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Le culte des « fétiches » : l’incarnation matérielle des divinités

CHAPITRE 1. LA RELIGION VAUDOU AU BÉNIN : PRÉSENTATION ET APERCU HISTORIQUE

1. Quelques repères historiques et géographiques

1.2 La religion vaudou (Afrique) : entre animisme et naturalisme

1.2.4 Le culte des « fétiches » : l’incarnation matérielle des divinités

L’incarnation matérielle des divinités vòdũn est le « fétiche »41. Le terme « fétiche » est forgé par des commerçants du Sénégal sur le mot portugais « fetisso »42 qui signifie « fée », « enchantée », « divine » ou « rendant des oracles ». On note une racine latine qui se retrouve dans « fatum », « fanum » ou encore « fari » (De Brosses, 1988 : 15). L’historien américain William Pietz précise que le mot « fétiche » vient de l’adjectif latin « facticius » qui signifie « fabriquer » (Pietz, 2005 : 8). Signalons que ce terme ne désigne pas uniquement des objets anthropiques, mais également les pratiques dites de « feitiçaria » à savoir la sorcellerie. Ce terme fut repris par les commerçants non portugais, les voyageurs et même les personnes locales. Dès cet instant, les prêtres furent nommés « fetissero », « féticheurs » (Henry, 2008 : 108).

Dans la conception de ce mot, on retrouve le caractère socioreligieux qu’incarne le « fétiche ». Il est objet cultuel, façonné par l’homme afin de donner un corps matériel à son idolâtrie, tout en étant ancré dans un cadre collectif. Cependant, signalons que le « fétiche » va bien plus loin que la simple représentation iconographique comme on peut le retrouver dans d’autres religions, il est la divinité elle-même. Nombreuses religions comme le christianisme, le judaïsme ou l’islam, par exemple, vouent un culte à un élément immatériel, une « entité » passée sur Terre, mais qui n’est plus. Le vodouisant voue un culte à une divinité incarnée dans un objet matériel. Pour exclure toute ambiguïté, nous allons employer le terme « d’objets cultuels » pour désigner les « fétiches ».

41 Nous avons volontairement mis le terme « fétiche » entre guillemets en raison de l’ambivalence de son sens. 42 Parfois orthographié « feitiço ».

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Certains auteurs, comme l’anthropologue belge Jean-Paul Colleyn, estiment que dans certains cas de figure, l’emploi du terme « fétiche » est inévitable et ne doit pas être pris dans un sens critique43, emprunt a de nombreux préjugés. Il peut s’agir, lorsqu’il est convenablement défini dès le départ, d’une simple expression employée pour comprendre une représentation et non un jugement ou une stigmatisation de croyance comme ce fut le cas par le passé. Il estime également que le fétichisme peut être intégré dans un ensemble de systèmes symboliques comprenant la divination, la science de la nature et la sorcellerie. Ce terme peut être admis dès lors où il vise l’humanité entière et qu’il ne « concerne pas le rapport d’un individu à un objet ou à un être-objet, mais celui des hommes entre eux » (Colleyn, 2004 :62).

Aux XVe et XVIe siècles, les différents récits d’explorateurs montrent que la notion de ces objets cultuels renvois à un processus purement naturel. Aux XVIIe et XVIIIe la perception de ces incarnations matérielles de divinités change ; les populations africaines ont réussi à créer un ordre à partir d’un chaos. Le médecin et botaniste suédois Carl von Linné définit le principe sociétal africain de caprice, c’est-à-dire qu’elle est rythmée par de fréquents changements (Pietz, 2005 : 15).

Le philosophe allemand Karl Marx s’intéressa aux objets cultuels pour ce qu’ils représentent, c’est-à-dire le façonnage d’une image sociale qui crée une unité à partir d’éléments hétérogènes. Quelque temps plus tard c’est le philosophe prussien Emanuel Kan qui justifie l’esthétisme de ces objets cultuels en Afrique comme futile. L’anthropologue français Claude Lévi-Strauss précise que ces objets n’ont pas de lien avec un groupe sociétal il devient alors insignifiant44.

L’historien français Bernard Salvaing précise que les Pères de l’Église ont longtemps hésité entre deux théories pour expliquer ce culte : la première est l’ignorance des païens de la véritable foi qui a conduit à l’idolâtrie. La seconde est que ces objets cultuels sont habités par des puissances maléfiques et redoutables (Salvaing, 1995 : 262). Beaucoup de missionnaires adoptèrent une position intermédiaire à savoir que ce sont les puissances maléfiques qui ont conduit ces populations à abandonner une religion monothéïste pour idolâtrer ces objets (Henry, 2008 : 109).

