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Chapitre III : L’évolution des politiques de développement régional

III.3. L’évolution de l’organisation spatiale du bassin du Yangzi

Afin de mieux comprendre les disparités socio-économiques à l’échelle régionale existant dans le bassin du Yangzi, il importe d’effectuer une analyse de l’évolution politico-économique de la Chine, laquelle fait apparaître trois périodes clés : d’abord, une modernisation spatialement sélective imposée par la présence européenne à l’origine de l’opposition littoral / intérieur (1839-1936) ; ensuite, résultat des idéologies produites par le Parti nationaliste (guomindang) (1937-1942) et le maoïsme (1958-1978), un rééquilibrage du pays au détriment du littoral ; enfin, depuis 1978, une réouverture sur le monde extérieur laquelle conduit à un renforcement de la primauté du littoral sur l’intérieur jusqu’à nos jours ; elle se poursuit conjoncturellement, dès 2000, par le projet de développement de l’Ouest, qui a pour but d’affirmer une stratégie de développement fondée sur les avantages comparatifs.

315 Il s’agit de la création de la région économique de l’extension du delta de la rivière des Perles par l’État en 2003. Cette région économique comprend neuf provinces (Fujian, Guangdong, Guangxi, Guizhou, Hainan, Hunan, Jiangxi, Sichuan, Yunnan) et les deux régions administratives spéciales de Hong Kong et Macao.

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III.3.1. L’état embryonnaire : les macrorégions du Yangzi

Avec une organisation spatiale de plus en plus hétérogène, la complexité territoriale préindustrielle du XIXe siècle a engendré, dans la vallée du Yangzi, à la fin de l’époque impériale, l’apparition perceptible d’inégalités socio-économiques. Pour mieux les identifier, les études sur les « macrorégions » proposées par l’anthropologue américain Skinner316 nous permettent de comprendre la préexistence de ce déséquilibrage. Afin de montrer que la Chine, à la fin de l’époque impériale, ne disposait pas d’un système territorial économiquement unifié, dans son examen sur la composition structurelle de l’espace chinois, Skinner a proposé une analyse régionale en divisant la Chine en neuf macrorégions317. Se basant sur la coïncidence du système de marché macrorégional avec la structure physiographique du bassin hydrographique318, chaque macrorégion est structurée par une hiérarchie urbaine de centres commerciaux reliant les différents marchés échelonnés319, ce qui permet de distinguer un cœur-région où sont concentrées les ressources (terres cultivables, population, capitaux) et une région marginale où ces ressources s’amenuisent. Ces macrorégions diffèrent des provinces définies par le gouvernement des Qing à travers sa hiérarchie administrative.

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SKINNER G. William, « Cities and the Hierarchy of Local Systems », in SKINNER G. William, dir., The City in Late Imperial China, Stanford, Stanford University Press, 1977, pp. 275-352 ; SKINNER G. William, « Regional Urbanization in Nineteenth Century China », in SKINNER G. William, dir., ibid. pp. 211-249 ; SKINNER G. William, « Presidential Address : The Structure of Chinese History », in The Journal of Asian Studies, no. 44-2, 1985, pp. 271-292.

317 Ces neuf macrorégions sont : 1) la macrorégion de la Chine du Nord-Est, 2) la macrorégion de la Chine du Nord, 3) la macrorégion de la Chine du Nord-Ouest, 4) la macrorégion du haut Yangzi, 5) la macrorégion du moyen Yangzi, 6) la macrorégion du bas Yangzi, 7) la macrorégion de la Chine du Sud-Est, 8) la macrorégion du Lingnan et 9) la macrorégion du Yunnan-Guizhou. Source : SKINNER G. William, « Régional urbanization in Nineteenth-Century China », in SKINNER G. William, dir., op. cit., 1977, pp. 216-217 ;

318 « Chaque structure de l’économie macrorégionale a pris forme et a été totalement comprise dans une macrorégion géographique qui peut être définie en termes de bassin hydrographique. ». Source : SKINNER G. William, « Cities and the Hierarchy of Local Systems », in SKINNER G. William, dir.,op. cit., 1977, p. 280.

