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Chapitre 1 : De l’hygiénisme à la biodiversité

C. Ce que la biodiversité urbaine fait à la ville

Ces nouvelles préoccupations donnent naissance à de grands projets de renaturation urbaine, avec pour double objectif l’amélioration de l’environnement urbain et du bien-être citadin. L’écologie scientifique guide le changement. Sa mise en œuvre modifie des pratiques et des cultures professionnelles, transforme progressivement des paysages urbains. L’appropriation citadine de ces processus est variable, d’une lecture critique à une participation directe au grand projet de ville écologique.

47 Insectes qui visitent les fleurs pour se nourrir et participent à la reproduction des plantes en déplaçant le

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Nouvelle nature, nouveaux jardins, nouvelle gestion

En rupture avec le type de végétal qui dominait depuis l’urbanisme haussmannien, la nature « ordinaire » fait son retour dans la ville. Cet adjectif recouvre deux dimensions : le caractère commun de cette nature, en opposition à la rareté, et une dimension plus subjective, d’une nature familière, proche de l’homme. Elle se constitue des plantes sauvages, adventices, anciennes « mauvaises » herbes, pensées en écologie comme hautement « fonctionnelles » (Godet 2010 : 296) et donc essentielles à la bonne santé des écosystèmes urbains. Les changements de pratiques induites par la mise en écologie de la ville vont progressivement favoriser leur développement.

Les premières critiques vis-à-vis de la gestion intensive des espaces verts datent des années 1970, bien avant l’avènement de la ville durable et de l’écologie urbaine dans les services. Les premiers programmes de gestion qui s’éloigne de l’horticulture intensive sont mis en place par des ingénieurs européens dans les années 1980 (Allain 1999), souvent indépendamment de toute commande politique (Aggéri 2010). Les responsables d’espaces verts s’organisent pour prendre collectivement cette orientation, en même temps que se diffusent les valeurs environnementales et les principes de la ville durable. Dans les grandes villes, se développe alors la gestion différenciée des différents types de nature dans la ville, qui sera progressivement adoptée par l’ensemble des acteurs des espaces verts en France. Cette méthode est la traduction technique de l’intégration du souci écologique dans la gestion des espaces verts. Bien qu’il n’existe aucun référentiel national, elle repose sur l’idée d’abandonner l’entretien standardisé et d’adapter la gestion à chaque type d’espace. Les objectifs sont multiples : offrir une palette de paysages diversifiée, stopper progressivement l’usage des produits phytosanitaires, avoir une gestion économe des ressources (eau, sols, déchets), préserver et enrichir les milieux en favorisant les espèces indigènes adaptées aux sites. Selon Gaëlle Aggéri (2010), « les concepteurs et les techniciens des municipalités cherchent à créer une nouvelle image des lieux en développant de nouvelles idées de nature dans la ville » (ibid. : 48). Cette tendance en croise une autre, d’ordre économique : les gestionnaires publics développent des compétences en écologie pour faire baisser les coûts et répondre aux économies budgétaires (Aggéri 2010). Dans sa thèse sur la nature dans la ville néolibérale, Marion Ernwein (2015) montre à travers le cas de villes suisses, que l’entretien différencié s’est accompagné d’une réorganisation des services municipaux et des tâches des jardiniers, sur des modèles gestionnaires et managériaux inspirés du secteur privé, avec le développement d’une culture du rendement et de l’évaluation. De plus, il s’appuie et renforce des inégalités socio- spatiales en traitant différemment les lieux de prestige et les autres quartiers (ibid., Menozzi 2007).

Le métier de jardiniers municipaux se transforme aussi. Des techniques nouvelles, ordinairement utilisées en agriculture biologique ou en foresterie, sont adoptées (Novarina 2003). Ces nouvelles pratiques demandent des savoirs différents, en botanique ou encore

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en écologie (Dubost 2010, Lizet 2010) et nécessitent la formation des personnels (Aggéri 2010). Laisser une place au spontané va à l’encontre d’une culture horticole du propre et de l’ordre. Les critères du travail bien fait doivent être revus, les cultures et les identités professionnelles des jardiniers sont remises en question (Emelianoff 2011, Ernwein 2015, Lizet 2010, Menozzi 2007), sans compter que les travaux de désherbage manuel rajoutent à leur charge de travail (Arpin et al. 2015a).

