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Le cadre pluraliste instauré par l’institutionnalisation des droits 112

Chapitre 3. La réconciliation des droits et libertés et du pluralisme 96

B. Le statut constitutionnel des droits et libertés sous la perspective pluraliste 111

1. Le cadre pluraliste instauré par l’institutionnalisation des droits 112

Le statut constitutionnel des droits et libertés a été le plus souvent associé à une priorité normative leur permettant de l’emporter face aux autres considérations légales. Le professeur Luc B. Tremblay dénomme cette conception du statut constitutionnel des droits sous le vocable du modèle de la priorité des droits.Selon le professeur Luc B. Tremblay, le modèle de la priorité des droits offre ainsi une priorité de principe à certains intérêts et valeurs sur tout autre intérêt, leur conférant un statut de valeurs fondamentales au sein de notre société.549 Les droits constitutionnels ne pourraient ainsi être limités que par des considérations tout aussi fondamentales.

Le modèle de la priorité des droits le plus répandu s’entend certainement de la théorie des droits comme atouts (ou « rights as trumps ») de Ronald Dworkin. Selon ce dernier, les droits détenus par un individu l’emportent sur les buts collectifs, qui sont insuffisants pour justifier la perte subie par un individu lors de la privation de son droit.550 Les droits constituent en fait des raisons d’actions individuelles qui ne peuvent pas en principe être écartées.551 La théorie de Dworkin

548 Wojciech Sadurski, supra note 497 à la p 89.

549 Luc B. Tremblay, « Le principe de proportionnalité », supra note 288 à la p 434. 550 Ronald Dworkin, Taking Rights Seriously, supra note 24 à la p xi.

permet donc à l’individu d’accomplir quelque chose, et ce, à l’abri du joug de la majorité et des considérations utilitaires.552

La théorie de Dworkin reconnaît que ce statut d’atout n’est pas absolu, puisqu’il reconnaît l’existence de limites intrinsèques et extrinsèques aux droits qui visent à éviter un coût trop élevé par rapport à l’intérêt protégé.553 Notamment, les conflits entre différents droits, ou les conflits internes à un droit permettent d’établir les limites de ces derniers. Dworkin rejette cependant l’imposition de limites par le biais d’intérêts concurrents ne relevant pas d’un autre droit garanti, car le coût social en serait trop élevé.554 Cependant, certains intérêts peuvent limiter les droits, mais ce, seulement lorsqu’ils concordent avec les considérations morales sous-jacentes aux droits, soit l’égalité et la dignité.555 Les intérêts non constitutionnalisés pourraient limiter les droits, en raison des considérations prélégales qui ont mené à l’institutionnalisation des droits.

Le modèle de la priorité des droits suppose donc une hiérarchie des valeurs. Sous le couvert de ce modèle, les droits constitutionnels reposent sur un ordre normatif substantiel fixant une hiérarchie de valeurs dans l’abstrait.556 Les droits constitutionnels réfèrent donc à un idéal où les rapports et équilibres sont préétablis selon une théorie substantielle des droits.557 En effet, ce type de constitutionnalisme est fondé sur des valeurs fondamentales sur lesquelles reposent les droits constitutionnels.

L’acceptation du fait pluraliste s’oppose cependant à l’existence d’une telle hiérarchie. En fait, selon l’auteur John Gray, les doctrines légalistes donnant priorité aux valeurs sous la forme de droits constitutionnels seraient rejetées du seul fait du pluralisme.558 L’auteur avance que la théorie de Berlin ne peut justifier l’absolutisme d’un tel projet légaliste.559 La moralité politique fondée sur des droits isolés des conflits moraux ne saurait aller de pair avec la thèse pluraliste.560

552 Ibid à la p 193. 553 Ibid à la p 200. 554 Ibid à la p 201.

555 Ronald Dworkin, Taking Rights Seriously, supra note 24 à la p 205.

556 Luc B. Tremblay, « Le principe de proportionnalité », supra note 288 à la p 434. 557 Ibid à la p 436.

558 John Gray, « Agonistic Liberalism », supra note 480 à la p 121. 559 Ibid à la p 119.

Les valeurs libérales institutionnalisées au travers d’instruments légaux ne seraient donc pas aptes à prendre en compte le pluralisme des valeurs.

