• Aucun résultat trouvé

4.4 La notion de compétences

4.5.4 L’apport des ressources humaines

Nous avons déjà brièvement abordé l’évaluation en lien avec les modèles de gestion des ressources humaines (§ 4.4.2 La gestion par les compétences) en relevant que le type d’évaluation, choisie par l’organisation, était fonction du mode de gestion RH en vigueur.

Pour rappel, le bilan de compétences prenant la forme d’une direction par objectifs se retrouve dans « le modèle individualisant », alors que la reconnaissance professionnelle par les pairs recourant à des critères se retrouve dans « le modèle conventionnaliste. » (Pichault & Nizet, pp. 154-155)

Emery et Gonin (Emery & Gonin, 2009) relèvent l’insatisfaction entourant ce qu’ils nomment « les démarches et procédures par lesquelles les prestations fournies par une collaboratrice ou un collaborateur sont soumises à une appréciation critique… » et dans lesquelles s’inscrit l’évaluation et, plus spécifiquement, l’évaluation des performances.

L’insatisfaction que ces auteurs relèvent est due au fait que les procédures mises en œuvre dans les organisations « ne conduisent pas à une amélioration des performances et de la motivation du personnel. » En reprenant d’autres auteurs (Coens et Jenkins, 2007), Emery et

55

Gonin observent même que ceux-ci « n’hésitent pas à recommander la suppression pure et simple des systèmes traditionnels d’évaluation, arguant notamment qu’ils […] ne permettent pas véritablement de cerner objectivement les performances réalisées. » (ibid., p. 176)

Gonin et Emery rappellent néanmoins que les collaborateurs ont besoin, d’un point de vue motivationnel, d’obtenir une appréciation du travail fourni. En effet, selon eux,

« l’indifférence est sans doute plus lourde encore que de franches (et justifiées) critiques négatives. » (op. cit., p.176) Ils placent ainsi l’évaluation comme :

…un moment privilégié pour discuter de la collaboration entre la personne évaluée et sa ou son responsable, ouvrant ainsi la voie à une certaine réciprocité dans l’évaluation, la personne évaluée appréciant dans quelle mesure sa ou son responsable lui fournit un soutien efficace dans l’accomplissement de ses missions (ibid., pp.176-177).

L’évaluation serait ainsi bénéfique tant pour le collaborateur que pour le supérieur hiérarchique (cadre) ou pour l’organisation.

Le collaborateur peut ainsi :

discuter des prestations fournies ; clarifier les relations de travail, en améliorant la communication ; comprendre comment son action s’insère dans les objectifs globaux de l’organisation ; exprimer sa satisfaction par rapport à son poste et aux conditions d’encadrement ; comprendre comment s’améliorer dans son travail et déterminer les mesures de développement des compétences ; aborder ses souhaits d’évolution professionnelle. (ibid., p.177)

Le supérieur hiérarchique peut :

faire la synthèse des feed-back donnés pendant la dernière période ; renforcer le dialogue et la confiance mutuelle ; obtenir des informations sur la satisfaction de la collaboratrice ou du collaborateur à son poste, mieux la ou le connaître ; préciser ses attentes et objectifs ; déterminer les besoins de développement des compétences ; aborder les souhaits d’évolution professionnelle de la collaboratrice ou du collaborateur ; et, le cas échéant, disposer d’élément concrets permettant de fixer l’évolution salariale. (ibid., p.177)

Les directions de l’organisation peuvent :

favoriser l’atteinte des objectifs et améliorer les prestations fournies ; créer les conditions pour développer et renforcer la motivation, la satisfaction et l’implication du personnel ; révéler les besoins de développement des compétences et d’évolution professionnelle ; récolter des propositions d’amélioration du fonctionnement de l’organisation ; contribuer à créer un sentiment d’équité dans l’organisation. (ibid., p.177)

56

Emery et Gonin résument « l’entretien d’appréciation » comme permettant « …de discuter du rôle tenu (descriptif) [en référence au réel] en mettant en perspective les résultats atteints avec le rôle attendu (prescriptif) alors qu’auparavant, la description du poste a permis à la collaboratrice ou au collaborateur d’accepter le rôle attendu communiqué à travers ce document …» (op.cit., p. 178)

Toujours selon ces mêmes auteurs, il existe trois systèmes d’évaluation : la qualification du personnel, le contrat de performance et le développement des compétences.

Le premier système implique peu le collaborateur ; il fait recours à « l’approche par critères » qui constitue « l’ossature de base de l’évaluation ». Cette procédure jugée trop

« unilatérale » est progressivement remplacée par l’évaluation de type « contrat de performance qui s’inscrit dans le courant de la direction par objectifs ». Selon Emery et Gonin :

l’accent principal est mis sur la détermination et le suivi d’objectifs, [avec] l’idée de “critères”

fréquemment reprise de l’approche classique de qualification du personnel. De la sorte, le formulaire d’évaluation comprend une partie de critères, souvent communs pour l’ensemble du personnel […], ainsi qu’une partie dévolue aux objectifs [...]. Cette formule force la hiérarchie à déterminer des objectifs […] permettant ensuite une évaluation précise des performances accomplies. (ibid., p.180)

Emery et Gonin notent trois niveaux d’objectifs : les objectifs globaux ou institutionnels, les objectifs de l’unité et les objectifs personnels.

