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Les conditions naturelles de l’espace yangzien et l’organisation des travaux hydrauliques

Carte 13 : La délimitation du delta du Yangzi

II.5. Les travaux hydrauliques et leur rôle dans la formation de l’espace yangzien

II.5.1. Les conditions naturelles de l’espace yangzien et l’organisation des travaux hydrauliques

Avant la mise en place d’ouvrages techniques hydrauliques électrifiés, les travaux dans l’espace yangzien visant à maîtriser les eaux à des fins productives et préventives relevaient beaucoup plus strictement de l’impératif topo-hydrographique et soutenaient essentiellement une riziculture traditionnelle. Dans la vallée du Yangzi, le morcellement topographique et la présence d’abondantes surfaces hydriques perturbées par la répartition asymétrique de la pluviosité conditionnent les travaux d’irrigation, lesquels sont dispersés et reposent sur la construction de réservoirs (bei) dans les régions collinaires, ainsi que sur la mise en place de l’endiguement (weiyan) à partir de réservoirs (tang) dans les régions basses et littorales. Globalement, à la différence de la Chine septentrionale, où les édifices d’irrigation sont dominés par les canaux (qu) à des échelles gigantesques tels que Zheguoqu ou Baiqu, la Chine méridionale privilégie les travaux d’édification de réservoirs et de bassins de retenue des eaux (bei-tang) à une dimension réduite et simple, ce qui rend plus aisée leur prise en charge et leur contrôle par les administrations et les élites locales246. Ainsi, en tant que fondements initiaux d’un bassin économique agricole yangzien, les travaux hydrauliques mis en place constituent, d’une part, les piliers essentiels pour la formation des trois « régions économiques clés » yangziennes en soutenant à ce point l’essor économique de la vallée du Yangzi que celle-ci détrône le bassin du fleuve Jaune en devenant centre productif de l’Empire à partir du XIIe

siècle ; et, d’autre part, ces travaux ont favorisé l’émergence d’un

246 Les retenues d’eau de la Chine méridionale se distinguent en fonction de la topographie : aux réservoirs construits sur les pentes des piémonts ou des collines s’opposent ceux qui utilisent les dépressions naturelles en plaine. Nishiyama croit pouvoir retrouver une trace de la distinction dans les termes qui désignent la retenue chinoise historique : bei est utilisé à l’origine dans le bassin de la Huai et tang au sud du Yangzi. Il remarque que, si le traité du Nongshu du début du XIVe siècle associe dans le terme bei-tang les deux parties constitutives de l’ouvrage, digue et plan d’eau, c’est néanmoins aux seuls canaux (qu) s’alimentant à des retenues (bei) qu’est réservée l’ouverture de vannes (shuizha), alors qu’à partir des étangs (tang) sont installées des canalisations de drainage (wa dou). Il croit y déceler l’indice d’une origine différente : les retenues (bei) seraient des ouvrages édifiés sur les pentes, ce qui expliquerait qu’une simple ouverture permette le ruissellement, alors que l’installation de canalisations à partir d’étangs (tang) assurerait le drainage de l’eau dans les terres basses. (Nishiyama, 1969). Cf. LAMOUROUX Christian, « Crise politique et développement rizicole en Chine : la région du Jiang-Huai (VIIIe-Xe siècles), Bulletin de l’École fran aise d’Extrême-Orient, tome 82, 1995, pp. 145-184.

125 développement local : en effet, en matière de gestion, l’éloignement du centre politique du pays a permis le fléchissement du contrôle direct des ouvrages hydrauliques par l’État, avec en la matière une prise en charge accrue du gouvernement local. Cet élément peut être considéré comme un des facteurs initiaux du phénomène du « protectionnisme » local qui est aujourd’hui fortement présent dans le bassin yangzien.

Les terres collinaires et les travaux hydrauliques

Dans les cours moyen et inférieur du bassin yangzien, une grande partie de l’espace est dominée par les collines du Huaiyang sur la rive gauche du Yangzi et les collines du Jiangnan sur la rive droite (cf. carte 7). Ces régions collinaires sont connues pour leur altitude élevée, ainsi que leurs terrains pentus où les anfractuosités abondent. Ces caractéristiques topographiques provoquent des difficultés pour la mise en place des activités agricoles comme par exemple l’importante érosion du sol pendant la saison des moussons, une irrigation ardue des hautes terres cultivées et une complication de la mise en œuvre des travaux hydrauliques, du fait de cette topographie disséquée. Néanmoins sur ces régions collinaires, les versants solides permettent de créer de bons réservoirs et bassins de retenue afin d’irriguer l’ensemble de la vallée.

