pas centrée sur l’Afrique, mais sur le monde en général en replaçant ce pays sur des interprétations archéologiques et anthropologiques. Ils mettent en avant des théories à tester en Afrique et non sur l’histoire et l’archéologie de l’Afrique.

Pour les adeptes de l’école africaniste, l’objectif est de produire une archéologie de l’Afrique et non en Afrique. Le but est de redécouvrir l’histoire de ce continent et des populations qui le composent. Il s’agit en réalité d’une demande du peuple pour s’émanciper vis-à-vis des anciens régimes coloniaux, mais également émane d’une volonté de développement culturel et éducatif au sein de leur pays. On est dans une révolution culturelle, l’histoire africaine précoloniale avait été jusque-là rejetée en bloc, les colons estimaient que les sources n’étaient pas suffisantes157. La vision eurocentriste plane sur l’Afrique. La raison n’est pas l’absence de recherches, mais plutôt une volonté d’imposer une vision où l’Europe est mise en avant (Sutton, 2017 : 13-14).

L’indépendance des pays placés sous la tutelle des européens a fait entrer l’archéologie africaine en tant que source historique.

157 L’Histoire de l’Afrique c’est longtemps cantonné aux explorations européennes, aux missions religieuses, aux

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Le contact avec les populations locales est primordial notamment pour les recherches archéologiques. Ces populations ne sont pas toujours familiarisées avec ce type d’études entreprit et la finalité qu’elles auront. Il est question d’effectuer nos recherches dans le plus grand respect sans désacraliser ou offenser, suivant les cas, les offrandes, l’environnement, les populations, etc. avec qui nous interagissons.

Dans les années 80-90, des projets de sauvetage ont été réalisés (Cf. Adande et Bagodo, 1991 : 49-72 et Bagodo, 1993 : 24-36), notamment celui initié entre 1978 et 1988 par Adande et Adagba sur le Bénin. Les données rassemblées concernant la « préhistoire », au sens de l’historiographie occidentale, sont maigres. Les principales découvertes archéologiques sont essentiellement localisées au niveau des vallées et des rivières. Les sources se basent sur des récits oraux traditionnels qui peuvent manquer d’objectivité ou de clairvoyance (David, 1998 :17). La majorité des recherches archéologiques béninoises se déroule dans le sud du pays (Randsbord et Merkyte, 2013 : 42). Cette discipline fait ressortir une césure entre le nord du Bénin et le sud tant d’un point de vue historique, sociale, religieux ou culturel. Pour l’Afrique, le découpage de l’historiographie préhistorique est rythmé par des épisodes de saison sèche, puis humide entrecoupé par l’installation des populations. Ces épisodes donnent un découpage de la période dite « préhistorique » comme il suit (Lugan, 2009 : 21-28) :

 Le grand humide holocène ou optimum climatique : -7 000 à -4 000 avant J.-C.,

 L’aride mi- holocène : + /- 6000 à + /- 4000 avant J.-C,

 Petit humide ou humide néolithique : + /- 5000/4500 avant JC à + /- 2500 avant JC,

 L’aride post-néolithique : + /- 2500/2000 à 1500 avant J-C.

Ce découpage est variable suivant les régions d’Afrique. Ce témoignage nous renseigne sur les migrations et les importations dans cette région puisque ces roches ne sont pas présentes à l’état naturel dans cette zone géographique. Cette vague migratoire, venant probablement du nord, apporte des objets et des savoir-faires notamment concernant la métallurgie du fer. Aucun autre élément matériel ou immatériel ne permet de dater précisément cet apport migratoire.