43 Il prend pour exemple l’emploi de termes locaux comme le bamanaya et le boliw au Mali mais qui lorsque l’on

souhaite effectuer une comparaison ne peut être employée. Il faut donc reparler de « fétiche ».

44 Cf. PIETZ, 2005 pour voir comment le terme « fétiche » a évolué au fil du temps pour arriver aujourd’hui à la

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Le principal problème quant aux sources narrant la christianisation de l’Afrique est qu’elles sont tranchées, à savoir les recherches s’appuient sur l’existence ou la non-existence d’une pensée monothéiste suivant les régions et savoir s’il est possible d’intégrer une pensée chrétienne dans l’esprit de ces populations. Cependant, l’anthropologue allemande Birgit Meyer nous offre une tout autre vision. Pour elle, l’auteur de la christianisation n’est pas Dieu, mais le diable à savoir les serpents notamment à Ouidah, au culte de Dangbè et Legba45. L’abbé Bouche nous explique que les païens (vodouisants) savent pertinemment qu’il se plie devant un démon :

« - L’Orisha est-il Dieu ? Demandai-je à mon interlocuteur. - Point du tout ! me répondit-il

- l’Orisha, c’est le démon ?

- Le démon, me dit-il avec le sourire qui me fil mal, le démon a été fait par Dieu ; il s’est révolté contre Dieu son créateur, contrariant ses vues et se plaisant à faire du mal ; il est plus faible que Dieu ; Dieu est son supérieur ; mais Satan persévère dans sa révolte contre Dieu et ne cesse de lui résister.

Je demandai à mon interlocuteur : puisque le démon est révolté et méchant, tu ne peux le servir et lui rendre un culte ?

- Et l’onichango : c’est précisément parce que le démon est méchant qu’il nous importe de prévenir et de détourner ses coups. Dieu est bon et ne nous sera point nuisible : mais le démon est terrible par sa malice ; il est bon de le calmer par des présents et de se le rendre favorable par des sacrifices […] » (Bouche, 1885 :111).

L’abbé Pierre Bouche est un prêtre français, appartenant à la Société des missions Africaines de Lyon. Il arriva au Danxomἑ en janvier 1866. Il faut cependant prendre du recul sur les propos de l’Abbé Bouche concernant le sacrifice d’hommes. En effet, Bien qu’il essayât à plusieurs reprises de caser les préjugés racistes attachés à l’homme noir en tentant de le placer à égalité avec l’homme jaune et blanc » il reste tout de même empreint à garder en lui certain préjuger tel que le fait d’un homme noir peut être perçu comme « imprévoyant, indolent, fourbe […] et irréductiblement différent du Blanc » (Huannou, 1984 : 64). L’abbé Bouche est venu

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pour christianiser les populations il voit donc les populations locales pratiquer des cultes proches du mal.

Dans le passage ci-dessus, on retrouve ici l’idée des premiers chrétiens, à savoir que les vodouisant idolâtrent ces objets cultuels par crainte. De ce fait, les premiers missionnaires chrétiens pratiquaient à parts égales aussi bien le baptême que l’exorcisme (Henry, 2008 : 110).

Cette religion dite du « fétichisme » est en usage depuis très longtemps. C’est Charles De Brosses qui introduit cette notion dans l’ethnologie au travers son ouvrage « Du culte des fétiches ou parallèle de l’ancienne religion de l’Égypte avec la religion actuelle de Nigritie »46. Des récits racontent ce qui se déroule à Ouidah au travers, par exemple, d’une description d’un culte rendu au serpent rayé qui est l’une des plus célèbres divinités (De Brosse, 1988 :18). Le support symbolique de ces idolâtries est l’objet et peut être de plusieurs sortes (Augé, 1988 : 29); naturel comme la pierre, des morceaux de bois ou représenter un élément de la nature comme la montagne, la végétation, etc. Le rapport entre le vòdũn et son utilisateur n’est pas un rapport de représentation ou de dévotion, mais d’une dépendance réciproque. Ces objets sont consacrés par des prêtres lors de cérémonies. Une fois consacré, ce sont des dieux à part entière, des talismans, des éléments sacrés (De Brosse, 1988 : 15). Il représente, unifie et identifie un groupe. Cependant, il conduit également à des discriminations au sein d’une société entre celui qui s’en occupe et l’entretien et celui qui lui est un simple fidèle.

