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Contexte territorial : quartiers périphériques et politiques urbaines

Chapitre 2 : Petite et grande histoire du chemin de fer de

A. Contexte territorial : quartiers périphériques et politiques urbaines

Les quartiers périphériques focalisent l’attention des politiques à double titre. Une partie des populations qui y vivent sont identifiés comme les plus en difficulté socialement et économiquement. Par ailleurs, le projet de métropole141 amène Paris à redéfinir ses

relations avec les communes limitrophes, ce qui se traduit par la transformation des territoires en bordure.

Figure 16: Carte APUR des quartiers de la politique de la ville à Paris en 2015. Source : http://www.paris.fr/actualites/contrat-de-ville-priorite-aux-quartiers-populaires-2042, consulté le 27/10/2015.

À partir des années 1970, la politique de la ville met en œuvre l’intervention publique dans les quartiers urbains en difficulté. Les lois qui la régissent ont été récemment modifiées. En 2014, la loi dite « de programmation pour la ville et de cohésion urbaine » a établi une nouvelle « géographie prioritaire » (expression officielle utilisée par le Ministère142) composée des quartiers les plus populaires, identifiés à partir des revenus des populations.

141 Suite à deux lois en 2014 et 2015, le projet de la Métropole du Grand Paris est en construction depuis

plusieurs années. Officiellement créée le 1er janvier 2016, elle regroupe Paris, les 123 communes de la petite

couronne et 7 communes de la grande couronne. La création de métropoles vise à renforcer la visibilité et l’attractivité des grandes villes françaises à un niveau mondial (source : http://www.prefig- metropolegrandparis.fr/La-Metropole-du-Grand-Paris/Le-projet-de-constitution, consulté le 22/05/2016).

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Les objectifs sont à la fois sociaux, économiques et urbains, pour le développement des quartiers, l’action sociale auprès des populations et l’amélioration de l’habitat143. À Paris,

20 quartiers sont concernés par le contrat de ville 2015-2020 (figure 16).

En dépit d’une trentaine d’années d’intervention publique, les inégalités sociales et territoriales parisiennes perdurent. Les études de l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR 2011a) montrent que la dissymétrie est toujours prégnante entre quartiers riches à l’Ouest et quartiers pauvres à l’Est. Alors que les revenus des Parisiens sont en progression, les écarts entre les arrondissements se sont creusés, car l’augmentation a été plus rapide dans les quartiers où les revenus étaient déjà les plus élevés. La carte ci-dessous (figure 17) montre que les quartiers les plus populaires se trouvent dans les arrondissements périphériques, dans un large demi-cercle allant du nord au sud et passant par l’est. Les plus pauvres sont les Xe, XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements.

Figure 17 : Carte APUR du revenu médian des ménages par unité de consommation en 2006 (APUR 2011a).

L’APUR a également publié une étude en 2013 sur l’ancienne ceinture verte, comprise entre le périphérique et les boulevards des Maréchaux144, que la voie circulaire longe sur une bonne partie de son parcours. Les populations de cette bordure montrent de fortes disparités avec celles du reste de la capitale. Les personnes issues de l’immigration, les employés et les ouvriers y sont surreprésentés, surtout au Nord et à l’Est.

143 Source : http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0296.asp, consulté le 27/10/2015.

144 La définition spatiale de la ceinture verte parisienne varie. Dans le Plan biodiversité (Mairie de Paris

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La politique de la ville comprend aussi un pan urbanistique. Dans la capitale, le Grand projet de renouvellement urbain (GPRU) concerne onze des quartiers considérés comme prioritaires (figure 18). Ce grand chantier a commencé en 2001. Il porte sur l’urbanisme, l’habitat, les déplacements, les équipements et les espaces publics145.

Figure 18 : Les quartiers du Grand projet de renouvellement urbain (GPRU) de Paris, lancé en 2001 et toujours en cours. Source : http://www.paris.fr/services-et-infos-pratiques/urbanisme-et-architecture/projets-urbains-et- architecturaux/grand-projet-de-renouvellement-urbain-gpru-2452, consulté le 27/10/2015.

