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De l’éducation à la nature à la politique de biodiversité

Chapitre 1 : De l’hygiénisme à la biodiversité

A. De l’éducation à la nature à la politique de biodiversité

La création du service Paris-Nature, créé à des fins d’éducation à la nature dans les années 1980, est la première étape d’une réinterprétation de la nature urbaine (Micoud 1997) au sein de l’administration parisienne.

« Paris-Nature » : la construction d’une compétence sur le vivant

Début 1980, le maire de Paris charge une chef de service de créer une Maison de la nature en s’inspirant de structures similaires dans d’autres villes. Rapidement, ce projet évolue et donne naissance en 1985 au service Paris-Nature, au sein de la Direction des parcs, jardins et espaces verts (DPJEV)54. Selon Nathalie Blanc (2000), cette création coïncide avec l’émergence de l’écologie comme force politique. Au départ, Paris-Nature utilise les jardins comme principal support de sa mission pédagogique, tournée vers les scolaires, puis vers le grand public. L’objectif est de porter à connaissance une nature proche des habitants et propre au territoire parisien, mais elle est encore largement méconnue. Les agents se lancent dans un travail de terrain (Frison 1999). De 1984 à 1990, ils élaborent des « sentiers-nature », une série de cheminements de découverte diffusée sous forme de cartes à destination du public : « il s’agit de dépasser les idées reçues concernant la ville ; d’en proposer une autre vision : un milieu riche en espèces et un milieu de qualité » (Blanc 2000 : 177). Créer ces balades permet de réaliser de nombreux inventaires, en collaboration avec des naturalistes amateurs. L’approche devient ensuite plus systématique. Il est fait appel à des chercheurs, notamment du Muséum national d’histoire naturelle, des bureaux d’étude ou encore des associations naturalistes reconnues, pour réaliser des études. Pour la flore, les inventaires sont faits en interne, par les animateurs et les cadres du service. L’un d’elle explique que ce travail répond à une nécessité pour la mission du service, mais ne fait pas l’objet d’une commande politique :

« C’est petit à petit que nous avons procédé à ces inventaires – ou contribué à les faire exister –, d’une façon officieuse puisque ce travail ne nous était pas demandé. Mais il était nécessaire ! Nos dirigeants n’avaient pas pris conscience du fait que la

53 L’informateur central est Philippe Jacob, responsable de l’Observatoire parisien de la biodiversité (OPB)

et chargé de la mise en œuvre du Plan, référent de cette thèse CIFRE. Etre intégrée à l’équipe de l’OPB pendant trois ans m’a permis d’avoir des échanges réguliers avec les agents de cette structure et d’autres services de l’Agence d’écologie urbaine (annexe 1). L’accès à des documents internes était aussi facilité.

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matière première – l’information d’inventaire – faisait défaut. Nous avons essayé de trouver des moyens pour y remédier, au fur et à mesure des urgences » (Frison 1999 : 361).

La démarche répond à une volonté de reconnaissance d’un « patrimoine sauvage » (ibid. : 361) à Paris, celui qu’abritent les espaces verts, mais aussi les trottoirs, les terrains vagues, les berges : « on a commencé à parler de cette flore comme d’une richesse, diverse et respectable » (ibid. : 362).

Les années passant, le service construit un réseau de structures. Au nombre de dix en 1999, elles se composent de lieux thématiques (Maison du jardinage, Maison des cinq sens, Maison Paris-Nature…), d’un réseau d’espaces à caractère naturel (la réserve d’oiseaux du Bois de Boulogne, ou le Jardin naturel et le Jardin sauvage Saint Vincent, dont le service est à l’initiative) et de la populaire Ferme de Paris (figure 3) (ibid.). Le public accueilli est conséquent : 300 000 personnes en 1998, dont environ 40 000 enfants par an. Les animateurs, baptisés en 1997 « éco-éducateurs », sont majoritairement de formation naturaliste en biologie, écologie ou éthologie. Dans les années 1990, Paris-Nature est le service municipal le plus important de France pour l’éducation à l’environnement (Blanc 2000).

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Figure 3 : Carte des structures de Paris-Nature, Mairie de Paris (Frison 1999).

Au départ, la méfiance est de mise face à certaines orientations du service, notamment au sein de la DPJEV. Fin 1990, les cadres responsables des questions d’écologie urbaine sont eux-mêmes sceptiques quant à l’applicabilité d’une gestion différenciée des espaces verts parisiens, qui menacerait les modèles patrimoniaux des parcs et jardins parisiens (Frison 1999). Mais l’action de Paris-Nature va progressivement contribuer à faire évoluer les pratiques jardinières municipales (Blanc 2000).

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À travers ce service à la mission initialement pédagogique, la Ville construit et affirme progressivement une compétence en matière de nature sauvage. Une autre préoccupation transparaît dans les propos d’une des responsables de ce service (Frison 1999). Dès le début, il s’agit de changer l’image des espaces verts, pour que les habitants soient plus respectueux de ces espaces. Cette volonté rencontre celle d’associations d’habitants :

« À l’occasion de l’aménagement ou de la réhabilitation de certains jardins, dans des zones sensibles, il nous a été demandé d’intervenir sur le terrain. Les associations de quartier souhaitent profiter de cette opportunité pour engager un travail d’éducation qui viserait à faire mieux respecter le cadre de vie par les habitants eux-mêmes » (ibid. : 366).

D’Haussmann au service Paris-Nature et des classes ouvrières aux « quartiers sensibles », l’action municipale en matière de nature semble toujours recouvrir quelque visée disciplinaire.

La biodiversité : des nuisances à la protection

En 2001, l’élection du socialiste Bertrand Delanoë comme Maire de Paris entraîne l’entrée des écologistes (les Verts) au gouvernement municipal. Les années suivantes, la Ville va intégrer la biodiversité en des termes et avec des objectifs nouveaux, en passant d’une démarche essentiellement éducative à un programme politique en faveur du vivant. Philippe Jacob, actuel responsable de la mise en œuvre du Plan biodiversité (Mairie de Paris 2011) au sein de la Direction des espaces verts et de l’environnement, identifie un certain nombre d’étapes qui constituent selon lui la genèse de cette politique55. Nous

garderons à l’esprit que ces éléments relèvent de son interprétation, avec toutes les limites que cela implique. Un terrain à part entière aurait été nécessaire pour décrypter ce processus et celui de la construction du Plan biodiversité, voulue « participative ».

De 2001 à 2008, l’adjoint au Maire chargé de l’environnement, de la propreté, des espaces verts et du traitement des déchets est l’écologiste Yves Contassot. Son portefeuille implique la supervision de deux grandes Directions : celle de la propreté et de l’environnement, et celle des espaces verts. Au sein du service Paris-Nature, la Cellule expertise naturaliste est créée. Elle devient dès 2002 la Cellule biodiversité et veille scientifique (tableau 1). Ces évolutions de l’organigramme reflètent la reconnaissance officielle dans l’organisation de cette compétence municipale, alors que se poursuit en parallèle une action d’éducation à la nature et, plus largement, à l’environnement.

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Date Appellation Organigramme

octobre 2001 à février 2002

Cellule Expertise Naturaliste (CEN)

Mairie de Paris / Direction des Parcs, Jardins et Espaces Verts (DPJEV) / Sous-direction de l’Animation et de l’Éducation à l’Écologie Urbaine / service Paris-Nature

mars 2002 à août 2003

Cellule Biodiversité & Veille Scientifique (CBVS)

Mairie de Paris / Direction des Parcs, Jardins et Espaces Verts (DPJEV) / Sous-direction de l’Animation et de l’Éducation à l’Écologie Urbaine / service Paris-Nature / Cellule Biodiversité & Veille Scientifique

septembre 2003

à août 2004 Cellule Biodiversité (CB)

Mairie de Paris / Direction des Parcs, Jardins et Espaces Verts (DPJEV) / Sous-direction de l’Animation et de l’Éducation à l’Écologie Urbaine / service Paris-Nature / Cellule Biodiversité

septembre 2004

à décembre 2009 Pôle Biodiversité (PB)

Mairie de Paris / Direction des Parcs, Jardins et Espaces Verts (DPJEV) / Service de l’Écologie Urbaine (SEU) / Pôle Biodiversité

janvier 2010 à août 2011

Division Biodiversité - Patrimoine Naturel (DBPN)

Mairie de Paris / Direction des Espaces Verts & de l’Environnement (DEVE) / Agence de l’Écologie Urbaine (AEU) / Division Biodiversité - Patrimoine Naturel

septembre 2011 à aujourd’hui

Division Patrimoine Naturel (DPN)

Mairie de Paris / Direction des Espaces Verts & de l’Environnement (DEVE) / Agence de l’Écologie Urbaine (AEU) / Division Patrimoine Naturel

Observatoire Parisien de la Biodiversité (OPB)

Mairie de Paris / Direction des Espaces Verts & de l’Environnement (DEVE) / Agence de l’Écologie Urbaine (AEU) / Observatoire de la Biodiversité de Paris

Tableau 1 : Évolutions du service municipal parisien dédié à la biodiversité. Tableau réalisé par Xavier Japiot, chargé d’études faunistiques à la Division patrimoine naturel (DEVE-Mairie de Paris).

