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CHAPITRE I – Les ADN polymérases et le maintien de la stabilité du génome

2. Les ADN polymérases translésionnelles (TLS) et la gestion des lésions de l’ADN

2.4 Caractéristiques et fonctions des ADN polymérases TLS et plus

2.4.4 L’ADN polymérase θ

Polθ est une ADN polymérase de la famille A identifiée récemment chez l’homme (Seki et al., 2003). Son gène, situé sur le bras long du chromosome 3 (locus 3q13.31), est composé de trente exons et donne naissance à une protéine de 290 kDa. Cette dernière a la particularité de posséder un domaine hélicase conservé en N-terminal en plus de son domaine polymérase en C-terminal, ces deux domaines étant séparés par un long domaine central très spécifique. La partie polymérase de Polθ présente 43% de similarité avec Polν, une autre ADN polymérase de la famille A (Marini et al., 2003). La partie hélicase, quant à elle, affiche 55% de similarité avec l’hélicase humaine HEL308 (Marini and Wood, 2002)

(Figure 20). Cependant, malgré la présence de motifs conservés caractéristiques de la

super-famille II des hélicases, aucune activité hélicase n’a pu être mise en évidence à ce jour chez Polθ. Néanmoins, il a été montré que Polθ possède une activité ATPase dépendante de la présence d’ADN (Seki et al., 2003). L’absence d’activité 3’Æ5’ exonucléase prédit une faible fidélité de cette ADN polymérase. En effet, bien qu’appartenant à une famille d’ADN polymérases relativement fidèles, Polθ est aussi infidèle que les ADN polymérases de la famille Y (Table 3) (Arana et al., 2008; Seki et al., 2004). Des tests in vitro ont montré que sa processivité était modérée et comparable à celle de Polκ, pouvant générer une chaîne de 1 à plus de 75 nucléotides environ (Arana et al., 2008). De plus, Polθ présente la particularité d’étendre une pléiade de mésappariements (Seki and Wood, 2008).

FIGURE 20. Domaines structuraux de Polθ et de ses paralogues. Les domaines structuraux de Polθ sont schématisés. Les rectangles verts indiquent les domaines hélicases, les rectangles bleus les domaines polymérases et en gris est représenté le domaine central non conservé. Les paralogues de Polθ codent soit uniquement pour le domaine polymérase (Polν) ou uniquement pour le domaine hélicase (HEL308).

Polθ est capable de franchir un certain nombre de lésions in vitro. Les sites abasiques (AP) et les thymines-glycols sont celles qu’elle franchit avec le plus d’efficacité. Polθ est effectivement la seule ADN polymérase capable de réaliser à la fois l’insertion et l’extension sur plus de 30 nucléotides lors de la STL de sites AP et insère majoritairement un dATP et extrêmement rarement un dCTP en face de cette lésion (Seki et al., 2004). Les sites AP et les thymines- glycol étant des dommages endogènes fréquents de l’ADN, Polθ, par son efficacité à les répliquer, pourrait jouer un rôle majeur dans le maintien de la stabilité du génome.

Polθ est incapable in vitro de franchir les lésions UV (Seki et al., 2004), cependant elle est capable d’étendre la synthèse des (6-4)PP après insertion par Polι (Seki and Wood, 2008). Parmi les lésions communes induites par l’environnement, les (6-4)PP représentent un véritable challenge pour les cellules, car elles entraînent des torsions de l’ADN et aucune ADN polymérase ne peut franchir seule cette lésion. In vitro, la combinaison Polι-Polθ permet donc le passage efficace de cette lésion (Seki and Wood, 2008).

Un rôle de Polθ dans la réparation des pontages de l’ADN a plusieurs fois été suggéré. En effet, des larves de drosophiles mutantes pour l’homologue de Polθ, mus308, avait été

caractérisées comme étant hypersensibles aux agents pontant l’ADN, tels que le cisplatine, les moutardes azotées (HN2), le trimethylpsoralène et le diépoxybutane, mais pas à la MMC (Boyd et al., 1990). De même, une étude récente utilisant le modèle Caenorhabditis elegans a montré que des mutants de Polθ étaient plus sensibles aux moutardes azotées ainsi qu’au cisplatine et que ce phénotype n’est pas dû à un défaut de détection ou de signalisation des pontages de l’ADN. Les auteurs suggèrent que, chez C. elegans, Polθ et BRCA1 fonctionnent dans la même voie de réparation des pontages de l’ADN (Muzzini et al., 2008). Enfin, les souris chaos1 mutantes pour le gène Polθ (par une substitution de base qui modifie la conformation de la protéine) présentent un taux plus élevé de micronoyaux dans leurs érythrocytes en réponse à la MMC que des souris sauvages (Shima et al., 2003). Cependant d’autres études apportent des données différentes. En effet, des études in vitro ont montré que Polθ humaine était incapable de franchir des pontages de l’ADN (Seki et al., 2004). De plus, l’étude à partir des MEFs des mêmes souris chaos1 ne montre aucune différence de sensibilité à la MMC (Shima et al., 2004). D’autre part, des cellules DT40 de poulet déficientes en Polθ ne présentent pas de sensibilité particulière à cet agent pontant (Yoshimura et al., 2006). Ces résultats contradictoires pourraient être expliqués par la diversité des modèles d’étude utilisés. En effet, Polθ pourrait exercer des rôles différents dans ces divers organismes. Dans certains d’entre eux, d’autres mécanismes pourraient réparer les pontages de l’ADN en absence de Polθ.

