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II. C ADRE THEORIQUE

2.1 L ES ORIGINES DES UGC ET LEUR DIVERSITÉ

2.1.1 L’émergence des UGC

La consécration du Web 2.0 et l’avènement des médias sociaux numériques ont eu un impact sans précédent sur la participation des consommateurs dans le processus de production d’image de marque. En effet, leur apparition au milieu des années 2000 a offert un nouveau souffle de création et de liberté aux internautes notamment aux travers de plateformes ergonomiques et d’outils de production et de publication facilitant l’expression ainsi que la collaboration entre individus. Les contenus générés par les utilisateurs ont alors pris une ampleur inédite. Bien que ces contenus préexistent au Web 2.0 et même à l’ère numérique, c’est la combinaison récente de facteurs technologiques, économiques, légaux et sociaux qui a permis leur explosion (Kaplan et Haenlein, 2010, p.61). Avant l’arrivée d’Internet, ce phénomène se présentait sous forme de publications amateurs hors-ligne au travers d’articles dans la tribune libre de certains journaux (Lobato et al., 2011, p.899) ou de parodies, mais aussi dans le cadre de concours (Arnhold, 2010, p.5) ou de « boîtes à idées » proposées par certaines entreprises (Divard, 2010, p.11). Dès les années 1980, ce type de contenus s’introduit en ligne, en tant que « contenus générés par les utilisateurs » ou user-generated content en anglais sous l’abréviation popularisée d’« UGC », avec Usenet, un système de forums permettant de discuter et de partager des commentaires et expériences (Interactive Advertising Bureau, 2008, p.1). Les UGC étaient donc présents « in one form or another since the earliest days of the Internet itself » (Interactive Advertising Bureau, 2008, p.1). Dès la fin des années 1990, les UGC se diversifient et se font plus nombreux, notamment sur les blogs et les sites de recommandation. Les blogs ont été parmi les premières plateformes à révéler une forte participation sur Internet s’étendant au-delà des quelques utilisateurs technophiles (Cardon et Granjon, 2013, p.117) comme en témoigne la croissance de la blogosphère dès les années 2000. C’est finalement avec l’avènement du Web 2.0, et avec lui, celui de nombreux médias sociaux, que les UGC prennent leur ascension fulgurante et continue (Arnhold, 2010 ; Smith, Fischer et Yongjian, 2012).

Le concept de « Web 2.0 »1, popularisé en 2004 lors d’une conférence de Tim O’Reilly, rend compte « d’un tournant significatif » (Allard, 2009, p.70) ou « tournant expressiviste » (Allard, 2007, p.57) du Web. Il désigne le basculement dans un nouvel espace simplifié et interactif caractérisé par un ensemble de techniques et de fonctionnalités continuellement renouvelées (Kaplan et Haenlein, 2010, p.61) offrant aux utilisateurs la possibilité de partager et de publier des contenus sans grandes

1 Terme employé par Dale Dougherty et Craig Cline en 2003, puis popularisé par Tim O’Reilly, un éditeur d’ouvrages informatiques, lors d’une conférence en 2004.

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connaissances préalables. Ce Web est dit « participatif » (OECD, 2007, p.17) puisqu’il invite l’utilisateur à collaborer et à s’exprimer, en somme à être actif et à participer, l’érigeant par cette occasion au rang de producteur ou d’amateur. En ce sens, la frontière, autrefois clairement délimitée, entre professionnels et amateurs ou entre consommateurs et producteurs tend à disparaître pour laisser place à des agents hybrides, les « pro-ams » (Cardon et Delauney-Téterel, 2006, p.53) et les

« prosumers » (Goyette-Côté et Langlois, 2014). En effet, l’utilisateur d’une plateforme 2.0

« est d’abord un <producteur de contenu> (content producer2) : en renseignant son profil, en insérant des photos, des vidéos, des hyperliens, en commentant une photo, en recommandant une lecture ou un spectacle, etc. » (Proulx, 2013, p.148).

D’après Kaplan et Haenlein (2010), ce sont précisément les bases technologiques et idéologiques du Web 2.0 qui ont permis l’essor de telles plateformes, rassemblées sous l’appellation de « médias sociaux » (social media), favorisant l’explosion des UGC. Répartis en six catégories (les plateformes collaboratives comme Wikipedia, les blogs, les communautés de contenu comme Youtube ou Flickr, les réseaux sociaux comme Facebook, les mondes de jeux virtuels comme Second Life, les mondes sociaux virtuels comme World of Warcraft), ces médias sociaux permettent de mettre en relation des millions d’individus qui peuvent interagir entre eux de manière instantanée, précisément par le biais de contenus qu’ils peuvent publier dans divers formats (textuels, audio, visuels) et sur de nombreuses plateformes (Mangold et Faulds, 2009, p.359). Ainsi, Luca (2015) affirme que « the common thread across these platforms is that they contain user-generated content » (Luca, 2015, p.566) et Kaplan et Haenlein (2010) que « User Generated Content (UGC) can be seen as the sum of all ways in which people make use of Social Media » (Kaplan et Haenlein, 2010, p.61). Clairement dépendants des UGC, les médias sociaux se sont multipliés et ont évolué en plaçant ces contenus au centre de leurs fonctionnalités. Parmi ceux-ci, en 2007 déjà, l’OECD rapportait que les réseaux sociaux et les sites de vidéos en ligne (tels que Youtube) étaient en passe de devenir les sites les plus populaires au monde (OECD, 2007, p.9). Avec une estimation de 2.46 milliards d’internautes dans le monde en 2017, dont 71%3 présents sur les réseaux sociaux, ces derniers font désormais partie intégrante de la société (Phua, Jin et Kim, 2017, p.412). En rassemblant tant d’individus, les réseaux sociaux, et de manière générale les médias sociaux, offrent un environnement riche dans lequel chacun peut communiquer avec plusieurs centaines, parfois milliers, d’individus rapidement et presque sans effort (Mangold et Faulds, 2009, p.361). Les chercheurs parlent de « global reach capabilities » (Mangold et Faulds, 2009, p.359), de « mass scale » participation (Interactive Advertising Bureau, 2008, p.5), ou encore « the viral nature of social media » (Tsimonis et Dimitriadis, 2014, p.333) pour évoquer ce nouvel accès, à priori facilité, à l’espace public de visibilité. Dès lors, un contenu