De même, le professeur Gunnar Beck a avancé que le pluralisme des valeurs permettait de remettre en question les fondements philosophiques de la priorisation des droits. Il soutient que le modèle de la priorité des droits souffre d’un manque de légitimité, car il suppose une nature humaine uniforme.561 Ces doctrines légales prétendent que les droits et libertés sont l’expression des conditions nécessaires pour permettre la réalisation de la nature humaine.562 Les droits et libertés formeraient donc un tout cohérent capable d’exprimer la nature humaine.

Il faut également éviter de justifier la priorité normative des droits constitutionnels par une théorie substantielle et objective de la morale. Selon le professeur Robert D. Sloane la théorie des droits de Dworkin, fondée sur l’égalité et la dignité de l’être humain, trouve ses assises dans une proposition essentiellement fondamentaliste. 563 Elle présuppose une fondation morale

objective capable d’assurer la validité normative des droits.564 À cet égard, le professeur Sloane

énonce qu’une telle prétention offre une vision dogmatique et universaliste du projet des droits et libertés.565 La vision fondamentaliste offerte par le modèle de la priorité des droits suppose une vision unique soutenue par la promotion univoque de certaines valeurs au détriment d’autres.

L’auteur conteste notamment cette attitude fondamentaliste sur la prétention qu’elle repose sur une certitude objective. Notamment, l’accent mis sur les principes d’égalité et de dignité par Dworkin se fonde sur un intuitionnisme sujet à la controverse, car il suppose une conception antécédente et objective de la dignité humaine.566 Selon Sloane, une telle proposition manque de certitude, car elle repose sur une supposition métaphysique de la nature humaine, incapable d’en représenter toutes les avenues.567 L’existence de fondations morales objectives capables de

561 Gunnar Beck, « The Idea of Human Rights between Value Pluralism and Conceptual Vagueness » (2007) 25:3 Penn State International Law Review 615 à la p 619.

562 Ibid à la p 623.

563 Robert D. Sloane, « Human Rights for Hedgehogs? Global Value Pluralism, International Law, and Some Reservations of the Fox » (2010) 90 BUL Rev 975 à la p 980.

564 Ibid à la p 988. 565 Ibid à la p 1004. 566 Ibid à la p 989. 567 Ibid à la p 979.

soutenir de manière substantive la priorité de certaines valeurs est une proposition sourde au pluralisme des valeurs.

Le pluralisme des valeurs requiert une égale considération des différentes conceptions de la vie bonne, ce qui implique une certaine impartialité dans la prise de décision publique. L’auteur Luc B. Tremblay soutient à cet effet que le modèle de la priorité des droits ne fait pas montre d’une telle impartialité.568 En effet, l’auteur soutient que ce modèle constitutionnel n’est pas neutre, car il présuppose le caractère universel d’une certaine conception de l’être humain sous le couvert d’une raison universelle.569 Le modèle de la priorité des droits ferait donc montre d’une certaine partialité en faveur d’une vision morale substantive définie par les droits constitutionnels.

Effectivement, le pluralisme des valeurs suppose une certaine impartialité afin d’accommoder la pluralité des intérêts humains. Selon Tremblay, le modèle de la priorité des droits octroie un caractère fondamental à certaines valeurs, imposant ainsi une idéologie dominante contraire à la pluralité des visions de l’humanité.570 Cette théorie légale ne serait pas apte à saisir les

désaccords et la pluralité des conceptions de la vie bonne, car elle ne refléterait que la théorie morale substantive propre au constitutionnalisme libéral qui dénote d’une culture particulière.571 Le pluralisme des valeurs requiert une théorie légale impartiale, capable d’accommoder différentes conceptions morales et leurs conflits inhérents.

Par contre, il ne faut pas en conclure que le projet des Chartes des droits est nécessairement incompatible avec le pluralisme des valeurs. Il faut plutôt concevoir les droits constitutionnels à la lumière des enseignements pluralistes. Tel que mentionné précédemment, Berlin reconnaissait l’importance des droits et libertés afin de permettre l’ouverture de différentes avenues en conformité à sa théorie axiologique. Cependant, il dénonçait la propension absolutiste hissant ces derniers au statut de valeurs fondamentales sans autre commune mesure. Par conséquent, le pluralisme des valeurs remet en question la justification fondamentaliste du statut normatif des droits et libertés, plutôt que la légitimité même de ce statut.

