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L’approche proportionnaliste comme tempérament pluraliste aux conflits des valeurs 121

Chapitre 3. La réconciliation des droits et libertés et du pluralisme 96

B. Le statut constitutionnel des droits et libertés sous la perspective pluraliste 111

2. L’approche proportionnaliste comme tempérament pluraliste aux conflits des valeurs 121

capable de reconnaître le pluralisme des valeurs. Cependant, le fait pluraliste suppose l’existence de conflits entre des biens incommensurables, soient-ils institutionnalisés sous forme de droits ou non, et il ne suffit pas d’énoncer la primauté juridique de certains intérêts pour régler de tels conflits. Le pluralisme des valeurs révèle l’impératif de faire des choix entre différents biens incommensurables. Les droits constitutionnels n’effacent pas les tensions et conflits entre différents biens et il faut donc un processus décisionnel capable d’y pallier.

Effectivement, les droits constitutionnels ne sont pas absous des conflits des valeurs. Les droits constitutionnels rentrent en conflit avec d’autres intérêts et un schème cohérent et harmonieux

des droits n’offre pas une solution objectivement supérieure.600 Plus encore, puisque chaque droit exprime des demandes ultimes, ces dernières peuvent elles-mêmes entrer en conflit.601 John Gray nie par le fait même qu’il est possible de délimiter et contourner les conflits par une théorie substantielle des droits.

À notre avis, le droit constitutionnel canadien fait montre d’une structure capable d’accommoder les conflits de valeurs. La Charte reconnaît l’impératif de procéder à un exercice décisionnel lors de conflits opposant différentes valeurs par l’entremise de la clause limitative. Effectivement, l’article premier de la Charte prévoit la possibilité de restreindre les droits garantis dans les limites raisonnables justifiées au sein d’une société libre et démocratique. Au lieu de consacrer la primauté absolue des droits constitutionnels, la structure de la Charte reconnaît donc leur opposition à d’autres intérêts que l’État peut poursuivre de manière légitime.

La possibilité de justifier une atteinte portée aux droits constitutionnels change sans conteste le discours des droits au sein de la tradition constitutionnelle canadienne. La seule présence d’une clause limitative suffit à distinguer le constitutionnalisme canadien de la tradition constitutionnelle américaine, qui argue en faveur de la mise en application des droits sans considération pour d’autres intérêts.602 Plus encore, le libellé de l’article premier implique une logique justificatrice plutôt que fondamentaliste. 603 Le langage utilisé permet de reconnaitre la possibilité d’une action contraire aux droits, mais justifiée, plutôt que de ne limiter le discours des droits à de simples contraintes à l’action majoritaire. La présence de l’article 1 offre une structure légale apte à prendre en considération le pluralisme des valeurs par le biais de l’interprétation constitutionnelle.

La structure de la Charte offre en ce sens un terrain fertile à l’interprétation légale. La prise de décision en matière de Charte comporte un fort bagage moral, puisque la question légale sous-

600 John Gray, Two Faces of Liberalism, supra note 32 à la p 82. 601 Ibid à la p 79.

602 Malcolm Thorburn, « Proportionality » dans David Dyzenhaus et Malcolm Thorburn, Philosophical Foundations of Constitutional Law, Oxford, Oxford University Press, 2016, 305 à la p 312.

603 Charles-Maxime Panaccio, « The Justification of Rights Violations : Section 1 of the Charter » dans P Oliver, P Macklem & N Des Rosiers, supra note 331, 657 à la p 658.

jacente consiste à déterminer si l’action étatique est légitime dans un contexte donné.604 Il revient donc aux juges de déterminer si l’action entreprise est moralement acceptable eu égard aux intérêts individuels. L’interprétation légale des limites imposées aux droits constitutionnels requiert ainsi la considération d’une pluralité d’intérêts et de valeurs, avancés par les parties en présence. Pour ce faire, le principe formel de la proportionnalité s’est imposé comme cadre conceptuel du raisonnement juridique en la matière.

