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CHAPITRE 2. LE VODOUISANT FACE À LA MALADIE (ÀZƆ̀N)

2.1 Le vodouisant face à la maladie

2.1.1 Guérisseur traditionnel ou tradipraticien ?

Les Européens ont tendance à désigner les guérisseurs traditionnels par les termes de « médecin traditionnel », « thérapeute » ou encore « tradipraticien ». Les populations locales ont, quant à elles, tendance à employer les termes de « sorciers », « féticheurs » voir de « charlatan » pour désigner ses soigneurs (De Rosny, 1992 : 28). Ces termes ont, pour les Occidentaux, un sens péjoratif qui renvoie à de la duperie, de la tromperie sur les qualités et capacités réelles de ces hommes. Sur recommandation de l’ethnologue et archéologue français Jean-Pierre Lebeuf, l’OMS recommande d’utiliser le néologisme « tradipraticien »173 plutôt que les termes « sorcier », « féticheur » ou encore « guérisseur » souvent perçu comme des termes négatifs et qui ne reflètent pas suffisamment le savoir-faire de ces praticiens (Brelet, 2002 :16). Un guérisseur traditionnel peut être défini comme :

« Une personne reconnue par la communauté dans laquelle elle vit comme compétente pour procurer des soins de santé en utilisant des substances végétales, animales et minérales, ainsi que certaines autres méthodes […] basées sur des fondations culturelles et religieuses, ainsi que sur la connaissance, les attitudes et les croyances répandues dans la communauté

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quant au bien-être physique, mental et social et aux causes de maladie et d’invalidité » (Sofowara, 1996 :15-16).

Cette définition pose soucis, puisqu’elle inclut inévitablement les sorciers guérisseurs, les devins, voyants et spiritualistes ce qui élargit encore plus le champ d’action et peut s’éloigner des soins de santé occidentaux. Le terme « guérisseur » est également sujet à controverse puisqu’il renvoie à un concept colonial : il faudrait parler de « tradipraticien de santé »174.

Les tradipraticiens sont l’un des personnages qui contribuent au maintien de la santé d’un individu. Il occupe une place de premier rang dans la vie de ces populations. Ils reçoivent leur « don » des ancêtres, mais également d’une initiation poussée afin d’amener le patient à une guérison. Il n’y a pas de durée précise, mais la formation s’échelonne sur au moins cinq années. Ces personnes tiennent leurs savoirs de trois sources (Guillemois, 2004 : 37-38) :

1- La transcendance, c’est-à-dire des agents extérieurs qui sont supérieurs à l’Homme (dieux, génies, esprits, ancêtres). L’initiation s’effectue par intuition et/ou rêves. 2- Hérédité. Il s’agit d’un processus naturel de savoir qui se perpétue de génération en

génération au sein d’une même famille.

3- La formation, c’est-à-dire qu’un maître transmet à son élève ses connaissances, son savoir-faire.

Depuis 1995, c’est ce dernier mode de transmission qui est encouragé par plusieurs gouvernements. Cependant, les tradipraticiens sont généralement réticents à transmettre leurs connaissances à une personne indépendante du cercle familial et/ou personnel.

Entre les XVIIème et XIXème siècles, les thérapeutes ont des fonctions qui s’étendent bien au- delà de la médecine. Ils partagent le pouvoir politique avec les différents chefs de clans de villages. Véritable guide, l’autorité n’hésite pas à s’appuyer sur eux pour prendre des décisions au quotidien, notamment dans la société pré-Alladahonou (Degbelo, 1992 : 46). Lors de l’arrivée des Alladahonou au pouvoir, les tradipraticiens, perçus comme redoutables et dangereux pour la stabilité du pouvoir politique, ont été déportés ou sont partis en exil en pleine brousse. On raconte que certains thérapeutes n’ayant pas supporté cette déchéance sont poussés au suicide. Ces âmes errantes se seraient associées aux esprits de la rivière H’lan, mais

174 Terme admit en septembre 1979 lors du 3ème symposium de la Commission scientifique, technique et de

recherche de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) à Abidjan. Il est définitivement adopté en 1993 lors du cinquième symposium qui a eu lieu à Yaoundé. L’OUA est remplacée, depuis 2002, par l’Union Africaine.