À la même période, l’élaboration du premier Plan local d’urbanisme (PLU) de Paris est l’occasion de discuter de ces sujets dans des commissions. Philippe Jacob organise celle sur l’« animal en ville », qui abordera la thématique sous l’angle exclusif des nuisances. Chiens, chats et pigeons constituent le bestiaire restreint des échanges. Parmi les mesures phare issues de la commission, on trouve les premiers pigeonniers contraceptifs et l’interdiction totale par décret de toute crotte de chiens dans l’espace public. Un livret pédagogique rédigé par les services municipaux accompagne ce changement, intitulé « Bien vivre avec votre chien à Paris : petit guide du maître » (2002). Il aboutit à un second document en 2005, qui aborde la question des animaux dans la ville en général. Les animaux sauvages, la biodiversité et l’idée de protection font leur entrée pour la première fois dans un document de communication municipale. Sur la couverture du guide « Bien vivre avec les animaux à Paris : protégeons notre environnement » (2005) (figure 4), un dessin représente un chien, un chat et un oiseau (pas un pigeon, mais plutôt un aimable oiseau chanteur), mais aussi des papillons, un écureuil (espèces sauvages donc, mais sympathiques et esthétiques), ainsi qu’un caméléon (représentant les « NAC », les nouveaux animaux de compagnie). Le végétal est représenté par des arbres verts clairs et la ville apparaît sous la forme d’un décor gris un peu lointain, sur lequel se détachent les animaux de couleurs vives.

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Figure 4 : Couverture du livret "Bien vivre avec les animaux à Paris : protégeons notre environnement" (Mairie de Paris 2005).

L’animal est évoqué sous différentes facettes : nuisance et aménité, domestique et sauvage. Les trois premières parties sont consacrées aux chiens, aux chats et aux pigeons. Alors qu’on apprend comment bien soigner son animal de compagnie, le guide présente pour le pigeon la très sérieuse « situation parisienne », les « méfaits du nourrissage sauvage » et la politique municipale pour « une gestion durable des pigeons à Paris » (Mairie de Paris 2005 : 10-11), autrement dit le contrôle des populations et des personnes qui entendent nourrir ces bêtes. La quatrième partie est intitulée « Les animaux sauvages : une biodiversité méconnue » (ibid. : 12). La caractérisation rapide de cette nature s’articule autour de deux grandes idées. Elle est méconnue, mais pourtant présente et riche. Preuve à l’appui, une liste d’espèces, communes, mais qui peut paraître étonnante pour les non- spécialistes : le martin-pêcheur, la fouine, le pseudo-scorpion et la méduse Craspedacusta… Le jargon de l’écologie scientifique imprègne le discours. La liste des actions de la Ville en faveur de la biodiversité préfigure les grands thèmes du futur plan : végétalisation des murs et des toits, gestion écologique, prise en compte de la biodiversité dans l’aménagement… Les espaces emblématiques de l’action municipale en termes de biodiversité sont d’ores et déjà identifiés : les berges de Seine, les bois de Boulogne et de

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Vincennes, sans oublier la petite ceinture. La conclusion porte sur les « écogestes pour respecter la biodiversité » (ibid. : 13). Après les nouveaux animaux de compagnie (serpents, mygales, perroquets…), une dernière partie traite des « animaux non désirés », ceux qu’il convient de contrôler, voire d’éradiquer, soit par souci d’ « hygiène et de salubrité », soit au titre des « dégradations préjudiciables à la sécurité des biens et des personnes » (ibid. : 15) qu’ils engendrent. Dans tous les cas, ce document est un guide du bon comportement à adopter en fonction des espèces animales et de la place qu’il est souhaitable de leur octroyer en ville : nourrir ou ne pas nourrir, soigner et protéger, ou éliminer… Ces comportements répondent à différentes préoccupations, nouvelles ou anciennes : le bien-être animal, la protection de la nature, la propreté et la santé publique. La Ville de Paris s’engage progressivement sur la voie d’une action publique favorable au vivant. Elle reçoit en 2002 une certification environnementale pour les méthodes de gestion appliquées dans ses parcs et jardins. En 2004, elle devient signataire de la Charte régionale de la biodiversité et des milieux naturels, qui l’engage au maintien de la faune et de la flore dans la capitale. La gestion différenciée est mise en place dans les espaces verts en 2007 et la Ville adhère en 2008 à Natureparif, l’Agence régionale pour la nature et la biodiversité en Île-de-France, nouvellement créée (Mairie de Paris 2010).

L’évolution de l’organigramme des services dédiés à ces questions se poursuit (voir tableau 1). En 2007, la Direction des parcs, jardins et espaces verts devient la DEVE : la Direction des espaces verts et de l’environnement. L’environnement quitte donc les questions de propreté, pour être désormais traité sous l’angle écologique. Depuis quelques années déjà, le Service de l’écologie urbaine a remplacé le service Paris-Nature. Il devient en 2010 l’actuelle Agence d’écologie urbaine (AEU), grand service en charge de l’ensemble des questions environnementales et de la stratégie de développement durable de la Ville56 (figure 5), qui regroupe désormais une centaine d’agents.

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Figure 5 : Les services de l'Agence d'écologie urbaine, novembre 2014 (source interne).