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CHAPITRE I- Régulation de l’expression des ADN polymérases TLS Polκ et Polη.

5. Conclusions et discussion

Ces travaux ont tout d’abord montré que Polκ et Polη étaient majoritairement sous- exprimés dans une collection de 74 tumeurs colorectales, comparé au tissu sain adjacent. Le taux de transcrits plus faible de ces deux ADN polymérases observé dans les biopsies tumorales, peut être la conséquence d’une délétion au niveau du locus de ces gènes, d’une dérégulation transcriptionnelle ou d’une modification de la stabilité des ARNm. Grâce à une étude de CGH-array sur les 74 couples de biopsies, l’hypothèse d’une délétion au

niveau des locus des gènes POLK et POLH a pu être écartée (collaboration C. Theillet, CRLCC, Montpellier).

Pan et ses collaborateurs avaient déjà mis en évidence la sous-expression de Polκ (au niveau des transcrits) dans les cancers colorectaux, à des taux proches de ceux que nous avons observés (Pan et al., 2005). Cependant, contrairement à nous, les auteurs de cette étude n’avaient pas mis en évidence de dérégulation significative de l’expression de Polη dans ces tumeurs colorectales. Une autre étude, menée par Albertella et ses collaborateurs, avait également révélé des modifications de l’expression de Polκ dans quelques échantillons de tumeurs colorectales. Cependant, les auteurs avaient observé autant de surexpressions que des sous-expressions de Polκ dans leur cohorte de patients (Albertella et al., 2005a). Ces différences de résultat pourraient s’expliquer par une étiologie différente des cancers colorectaux étudiés ou une différence dans la population analysée (âge, sexe, stades…).

Nos travaux ont ensuite montré que l’expression de Polκ n’était pas régulée par l’état de méthylation de l’ADN. Cependant, contrairement aux ADN polymérases réplicatives, son expression semble être modulée par l’état d’acétylation des histones. Il est important de noter qu’il peut s’agir de modifications au niveau du promoteur de POLK, qui stimuleraient le recrutement de facteurs de transcription ou faciliteraient l’accès de la machinerie transcriptionelle, mais il peut également s’agir d’une induction indirecte, due par exemple à l’activation d’un facteur de transcription du gène POLK.

Nos résultats ont également mis en évidence que les promoteurs de POLK et POLH étaient organisés suivant un même schéma : une région activatrice de la transcription juste en amont du site initiateur de transcription, précédée d’une région contenant des éléments répresseurs. Cette organisation est différente de celle des promoteurs des ADN polymérases réplicatives Polα et Polδ. En effet, si une analyse similaire des régions promotrices de POLA (Pearson et al., 1991) et POLD1 (Zhao and Chang, 1997) révèle aussi la présence d’éléments activateurs juste en amont du SIT, permettant une activité promotrice maximale à partir de la position –402 pour POLA et –328 pour POLD1,

POLD1) ne modifie pas ces activités, démontrant l’absence d’éléments répresseurs sur ces promoteurs. Les éléments activateurs ne permettent alors qu’une régulation simple, l’intensité de l’activation pouvant varier selon le nombre de facteurs de transcription fixés au promoteur. La présence à la fois d’éléments activateurs et répresseurs pourrait permettre de moduler d’avantage l’expression des gènes des polymérases TLS Polη et Polκ, suggérant une régulation plus complexe et plus fine. Cette régulation plus complexe semble se justifier au regard des fonctions très diverses de ces deux ADN polymérases dans les cellules permettant le maintien de la stabilité du génome (STL, réparation, recombinaison homologue (Polη) et activation du point de contrôle de phase S (Polκ)) et de leur propriété d’être en revanche très mutagènes sur de l’ADN non endommagé.

Si les promoteurs de POLH et POLK sont organisés de la même manière, leur niveau d’activité est toutefois très différent. En effet, selon nos résultats, l’activité du promoteur de POLH est 7 à 20 fois supérieure à celle du promoteur de POLK selon les cellules utilisées. Cependant, ce rapport n’est pas conservé au niveau de la quantité de transcrits dans ces cellules. En effet des analyses par PCR en temps réel réalisées sur la lignée RKO (données non publiées de l’équipe) indiquent un taux de transcrits de POLH seulement 1,7 fois plus élevé que ceux de POLK dans les ces cellules. Une régulation post- transcriptionnelle concernant la stabilité des ARNm réduit donc certainement le nombre de molécules de transcrits de POLH.

Les expériences de mutagenèse dirigée sur les promoteurs de POLH et POLK ainsi que les données obtenues grâce à l’utilisation de vecteurs d’expression, destinés à exacerber certaines voies transcriptionnelles, ont permis de mettre en lumière des facteurs de transcription régulant l’expression de ces gènes. Sp1 semble être un élément trans- activateur de l’expression de POLH, par le biais du site consensus de fixation situé en position –69. De même, les facteurs Sp1, Sp3 et CREB sont des éléments trans-activateurs de l’expression de POLK et leur effet sur la transcription de ce gène dépendraient en partie de leur fixation sur les sites consensus Sp1 (–78) et CRE (–180).