La réhabilitation du végétal sauvage se concrétise dans de nouveaux modèles de jardins. Dès les années 1980, des parcs “nature” sont créés en périphérie des villes, construits et plantés, mais qui laissent ensuite s’épanouir une nature sauvage, accessible au citadin (Clergeau 2007, Stefulesco 1993). Des biotopes sont reconstitués, plantes et animaux sauvages se donnent à voir (Stefulesco 1993).

La friche devient un motif paysager. Le paysagiste Gilles Clément (1991, 1999) est sans doute son théoricien et praticien le plus médiatisé. Dès les années 1980, il expérimente son idée de « jardin en mouvement », qu’il mettra publiquement en œuvre sur une parcelle du parc André Citroën inauguré en 1992, dans le XVe à Paris. À partir d’une friche existante ou « reconstituée », où se mélangent plantes horticoles et espèces typiques des terrains vagues, le « jardin en mouvement » et les cheminements qui le traversent suivent les plantes, au gré de leurs déplacements et des nouvelles installations. La perspective du jardinier est profondément modifiée : il s’agit de faire avec, plutôt que de faire contre. Si l’intervention est douce, elle est cependant essentielle : elle vise à maintenir la friche, c’est- à-dire un milieu peuplé d’espèces pionnières, alors que l’évolution naturelle les amènerait à disparaître au profit d’espèces plus stables. Le paysagiste fait l’éloge du « tiers-paysage » (Clément 2004), qu’il définit comme la somme de tous les espaces délaissés, indécis, à la marge de l’aménagement humain et qui sont les refuges de la diversité.

Deux autres jardins parisiens incarnent ce renouveau dans la conception des espaces verts : le Jardin sauvage Saint-Vincent (photo 1) créé en 1988 à partir d’un ancien jardin abandonné et le Jardin naturel sur une friche industrielle, ouvert au public en 1997 dans le XXe (APUR 2000a). Françoise Dubost (2010) prend ce projet en exemple pour montrer comment certains paysagistes s’adaptent à la commande publique, qui évolue sous l’influence de l’écologie urbaine. La conception du jardin est assurée par de jeunes paysagistes, qui collaborent avec un écologue. À la différence du jardin en mouvement, les espaces dédiés à la flore spontanée sont ici séparés des autres, où la flore indigène d’Ile- de-France est reconstituée. Pour la première fois, une mare est créée dans un jardin public. Bernadette Lizet (2010) a quant à elle étudié la création du square Juliette Dodu ouvert en 2005, dans lequel jardin et friche, au contraire, s’hybrident. Dans tous les cas, l’accueil de ces nouvelles tendances par le public est bon, ce qui témoigne selon Françoise Dubost (2010) d’une grande évolution et d’un changement de statut des mauvaises herbes. Le statut des espaces urbains de nature et le rôle de leurs gestionnaires sont ainsi progressivement redéfinis au nom de la biodiversité (Menozzi 2014, Lizée et al. 2014, Arpin et al. 2015a).

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Photo 1 : Le Jardin sauvage Saint-Vincent (XXe). Source : http://equipement.paris.fr/jardin-sauvage-saint-vincent- 1784, consulté le 16/05/2016.

L’écologie urbaine marque aussi le retour de l’animal, avec la figure du sauvage ordinaire (Lizet & Dubost 2003). Les associations et les villes effectuent des inventaires et communiquent sur leur présence (Blanc 2003). Les petits dispositifs d’accueil de la faune, dans les espaces verts et en dehors, se multiplient : ruches, hôtels à insectes, nichoirs… Plus largement, on cherche à « requalifier » écologiquement la ville pour accueillir la faune sauvage. L’action municipale vis-à-vis de l’animal, qui se résumait à repousser et contrôler depuis le XIXe siècle, change de perspective. Cependant, l’affaire ne concerne plus les mêmes êtres. Il est notamment question d’abeilles, de papillons et autres petites bêtes (Micoud 2010). Pour les citadins, de nombreuses espèces animales sont toujours indésirables (pigeons, blattes, rats…) (Blanc 2000).

Un paradoxe fort, souligné par de nombreux auteurs (Lizet 2010, Dubost 2010, Aggéri 2010), apparaît dans ces pratiques œuvrant pour une « nature plus naturelle »: c’est l’artifice auquel les professionnels ont recours pour créer cette « naturalité ». Traduction approximative de l’idée anglo-saxonne de wilderness, la notion de naturalité a été beaucoup discutée. L’acception en biologie de la conservation repose sur un gradient d’intervention humaine : plus le système est modifié par l’homme, moins il est considéré comme naturel et inversement (Paillet et al. 2009). Sols et plantes déplacées, milieux entièrement reconstitués, intervention minutieuse pour maintenir et empêcher certaines évolutions… Comme l’écrit Gaëlle Aggéri (2010), la nouvelle nature urbaine est « une nature anthropisée, sous contrôle de techniciens, et qualifiée symboliquement de naturelle, champêtre ou sauvage » (ibid. : 188).

Aménager pour le vivant

Les trames vertes (et bleues, pour leur version aquatique) sont une figure centrale de la mise en écologie des territoires. Leur définition actuelle n’est pas sans relation avec les continuités vertes imaginés par les urbanistes au début du XXe siècle à des fins hygiénistes. Le « système des parcs » a été lesté de biodiversité urbaine et des principes de connectivité de l’écologie du paysage (Blanc et al. 2012), « les “corridors” et les “liens verts” ont pris

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alors une valeur supplémentaire, et même, pour certains acteurs, une valeur intrinsèque » (Calenge 2003 : 44). Aujourd’hui, la trame verte est un objet pleinement hybride, entre infrastructure écologique, paysagère et sociale, qui doit favoriser le déplacement des vivants humains et non-humains.

Si l’effet des trames vertes et bleues sur la biodiversité est mieux montré dans les milieux ruraux (Clergeau 2008), leur application territoriale est d’ores et déjà une priorité, y compris en ville. La notion fait son entrée dans la législation française en 2009 avec la loi Engagement national pour l’environnement, suite au Grenelle de l’environnement. Les trames deviennent un outil d’aménagement du territoire. L’échelle privilégiée est celle de la région, avec les nouveaux Schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE), dont la mise en œuvre doit ensuite être relayée au niveau local (Blanc 2013). Du point de vue de l’écologie du paysage, les éléments constitutifs de la trame verte sont les réservoirs de biodiversité (ou taches d’habitats) et les corridors écologiques. Dans la ville, il s’agit de créer de nouveaux espaces de nature (ou de les reconnaître comme tels, comme les pieds d’arbres) et de mettre en place des corridors au sein de la matrice urbaine, pour la rendre plus perméable au déplacement des espèces. La question de la multifonctionnalité des trames est considérée comme centrale, car les nécessités écologiques doivent se combiner à d’autres enjeux (transport, éducation, récréation, sport, lien social, attractivité…) (Clergeau 2007), afin d’être appropriée par les différents acteurs de la ville, dont dépend sa réalisation. Ces dispositifs appellent en effet à impliquer une pluralité d’acteurs dans leur gouvernance et à organiser une véritable transversalité (Clergeau & Blanc 2013, Cormier 2011).

De nombreux territoires se sont lancés dans la définition et la planification de leur trame verte, qui se matérialise pour l’instant sous une forme principalement cartographique, dans laquelle les corridors sont principalement pensés dans leur dimension écologique (Cormier 2011). L’élaboration de ces projets et leur réalisation soulèvent diverses questions et difficultés. La première est la polysémie de l’expression « trame verte », à laquelle les disciplines et les acteurs associent des sens et des fonctions différentes (ibid., Medhi et al. 2012). La seconde difficulté est liée à l’articulation entre les échelles territoriales, dans une dynamique top-down. L’appropriation par les acteurs locaux ne va pas de soi, étant donnée l’extrême diversité des contextes (Blanc et al. 2012) et le fait qu’à cette échelle, les priorités et les objectifs politiques ne sont pas les mêmes, entre écologie, paysage et usages (Cormier 2011). La trame verte est un « objet éco-technique » dont le mode d’emploi n’est pas encore établi, car les connaissances scientifiques sur les corridors écologiques sont encore incomplètes (Consalès et al. 2012).

Les trames vertes et bleues marquent un tournant dans la manière d’aménager les territoires, à travers l’intégration des dynamiques du vivant selon les principes de l’écologie du paysage. Mais elles semblent être des objets toujours théoriques, des flèches sur des cartes « d’objectifs » ou « d’intentions ». Au niveau urbain, le changement d’intention est

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le même que pour les jardins et leur gestion : la « nature-décor » laisse place (au moins en théorie) au mouvement du vivant, mais au titre d’une technicité dont l’appropriation reste problématique.