Polθ semble jouer un rôle important dans le maintien de la stabilité du génome, car son absence génère de l’instabilité génétique. En effet, les cellules DT40 de poulet déficientes pour Polθ ont une croissance ralentie, s’accumulent en phase G2 du cycle cellulaire, présentent une augmentation du taux de cassures des chromosomes et du taux d’échange de chromatide sœurs (SCE) ainsi qu’une augmentation de l’apoptose (Yoshimura et al., 2006). De plus, les érythrocytes de souris chaos1 révèlent un taux élevé de micronoyaux spontanés (Shima et al., 2003). Cependant, ces souris chaos1 ne présentent pas de problèmes particuliers et ne développent pas plus de cancers que les souris sauvages. Mais lorsque ces souris chaos1 sont croisées avec des souris mutantes pour ATM, 90% des souris doubles mutantes chaos1/ATM meurent en période néo-natale. Les survivantes affichent

un très fort retard de croissance et une forte augmentation de l’instabilité génétique (Shima et al., 2004). De plus, une étude protéomique a mis en évidence in vivo une phosphorylation de Polθ en réponse à des RI au niveau de sites de phosphorylation consensus reconnus par ATR et ATM (Matsuoka et al., 2007). Cette phosphorylation pourrait être une forme de régulation de l’activité de Polθ en réponse à des CDBs de l’ADN. Enfin, des résultats récents non publiés obtenus chez la drosophile suggèrent un rôle de Polθ dans la réparation des CDBs de l’ADN par la voie de NHEJ alternative. Ce rôle nécessiterait à la fois les activités hélicase et polymérase de Polθ (communication M. McVey, Keystone Symposia Genome Instability and DNA Repair, mars 2009).

Un rôle dans la REB a aussi été suggéré. Comme évoqué précédemment dans cette introduction, il semblerait que Polθ intervienne surtout dans la REB en secours lorsque Polβ est absente (Yoshimura et al., 2006).

Enfin, Polθ semble un bon candidat pour l’hypermutation somatique (HMS), car elle est exprimée surtout dans les tissus lymphoïdes, dont les centre germinatifs (Kawamura et al., 2004). De plus, elle est exprimée dans les cellules B à des stades de différenciation où il se produit de l’HMS et son expression semble être induite par des stimuli induisant la différenciation des cellules B dans les centres germinatifs (Zan et al., 2005). La capacité de Polθ à franchir efficacement les sites AP en insérant un A pourrait produire des transitions G :C vers A :T au niveau de sites AP générés par l’uracil DNA glycosylase (UNG). O-Wang et ses collègues ont étudié le rôle de Polθ dans l’HMS dans deux modèles : des souris exprimant une forme inactive de Polθ (Masuda et al., 2005) et des souris déficientes pour cette enzyme (Masuda et al., 2006). Ils ont mis en évidence une diminution de 20% de la fréquence de mutations dans les gènes d’immuno-globulines dans ces deux modèles, notant une légère diminution des mutations G :C comparées aux A :T uniquement dans les souris portant la forme inactive de Polθ. Ils ont également étudié l’HMS dans des souris doublement déficientes en Polθ et Polη (Masuda et al., 2007). Les résultats ont montré que l’absence de Polθ seule diminue de 20% le taux de mutations A :T et que l’absence de Polη entraîne une baisse de 80%. Cependant, l’absence de Polθ ne modifie ni la fréquence ni le

la même voie que Polη (Masuda et al., 2007). Une étude récente a confirmé ces résultats (Martomo et al., 2008). Des données établies à partir de souris chaos1 ont mis en évidence une diminution de 80% du taux de mutations au niveau de gènes réarrangés d’immuno- globuline avec une augmentation de transitions G :C vers A :T, suggérant l’idée d’un rôle important de Polθ dans l’HMS (Zan et al., 2005). Cependant, une étude récente utilisant les mêmes souris chaos1 n’a trouvé aucune différence significative du taux de mutation dans les gènes d’immuno-globuline, ni du pourcentage du type de mutations engendrées (Martomo et al., 2008), remettant en question les conclusions de Casali et de ses collaborateurs. L’ensemble de ces données contradictoires suggèrent un rôle mineur de Polθ dans l’HMS, même en absence de Polη.