La Cour suprême du Canada dans le célèbre arrêt R c Oakes605 a façonné l’interprétation des limites raisonnables et justifiées dans une société libre et démocratique sous une approche proportionnaliste. Le test de Oakes s’opère ainsi en deux étapes. Lors de la première étape, les juges doivent déterminer si la règle de droit répond à des objectifs se rapportant à des préoccupations urgentes et réelles.606 Il est à noter que le critère de l’objectif urgent et réel semble s’être assoupli afin d’accommoder différents objectifs.607 La seconde étape consiste à

démontrer que les moyens et les effets de la mesure législative sont raisonnables et justifiés dans l’atteinte de l’objectif, et ce, par l’entremise d’un critère de proportionnalité. Ledit critère de proportionnalité se décompose en trois sous-critères, soit les critères du lien rationnel, de l’atteinte minimale et de la proportionnalité stricto sensu.608 Le test de l’arrêt Oakes offre donc un cadre d’analyse reposant sur le principe de la proportionnalité, capable, à notre avis, de satisfaire aux impératifs du pluralisme des valeurs.

Le principe de proportionnalité reconnaît l’existence de différents intérêts importants et requiert une évaluation des gains et des pertes dans une situation donnée, de manière à réaliser le plus possible les valeurs en conflit. L’auteur Robert Alexy définit la proportionnalité comme une exigence d’optimisation, requérant que les valeurs soient réalisées à leur plus grand potentiel dans le contexte légal et factuel.609 Le principe de la proportionnalité se décompose en trois sous- principes exprimant le raisonnement d’optimisation, soit le caractère approprié, la nécessité et la

604 Ibid à la p 657.

605 [1986] 1 RCS 103 [Oakes] 606 Ibid au para 69.

607 Charles-Maxime Panaccio, supra note 603 à la p 666. 608 Oakes, supra note 605 au para 70.

proportionnalité au sens strict.610 Le caractère approprié de la mesure implique qu’une atteinte ne peut être portée à un droit sans qu’elle ne promulgue la réalisation d’une autre valeur. La nécessité de la mesure requiert quant à elle qu’une mesure portant moins atteinte à un droit doive être préférée. Les deux premiers sous-principes se rapprochent donc des deux premiers critères du test de Oakes, soit le critère du lien rationnel et de l’atteinte minimale. Selon Alexy, il s’agit de l’application de l’équilibre de Pareto, soit une mesure d’optimisation des possibilités factuelles.611 L’adéquation de ces deux principes offre donc une optimisation relative en évitant que des coûts inutiles ne soient engendrés.612 Le troisième principe de la proportionnalité stricte signifie que l’importance de satisfaire à l’objectif visé doit être plus grande que le degré de non- satisfaction du droit. Il s’agit d’un critère d’optimisation relatif aux possibilités légales réalisé par un exercice d’équilibrage.613 Il consacre en effet la portée du troisième critère de l’arrêt Oakes qui requiert la comparaison entre les effets préjudiciables et les effets bénéfiques d’une mesure attentatoire, qui ne peut être justifiée que si elle entraîne plus d’effets bénéfiques.

La justification d’une atteinte à un droit doit donc répondre à une exigence d’optimisation par le biais de la proportionnalité. L’auteur Luc B. Tremblay propose à cet effet le modèle constitutionnel de l’optimisation des valeurs en conflit, qui tend à son avis à s’imposer comme nouveau paradigme du constitutionnalisme moderne.614 Selon ce modèle, les différentes valeurs constitutionnelles, notamment les droits constitutionnels et les décisions découlant du principe démocratique, ont le même statut dans l’ordre normatif.615 Les normes constitutionnelles ne seraient en fait que des exigences d’optimisation exprimant des valeurs concurrentes à harmoniser de telle manière à ce que chacune atteigne son effet optimal sans disparité.616 Ledit

610 Ibid aux pp 52 à 55. 611 Ibid à la p 53. 612 Ibid à la p 54.

613 Robert Alexy dénomme ce principe la Loi de la mise en balance, qu’il explique par le biais de la Formule du poids. Il nous faut préciser que ladite formule ne s’entend pas d’un calcul mathématique, mais bien de propositions légales caractérisant l’importance de l’interférence. Pour les fins de notre mémoire, nous ne détaillerons pas ladite formule, mais référons au principe sous-jacent qui veut que plus le degré d’atteinte est élevé, plus l’atteinte doit satisfaire d’autres intérêts : Ibid à la p 54.

