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Interface Acteur

0.4.3. L A THÉORIE SOCIO ÉCONOMIQUE DES ORGANISATIONS

La théorie socio-économique propose une théorie explicative du fonctionnement des organisations, une théorie du changement organisationnel ainsi qu’une instrumentation de gestion. L’interface y occupe une place centrale, si bien que « le champ de conceptualisation et d’action de cette approche se

situe davantage aux interfaces que sur des objets » (Krief N., 1999)127. Le champ de la théorie socio-

économique des organisations étant très vaste et transdisciplinaire, seul ce qui constitue son noyau dur est présenté succinctement dans cette section.

0.4.3.1.

R

ÉFUTATIONS FONDATRICES ET OBJECTIFS

La théorie trouve ses origines dans deux réfutations théoriques (Savall et Zardet, 2005)128.

Premièrement, contrairement aux théories néo-classiques et marxistes, ainsi qu'aux écoles néolibérale, keynésienne et de la régulation, du point de vue de la production de valeur économique, le capital technique (ou financier) et le travail humain ne peuvent être mis sur le même plan.

La théorie pose que seule l’activité humaine est intelligente et active. Ainsi, les travaux menés par les auteurs « ont permis de valider l’hypothèse selon laquelle le seul facteur actif de production de valeur

ajoutée est le potentiel humain. Le capital est, en effet, un outil précieux, mais un facteur passif ou inerte, ne produisant de valeur que lorsqu’il est activé par des hommes et des femmes dans une organisation, autour

d’un produit — bien ou service — destiné à des clients » (Savall, Zardet, 1995)129.

Les auteurs démontrent qu’une organisation, sans investissement technique, peut sous certaines conditions améliorer fortement ses performances sans effectif supplémentaire, en activant son

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123 Ibid., p 251.

124 Reynaud J.-D., Les règles du jeu... op. cit., préface de la 3ème édition, 1997, p. XVIII. 125 Reynaud J.-D., « Pour une sociologie de la régulation sociale », op. cit. p. 235.

126 Péron M., « Réflexion sur la transdisciplinarité dans la pensée managériale », in Péron M. (dir.), Transdisciplinarité :

fondement de la pensée managériale anglo-saxonne ? Économica, 2002.

127 Krief N., Les pratiques stratégiques des organisations sanitaires et sociales de service public. Cas d’expérimentation. Thèse de

doctorat, Université Lumière Lyon 2, 1999, 397 p., p. 32.

128 Savall H., Zardet V., Tétranormalisation. Défis et dynamiques, Économica, 2005, pp 158-159. 129 Savall H. et Zardet V., Ingénierie stratégique du roseau, op. cit.

facteur travail. Le capital est un facteur moins important que le travail, contrairement à ce que les auteurs considèrent comme une hypothèse implicitement normative de la science économique (Savall et Zardet, 2000)130.

Secondement, les systèmes usuels de classification de l’information économique, au niveau des organisations (plans comptables, procédures budgétaires ou modèles d’analyses financières et d’aide à la décision), sont inefficaces et inefficients au vu des exigences de la prise de décision. La comptabilité analytique classique est peu efficiente, son coût de fonctionnement est élevé relativement à la pertinence et à la fiabilité des informations produites, ces dernières étant dès lors peu utilisées dans les décisions de gestion (Savall 1975132 ; Savall et Zardet, 1992133). Parallèlement,

le contrôle de gestion, tel qu'il est pratiqué, identifie des coûts qu'il peine à réduire car sa capacité d'aide à la décision est faible (Savall et Zardet, 2000)134. En conclusion, « la modélisation économique souffre ainsi non pas d'un excès de quantification, mais au contraire d'une insuffisance de métrique pertinente » (Savall et Zardet, 2000)136.