568 Luc B. Tremblay, « Le principe de proportionnalité », supra note 288 à la p 459. 569 Ibid à la p 458.

570 Ibid à la p 456. 571 Ibid.

Afin de justifier le statut normatif octroyé aux droits constitutionnels, il faut s’intéresser à leur utilité. Le statut normatif des droits constitutionnels ne repose pas sur leurs fondements moraux, mais plutôt sur ce qu’ils apportent à la vie humaine.572 La justification des droits constitutionnels repose sur les bénéfices d’un tel institutionnalisme sur la société pluraliste.573 Le statut légal supérieur échu aux droits et libertés doit donc se justifier par leur apport à la société.

À cet effet, Joseph Raz reconnaît que les droits constitutionnels constituent des éléments importants du réseau de valeur, sans toutefois prétendre que leur légitimité découle de la primauté morale envisagée par le modèle de la priorité des droits. L’auteur qualifie les droits constitutionnels comme des moyens de protection institutionnelle du bien collectif.574 Selon l’auteur, les droits constitutionnels font partie intégrante des arrangements institutionnels nécessaires afin de protéger la stabilité sociale et la culture politique et d’assurer la pérennité de la société.575 Le statut normatif des droits serait donc étranger à leur contenu moral, mais serait

plutôt tributaire de leur rôle, soit la promotion d’un environnement politique convenable.

Les droits constitutionnels trouvent en fait leur justification dans leur apport institutionnel. Les droits constitutionnels sont légitimes non pas sur un fondement normatif, mais en raison de leur capacité à offrir un cadre permettant de prendre des décisions légitimes.576 Effectivement, les droits constitutionnels font partie du cadre institutionnel de contrôle et d’équilibre (ou « check

and balance ») et permettent de contrer l’abus d’intérêts privés. 577 Le statut constitutionnel des droits et libertés œuvre en fait comme une mesure de protection institutionnelle par leur capacité à mesurer l’efficacité de l’action étatique. Le rôle institutionnel des droits constitutionnels s’entend donc d’un effort structurel encadrant la légitimité du pouvoir et non seulement d’une limite à cette légitimité. L’on oppose les droits constitutionnels non pas aux objectifs de l’État en

572 Robert D. Sloane, supra note 563 à la p 997; Gunnar Beck, supra note 561 à la p 655. 573 François Du Bois, supra note 473 à la p 176.

574 Joseph Raz, The Morality of Freedom, supra note 46 à la p 257. 575 Ibid à la p 260.

576 Gunnar Beck, supra note 561 à la p 655. 577 Ibid à la p 623.

raison de leur primauté, mais pour assurer la réalisation d’une pluralité de valeurs.578 Le rôle institutionnel des droits est donc celui de principes régulateurs de l’action étatique.

Ainsi, le statut constitutionnel des droits et libertés leur permet de former un catalyseur capable de considérer et de diriger l’action étatique dans une optique pluraliste. Selon l’auteur Robert Pildes, les droits constitutionnels seraient ainsi mieux compris comme des instruments capables de générer les raisons suffisantes pour encadrer le bien-être collectif en considération d’intérêts individuels.579 Il s’agit d’une plateforme où les différents intérêts incommensurables, tant individuels que collectifs, peuvent être confrontés. Par conséquent, le statut constitutionnel des droits et libertés forme un lieu de rencontre de différentes valeurs et intérêts, plutôt qu’une dominance moniste de certaines valeurs au détriment de certaines autres.

Les droits constitutionnels permettent donc d’évaluer les mesures étatiques prises pour le bien collectif, en considération des intérêts individuels défendus par leur contenu moral. Le statut normatif des droits offre ainsi une mesure de justification à la légitimité des actions de l’État par l’entremise de l’interprétation légale. Ainsi, les droits constitutionnels opèrent à la manière d’exigence de justification et leur interprétation relève donc d’un exercice d’évaluation des actions étatiques. Le statut normatif offre donc le cadre pour considérer les conflits entre biens incommensurables afin d’éviter la dominance des intérêts collectifs sans contrepartie pour les intérêts individuels.