Au-delà de la qualité de rédaction, un objectif26 devrait être, selon Emery et Gonin

« exprimé en un état à atteindre, et non pas une action à réaliser ; pouvoir être apprécié au moyen d’indicateurs qualitatifs ou quantitatifs, objectifs (basés sur des faits) ou subjectifs (basés sur des perceptions) ; avoir une ou un responsable et un délai ; être assorti des moyens nécessaires à sa réalisation. » Ceci permet de distinguer deux catégories d’objectifs : les objectifs de production ayant des critères permettant d’évaluer la production elle-même (volume, temps,…) et les objectifs d’effet assortis de critères permettant d’évaluer la situation nouvelle à atteindre (accroissement ou diminution d’une situation particulière). (ibid., pp.506-507)

26 Il est courant de dire qu’un objectif doit être SMART, c’est-à-dire : Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réaliste et Temporellement définit, afin de pouvoir être évaluable.

57

Le troisième système d’évaluation, celui du développement des compétences, s’inscrit, selon Emery et Gonin, dans « la philosophie de l’évaluation formative » :

A l’extrême, ce système ne comporte pas de résultat d’évaluation ni de note globale (évaluation globale des performances…), mais uniquement des orientations de développement, des mesures de soutien par la hiérarchie, de formation professionnel et personnel,…, et dans cette perspective, l’auto-évaluation sera aussi importante que l’évaluation par la hiérarchie.

[…] Sous une forme beaucoup plus élaborée, cette évaluation donne lieu à un bilan de compétence réalisé au moyen d’outils tels qu’entretien structuré, analyse biographique,… » (ibid., p.181)

Enfin, l’apport des ressources humaines amène une tendance en matière d’évaluation qui s’oriente vers ce que les spécialistes appellent « l’évaluation 360° 27». Emery et Gonin la présentent comme étant :

une formule où plusieurs personnes évaluant une ou un même collaborateur […] ; ces évaluateurs peuvent se trouver en position hiérarchique […], en position fonctionnelle […], en position de client […], en position de subordonné […]. Point commun entre ces personnes : elles connaissent toutes, sous un angle différent il est vrai, la personne évaluée, et sont donc à même d’apprécier en connaissance de cause ses performances. » (ibid., pp. 186-187)

Nous retenons de l’apport des ressources humaines dans l’évaluation que si le type d’évaluation est fonction du modèle de gestion RH en œuvre dans l’organisation, il n’en demeure pas moins qu’un questionnement au sujet de la plus-value de l’évaluation pour les organisations existe. La plus-value doit apporter une réelle amélioration des performances et de la motivation des collaborateurs, ce qui, selon l’approche choisie, risque de ne pas être le cas. En cela, l’approche par les ressources humaines rejoint les interrogations proposées par Demailly au sujet de la méta-évaluation.

La gestion par les ressources humaines tente de mettre en œuvre un type d’évaluation qui se doit d’être éminemment positive et basée sur un rapport « gagnant-gagnant-gagnant » (le collaborateur-le manager-l’organisation). Ce type d’évaluation est concrétisé sur le terrain par

« les entretiens d’appréciation » qui favorisent l’atteinte des objectifs et permettent

27 « L’évaluation 360° prévoit généralement la démarche suivante : choix de 5 à 8 personnes dans les différentes positions mentionnées : choix pour moitié effectué par la personne évaluée, pour l’autre moitié par sa hiérarchie ; envoi de questionnaire anonymes et synthèse des réponses par le service du personnel (ou par une organisation externe) ; retour des résultats consolidés à la personne évaluée ainsi qu’à sa hiérarchie, qui intégrera les conclusions dans l’évaluation classique hiérarchique. Discussion plus approfondie au service du personnel, le cas échéant. Il est bien évident qu’une telle évaluation 360° ne peut être conduite chaque année, cela serait bien trop lourd. » (Emery & Gonin, 2009, p. 187)

58

l’amélioration des prestations fournies. Or, cela ne peut s’effectuer que sous certaines conditions. La première a trait à des aspects purement techniques et aux capacités des évaluateurs à conduire l’entretien, à effectuer un lien précis entre la compétence évaluée et les critères précis tout en formulant des objectifs de progression évaluables permettant au collaborateur de les atteindre en connaissant la cible précise et les moyens mis à sa disposition pour les concrétiser. La deuxième condition se rapporte plus spécifiquement à des questions de fond sur l’évaluation de la compétence elle-même ; comment la réaliser et qui peut réellement le faire ?

Résumé de l’évaluation

Nous retenons, dans le cadre de ce travail, que l’évaluation « annuelle » du personnel est un sujet complexe au cœur du processus de management des organisations que nous résumons ici.

Questionner l’évaluation au sein d’une organisation nécessite de porter deux regards. Le premier porte sur la qualité de l’évaluation elle-même. « Méta-évaluer » n’est pas sans conséquence d’un point de vue organisationnel et interroge la raison même de l’évaluation, la manière dont les objectifs sont négociés par les acteurs, la démarche et les outils proposés ainsi que leur capacité à produire des données. De plus, la question de l’effet de l’évaluation sur les pratiques demeure un point crucial à analyser.

Le deuxième regard se porte sur le collaborateur face à l’évaluation et, plus spécifiquement, l’objet de l’évaluation. On l’a vu, l’évaluation est fonction du type de gestion des ressources humaines mais également du rapport de l’individu au travail et de la nécessité de dépasser le prescrit pour effectuer le travail réel. Or, aujourd’hui, si certaines organisations déclarent effectuer un management par les compétences, il est, dans les faits, complété dans les évaluations-mêmes par une direction par objectifs. Ce ne sont donc pas les compétences qui sont réellement évaluées mais la performance qui est la manifestation de leur existence.

La fixation d’objectifs permet, quant à elle, d’imposer un rythme de progression au collaborateur.