Dans le sud du Bénin, beaucoup de cavernes ont été mises au jour depuis 1998 notamment du à l’incident du bulldozer danois158 dans la ville de Bohicon (à une dizaine de kilomètres à l’est d’Abomey). Ces cavernes datent des XVIIe et XVIIIe siècles. Celles du XVIIIe comportent

158 Un bulldozer s’enfonce dans le sol. Quand il est retiré les responsables se rendent compte qu’il est tombé dans

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généralement plusieurs niveaux. Elles ont servi lors de la colonisation du Danxomἑ. En tout environ 1600 cavernes ont été mises au jour dans cette région (Randsbord et Merkyte, 2013 :44) (Fig.18). À l’entrée de ces cavernes se trouvent des vestiges de ce qui semble être des gisements de minerai de fer. À proximité se trouve généralement un monticule de scories de fer. La région est un grand producteur de fer au XIe siècle et atteint son apogée au XVe siècle. Cependant, la production décline pour devenir inexistante durant la période Dahoméenne.

120 a.

b.

Fig.18 : Cavernes du village souterrain de Bohicon (a. entrée d’une caverne, b. intérieure de la caverne avec différents niveaux)159.

Outre ces nombreuses cavernes, des sépultures sont mises au jour. Des objets de types poterie en terre cuite, perles de verre provenant de Venise, des pipes en terre provenant d’Europe ou des éléments de parures en bronze sont sortis. Des palais sont également étudiés comme ceux

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de l’ancien royaume de Hueda (les ruines d’Allada et Savi), les palais de Porto-Novo ou encore celui de Kétou.

Dans la région de Bohicon-Abomey, des tessons de poteries jaunes ont permis de dater l’activité artisanale de la région à -1000 ans avant J-C (période dite de la « culture de la poterie jaune » caractérisée par une production de poterie en terre cuite jaunâtre (Rivallain, 1981 : 261)). D’autres tessons ont permis d’établir une chronologie d’activité artisanale dans la région, découpée comme ceci :

 -4000 ans avant J.-C. : culture Saklo caractérisée par des empreintes de textile sur la surface.

 -2000 avant J.-C : poterie ressemblant à celle de la culture « Kintampo » au Ghana,

 -1000 ans avant J.-C. : culture de la « Poterie jaune ».

 700 à 900 après J.-C : culture dite de la « Poterie Unie » due à une poterie assez simpliste,

 1000 à 1200 après J.-C : culture Sodohomé-Bohicon.

L’argile nécessaire à la fabrication des poteries se récolte sur les bords de l’Ouémé ou du Mono. Cette argile est claire contrairement à celle de Gogbo qui est plus sombre (Rivallain, 1981 : 249).

Dans le sud du Bénin, dans les carrières de Cocotomey (actuel département de l’Atlantique) des tessons de poterie ont été mis au jour. Ces tessons ont été datés de – 724 à +/-124 ans avant J.-C. À Kraké, des tessons ont livré une datation de 1120 après JC. Sur les tessons plus récents une différence est visible, la cuisson n’est pas identique, la qualité de l’argile, la forme de la pièce et les décors varient.

À 19 km de la ville de Bohicon des outils néolithiques ont été mis au jour dans une sablonnière160.

160 Description des outils mis au jour dans la sablonnière par le professeur Davies « À 60 centimètres du sol au-

dessous d’une couche latéralisée, de gros morceaux de quartz patinés et une boule de pierre très altérée. Cette couche pourrait bien appartenir au Sangoen (ndlr : période historique présente en Afrique centrale et orientale

qui voit l’apparition d’une industrie lithique caractérisée par la fabrication d’outil, lourd, rugueux et grossier (LANFRANCHI, Raymond. « Les industries préhistoriques en R.P du Congo et leur contexte paléogéographique », In Paysages quaternaires de l’Afrique centrale Atlantique, 406 à 423. Actiques. Paris: L’ORSTOM, 1990. Page 408) (Cornevin, 1981, p.25).

« À 15 centimètres du sol une autre surface fossile est marquée par la présence de fragments de quartz, d’un éclat,

d’un nucleus, et probablement d’un retouchoir grossier, pièces qui peuvent appartenir au Late Stone Age »

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Pour ce qui est de l’habitat, au Xe siècle avant J.-C, la région de Bohicon est composée de grandes huttes rondes en argile d’environ sept mètres de diamètre. De nombreux restes de plantes et de coques de palmier carbonisé ont été découverts. Contrairement à Abomey, la ville de Bohicon n’est pas fortifiée.

