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DESCRIPTION ET DÉFINITION DE LA FICTION POST-CATASTROPHIQUE

CHAPITRE 3 : LA FICTION POST-CATASTROPHIQUE

3.1. DESCRIPTION ET DÉFINITION DE LA FICTION POST-CATASTROPHIQUE

De nombreuses œuvres portant l’étiquette « post-apocalyptique » paraissent aujourd’hui et un nombre grandissant de recherches, en particulier à partir du début de la décennie 2010, s’y rapporte, à l’instar des contributions d’Ahrens (2009), Anderson (2012), Bellamy (2014), Berger (1999), Boulard (2014), Bragard (2013), Broderick (1993), Brodman et Doan (2017), Canavan (2012). Caracciolo (2018), Curtis (2010), De Cristofaro (2013), Dell'agnese (2014), Dietrich (2013), Di Filippo et Schmoll (2016), Doyle (2015), Edwards (2009), Farca et Ladevèze (2016), Fuchs (2016), Green (2016), Gurr (2015), Hassler-Forest (2017), Heffernan (2008), Herrero (2017), Hicks (2016), Hollm (2015), Horstmann (2015), Jabarouti et Hardev (2014), Kemmer

(2014), Kumar (2011), Kunsa (2009), Lanzendörfer (2015), Lindner (2015), Lisboa (2011), