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4.4 La notion de compétences

4.4.1 La définition de la compétence

La définition de la compétence n’est pas encore stabilisée dans le domaine des sciences sociales. Ainsi Bulea et Bronckart (in Bulea, 2005) proposent, après avoir passé en revue différentes acceptions de la compétence, de la concevoir de concert avec l’agir19 et de la considérer comme une « instance flexible de régulation entre les propriétés de la personne et celles du contenu de son activité » (ibid., p. 217), mettant de ce fait en évidence les raisons pour lesquelles la conception de la compétence est problématique.

Ainsi, si l’on considère que la compétence se manifeste dans l’agir, nous pouvons estimer qu’elle préexiste à l’action alors même qu’elle ne peut être attestée qu’à postériori. Ce problème conceptuel est en partie réglé par l’approche considérant la capacité des acteurs à

« exploiter » leurs différentes ressources. En prenant en compte cette dimension de la compétence, deux questions restent sans réponse selon Bulea et Bronckart. La première concerne le « fonctionnement des processus de mobilisation » : quand, comment et pourquoi la compétence est mobilisée. La deuxième interrogation est relative aux « propriétés adaptatives et créatives ; ces dimensions fonctionnelles ne doivent-elles pas être nécessairement déjà présentes… » et de ce fait, comment se construisent-elles ? (ibid., p. 219) Autrement dit, le mystère entourant l’acquisition des compétences et leur mobilisation demeure.

Par contre, considérer la compétence comme indissociable de l’action et, de ce fait, la concevoir comme une « propriété constitutive » de cette dernière, signifie que sans l’agir les

« compétences-ressources20 » ne peuvent « … rien produire, ni se (re)produire… ».

Autrement dit, les compétences sans action n’existent pas ; l’action sans les compétences qui

19 Nous n’effectuons pas, dans le cadre de ce chapitre, de distinction ni entre action et agir, ni entre acteur et actant.

20 Dans cette deuxième considération de la compétence (comme constitutive de l’agir) Bulea et Bronckart (re)considèrent le statut de la compétence comme ressource mobilisable en tant que « capacité, en situation d’agir, de retrouver et d’exploiter ces traces que les ressources, en dépit de leur re-structuration, conservent des situations d’agir antérieures qui les ont engendrées,… » (ibid,. p. 221)

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sont « des traces dynamiques disponibles dans les ressources d’une personne » est donc impossible. (op. cit., pp. 221- 222)

En nous référant aux réflexions proposées par Bulea et Bronckart, nous retenons que la compétence naît de et par l’action et faisons le parallèle avec C. Dejours (§ 4.3.2.1 L’apport de l’ethnographie industrielle) qui insiste sur la transformation de l’individu par l’activité ; transformation qui peut être rattachée à l’expérience, voire à la compétence, par intériorisation de l’activité.

Ces réflexions de nature philosophique tant sur la compétence que sur l’agir ne permettent pas une définition simple et précise de celle-ci. De plus, elles ne règlent en rien, bien au contraire, la question simple mais néanmoins primordiale qui se pose dans le cadre de la formation : comment une compétence s’acquièrt ou se modifie-t-elle ?

Nous proposons donc une approche plus « pratique » de la compétence afin de nous permettre de progresser dans notre recherche.

4.4.1.1 L’apport de Sandra Bellier

C’est à Sandra Bellier (in Carré & Caspar, 2004) que nous devons une synthèse de la définition de la compétence, synthèse que nous estimons comme consensuelle. Bellier nous propose l’idée que la compétence « … permet d’agir et/ou de résoudre des problèmes professionnels de manière satisfaisante dans un contexte particulier en mobilisant diverses capacités de manière intégrée ». (ibid., p.238)

Cette définition nous permet de dépasser celle encore utilisée de « […] somme de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être …» (Le Boterf, 2008, p. 24) Néanmoins, si cette approche n’est pas obsolète elle nécessite, à notre avis, quelques compléments.

Afin de mieux comprendre cette notion de compétence, S. Bellier (in Carré & Caspar, 2004, pp. 239‑250) nous invite à analyser de manière complémentaire plusieurs approches dont l’approche par les savoirs, l’approche par les savoir-faire, l’approche comportementale et l’approche cognitive.