Ces objets cultuels symbolisent une communauté puisqu’il représente et ordonne. Le terme « symbole » doit renvoyer à deux plans ; le premier celui de la logique naturelle, le second de la logique sociale. Chaque symbole possède des relations d’exclusions ou de comptabilités avec un élément naturel. Par exemple, un vòdũn accepte de l’huile rouge, mais pas la blanche, l’alcool, mais pas le tabac, les plantes dites froides, mais pas les chaudes, etc. Grâce à ces comptabilités et ses interdits indirects, on peut identifier un objet cultuel d’après les substances dont il est fait. L’objet est fabriqué en utilisant une certaine logique comme pour une recette culinaire. On le remplit de substances diverses (animale, végétale, minérale, etc.), mais également d’aliments ou de boissons qui sont prescrites et parfois interdites. Le but d’insérer des offrandes interdites est d’obtenir l’effet inverse de ce qu’on peut demander habituellement au vòdũn. Par exemple, lors d’une épidémie dans le Sud-Togo, les prêtresses Avlekete ont offert

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à Sakpata des aliments interdits. Au lieu de leur amener des denrées alimentaires issues de la terre (favorable) afin de voir partir l’épidémie (défavorable).

Pour Marc Augé, les vòdũn sont semblables aux hommes pour trois raisons (Augé, 1988 : 55) :

1. Leur représentation au corps est omniprésente (têtes aux yeux exorbités, attributs sexuels impressionnants, etc.).

2. Le corps du fidèle porte les marques de son dieu (uniforme identifiable, possession, interdit alimentaire, etc.).

3. Le « dieu-objet » décrit bien cette interaction entre le dieu (immatériel) et l’objet cultuel (matériel), mais met également l’accent sur le fait que l’objet de dévotion est semblable à l’homme.

On leur attribue une forme humaine même lorsqu’ils sont associés à des éléments de la nature. Il est sexué, on doit donc le nourrir pour qu’il se reproduise47. Pour les Yorubas, les Fon et les Ewe, lorsque l’homme meurt, il libère plusieurs éléments dont un en particulier qui se réincarne dans les descendants. C’est une trace ancestrale et non une personne réincarnée (le principe de métempsychose n’existe pas dans le vaudou, nous y reviendrons plus tard). La reproduction des dieux est plus proche de ce type de reproduction que d’une réelle reproduction sexuée. Le dieu se multiplie dans l’espace et non dans le temps, ce qui diffère de l’ancêtre (AUGÉ, 1988 : 55). Signalons également qu’un vòdũn est mortel. L’homme mécontent du vòdũn peut l’affamer afin de le mener à sa mort. Il va alors rappeler sa présence en rendant malade les hommes. On peut également le provoquer en lui offrant de la nourriture ou des boissons interdites. Autre solution, on peut déterrer le vòdũn et le détruire physiquement, c’est le cas pour un Legba48. On doit se tourner vers celui qui l’a confectionné puisque quand on déloge l’esprit, il peut se retourner contre celui qui l’offense. Néanmoins, pour désacraliser un Legba définitivement, il faut effectuer de nombreux rituels pour faire sortir l’esprit de son enveloppe matérielle, puis il faut la jeter dans le fleuve Kouffon. Cette désacralisation se fait généralement après le décès de son propriétaire. Si on ne le fait pas, le défunt ne peut pas reposer en paix. Il en va de même pour le Fâ d’un individu.

47 Les lois de la reproduction des vòdũn sont particulières. Cette reproduction nécessite la présence d’un prêtre qui

détient la formule et qui doit prélever une substance présente sur le premier vòdũn pour constituer le second (AUGÉ, 1988 : 55).

48 Il existe deux type de Legba : Tô-Legba qui ce trouve à un carrefour et Hô-Legba qui est à l’entrée des maisons.

Hô-Legba à rarement ces deux femmes, en revanche Tô-Legba est fréquemment apercut avec ses deux femmes. C’est Legba lui-même qui demande ses femmes ou non. Quoi qu’il en soit le Legba ne mange pas de magouilla, de sƆɖàbí ou de liqueur, uniquement des sodas.