Le cas de l’aide médicale à mourir dans la jurisprudence canadienne offre une avenue intéressante afin d’évaluer le statut des droits constitutionnels eu égard à leur apport institutionnel. Dans l’arrêt Rodriguez, l’appelante soulevait que la prohibition de l’assistance au suicide bafouait son droit à la liberté et la sécurité de la personne en la privant de vivre sa vie dans la dignité, de son autonomie corporelle et de liberté contre toute ingérence sur ses décisions personnelles. De prime abord, la Cour s’intéresse à l’économie de l’article 7 et fait remarquer que le droit à la liberté et la sécurité ne peut être dissocié de sa troisième composante : le droit à

578 Luc B. Tremblay, « Le principe de proportionnalité », supra note 288 à la p 442. 579 Richard H. Pildes, supra note Error! Bookmark not defined. à la p 184.

la vie.580 Selon la Cour, le droit à la vie s’entend d’une valeur sacré, au fondement même la société et consacrant au sien de la Constitution notre respect pour la vie.581 Le juge Sopinka avance ainsi que le choix du suicide assisté doit être considéré à la lumière de la valeur fondamentale de la vie.582 La Cour suprême reconnaît tout de même l’atteinte à la sécurité de la personne découlant de l’interdiction d’assistance au suicide, puisqu’elle prive l’appelante de son autonomie personnelle et sera la cause de douleurs.583

Par la suite, la Cour doit déterminer en vertu de l’article 7 si cette atteinte est en conformité avec les principes de justice fondamentale, notamment si la restriction promeut l’intérêt de l’État et n’est pas arbitraire ou injuste.584 L’interdiction au suicide assisté a pour objet la protection des personnes vulnérables et repose sur l’intérêt de l’État dans la protection de la vie.585 Selon la Cour, le respect de la vie humaine fait l’objet d’un consensus qui doit nous garder de miner les institutions qui la protègent. Ainsi, la Cour avance que le maintien de l’interdiction de l’aide au suicide sert à maintenir le respect de la vie et à dissuader du suicide, sans quoi l’État pourrait être perçu comme approuvant le suicide dans certaines situations.586 La majorité conclut ainsi que

l’interdiction du suicide assisté est en conformité avec les principes de justice fondamentale et donc qu’il n’y a pas d’atteinte au droit de l’appelante.

Quelques années plus tard, la Cour suprême dans l’arrêt Carter confirme que le caractère sacré de la vie est une valeur fondamentale de notre société, mais que l’article 7 n’exige pas que toute vie humaine soit préservée.587 Par la suite, la Cour s’attarde à la question de la liberté et de la sécurité de la personne, notant que l’autonomie et la dignité de la personne soutiennent ces deux droits.588 De l’avis de la Cour, la prohibition de l’aide à mourir limitait le droit en cause, en raison des problèmes de santé grave qu’elle subirait sans la levée de l’interdiction et des

580 Rodriguez, supra note 464 à la p 584. 581 Ibid à la p 585. 582 Ibid à la p 586. 583 Ibid à la p 589. 584 Ibid à la p 594. 585 Ibid aux pp 605 et 606. 586 Ibid à la p 608. 587 Ibid au para 63. 588 Ibid au para 64.

conséquences.589 Effectivement, la loi priverait les personnes aux prises avec une telle maladie de la possibilité de prendre des décisions quant à leur intégrité. Il s‘agit donc d’une négation de leurs choix à certains traitements, qui revêtent d’une grande importance pour leur sentiment de dignité et d’autonomie.590 La Cour conclut donc une nouvelle fois à l’atteinte au droit.

La Cour revient ensuite sur l’évaluation de la conformité de l’atteinte aux principes de justice fondamentale, afin de déterminer si la loi était arbitraire, excessive ou avait des conséquences disproportionnées face à l’objet de la loi : la protection des personnes vulnérables susceptibles de se suicider dans un moment de faiblesse.591 La Cour rejette les prétentions de l’intimée à l’effet que l’objet de la prohibition s’entend de la protection de la vie, en toutes circonstances.592 L’objet de la loi définie, la Cour arrive à la conclusion que cette dernière se pourvoit d’une portée excessive.593 Effectivement, toutes les personnes demandant le suicide assisté ne sont pas vulnérables et une telle interdiction est donc excessive.