4.4.1.1.1 L’approche par les savoirs

Selon cette première approche proposée par l’auteure, les constituants de la compétence et donc la réussite de l’action, sont déterminées par le fait de « posséder des savoirs » et surtout de savoir les « mettre en œuvre ». Or, dans cette approche, la compétence est la qualification ou le diplôme. Bellier précise d’entrée que « … les savoirs font partie de la compétence, mais ils ne sont pas la compétence. » (ibid., p.240)

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Pour étayer ses propos, elle convoque la psychologie cognitive et plus particulièrement la différence entre les « connaissances procédurales » et les « connaissances déclaratives » permettant d’interroger les savoirs réellement mobilisés dans l’action. En effet, selon les cognitivistes, « les connaissances procédurales s’acquièrent dans et par l’action et marquent profondément l’individu puisque c’est à partir de ce “stock” qu’il abordera désormais les futures situations, – et en particulier les nouvelles – pour agir …» Quant aux connaissances déclaratives elles sont « éphémères et fragiles tant qu’elles n’ont pas été liées à des connaissances procédurales … il devient [dès lors] de plus en plus difficile de les distinguer des premières… » (ibid., p.241)

Nous retenons, de cette première approche, qu’effectivement les savoirs constituent une partie de la compétence mais qu’ils nécessitent également une confrontation à la réalité du travail et, comme déjà abordé à plusieurs reprises, à l’échec pour le dépasser et devenir ainsi une connaissance procédurale mobilisable dans une nouvelle situation. Nous retrouvons ici l’idée de « l’activité subjectivante » évoquée plus haut (§ 4.3.2 L’intelligence au travail).

4.4.1.1.2 L’approche par les savoir-faire

Dans la définition de la compétence proposée par Bellier, la notion de réussite (d’un savoir-faire) est inscrite de façon tacite: agir ou résoudre des problèmes de manière satisfaisante. C’est pourquoi l’auteure convoque, dans cette approche, des concepts comme

« savoir agir », « savoir travailler », « savoir-faire ».

En reprenant une définition de la compétence comme « un savoir-faire opérationnel validé », elle relève la notion de « mise en œuvre » ; mise en œuvre par ailleurs liée à une action visible et vérifiable. Toujours selon S. Bellier, la notion de validation introduit « […] le rôle de la hiérarchie à qui revient la tâche d’assurer cette évaluation sans laquelle il n’y a pas de compétence reconnue » (op. cit., p. 242)

Par conséquent, dans cette approche par les savoir-faire, « la compétence est… ramenée à l’action réussie, et cette réussite est appréciée en fonction des choix de l’organisation. » Néanmoins, la description des compétences est ici problématique « parce qu’elles [les compétences] sont assimilées à l’action, … [et] la plupart du temps, elles sont décrites comme l’action…» (ibid., p.242) Les compétences s’apparentent donc à un référentiel d’activités transformé par le verbe « savoir » apposé à l’activité (p. ex. savoir tenir un agenda), ce qui ne dit rien sur ce qui permet d’agir ou de réussir. Pour dépasser l’activité déguisée en compétence, il est nécessaire, selon Bellier, de décrire la compétence en « … capacités

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définies de manière concrète par des “être capable de” et encadrées par des indicateurs et des comportements observables. » (ibid., p.243)

Nous retenons de cette deuxième approche que la réussite de l’action nécessite la mise en œuvre de savoir-faire et que, de ce fait, la compétence est ramenée à l’action réussie. Les critères de validation de ces compétences sont fonction de l’organisation et de la hiérarchie.

Cependant, la description des compétences étant problématique, il est difficile de concevoir que les critères d’évaluation soient pourvus d’indicateurs observables et par là même évaluables.

4.4.1.1.3 L’approche par les comportements et le savoir-être

Dans cette approche, S. Bellier retient le pan de ce qui « … appartient à l’individu, ce qui concerne ses attitudes, et qui permet de le distinguer des autres » au détriment du

« comportement qui s’oppose aux savoirs et savoir-faire […] explicatif de l’action [… faisant référence au] “bilan comportemental” [nécessitant] des méthodes tournées vers la mise en situation quasi directe.» (ibid., p.243)

De ce fait, le comportement inclut les savoirs et savoir-faire, et l’individu a la possibilité de les mettre en œuvre pour en « faire des compétences. » (ibid., p. 243)

S. Bellier nous met cependant en garde contre cette approche nécessitant une maîtrise des catégories psychologiques qui décrivent les traits de personnalité d’un niveau professionnel.

En effet, sans ce niveau de maîtrise, la porte est ouverte aux interprétations dues « … à des concepts souvent flous pour les non-spécialistes même si chacun croit en maîtriser le sens : ainsi l’intuition, …, les capacités relationnelles, …, le sens stratégique,…, sont des termes difficiles à manipuler justement parce que chacun est persuadé de savoir ce que cela recouvre et comment cela se repère chez l’autre… » (op. cit., p.243)

Comme nous pouvons le constater dans ce bref descriptif, l’approche par le comportement et le savoir-être met principalement l’accent sur l’individu qui endosse la responsabilité de la mise en œuvre de ses compétences. Ainsi, nous retrouvons dans les organisations la responsabilisation individuelle représentée, notamment, par l’évaluation annuelle de l’individu. S. Bellier relève la tendance actuelle de « … l’importance accordée à la compétence, toujours individuelle même si la performance est collective. » (ibid., p.243) Dans ce sens, nous relevons et rappelons la définition du travail choisie ci-dessus (§ 4.3.1 activité qui consiste à travailler) comme étant une activité coordonnée donc nécessairement collective.