Sur la base de ces réfutations, Savall, économiste, bâtit une théorie pour comprendre les mécanismes de création de performance des organisations et ainsi éclairer l’économie : « nous avons

abandonné l’univers macro-économique pour observer, analyser et construire une modélisation typologique du fonctionnement interne des organisations et des entreprises sous leur angle économique. Puis nous revenons progressivement à la méso-économie pour aborder dans un proche avenir l’analyse macro- économique » (Savall, 1979)137.

Pour l’auteur, seule une approche globale de l’entreprise est susceptible, d’une part d’expliquer le niveau et les mécanismes de sa performance économique, d’autre part d’inspirer des actions d’amélioration durable de cette performance. Pour ce faire, les travaux s’attachent à incorporer des variables économiques comme variables endogènes devant conditionner le changement et à élaborer un système de mesure qui mette en lumière les coûts comparatifs « réels et complets » des diverses formes d’organisation du travail (Savall, 1975)138.

Cette théorie s’appuie sur la théorie des unités actives de François Perroux (1975)139 et sur

l'épistémologie génétique de Jean Piaget (1950)140. Elle est par ailleurs influencée par la théorie des

déséquilibres dynamiques de l'économiste espagnol Germán Bernácer (Savall, 1975)141.

0.4.3.2.

U

NE MODÉLISATION STRUCTURO

-

COMPORTEMENTALE DE

L

ORGANISATION

L'organisation est conceptualisée en une interaction entre des structures et des comportements humains. La relation dialectique [structures  comportements] génère des pulsations d'activités

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130 Savall H., Zardet V., « La décision managériale multidimensionnelle comme fondement des sciences de gestion », La

décision managériale aujourd'hui, Mélanges en l'honneur de Jacques Lebraty, Martin et Teller Éditeurs, IAE de Nice, Rodige,

Nice, 2000.

132 Savall H., Enrichir le travail humain : l’évaluation économique, Dunod, 1975, Réédition Économica, 1989.

133 Savall H. et Zardet V., Le nouveau contrôle de gestion : méthode des coûts-performances cachés, Éditions Comptables

Malesherbes-Eyrolles, 1992.

134 Savall H., Zardet V., « La décision managériale multidimensionnelle... », op. cit, p14. 136 Ibid.

137 Savall H., Reconstruire l’entreprise, Dunod, 1979, p. 206. 138 Savall H., Enrichir le travail... op. cit. p. 14.

139 Perroux F., Unités actives et mathématiques nouvelles, Dunod, Paris, 1975, 325 p.

140 Piaget J., Introduction à l'épistémologie génétique, Tome 1 : La pensée mathématique, Presses Universitaires de France, 1950,

Tome 2 : La pensée physique, Presses Universitaires de France, 1950, Tome 3 : La pensée biologique, la pensée psychologique et la pensée sociale, Presses Universitaires de France, 1950.

qui forment le fonctionnement des organisations ; la qualité de cette relation conditionne le niveau de performance économique d’une organisation (Savall, 1979)142.

Cette conceptualisation, qui s’écarte des déterminismes structuraliste et béhavioriste, définit les structures de manière large comme l’ensemble des éléments relativement stables et prégnants de l’organisation (Savall et Zardet, 1987)143.

Les comportements sont quant à eux les manifestations observables des attitudes de l’individu — ces dernières constituant des éléments relativement permanents de la personnalité — en réaction à un événement, ayant des effets sur son environnement physique et social. Ils sont caractérisés par leur nature conjoncturelle et leur relative instabilité (Savall et Zardet, 1987)144. Pour les auteurs, les

comportements résultent de quatre facteurs principaux : les caractéristiques de l’individu, les caractéristiques structurelles de son environnement, sa chronobiologie et les phénomènes conjoncturels de son environnement.

La relation entre structures et comportements est asymétrique. Les structures conditionnent davantage les comportements que les comportements conditionnement les structures, cela du fait de l’inertie des structures et de l’importante quantité d’énergie nécessaire aux acteurs pour les modifier (Savall et Zardet, 1987)145. De plus, des comportements stables et prégnants peuvent être

considérés comme des structures, ce qui rend floue la frontière entre ces deux éléments constitutifs de l’organisation.