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Chaque pays possède son objet cultuel qui est national et des objets cultuels qui sont personnels. Une dévotion importante leur est dédiée. Cette vénération vire parfois à la crainte, au point de prendre tout ce qu’il trouve (animal, pierre, morceau de bois, etc.) pour le diviniser. Pour ceux qui choisissent un animal comme élément à adorer, il devient objet cultuel, mais celui qui l’honore ne peut manger sa chair. Les étrangers qui consomment la chair de l’animal seront victimes de la colère de la nature. Certaines personnes ne veulent jamais voir leur divinité peut-être par crainte ou par respect. Une légende raconte qu’un souverain de la côte ayant pour objet cultuel la mer ne put effectuer des transactions avec des commerçants maritimes de peur de voir l’objet de son idolâtrie et d’entraîner sa propre mort. Il en va de même pour les objets cultuels issus des arbres ou des montagnes. Quiconque les défigures, les modifies, les coupent sera puni de mort (De Brosses, 1988 : 17).

En plus des objets cultuels nationaux et locaux, chaque village est placé sous la protection d’une divinité que la population honore pour le bien commun. On retrouve beaucoup d’autels dans les bois ou dans la brousse. Sur ces autels on y retrouve des plats, des pots en terre rempli de maïs, de riz ou encore de fruit qui symbolisent des offrandes. Les éléments qui se trouvent sur cet autel ont une signification, leur analyse permet d’étudier ce que le demandeur souhaite (ex : des cruches vides représentent la pluie, des sabres et des zagayes en temps de guerre servent à demander la victoire, des arêtes de poisson ou des os traduisent un besoin de viande ou de poissons, la présence de petits ciseaux servant à inciser le tronc des arbres signifie un besoin de vin de palmier, etc.). Au travers ces dépôts on peut y voir une marque de confiance de respect vis-à-vis des divinités. Le demandeur s’assure avec certitude d’obtenir ce qu’il souhaite. En cas d’échec, le demandeur attribue cela à la colère de l’objet sacré, il doit alors chercher un moyen de l’apaiser.

Dans le pays, il existe deux types d’objets cultuels ; ceux publics et ceux privés. Pour le premier type, ils sont de quatre sortes : serpents, arbres, mers ou encore de petites idoles en argile qui préside les conseils. On trouve devant celles-ci trois plats en bois contenant une vingtaine de petites boules de terre. Les conseillers, avant de tenter quoi que ce soit, font appel à un prêtre qui effectue une offrande à la divinité et fait sauter les boules d’un plat à l’autre. Si le nombre de boules est impair dans un grand nombre de plats, un bon augure va présider le conseil (De Brosses, 1988 :18). Ces objets cultuels sont dits « publics », puisque ces divinités

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sont honorées, particulièrement dans certaines tribus, mais fait l’objet d’un culte national au travers de tout le pays49.

Pour le second, ils sont généralement, grossiers, fabriqués en terre grasse, mais ils sont tout autant honorés que les objets de dévotion publics50. Cette catégorie regroupe les hënnouvôdoun qui désignent des collectivités familiales ou les akovôdoun51 qui sont les vòdũn familiaux. Lors d’une naissance, l’imposition des noms des protecteurs est désignée parmi ces types de vòdũn (Quenum, n.d, 69).

Le vaudou est une religion où l’unité de culte n’existe pas, mais s’appuie sur un système religieux anthropocentriste. Un homme peut adorer le tonnerre ou encore délaisser le serpent on ne le jugera pas, cette religion ne recherche pas le prosélytisme. Les vòdũn sont très importants en nombre. L’homme béninois cherche à donner un sens à ce qui est anormal. Si la terre tremble, c’est que les ancêtres sont mécontents, le tonnerre foudroie celui qui a mauvaise conscience, etc. L’administrateur français Auguste Le Hérissé tente de trouver une explication à ce comportement. Pour lui, la trop grande sédentarité de ces populations, habituées à avoir le même environnement, les mêmes pensées, les mêmes paysages, conduisent ces derniers à développer une peur déraisonnable de tout ce qui n’est pas quotidien, habituel et d’interpréter ces phénomènes avec leurs pensées et leur état d’esprits (Le Hérissé, 1911 : 97).

Les religions traditionnelles ont pour particularité de ne pas être figé dans le temps et dans les croyances. Un adepte d’une divinité n’ayant pas reçu ce qu’il souhaitait malgré de nombreuses sollicitations peut volontairement délaisser la divinité et se tourner vers un autre culte. Ce changement de culte peut aussi avoir pour origine une volonté de domination sur une population voisine. Par exemple, une conquête territoriale peut pousser le vainqueur à intégrer à ses divinités un dieu de son ennemi vaincu et à le vénérer (Perrot, 2013 : 285).