Les trames ne sont qu’un des outils auxquels l’urbanisme a recours pour devenir plus « durable », voire même « écologique ». Depuis la fin des années 1970, les études d’impact sont devenues obligatoires en France pour toute opération d’aménagement, afin d’anticiper leurs conséquences environnementales (Daniel et al. 2011). Des espaces urbains peuvent désormais bénéficier de statuts de protection (Medhi et al. 2012). Différents acteurs cherchent à adapter le bâti pour le rendre plus accueillant pour les espèces. Côté économique, les aménageurs conçoivent des projets vitrines (photo 2)48 et développent des labels pour les valoriser49.

Photo 2 : Le projet de "tour de la biodiversité" de Bouygues construction, dans le XIIIe arrondissement (source :

http://blog.bouygues-construction.com/construire-durablement/ville-ilot-biodiversite/).

Les citadins et leurs natures, diversité des appropriations

De très nombreuses études en géographie, anthropologie, sociologie et même biologie de la conservation, s’attachent depuis quelques années à l’analyse des rapports entre citadins et nature, dont il ressort un certain nombre de constats. Le premier, mis en avant par de nombreux géographes, est l’existence d’une forte demande sociale de nature. Ce désir n’est pas nouveau. Dès les XVIIIe et XIXe siècles, il existe sous des formes bourgeoises avec les

promenades urbaines et les résidences à la campagne, ou du côté populaire sur les fortifications et les guinguettes de la proche campagne. Ses pratiques de nature sont construites comme élément de bien-être, en opposition avec l’industrialisation et

48 À Paris, par exemple, Bouygues construit actuellement sa « tour de la biodiversité » dans le XIIIe

arrondissement, qui sera végétalisée et « végétalisante ». L’entreprise Gecina a aussi inauguré en 2013 le plus grand toit végétalisé de Paris, sur le centre commercial Beaugrenelle dans le XVe arrondissement. 49 Le Conseil international biodiversité & immobilier (CIBI), constitué de puissants acteurs de l’immobilier

(comme Bouygues construction, Bolloré logistics, ELAN, Gecina…), a lancé en 2013 le label BiodiverCity, premier label biodiversité pour le bâtiment.

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l’urbanisation. Les espaces verts urbains sont très fréquentés et les habitants semblent constamment déplorer leur nombre insuffisant. Certaines pratiques liées à la satisfaction de ce désir posent des problèmes environnementaux, lorsqu’ils suscitent l’étalement urbain pour assouvir les envies de pavillon avec jardin ou qu’ils entraînent des consommations énergétiques liés aux allers-retours entre ville et campagne (Bourdeau-Lepage & Vidal 2013, Boutefeu 2005).

D’où vient ce désir ? Pour les géographes Bourdeau-Lepage et Vidal (2013), il a des origines sociales, économiques, politiques, culturelles, environnementales, psychiques et oniriques… mais que ces auteurs décrivent peu. Ils constatent aussi que ce désir n’est pas homogène à travers la société et l’espace, et n’a pas la même signification suivant les catégories de population. Mais là encore, le décryptage s’arrête là. Un autre élément ressort : une idéologie hygiéniste qui perdure sous différentes formes. Il subsiste l’idée d’un lien entre bien-être citadin et contact avec la nature (Lizet & Dubost 2003). La biodiversité urbaine pourrait permettre aux humains de vivre mieux (Manusset 2012) et les études cherchant à en apporter la preuve scientifique se multiplient dans divers domaines. Par exemple, vivre à proximité d’espaces verts favoriserait la bonne santé mentale (Alcock et al. 2014) et réduirait même la mortalité grâce aux vertus dépolluantes des plantes (Nowak et al. 2013).

Les questions de nature urbaine sont saisies par certains citadins. Dans de nombreuses villes, des associations effectuent des inventaires naturalistes (et renouent ainsi avec une longue tradition de production de connaissances scientifiques par des amateurs), sensibilisent à la présence d’une biodiversité insoupçonnée et se mobilisent pour la protéger en cas de menace (Dubost & Rémy 1999). Alors qu’elles avaient initialement une représentation négative de la ville liée à son rôle actif dans la dégradation environnementale, certaines grandes associations de protection de la nature commencent à investir le champ urbain (Cavin et al. 2010). Des artistes prennent pour sujet la biodiversité ordinaire, participent à sa socialisation et l’utilisent comme média pour un « ré- enchantement du territoire » (Barthélémy & Consalès 2014 : 308), en substituant aux trames vertes des urbanistes des trames « sensibles ».