0.4.3.3.

O

RTHO ET DYS

-

FONCTIONNEMENT

Dans cette théorie, le fonctionnement d’une organisation se compose de l’ « ortho-fonctionnement » et des dysfonctionnements. L’ortho-fonctionnement désigne le fonctionnement attendu par les acteurs ; il ne peut être formalisé que partiellement. Les dysfonctionnements désignent, quant à eux, l’écart entre le fonctionnement effectif et le fonctionnement attendu.

Cet écart, parce qu’il représente une perturbation du fonctionnement organisationnel, enclenche des déperditions de ressources. Pour Crozier et Friedberg (1977)146, les dysfonctionnements

organisationnels et les cercles vicieux auxquels ils sont liés constituent des mécanismes et des processus universels. La concrétisation de ceux-ci recouvre néanmoins des réalités observables très différentes.

Le concept de dysfonctionnement n’a pas de connotation péjorative. Il est une unité d’analyse et constitue le fondement méthodologique principal de l’analyse socio-économique (Savall, 1979)147.

Il recouvre en partie le concept d’anomie tel qu’il est développé par la théorie de la régulation sociale, c’est-à-dire comme une désorganisation liée à l’affaiblissement des règles. Reynaud (1997)148 précise également que l’anomie n’est pas une exception mais qu’elle est inhérente à

l’action collective. Cette conception coïncide parfaitement avec l’approche dysfonctionnelle de la théorie socio-économique.

Pour les auteurs, la formation des dysfonctionnements s’explique par l’entropie qui se développe dans tout système (Savall et Zardet, 1987)149, c’est-à-dire par le désordre, la désintégration, la

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142 Savall H., Reconstruire l’entreprise, Dunod, op. cit.

143 Savall H. et Zardet V., Maîtriser les coûts et les performances... op. cit. 144 Ibid.

145 Ibid.

146 Crozier M., Friedberg E., L’acteur et le système, op. cit. p. 201. 147 Savall H., Reconstruire l’entreprise, op. cit. p. 7.

148 Reynaud J.-D., Les règles du jeu... op. cit.

désorganisation, que la théorie représente par un déficit d’interaction des structures et des comportements. D’ailleurs, le phénomène organisationnel, dans une perspective complexe, articule ordre et désordre, ortho et dys-fonctionnement : « l'accroissement d'entropie, sous l'angle

organisationnel, est le résultat du passage de la virtualité à l'actualisation des potentialités anti-

organisationnelles » (Morin, 1977).150

En réaction aux dysfonctionnements, les acteurs mettent en place des régulations. Celles-ci atrophient, parfois considérablement, les performances des organisations. D'un point de vue social, ils provoquent l'insatisfaction des acteurs. D'un point de vue économique, les régulations de dysfonctionnements ont un coût évalué entre 15 000 et 60 000 € par personne et par an151. Ces coûts

ne sont pas ou sont peu repérés par les systèmes d'information usuels et traditionnels. C’est pourquoi ils sont dits cachés (Savall et Zardet, 1992)152.

Les dysfonctionnements et les coûts qu’ils engendrent constituent un gisement de valeur ajoutée que l’organisation peut, sous certaines conditions, exploiter. Ils représentent une ressource endogène latente en partie exploitable : « l’amélioration des performances économiques d’une entreprise

est rendue possible, sans ressources financières externes nouvelles, par une meilleure interaction entre des

structures de l’entreprise et des comportements humains » (Savall et Zardet, 1987)153. C'est pourquoi les

recherches des auteurs sont centrées autour de la découverte et de la mobilisation des ressources d'énergie de changement disponibles et sur la mesure socio-économique de cette énergie.

0.4.3.4.

L

E DÉVELOPPEMENT ENDOGÈNE DES PERFORMANCES

:

CHANGEMENT ET