Dans l’ancien royaume du Danxomἑ, il existe peu de sites datant de la période médiévale. Les habitations étaient généralement des paillotes qui laissent peu de traces sur le sol. Les quelques sites présents sont connus par les populations locales qui fouillent fréquemment les lieux à la recherche de perles enfouies dans le sol (Mauny, 1961 : 179). Des jarres contenants des perles ont été mis au jour à Tchaourou près de Parakou, à Ilé-Tchin et Idigny au nord de Kétou, mais également près de Grand-Popo.

À environ 10 km au nord-est de Kétou, des sépultures taillées dans la latérite ont été signalées, ainsi que des vestiges d’anciennes fortifications. Les Yorubas attribuent ces sépultures à des personnes d’origine Adja. Cette attribution traduit des mouvements migratoires Adja vers l’Ouest, jusqu’à ce que leur roi décide de se sédentariser à Tado (Bertho, 1949 : 124).

Sur la route de Ouidah à Allada, une butte a été mise au jour et fut interprétée comme un tumulus. Une légende raconte que les anciennes populations auraient enfoui à cet endroit des objets ayant appartenu à des étrangers venus par la mer qui aurait été massacrée. Une série de mauvais évènements auraient conduit les populations locales à interroger l’oracle qui aurait ordonné que les objets soient regroupés à cet endroit et ensevelis (Mauny, 1961 : 183). La datation de ce tumulus est inconnue.

Des traces des premiers royaumes sont également mises au jour comme des figures de rois dans différentes positions parées des différents attributs royaux, mais également des figures, d’antilopes, de chevaux de singe et de serpent. Ces représentations sont les symboles principaux de la mythologie Yorubas et du vaudou. D’autres éléments permettant de dater l’apparition de la religion vaudou fût découverte. Il s’agit de pots en mauvais états (brûlés, cassés, ensevelies) datant du XIe siècle utilisés lors des rituels vaudou. Ces pots ont servi dans des lieux de culte ou dans des temples et ont été désacralisés via une destruction physique du récipient161. La ville a décliné lors de la migration des habitants vers la ville Abomey.

161 La désacralisation d’un objet par sa destruction physique est une pratique fréquemment retrouvée dans d’autres

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Dans le nord du pays, les recherches et fouilles sont minces. Généralement une comparaison est faite avec les fouilles et travaux de recherches effectuées au nord du Ghana. Ce milieu correspond à celui présent au nord du Bénin. Un programme de recherche est réalisé dans l’Atakora. Cette région se trouve au nord-ouest de l’actuel Bénin. Des outils en pierre ont majoritairement été mis au jour (couteau, pointes de flèches, etc.), mais également pots en argile et des restes de végétaux. En 1926, un voyageur du nom d’Enzo de Chételat parcourut le nord du Royaume du Danxomἑ. Lors d’une visite dans la plaine du Mekrou au Nord il décrit :

« On trouve presque partout des traces d’anciennes habitations et des scories de fer […] d’anciennes meules et des pilons en quartzite, des couteaux et des bracelets de fer, des poteries, des éclats de jaspe et de cornaline […]. Une petite hache en diorite polie et une pointe de flèche en silex […] » (Cornevin, 1984 : 29).

Au nord-est du Bénin, l’actuel département de l’Alibori a livré des traces d’une industrie néolithique, mêlée à des scories de fer. L’essentiel des découvertes se localise à l’extrême nord dans la savane. La raison est que les vestiges (murs en élévation, ruines) sont en surface donc faciles d’accès. Autre raison, les archéologues se sont concentrés sur la savane et non sur la zone boisée que représente la forêt tropicale. Le Nord est une société plus traditionnelle où l’Islam est présent, le sud est à dominance chrétienne et vodouisant (Randsbord et Merkyte, 2013 : 72).