Par conséquent, les arrêts Rodriguez et Carter font montre d’une attention particulière à l’apport institutionnel des droits, mettant en opposition les intérêts individuels découlant de ses droits constitutionnels et l’intérêt de l’État d’interdire le suicide. Effectivement, la Cour suprême a fait preuve d’un exercice de pondération entre les valeurs en cause. Dans le cas de Rodriguez, le caractère fondamental du respect à la vie a été préféré, consacrant ainsi l’importance institutionnelle de préserver l’interdiction en cause. Plus d’une dizaine d’années plus tard, l’arrêt

Carter revient sur la question, précisant que la préservation de la vie n’était qu’une valeur

directrice sans plus, la protection des personnes vulnérables étant le véritable objet. La détermination de l’atteinte semble donc être une plateforme où s’affrontent les intérêts individuels et collectifs corolaires à la situation en cause.

L’interprétation constitutionnelle du droit prévu à l’article 7 semble s’éloigner de la conception libérale des droits comme atouts, consacrant l’absolutisme des droits et leur uniformité au sein

589 Ibid aux para 66 à 68. 590 Ibid au para 68. 591 Ibid aux para 72 à 74. 592 Ibid au para 78. 593 Ibid aux para 85 et 86.

d’une moralité substantielle cohérente. Effectivement, la jurisprudence fait montre d’une analyse poussée des valeurs sous-jacentes afin d’exposer les différents intérêts en présence et leur opposition. Ainsi, plutôt que de défendre le statut d’atout des droits, la Cour cherche plutôt à déterminer l’utilité et la légitimité de mesure législative dans le contexte donné. L’interprétation de la Cour fournit donc un espace pour discuter des valeurs abstraites en cause dans le contexte particulier de la légitimité de l’interdiction de l’aide médicale à mourir.

Enfin, la structure de la Charte fait montre d’un mécanisme décisionnel pluraliste, prévoyant l’éventualité d’une dissension légitime entre les différents pouvoirs sur l’interprétation des droits et libertés. La clause nonobstant prévue à l’article 33 permet aux législatures de passer outre certains droits, ou plus précisément outre l’interprétation des tribunaux de ces droits. Le mécanisme légal fait donc office d’un moyen de contestation légitime, reconnaissant la possibilité d’une position distincte sur une même affaire.594 L’interprétation constitutionnelle des

droits prévus à la Charte ne fait ainsi pas office de normes absolues, mais reconnaît au contraire la possibilité de positions contentieuses.

L’Assemblée nationale du Québec a notamment fait usage de l’article 33 pour sauvegarder une obligation d’affichage en français incluse dans la Charte de la langue française595. Dans l’arrêt

Ford c Québec (Procureur général)596 , la Cour suprême invalidait la disposition imposant

l’affichage unilingue français au Québec, sur la foi de la liberté d’expression, comprenant le droit de s’exprimer dans la langue de son choix.597 Bien que la Cour reconnaisse la menace pesant sur la langue française et que la préservation du visage linguistique du Québec est importante, elle soutient que l’interdiction complète n’est pas raisonnable et proportionnée.598

Le sort de la langue française demeure cependant un sujet contentieux, tel que l’illustre l’emploi de la clause nonobstant suite à la décision de la Cour suprême. Suite à cette décision,

594 Stéphane Bernatchez et Marc-André Russell, « Grandeur et misère de la théorie du dialogue en droit constitutionnel canadien », dans Le droit public existe-t-il?, Bruxelles, Centre de droit public de l’Université libre de Bruxelles, 2008, 1 à la p 34.

595 LRQ, c C-11.

596 1988 CanLII 19 [Ford]. 597 Ibid au para 40.

l’Assemblée nationale modifiait ladite loi pour y inclure une dérogation à l’application des chartes, abrogée depuis, exprimant cependant ainsi son désaccord avec l’interprétation de la Cour suprême.599 La structure de la Charte démontre que les droits ne sauraient être assimilés à des valeurs absolues, mais plutôt à des moyens d’exprimer les intérêts individuels face aux intérêts collectifs. Il demeure cependant qu’il s’agit d’un lieu de rencontre, plutôt que d’un effort de priorisation tel que le démontre l’existence du mécanisme prévu à l’article 33.

En conclusion, les droits constitutionnels ne peuvent donc être justifiés sous l’approche pluraliste