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Nous retenons de cette troisième approche la difficulté de pouvoir, sans faire référence à des catégories psychologiques nécessitant l’investissement de professionnels, établir un rapport entre savoir-être et compétence et, de ce fait, de décrire et d’évaluer ce type de compétence.

Il est néanmoins certain que le savoir-être et le comportement sont constitutifs de la mise en œuvre de la compétence nécessaire à la réussite de l’activité. Un autre point que nous considérons comme important est le caractère de responsabilisation individuelle, au détriment de la responsabilité collective du travail au sein de l’organisation.

De ce fait, nous questionnons les conséquences de cette responsabilisation individuelle sur des aspects de compétition versus coopération ou collaboration et donc sur les stratégies nécessairement mises en œuvre, par l’individu, en utilisant les zones de pouvoir abordées ci-dessus. (§ 4.1.2 Les organisations et § 4.2 coopération versus collaboration)

4.4.1.1.4 L’approche par les compétences cognitives

Cette approche accorde une part importante au contexte qui influence la performance de l’individu. La compétence cognitive est celle « de la capacité à résoudre des problèmes de manière efficace dans un contexte donné. » (ibid., p. 247) La question est donc de savoir comment les individus résolvent des problèmes dans une situation donnée.

Cette approche est fortement influencée par les théories cognitivistes et S. Bellier nous rappelle que, de ce fait, la compétence n’existe pas en soi et est concomitante à un problème spécifique, dans une situation particulière. Ce qui se révèle primordial n’est donc pas

« …l’action mais ce qui est sous-jacent à l’action et la rend possible. » (op. cit., p.247)

Ainsi, selon cette approche, la démarche intellectuelle est indispensable et permet l’intégration d’une compétence particulière et c’est celle-ci qui guide l’action. Cette capacité intellectuelle, construite « dans et par l’expérience », permet également, de par son automatisme, de s’adapter au changement de contexte, d’être mobile et de faire face à l’inconnu. (ibid., p.248)

S. Bellier constate néanmoins que « …la démarche intellectuelle ne suffit pas à expliquer toute la compétence,…, [mais cette approche] cherche surtout ce qui est discriminant, explicatif, ce qui fait la différence ou la proximité entre deux emplois, entre deux personnes. » (ibid., p.248)

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Si cette approche est efficace en ce qui concerne le questionnement sur la mobilité des personnes, elle l’est beaucoup moins pour ce qui est de l’évaluation et/ou de la hiérarchisation des emplois.

Nous retenons de cette quatrième approche le caractère quasi mystérieux de la compétence ; construite par et à travers l’expérience, intériorisée par l’individu, la compétence est choisie et remobilisée intellectuellement de manière automatique et spontanée, donc a fortiori non consciemment par l’individu, en fonction d’un contexte particulier, lors d’une résolution de problème.

Résumé de la notion de compétences

Selon ces différentes approches, la compétence est liée à un contexte spécifique et elle devrait pouvoir expliquer la réussite ou non d’une action.

La tendance actuelle est l’individualisation de la compétence et la responsabilisation de l’individu du fait de sa capacité ou de son intention à mobiliser la compétence pour répondre à un contexte spécifique. Or, comme abordé ci-dessus, il est quasiment impossible de décrire une compétence en actes et le caractère de la compétence, intériorisé par l’individu, nous laisse, de plus, entrevoir toutes les difficultés pour l’acteur, d’expliquer et de décrire ce qui se passe à un moment donné dans la résolution du problème.

Autrement dit, la qualification appartient à l’individu (elle est acquise une fois pour toute et est indépendante du contexte), le contexte est induit par la structure de l’organisation et l’émergence, l’acquisition, la mobilisation, etc., de la compétence nécessitent inévitablement une contextualisation qui est de facto collective.

De là à dire ou penser que la compétence appartient à l’entreprise et doit, par conséquent, être gérée par le management, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas dans le cadre de ce travail.

De même, nous n’opposerons pas la qualification à la compétence, étant entendu que les savoirs, savoir-faire, savoir-être et capacités cognitives, qui trouvent en partie leur origine dans le processus de qualification, sont constitutifs de la compétence.