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CHAPITRE 3 : LA FICTION POST-CATASTROPHIQUE

3.3. L’ÉCHELLE DE LA CATASTROPHE

Comme on a pu l’entrevoir, tant la cause de la catastrophe que son échelle restent variables. Cette dernière est généralement planétaire, comme c’est le cas dans The Last Ship, The Matrix,

Terminator, After Earth, World War Z, The Walking Dead, The Hunger Games, Maze Runner et

l’ensemble des films de Roland Emmerich susmentionnés. Or, comme la catastrophe emporte le plus souvent avec elle les voies et moyens de communication, des catastrophes localisées sont envisageables sans que les personnages ni le lecteur/spectateur/joueur ne soient en mesure d’en évaluer l’ampleur réelle. Ainsi, dans 28 Days Later, de Danny Boyle (2002), une pandémie décime la population de la Grande-Bretagne, mais le reste du monde semble épargné grâce aux mesures de confinement de l’OTAN. Toutefois, cette information demeure inconnue des personnages, et le spectateur ne l’apprend que dans la suite du film, 28 Weeks Later, de Juan Carlos Fresnadillo (2007). Dans le jeu vidéo The Forest, d’Endnight Games (2014), la catastrophe ne frappe que les passagers d’un avion écrasé sur une île peuplée de cannibales mutants. Elle ne laisse qu’un seul survivant (plusieurs survivants en mode multi-joueurs). Dans la

série de bandes dessinées Girls, de Jonathan et Joshua Luna (2005-2007) et la série télévisée

Under the Dome, de Brian K. Vaughan (2013-2015), la catastrophe se déroule à l’échelle de

petites villes américaines. Il existe également des fictions post-catastrophiques où l’ampleur du désastre déborde le cadre planétaire. C’est le cas de Battlestar Galactica, où 12 colonies humaines interplanétaires sont détruites, les attaques menées par des robots ne laissant intact que la flotte réunie autour du vaisseau Galactica.

Dans les fictions post-catastrophiques, il demeure toujours des zones sinon intactes, du moins favorables à la survie temporaire ou permanente des individus ayant survécu à la catastrophe. Dans Waterworld (1995), de Kevin Reynolds, par exemple, toutes les terres ont été submergées à la suite de la fonte des pôles, à l’exception du toit d’une montagne devenue une île nommée Dryland (vraisemblablement l’Everest), que les protagonistes gagneront à la fin du film. Dans

After Earth, l’humanité, ne pouvant plus survivre sur une Terre polluée, est évacuée grâce à un

effort militaire planétaire. Comme Dryland, Nova Prime constitue une zone épargnée par la catastrophe. Lors de catastrophes limitées à l’espèce humaine et à son milieu, la biosphère demeure intacte et permet un repeuplement ultérieur par les survivants. Elle constitue donc elle aussi une zone épargnée.

Dans d’autres cas, les zones ne sont pas épargnées par le désastre, mais aménagées : soit par les survivants, pendant ou après le désastre, soit avant le désastre, par des individus, groupes ou entités nationales ou supranationales averties de son imminence. En ce qui a trait aux zones aménagées durant le désastre, revenons à Waterworld. Les individus survivent grâce à des embarcations, des épaves ou des îles artificielles construites durant la crue des eaux. Les catastrophes mettant en scène la prolifération et l’invasion de morts-vivants, si populaires depuis une décennie, reposent fréquemment sur la migration des survivants de zone aménageable en zone aménageable. Dans la série de bandes dessinées The Walking Dead, les personnages principaux survivent dans un campement situé en bordure d’Atlanta, puis ils gagnent une gated

community90, une ferme isolée, un pénitencier fédéral, et ainsi de suite. On dénote ici un schéma typique : les lieux sont suffisamment isolés et protégés (par des accidents géologiques ou des

90 Quartier fermé regroupant des propriétés munies de leurs propres dispositifs de sécurité (barrières, caméras de

clôtures, par exemple) pour permettre aux survivants de s’y établir après avoir éliminé quelques menaces isolées. Suit une période plus ou moins longue de repos et de restauration des vivres. Puis une menace insurmontable survient, une catastrophe à l’échelle de la petite communauté forçant l’abandon des lieux et la recherche d’une nouvelle enclave. La menace consiste en une vague de morts-vivants ou une bande de pillards qui convoite l’enclave ou ses ressources, quand elle ne provient pas de la communauté elle-même (dissensions, trahisons).

Les zones aménagées après le désastre sont fréquentes dans les fictions post-catastrophiques. Dans la franchise The Matrix, les individus extraits des cuves – où des machines les élèvent – et déconnectés de la Matrice – la réalité virtuelle qui les maintient dans l’illusion d’une vie normale – survivent sous Terre, dans une ville baptisée Sion. C’est là que s’organise la résistance contre les machines. Dans le Monde d’Arkadi, une cité est construite dans les entrailles de la Terre pour accueillir les Élus, des êtres humains voulus génétiquement parfaits, créés pour préserver l’humanité de la dégénérescence. La ville est divisée en neuf cercles, à l’instar de l’Enfer de Dante, auquel son nom, « Dité », réfère explicitement.

Il existe en outre des zones aménagées en prévision du désastre et dans le but de préserver une portion de l’humanité. Comme le souligne Smolderen (1984), l’arche est un cliché récurrent de l’utopie (terme qu’il emploie pour désigner les fictions post-catastrophiques). Dans certaines fictions, c’est même parfois le nom donné aux zones aménagées, à l’instar des neuf abris construits dans la chaîne de l’Himalaya en prévision des dérèglements climatiques causés par des éruptions solaires dans le 2012 d’Emmerich. Dans la série télévisée The 100, l’Arche désigne les 12 stations spatiales géostationnaires dans lesquelles survit la population dans l’attente que le taux de radiation résultant d’un conflit nucléaire mondial ait diminué sur Terre et que la vie y soit de nouveau possible.

Dans le film Snowpiercer, un train91 constitue également une zone pré-aménagée. Le climat glacial de la Terre, résultat de la diffusion de CW-7 dans l’atmosphère en vue de lutter contre le réchauffement climatique, rend impensable toute survie dans le monde extérieur. Critique de

l’utilisation du CW-7 et conscient du désastre à venir, Wilford, un magnat du transport ferroviaire, fabrique un train destiné à préserver l’espèce humaine du froid. Le train, en constant déplacement, réalise le rêve de la machine à mouvement perpétuel, faisant dans la foulée un pied de nez à la seconde loi de la thermodynamique.

Les zones de survie dessinent une série de tensions. Leur gestion oppose le libre-arbitre et la contrainte autoritaire, celle-là même qui figurait dans les dystopies classiques de la première moitié du XXe s. Leur devenir juxtapose la permanence (la possibilité de recommencement dans un cadre sécuritaire) la précarité (l’enclave menace de céder, les ressources s’amenuisent, forçant à l’exode), mais aussi l’ordre et le désordre ou la néguentropie et l’entropie (section 6.6.5.). Selon Smolderen (1984), l’entropie constitue d’ailleurs un autre cliché de la fiction post-catastrophique.