Pour la période 2007-2010, le rapport de l’APUR sur la politique de la ville à Paris concluait qu’elle avait permis des améliorations du cadre de vie, mais que la précarité et les difficultés sociales perduraient (APUR 2010a). Une importante littérature porte sur les effets ambigus des programmes de rénovation urbaine. Les sociologues marxistes des années 1960 en ont étudié les premiers effets et ont construit la théorie de la « rénovation- déportation » (Godard et al. 1973). Des travaux de géographes anglo-saxons marxistes sur la gentrification dans les villes américaines vont dans le même sens. Pour Neil Smith (2003), la gentrification est devenue dans les années 1990 une stratégie urbaine globale et institutionnalisée. Elle passe par l’utilisation d’expressions comme « régénération » ou « rénovation » urbaines. De différentes manières, ces théories affirment que les transformations liées aux politiques de rénovation favorisent le déplacement des classes les

145 Source : http://www.paris.fr/services-et-infos-pratiques/urbanisme-et-architecture/projets-urbains-et-

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plus populaires au profit de l’installation d’autres populations. Ce phénomène serait relié à la tertiarisation des grandes métropoles. Récemment, la géographe Anne Clerval (2010) a confronté ces analyses et affirme que, dans le cas de Paris, les opérations de rénovation de la seconde moitié du XXe siècle ont été favorables à l’embourgeoisement des quartiers, mais qu’elles ont aussi permis l’accroissement du parc des logements sociaux, dans lequel les classes populaires se replient. La destruction d’îlots considérés comme insalubres a brisé des sociabilités populaires, mais elles se sont retissées sur des lieux de concentration de logements sociaux, ceux-là même qui sont considérés comme « sensibles » par la politique de la ville. Les transformations urbaines prennent aussi la forme d’une requalification des espaces publics depuis les années 1980, poursuivie par la gauche depuis 2001 : « ces aménagements vont dans le sens d’un embellissement généralisé des espaces publics, passant par un double processus de verdissement (arbres d’alignement, parterres végétaux, etc.) et de patrimonialisation (matériaux de qualité, mobilier urbain classique, etc.) » (Clerval & Fleury 2009 : 8). Nous l’avons vu, une politique volontariste de création d’espaces verts se poursuit aussi depuis les années 1980. Ces aménagements concernent largement le nord et l’est parisiens. L’embellissement par le vert contribue à valoriser l’immobilier et donc, on peut le supposer, à changer les populations des quartiers.

Dans le cadre du GPRU ou non, les grandes opérations d’aménagement sont largement localisées dans les quartiers périphériques (figure 19). Elles répondent aussi à la nouvelle pensée métropolitaine, qui s’accompagne d’une volonté de recréer des continuités urbaines entre quartiers parisiens et communes limitrophes. Cela se traduit par des projets coûteux, couverture de tronçons du périphérique et embellissement des espaces publics à certaines portes (APUR 2013). Dans la perspective d’un rapprochement avec ses voisins immédiats, la municipalité parisienne veut soigner ses bordures et ses entrées. Par ailleurs, la dynamique de rénovation urbaine des quartiers périphériques croisent celle de leur embourgeoisement progressif (Clerval 2010, 2013).

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Figure 19 : Carte APUR des périmètres d'aménagement parisiens pour la période 2011-2013, concentrés dans les quartiers périphériques et sur la ceinture parisienne.

La voie en friche traverse ces zones à la sociologie contrastée. Comme au XIXe siècle, elle

sillonne à travers les quartiers les plus riches et aussi les plus pauvres de la capitale, sur lesquels se concentre l’intervention sociale et urbanistique des pouvoirs publics. Son statut de propriété privée l’a longtemps maintenue à l’écart de ces transformations, mais son actuelle transition doit être replacée dans le contexte d’une périphérie elle-même bouleversée par une action publique forte.