614 Luc B. Tremblay, « Le principe de proportionnalité », supra note 288 à la p 432. 615 Ibid à la p 442.

616 Luc B. Tremblay, « Le fondement normatif du principe de proportionnalité en théorie constitutionnelle » dans Luc B. Tremblay et Grégoire C.N. Webber, La limitation des droits de la

Charte : Essais critiques sur l’Arrêt R c Oakes, Montréal, Éditions Thémis, 2008, 77 à la p 81 [« Le

modèle repose ainsi sur le principe de la proportionnalité, qui s’affirme comme critère essentiel à l’interprétation légale des droits constitutionnels, et milite en faveur d’un équilibrage des valeurs en conflit plutôt que la dominance abstraite des droits.

L’approche propotionnaliste a cependant essuyé de nombreuses critiques. L’une de ces critiques nous rejoint particulièrement, car elle dénonce l’application technique et formelle de ce principe dans des affaires à la portée hautement politique et morale.617 Effectivement, selon la critique un tel raisonnement serait même assimilable à un certain monisme, car il présumerait une commensurabilité des valeurs.618 L’analyse proportionnelle des intérêts en conflit imposerait un standard rationnel opposant les coûts et les bénéfices et reposant sur une vision arbitraire.619 Un tel raisonnement serait ainsi étranger à l’interprétativisme informé par le pluralisme des valeurs.

Pourtant, l’approche proportionnaliste semble en plusieurs points plus apte à considérer les conflits de valeurs et leur incommensurabilité que le modèle de la priorité des droits. L’approche proportionnaliste ne s’entend pas d’une simple formule technique, mais bien d’une opération capable de prendre parti de manière impartiale dans les conflits de valeurs. Elle permet au contraire de répondre aux dilemmes moraux sans préférer une théorie abstraite de la morale, mais bien de se concentrer sur les différents points de vue. Nous nous efforcerons de répondre à la critique pluraliste du modèle de l’optimisation des valeurs en conflit en proposant deux thèses, soit qu’il s’agit d’un type de discours moral et qu’il ne s’agit pas d’un processus arbitraire.

En premier lieu, le principe de la proportionnalité ne peut être assimilé à une règle technique évacuant la nature intrinsèquement morale des questions légales, mais au contraire constitue un type de raisonnement répondant aux différentes demandes morales. Si le principe de la proportionnalité en soi ne défend pas une théorie substantielle de la morale politique, il permet l’existence d’un discours essentiellement moral.620 En fait, il s’agit d’un cadre d’analyse capable

617 Charles-Maxime Panaccio, « In Defence of Two-Step Balancing and Proportionality in Rights Adjudication » (2011) 24:1 CJLJ 109 à la p 114 [« In Defence of Two-Step Balancing »].

618 Ibid à la p 114.

619 François Du Bois, supra note 473 à la p 157.

de prendre compte de l’argumentaire et de la prise de décision publique.621 Le critère de proportionnalité permet d’interpréter les problématiques légales de manière à représenter les conflits moraux sous-jacents.

Notamment, la Cour suprême du Canada ne réduit pas le test de proportionnalité à une simple exigence technique, mais reconnaît au contraire son importance.622 Selon l’auteur Charles- Maxime Panaccio, le test de proportionnalité formulé par la Cour suprême constitue un cadre de raisonnement moral.623 Une telle approche permet de déterminer quelles actions peuvent être réalisées par l’État, malgré la violation de certaines valeurs constitutionnalisées. Ainsi, ce type de raisonnement offrirait une avenue enviable afin de considérer les questions au fort contenu moral. Le critère de proportionnalité permet de faire valoir les différentes considérations afin de déterminer si une action étatique est justifiée dans un contexte moral d’incommensurabilité.

L’approche proportionnaliste serait en fait un raisonnement apte à considérer la moralité des actions prises par l’État au détriment des droits et libertés. Selon l’auteur Malcom Thorburn, le principe de la proportionnalité contribue à une culture de justification, en opposition à une culture d’autorité, où certaines valeurs sont simplement imposées.624 Le raisonnement proportionnaliste offre à l’État l’opportunité de démontrer l’importance des intérêts et des valeurs défendus par une mesure attentatoire, mais également sa capacité à contribuer aux différentes conceptions de la vie bonne. Cette approche reconnaît donc non seulement l’importance des droits constitutionnels, mais également l’existence d’autres intérêts qui peuvent contribuer au bon fonctionnement d’une société plurielle.625 Le caractère justificatif de l’approche proprotionnaliste offre donc certainement une avenue discursive plus enviable eut que le règne du majoritarisme ou du constitutionnalisme libéral classique.

Effectivement, la mise en balance de différentes considérations sous la coupe d’une logique justificatrice semble être une interprétation adéquate afin de rendre compte du pluralisme des

621 Ibid, à la p 110.

622 R c Keegstra, [1990] 3 RCS 697 à la p 735 [Keegstra]. 623 Charles-Maxime Panaccio, supra note 603 à la p 660. 624 Malcolm Thorburn, supra note 602 à la p 319. 625 Ibid à la p 320.

valeurs. Le principe de la proportionnalité offre un raisonnement rationnel et réflexif des valeurs en conflit.626 Les auteurs Minow et Singer notaient que l’interprétation des droits et libertés devait être honnête et reconnaître les conflits de valeurs par un raisonnement capable d’expliquer les choix pris afin de répondre aux atteintes aux droits.627 Pour ce faire, les auteurs arguent que les juges doivent user d’un critère de mise en balance afin de refléter les différents arguments justifiants pourquoi dans un contexte donné une considération l’emporte sur l’autre.628 L’interprétation légale des limites imposées aux droits constitutionnels doit par conséquent reposer sur une approche proportionnaliste, capable d’accommoder au mieux les différentes valeurs en conflit.

En second lieu, le principe de la proportionnalité ne défend pas une conception arbitraire de la morale, mais reconnaît au contraire la pluralité des valeurs et des conceptions de la vie bonne. Effectivement, l’opération de mise en balance possède une nature expressive, requérante de l’interprétation constitutionnelle de donner voix aux différentes considérations en présence.629

L’approche proportionnaliste offre donc un cadre décisionnel adéquat afin de rendre compte du pluralisme des valeurs, car elle rend compte des véritables conflits et donne voix aux parties.

L’approche proportionnaliste s’affirme comme une opération capable de limiter l’imposition d’une morale particulière. Le principe de la proportionnalité donne lieu à une opération formelle, laissant peu de place aux engagements moraux préalables.630 Il s’agit d’un outil de raisonnement pratique, capable de représenter les valeurs en conflit et leurs interactions plutôt que d’imposer une théorie substantielle de la moralité politique.631 Le principe de proportionnalité présuppose donc plutôt un type de raisonnement impartial.

En fait, il découle du principe de proportionnalité une plus grande impartialité morale au sein de l’interprétation légale. Selon l’auteur Luc B. Tremblay, le modèle de l’optimisation des valeurs en conflit repose sur l’interprétation égale et impartiale de la Constitution entre les conceptions

626 François Du Bois, supra note 473 à la p 157.

627 Martha Minow & Hiseog William Singer, supra note 254 à la p 908. 628 Ibid aux pp 908 et 917.

629 Iddo Porat, supra note 224 aux pp 12 et 13.

630 Charles-Maxime Panaccio, « In Defence of Two-Step Balancing » supra note 617 à la p 110. 631 Ibid à la p 120.

des différentes parties.632 L’approche proportionnaliste aurait effectivement pour objet la résolution de conflits de manière impartiale, en ne présumant pas une conception substantielle des droits et de leur priorité normative, mais en se référant aux points de vue subjectifs des parties. L’interprétation légale s’opère effectivement par une évaluation des valeurs en conflit, plutôt que par la présupposition d’un équilibre normatif préétabli.

Le modèle de l’optimisation des valeurs en conflit permet d’institutionnaliser l’impartialité morale dans le processus interprétatif. Effectivement, l’approche proportionnaliste demande un esprit ouvert aux différentes valeurs en considération des faits en présence.633 Le formalisme de l’opération de mise en balance permet d’assurer une meilleure délibération pratique et ainsi de traiter les arguments et les intérêts avancés par chacun.634 Le principe de proportionnalité permet d’éviter d’imposer un ordre constitutionnel substantiel, car il ne présuppose pas une conception unique de la morale. Au contraire, l’approche proportionnaliste repose sur l’égalité morale et fait montre de considération et d’ouverture envers les différentes conceptions offertes à l’opération de mise en balance, selon le contexte et le point de vue subjectif des parties.635 L’interprétation

légale évite ainsi de revendiquer les préférences des juges envers certaines valeurs, mais au contraire reflèterait la pluralité des valeurs dans la prise de décision. 636 L’approche proportionnaliste assure l’impartialité du processus décisionnel et offre ainsi un cadre adéquat afin d’assurer que l’interprétation légale des droits soit en mesure de faire face au pluralisme.

De plus, il nous faut souligner que l’approche proportionnaliste est informée par des contraintes factuelles, plutôt que de se cantonner à une vision abstraite dictée par quelques principes supérieurs. Le principe de la proportionnalité suppose que l’équilibre entre les valeurs en conflit soit établi selon le contexte factuel et la prépondérance des probabilités.637 Effectivement, l’application du principe de proportionnalité requiert une approche pragmatique et contextuelle afin de contempler les conflits des valeurs et leurs impacts.638 Il faut envisager les effets de la

632 Luc B. Tremblay, « Le principe de proportionnalité» supra note 288 à la p 464.

633 Luc B. Tremblay, « Le fondement du principe de proportionnalité » supra note 616 à la p 88. 634 Ibid à la p 90.

635 Ibid à la p 95.

636 Iddo Porat, supra note 224 a la p 11.

637 Luc B. Tremblay, « Le fondement du principe de proportionnalité » supra note 616 à la p 77. 638 Iddo Porat, supra note 224 à la p 12.

mesure sur le droit en question, et déterminer dans quelle proportion une telle atteinte est-elle justifiée eu égard aux conséquences de l’affaire. Le principe de la proportionnalité permet donc une meilleure adéquation à la réalité factuelle et sociale.

La justification d’une atteinte à un droit constitutionnel s’entend donc d’une évaluation assidue non seulement des principes légaux, mais des conséquences pratiques. L’interprétation légale doit donc mesurer l’intensité des interférences entre les valeurs pour ensuite s’assurer qu’elles ne sont pas excessives dans l’affaire donnée.639 Le principe de la proportionnalité ne présuppose pas de solutions préétablies, car ces dernières sont dépendantes des intérêts en conflit. Le principe de la proportionnalité est donc pragmatique et suppose que l’équilibre des valeurs ne peut être réalisé dans un contexte donné.

Ainsi, l’approche contextuelle et pragmatique alliée à l’impartialité morale propre au test de proportionnalité permet d’offrir un cadre d’analyse susceptible d’accommoder les demandes conflictuelles. Effectivement, l’approche proportionnaliste n’énonce aucun engagement quant à la résolution des conflits, mais suppose plutôt que la résolution des conflits dépendra de la justification énoncée.640 Le processus de justification permettrait de faire montre des intérêts et valeurs particuliers à une affaire et de fournir une réponse adéquate aux situations données. L’opération de mise en balance permet ainsi de consacrer la flexibilité de l’interprétation des valeurs constitutionnelles, plutôt que la dominance d’un paradigme particulier.

En fait, il nous faut concevoir l’interprétation des droits constitutionnels comme étant incomplète sans rendre compte des autres valeurs à optimiser. La théorie des droits constitutionnels de Robert Alexy énonce à cet effet que les droits sont le produit de décisions incomplètes sur des valeurs concurrentes, garantes de la réalisation de différentes conceptions de la vie bonne, mais ouvertes aux autres intérêts.641 Les droits constitutionnels ne pourraient se prévaloir de réponses déjà formulées et doivent être interprétés de manière à faire face aux contraintes factuelles et légales propres à une problématique donnée.

639 Luc B. Tremblay, « Le fondement du principe de proportionnalité » supra note 616 à la p 85. 640 Malcolm Thorburn, supra note 602 à la p 322.

L’interprétation légale des droits constitutionnels requiert en fait une approche capable de prendre en considération les valeurs concurrentes et les faits en l’espèce afin d’obtenir une réponse complète aux problématiques légales. Selon Alexy, l’optimisation des différentes considérations par l’exercice de proportionnalité serait ainsi légitime afin de s’abstenir de répondre aux conflits de valeur par une simple sélection arbitraire, et au contraire réconcilier les différentes demandes morales.642 Par conséquent, l’approche proportionnaliste et ses assises justificatrices et pragmatiques font montre d’une flexibilité apte à accommoder la réalité axiologique plurielle.

La jurisprudence de la Cour suprême en matière de liberté d’expression illustre le détournement