Les recherches archéologiques ont également mis au jour de nombreuses perles. Les Hula considèrent les perles jaunes décorées avec des stries de couleur comme l’œuvre du serpent Dan-Aïdo-Ouèdo, ce qui désigne les perles sous le terme « addo ». Certaines populations locales considèrent les perles comme les excréments de Dan-Aïdo-Ouèdo. Ces excréments seraient recherchés et enfouis par les divinités Aziza, détentrices des vertus médicinales des plantes pour les protéger. Ces perles ont des vertus sacrées162, c’est pour cette raison que les adeptes de ces divinités arborent des parures composées de perles. Certaines perles ont même des vertus prophylactiques et médicales pour guérir les maladies ou encore pour se protéger des morsures de serpents, des sorciers et des mauvais esprits (Iroko, 1993 : 3). Si un individu porte

162 Elles sont, par exemple, utilisées dans le système divinatoire du « afasi-kuè » (Randsbord et Merkyte, 2013 :

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une perle cylindrique de couleur bleu azur plus ou moins transparente appelée « nana », ce dernier ne mourra jamais dans un incendie ou dans un feu163.

Des urnes funéraires en céramique contenant les perles les plus précieuses sont placées dans les sépultures pour que les morts constituent des réserves monétaires et de parures. Elles représentent généralement la totalité de ce que possède le défunt de son vivant. Les objets déposés au sein de la sépulture suivent le défunt dans l’autre monde. Les perles mises au jour de façon fortuite au travers des travaux agricoles, des travaux ou des fouilles archéologiques sont les trésors des morts. Les perles sont aussi des attributs de pouvoirs et d’insignes dans les régalias du Bénin (ex : sandales de perles dans l’ancien Danxomἑ164).

Actuellement, le problème majeur auquel sont confrontés les archéologues qui étudient l’Afrique c’est la rareté des sources écrites et des sites archéologiques permettant de dater avec précision un fait historique notamment pour les périodes précoloniales. La période postcoloniale est marquée par des témoignages écrits dans diverses disciplines (anthropologie, ethnologie, sociologie, linguistique, etc.) et par des personnes venant de divers horizons (voyageurs, missionnaires, administrateurs coloniaux). Quelques monnaies arabes du Xe siècle ainsi que des stèles du XIe et XVe peuvent servir de terminus ante quem, mais le reste ne peut être daté.

Beaucoup de hiatus sont présents dans l’histoire béninoise, c’est ce qui a conduit à la création en 1978 de l’Équipe de Recherche Archéologiques Béninoise. Ce programme implique un repérage, catalogage, enregistrement et des fouilles pour la constitution d’un fichier archéologique propre au Bénin (Akuma, 2006 :2) (Fig. 19).

Actuellement, de plus en plus d’archéologues s’intéressent à l’archéologie du Bénin notamment dans le sud du pays. Le professeur émérite d’histoire et d’anthropologie à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) Merrick Posnansky a mené des recherches pour la compréhension au travers de l’archéologie de la diaspora africaine165. Lors des

163 Ces perles ont la caractéristique de résister au feu.

164 En 1818, lors du renversement d’Adandozon pour son frère Guézo, le premier geste pour matérialiser sa

destitution est de lui ôter les sandales des pieds, suivis du trône et du parasol, symbole du pouvoir. Certains chasse- mouches royaux ont leur manche recouvert de perles (Iroko, 1993 : 6-7).

165 Cf. POSNANSKY, M. 1984. Toward an Archaeology of the Black Diaspora. Journal of Black Studies 15:2:

195-205 et POSNANSKY, M. & C. DECORSE. 1986. Historical Archaeology in Sub-Saharan Africa: A Review.

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migrations de populations, on retrouve fréquemment un phénomène spécifique des « premiers » et des « seconds arrivés ». Les premiers migrants établissent une relation avec les esprits telluriques.

De nouvelles études archéologiques sur la question des migrations redessinent pour les dix prochaines années une partie de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest. Ces études s’attachent à étudier le mouvement des objets et des pratiques artisanales dans un espace géographique. Ces échanges s’appuient sur des réseaux routiers et d’échanges de production et de consommation qui tendent à rayonner d’un centre névralgique vers des centres périphériques (Haour, 2013)166.

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