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Skinner définit chaque structure macrorégionale à partir d’indicateurs économiques : le réseau des transactions, déterminé par leur coût principal et la distance économique ; l’importance des flux de marchandises qui révèlent les points de concentration et les cœurs des régions économiques ; la densité de population qui conditionne la concentration des ressources et le pouvoir d’achat, deux facteurs fixant le seuil de la demande, et donc une distribution différenciée des ressources économiques.

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Tableau 12 : Les données clés des macrorégions yangziennes pour 1843, 1893 et 1953

Macrorégion Superficie (km2) 1843* 1893 1953 Population** (hab.) Densité (hab./km2) Population urbaine (hab.) Nombre de lieux centraux *** Population (hab.) Densité (hab./km2) Population urbaine (hab.) Nombre de lieux centraux Population (hab.) Densité (hab./km2) Le bas Yangzi 192 740 67 000 000 348 4 930 000 330 45 000 000 233 4 750 000 270 61 000 000 316 Le moyen Yangzi 699 700 84 000 000 120 3 777 000 303 75 000 000 107 3 905 000 293 92 000 000 131 Le haut Yangzi 423 950 47 000 000 111 1 950 000 170 53 000 000 125 2 503 000 202 68 000 000 160 Ensemble du bassin 1 316 390 198 000 000 150 10 657 000 803 173 000 000 131 11 158 000 765 221 000 000 168

Sources : SKINNER G. William, « Cities and the Hierarchy of Local Systems », in SKINNER G. William, dir., The City in Late Imperial China, Stanford, Stanford University Press, 1977, p. 287, REN fang, « Shijianya moshi yu zhongguo jindaishi yanjiu » [La macrorégion et l’étude sur l’histoire de la Chine moderne],

Zhongguo jindaishi yanjiu [Recherche sur l’histoire de la Chine moderne], no. 4, 2004, pp. 105-109. * Selon Skinner, seules les statistiques de 1843 révèlent l’état agricole réel du bassin du Yangzi pré-industriel.

** Les données démographiques de 1843 sont des chiffres estimés.

188 Dans le cadre de notre étude, l’intérêt de l’analyse macrorégionale est multiple : il est non seulement de mettre en relief une typologie différenciée des cités et des structures sociales urbaines, indépendante de la typologie administrative320, mais aussi d’aborder l’espace yangzien à partir de l’organisation territoriale et des processus d’implantation des villes.

Le recul des limites administratives au regard de la division macrorégionale

L’analyse macrorégionale a d’abord pour principal intérêt de mettre en lumière l’absence de coïncidence entre la délimitation administrative provinciale et le découpage en régions économiques. Les trois macrorégions yangziennes disposent chacune de leur propre réseau de villes et bourgs hiérarchisés en formant un système économique indépendant. Pour ces trois macrorégions, leur délimitation macrorégionale correspond à peu près à la démarcation des lignes de crête du bassin hydrographique mais est perturbée par le découpage administratif provincial. Ce qui se constate notamment dans les confins provinciaux entre le Hubei, le Hunan et le Jiangxi, et entre l’Anhui et le Zhejiang (cf. carte 23). Dès la fin du XIXe siècle, le découpage administratif devient une entrave à l’organisation des activités économiques inter-provinciales et à la formation structurelle de régions économiques.

Prenons l’exemple de la macrorégion du cours moyen du Yangzi. L’ensemble de cet espace se compose de cinq sub-macrorégions, dont les cœur-régions sont situés le long de la vallée du cours principal du Yangzi et du bassin du Xiang. Les autres espaces (bassin du Gan, bassin du Han et bassin du Yuan) constituent les régions périphériques. Hankou est la ville dominante qui diffuse ses influences économiques à l’échelle de l’ensemble de la macrorégion. Pour quelques autres villes portuaires importantes comme celle de Jiujiang (porte d’entrée du lac Poyang depuis le Yangzi) et Xiangtan (port du Xiang), leur pouvoir économique peut atteindre jusqu’à une ou deux sub-macrorégions limitrophes321

. La délimitation administrative provinciale constitue un maillon faible pour la reconnaissance et la perception de l’organisation régionale émanant des forces socio-économiques.

320 LAMOUROUX Christian, « Les pérégrination d’un modèle géographique (1965-2002) », Études rurales, no. 161-162, 2002, p. 266.

321 SKINNER G. William, « Regional Urbanization in Nineteenth Century China », SKINNER G. William, dir., op.cit., 1977, pp. 211-215.

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