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également à d’autres divinités afin de perturber les envahisseurs, responsables de leur mort (apparition de nains étranges lors de rassemblements (Tohossou), sècheresse importante, etc.) (Degbelo, 1992 :69). Pour calmer ses esprits le roi Agadja décida de s’unir avec Na Wandjilé (mère du futur roi Tègbèsou), mais également grande religieuse de la région et de modifier les conditions d’exil des thérapeutes. Désormais, ils sont déportés dans une ferme appelée « afo mayi »175. Il s’agit des fermes royales surveillées par un personnel dédié à cette tâche. Les tradipraticiens ne sont plus des exilés, mais sont asservis en tant qu’esclaves. Ceux partant en exil devaient voir leurs puissances réduites à néant par des procédés inconnus, mais leur savoir était toujours présent (Degbelo, 1992 : 70). Il s’agissait d’une mort plus ou moins figurée puisqu’ils étaient coupés de tout contact avec leurs proches, ils n’avaient plus de liberté, ne jouissaient plus d’une vie classique.

Les rois du Danxomἑ durent faire face à un problème majeur : l’enlèvement des tradipraticiens par des royaumes voisins afin que ces derniers exploitent le savoir et connaissances de ces hommes d’exception. Il fut donc décidé de ramener ces hommes à Abomey (sous Akaba, ils étaient incarcérés). On ne connaît pas leurs destinés une fois revenus dans la capitale du royaume. Certains thérapeutes connurent un sort beaucoup plus sordide, ils furent vendus comme esclaves aux négriers étrangers176, Yoruba ou Bariba. La conséquence directe de cette politique est la fuite de ces hommes hors du royaume du Danxomἑ pour aller se réfugier dans d’autres royaumes (ex : Allada). Leurs renommées atteignirent bientôt Abomey et lui fit de l’ombre (Degbelo, 1992 : 82). Bien vite, les rois aboméens se rendirent compte de la nécessité de ces tradipraticiens et de leur culte au sein de leur royaume. Pour exemple, le roi Agadja réintroduit le culte de Sakpata et fit enlever des prêtres dévoués à ces divinités pour venir à bout d’une épidémie de variole au sein de son armée. Cependant la variole recommença, mais cette fois-ci au milieu des princes. Pour les faire disparaître le roi décida de les enfermer chez Méhou, mais ils ne devaient en aucun cas être assassinés sous peine de voir leur sang coulé sur le sol. Cet interdit, habituellement dédié aux princes, montre l’importance que ces prêtres avaient prise au sein de la monarchie. Les épidémies favorisèrent également les migrations (ex : sous le règne de Houegbadja ou d’Akaba, l’épidémie de variole qui sévit fit fuir les thérapeutes et adeptes de Sakpata hors du Danxomἑ).

175 Qui signifie « où le pied ne peut aller ».

176 Amélie Degbelo rapporte dans des entretiens informels qu’elle aurait eus avec des Haïtiens et des Brésiliens

que ces thérapeutes déportés outre-Atlantique, jouissant d’un climat et d’une flore semblable à celle du Danxomἑ, se serait adonné à la pratique de soins thérapeutiques traditionnels (Degbelo, 1992 : 74).

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Vers la fin des années 70, le nombre de tradipraticien a considérablement diminué. La cause directe est la mise en place du régime marxiste de Mathieu Kérékou sous lequel ils ne pouvaient pas exercer leurs activités en dehors du cadre du régime général de santé. Il faudra attendre 1996 avec l’instauration d’un nouveau gouvernement et la reconnaissance officielle du vaudou en tant que religion pour voir le nombre de tradipraticien augmenter. Désormais, ils sont regroupés dans des associations qui favorisent leurs reconnaissances au niveau de la santé publique (Association des Guérisseurs Traditionnels du Bénin, Association des Mystiques, etc.). Il y a également eu la mise en place de l’Office de Recherche et de l’Expérimentation en Phyto-aromatique (OREP-Bénin) (Guillemois, 2004 : 36).

Dans le cadre du recours à la médecine traditionnelle, il existe plusieurs profils de tradipraticien; en premier on trouve les devin-guérisseurs. Ils appuient leurs savoirs et leur connaissance sur la divination. Second profil celui du prêtre-guérisseur. Ils tiennent leurs savoirs et connaissances des divinités pour lesquelles il officie (Kpatchavi, 2011 : 91-93).