Sp1 et Sp3 appartiennent à une famille de facteurs de transcription (Sp/Krüppel-Like Factors) contenant au moins une vingtaine de membres identifiés chez les mammifères.

Sp1 et Sp3 sont des facteurs de transcription ubiquitaires, pouvant se fixer avec la même affinité de liaison aux sites consensus Sp1 (séquences de l’ADN riches en GC). Cependant, Sp3 a une capacité de transactivation plus faible que Sp1. Ces facteurs sont capables d’induire la transcription des gènes TATA-less en recrutant la machinerie d’initiation et ont souvent été considérés comme des facteurs de transcription de base assurant l’expression constitutive de ces promoteurs. Cependant, la diversité de la famille de facteurs de transcription à laquelle ils appartiennent, leurs différentes régulations par des modifications post-traductionnelles telles que la phosphorylation, la glycosylation ou encore l’acétylation complexifient la régulation de leurs gènes cibles, la rendant dépendante du contexte cellulaire et des promoteurs eux-mêmes. Ces facteurs de transcription sont en effet impliqués dans la régulation positive ou négative de plusieurs phénomènes comme le cycle cellulaire, l’apoptose, l’angiogenèse ou l’invasion. De plus il a été montré que l’expression protéique de Sp1 pouvait être un facteur critique dans le développement tumoral, la croissance cellulaire et les phénomènes de métastases (Lou et al., 2005). En effet, la surexpression du facteur Sp1 ou l’augmentation de son activité de liaison à l’ADN pourrait être reliée à la progression tumorale dans des cancers épithéliaux (Kumar and Butler, 1999), pancréatiques (Shi et al., 2001), gastriques (Wang et al., 2003), de la thyroïde (Chiefari et al., 2002) et du sein (Zannetti et al., 2000).

Les protéines de la famille CREB sont capables d’activer des gènes par le biais de leur fixation à l’élément de réponse à l’AMPc (CRE) correspondant au palindrome TGACGTCA ou au demi-motif CGTCA. Des signaux de stress (UV, hypoxie) ou diverses stimulations mitogènes (FGF, EGF…) conduisent à une augmentation d’AMPc dans la cellule. Ceci a pour conséquence la phosphorylation de CREB sur la serine 133, qui permet l’activation des gènes cibles en partie grâce au recrutement de co-facteurs tels que CBP et P300. Cependant, cette induction de la transcription par l’AMPc via CREB requiert la présence d’une boîte TATA sur le promoteur du gène cible (Conkright et al., 2003). Le promoteur de POLK étant dénué de boîte TATA, CREB n’exerce sans doute qu’une activité basale de transactivation de ce gène. Outre des gènes impliqués dans le

CREB régule aussi des gènes du cycle cellulaire, de la survie et de la réparation de l’ADN, tels que la cycline A1, la protéine anti-apoptotique Bcl-2, BRCA1 (Breast Cancer Antigen 1) ou encore Polβ . Des données ont montré que CREB pouvait être surexprimé dans des cellules de Leucémie Aïgue Myéloïde (LAM) et qu’une surexpression de CREB augmente la prolifération et la survie de lignées cellulaires de leucémies myéloïdes et inhibe leur différenciation. De plus, une surexpression de CREB chez des patients atteints de LAM serait un facteur de mauvais pronostic (Shankar et al., 2005).

Dans cette étude, nous montrons une corrélation entre la sous-expression de Polκ dans les tumeurs colorectales et la sous-expression des facteurs de transcriptions activateurs identifiés Sp1 et CREB dans ces mêmes tumeurs. La sous-expression de ces facteurs de transcription pourrait donc être à l’origine de la sous-expression de Polκ observée dans les cancers colorectaux. Cette sous-expression de Sp1 et CREB dans les cancers du colon n’a jamais été décrite auparavant. Elle révèle la mise en jeu de processus de cancérisation différents de ceux identifiés dans les tumeurs surexprimant ces facteurs de transcription. En effet, des travaux de l’équipe ont mis en évidence que la sous-expression de Polκ induisait un défaut de point de contrôle de phase S conduisant à des cassures double-brin de l’ADN et donc à de l’instabilité génétique. La sous-expression de CREB et Sp1, par le biais de la sous-expression de Polκ, pourrait donc être à l’origine de ces phénotypes dans les tumeurs colorectales. De manière intéressante, notons que plusieurs biopsies tumorales présentent une sous-expression conjointe de Polκ et de Polη, mais aussi, bien qu’à moindre mesure, de Polδ et Polε. Ceci suggère une régulation de ces ADN polymérases par des facteurs communs. Sp1, par exemple, a été identifié comme régulant l’activité du promoteur de Polδ (Zhao and Chang, 1997), de Polκ et de Polη et pourrait faire partie de ces facteurs régulant l’expression de plusieurs polymérases, pouvant expliquer en partie la dérégulation conjointe de celles-ci. Bien que Sp1 puisse réguler l’expression de plusieurs ADN polymérases, l’intensité de cette régulation pourra toutefois être différente entre elles grâce, entre autres, aux nombres différents de sites de fixation de ce facteur sur les promoteurs de ses gènes cibles.