Dans les régions collinaires, l’irrigation repose essentiellement sur la construction de réservoirs (bei) qui facilitent l’écoulement des eaux sur les terres en pente, et de digues dans les gorges stratégiques dominant la vallée. Ils interceptent les eaux venues de l’amont ou captent les précipitations, puis les déversent dans les champs cultivés. Ce modèle d’irrigation est pratiqué dans la vallée du Yangzi depuis bien longtemps. Selon la première monographie sur le régime hydrographique en Chine, le Traité des eaux (Shuijing)247, à la fin du Ve siècle, la vallée du Yangzi comptait plus d’une centaine de réservoirs du type bei-tang, grâce auxquels l’eau des rivières ou des lacs était accumulée derrière des retenues (yan) et répartie dans les champs ou dirigée à flanc de coteau par des canaux.

En outre, les techniques hydrauliques mises en œuvre sur les territoires de coteaux et de croupes font appel à la gravité et mettent à profit les dénivellations : sur les pentes aménagées en rizières, l’eau de pluie est stockée dans des réservoirs et elle est distribuée de terrasse en

247 Le Traité des eaux (Shuijing), dont l’origine est mal connue, est le premier ouvrage consacré à une analyse globale du système hydrographique chinois. Nous avons emprunté ici les données fournies par Le Commentaire sur le traité des eaux (Shuijingzhu) de Li Daoyuan (Guiyang, Guizhou renmin chubanshe, 1996, 1 423 pages), écrit au VIe siècle, qui comme son titre l’indique, a pour objet l’étude de l’ouvrage de son prédécesseur.

126 terrasse. Cette culture en pente (titian)248 permet l’écoulement des eaux de ruissellement et leur infiltration dans le sol, ce qui offre l’avantage de lutter contre l’érosion et de multiplier les terres cultivables.

Photos 7 et 8 : La culture en terrasses dans le bourg de Xieping à Yichun au Jiangxi

Source : Xiaofan TAO, photos prises en mars et avril 2007 à Yichun au Jiangxi.

Les terres basses et les travaux hydrauliques

Au sein de l’espace yangzien, les terres plates (plaines et cuvettes) qui ne représentent que 0,07 % (126 000 km2) du territoire de la vallée sont la plaine de Chengdu, la plaine des deux lacs (la plaine du Jianghan et la plaine du lac Dongting), la plaine du lac Poyang et la plaine du lac Tai. Ces régions planes sont dominées largement par les terres très faiblement en pente (moins de cinq degrés)249. Ici, la mise en place de travaux d’irrigation est relativement plus aisée à effectuer que dans les régions collinaires, grâce à la généralisation des édifices hydrauliques, l’essartage agricole, qui ont bonifié les terres plates fertiles en stimulant l’essor des trois fameuses « régions économiques clés » yangziennes historiques.

Située dans l’ouest du bassin du Sichuan, la plaine de Chengdu est une plaine alluviale en forme d’éventail, légèrement inclinée vers le sud, ce qui facilite l’écoulement et le trainage naturel des eaux. La réussite extraordinaire des travaux d’irrigation de Dujiangyan, qui a apporté la prospérité à l’ensemble de la plaine de Chengdu, résulte de l’exploitation intelligente de cette particularité topographique.

En dehors de l’abondance hydrique fournie par le cours principal du Yangzi et ses affluents, les plaines situées dans les moyen et bas Yangzi sont par ailleurs abondamment nourries par les quatre plus grands lacs doux chinois (Dongting, Poyang, Cao et Tai), ainsi que par

248Dans la vallée du Yangzi, les principales zones de culture en terrasses se trouvent à Nanchong, Hechuan et Nanxi au Sichuan, et dans les régions collinaires du Hunan, du Jiangxi et du Zhejiang.

127 d’innombrables petits plans d’eau lacustres. Cependant, l’enfoncement de la terre de ces plaines est défavorable au drainage des eaux, la juxtaposition de la saison des pluies et de celle des crues y double également le risque d’inondations et de sécheresse. Ainsi la mise en place des ouvrages hydrauliques sert-elle à lutter contre les inondations éventuelles et à protéger les terres aménagées en polders (weitian) afin de renforcer l’activité agricole des régions de la plaine lacustre.

Illustration 3 : Les terres aménagées en polders (weitian) dans la région du lac Tai

Source : Institut hydraulique de Wuhan, Zhongguo shuili shigao [Histoire des travaux hydrauliques chinois], Wuhan, Shuili dianli chubanshe, 1985, p. 219. Weitian, il s’agit de construire des digues pour étendre les terres cultivées, notamment des rizières sur les marais lacustres.

Enfin, le long de la côte du delta yangzien où l’intrusion de la mer peut s’étendre sur plusieurs kilomètres, et où les typhons sévissent, l’agriculture est souvent ravagée par les tempêtes. Ainsi les habitants vivant près des côtes ont-ils développé plusieurs types de brise-lames sur les rivages, afin de se protéger contre les actions mécaniques des vagues en y rendant possible des cultures rentables grâce à la poldérisation littorale.

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