« amateur » publié en ligne a plus de chance de devenir viral.

En parallèle à l’évolution du Web et de ses composantes, d’autres avancées

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En effet, la fin des années 1990 marque l’accès à l’Internet haut débit pour une grande partie des foyers occidentaux, leur permettant de créer, publier et partager des contenus plus riches (tels que des photos et vidéos) plus rapidement et facilement (OECD, 2007, p.27 ; Arnhold, 2010). Au même moment, les appareils numériques, notamment les ordinateurs, les smartphones, les caméras et les appareils photos deviennent plus accessibles et de meilleure qualité (OECD, 2007 ; Smith et al., 2012), leur efficience ne cessant de croître.

Si la technologie a joué un rôle majeur dans la redéfinition du statut des consommateurs, des facteurs socio-structurels (Gamble et Gilmore, 2013, p.1860), légaux et économiques (OECD, 2007) y ont également participé. D’un point de vue socioculturel, les désirs d’expression, de participation et de construction de soi dans une période d’individualisme croissant et de quête identitaire sont au cœur des pratiques numériques des internautes (Voirol, 2010), plus particulièrement des jeunes (OECD, 2007, p.28). L’individualisation de la société occidentale, survenue suite à des changements sociaux et institutionnels, a permis à l’individu de s’émanciper, de se différencier et de se singulariser en s’opposant à tout ancrage identitaire et social (Le Bart, 2008). Désormais, il se doit de réfléchir à ses choix et à son identité car ceux-ci ne sont plus assignés, il ne s’agit plus de les reproduire de manière mécanique, mais réfléchie tout au long de sa vie. Cette réflexivité se manifesterait en partie par l’expression de soi en ligne (Allard, 2009, p.66), notamment par la création, la publication et l’échange de contenus amateurs. En même temps, l’expression de soi s’accompagne d’un changement d’attitude en ce qui concerne la vie privée (Arnhold, 2010, p.59). En effet, en s’exposant en ligne, les internautes dévoilent des informations plus ou moins personnelles sur eux à un public plus ou moins large. Par ailleurs, l’engouement pour les UGC s’explique également comme « the resistance to oppressive marketing controls » (Cova et Dalli, 2008, cité dans Gamble et Gilmore, 2013), ces dernières années étant marquées par une méfiance grandissante envers la communication des entreprises, les médias et le gouvernement4, surtout de la part des millennials5 (American Marketing Association, 2006, cité dans Arnhold, 2010, p.140 ; Bazaarvoice, 2012, p.6).

Concernant les facteurs économiques, la baisse des coûts des appareils numériques et des logiciels a favorisé la création de contenus, tandis que l’intérêt grandissant des entreprises pour ce type de contenus et leur commercialisation récente (OECD, 2007) a motivé certains individus à en produire davantage (voir section 2.1.2) Sur le plan légal, l’apparition de nouvelles lois et organisations a encouragé la création et la distribution de contenus en ligne qui bénéficient désormais d’une meilleure couverture légale, notamment en ce qui concerne le copyright (OECD, 2007, p.29).

Par exemple, Creative Commons, une association à but non lucratif créée en 2001, propose des licences de droits d’auteurs plus flexibles6 permettant de protéger le contenu de l’auteur tout en autorisant, selon les choix de ce dernier, de le distribuer, le remixer ou même de le copier (OECD, 2007, p.29).

6 Creative Commons, A propos des licences, [en ligne], https://creativecommons.org/licenses/, (consulté le 06.11.2018).

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En somme, ces divers facteurs ont contribué à la domination des UGC sur le Web qui sont devenus « one of the most influential sources of online information today » (Constantinides and Fountain, 2008, cité dans Dennhardt, 2012, p.3). En 2005 déjà, un sondage réalisé par Pew Internet & American Life Project affirmait qu’un tiers des internautes aux Etats-Unis avaient publié du contenu sur le Web qu’ils avaient eux-mêmes créé7 (cité dans OECD, 2007, p.22). Ce nombre était plus élevé parmi les internautes de moins de 30 ans ayant accès à l’Internet haut débit, puisque 41%

avaient publié un contenu qu’ils avaient créé (OECD, 2007, p.22). Statista, une entreprise spécialisée dans la collecte et l’analyse de données destinées au marché, présentait plus récemment un rapport concernant les UGC au Royaume-Uni entre 2008 et 2016. En 2008, 19% des internautes avaient publié du contenu qu’ils avaient eux-mêmes créé, tandis qu’en 2016, ils étaient 51% à l’avoir fait8. Ces statistiques témoignent bien de la montée en puissance des UGC ces quinze dernières années, quel que soit le pays concerné.