Des citadins s’associent au projet de recensement des espèces à travers les sciences participatives. Les relations entre les scientifiques institutionnels et des acteurs extérieurs à la recherche publique ont toujours existé. En écologie scientifique, la problématique de gestion de la biodiversité et la biologie de la conservation ont profondément transformé ces rapports (Legrand 2013). Dans un contexte où les sciences cherchent à se refaire une image vis-à-vis d’une société qui ne leur accorde plus aveuglément sa confiance (Callon et al. 2001), les sciences participatives sont un enjeu majeur de l’identité actuelle de l’emblématique Muséum. L’essor de ces dispositifs, ainsi que les financements publics en faveur de nouvelles collaborations, participent à ce renouveau des rapports entre science et société. En écologie, leur objectif est avant tout scientifique. Il s’agit de mobiliser des

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volontaires bénévoles pour récolter des données selon des protocoles standardisés (Bonney et al. 2009, Gosselin et al. 2010), à des échelles et dans des quantités que les chercheurs seuls n’auraient pas les moyens d’obtenir. Selon Marine Legrand (2013), ancienne coordinatrice de Vigie-Nature50, programme de sciences participatives du MNHN, l’enjeu est aussi politique : la construction d’indicateurs à grande échelle sert à rendre visible la crise de la biodiversité. Le dernier objectif est social et basé sur l’hypothèse suivante : l’observation et l’acquisition de savoirs sur la nature peuvent changer le regard des individus sur la nature, et ainsi renforcer l’importance qu’ils accordent à la biodiversité et à sa conservation (ibid., Bœuf et al. 2012, Cosquer et al. 2012). Ces ambitions transformatrices visent aussi les pratiques des gestionnaires et des professionnels des espaces verts (Legrand 2015, Couvet & Teyssèdre 2013).

L’espace public est aussi jardiné par les habitants selon de nouvelles modalités, notamment dans les jardins associatifs d’habitants, importé du modèle des community gardens de New York. Dans les années 1970, la ville américaine souffre d’une crise urbaine et financière qui entraîne l’abandon et la démolition de nombreux bâtiments, laissant des terrains vacants utilisés comme dépotoirs et investis par des populations aux comportements considérés comme déviants. Un groupe d’habitants, avec sa tête l’artiste Liz Christie, entreprend de cultiver des terrains à l’abandon, cachés derrière les palissades, en y balançant des bombes de graines51, pour protester contre l’inaction des gouvernants et agir contre la détérioration du paysage urbain. La guerilla gardening est née. Rapidement sont créés sur ces mêmes délaissés les premiers community gardens, des jardins collectifs entretenus et plantés par des habitants, qui accueillent diverses activités et des évènements festifs et artistiques. Ils se multiplient dans la ville mais la crise passe et les jardins sont alors menacés de destruction par les pouvoirs publics, qui entendent bien rentabiliser ces espaces laissés trop longtemps vacants. De nombreux community gardens disparaissent, jusqu’à la reconnaissance de leur légitimité et la mise en place d’un programme municipal assurant encadrement et statut à la pratique (Baudry 2010). Le modèle s’exporte en France à la fin des années 1990 dans plusieurs villes de province, Lille, Bordeaux, Nantes, Rennes, Lyon, etc. Dans la capitale, le mouvement est institutionnalisé à partir de 2003, avec la création du programme municipal Main verte, qui accompagne la création des jardins, légalise leur occupation de l’espace à travers des conventions juridiques et encadre les pratiques à travers une charte. Il existe aujourd’hui plus d’une centaine de jardins « partagés » à Paris (photo 3), sur des terrains vacants appartenant à des divers propriétaires (Réseau ferré de France, bailleurs sociaux, Mairie de Paris, etc.) ou au sein d’espaces verts publics. Ils

50 Vigie-Nature regroupe différents observatoires de la biodiversité ordinaire, sur laquelle des bénévoles

récoltent des données dans toute la France. Le programme a été lancé au début des années 2000, à l’initiative du laboratoire de biologie de la conservation du MNHN (Legrand 2013). L’équipe qui gère le programme est intégrée au laboratoire, rebaptisé depuis Centre d’écologie et des sciences de la conservation.

51 Généralement, ces bombes sont de petites boules composées d’un mélange de terreau et d’argile dans

lesquelles sont insérées des graines. Elles peuvent être jetées sur des terrains délaissés et les graines ainsi protégées germent dès qu’elles sont exposées à des conditions favorables.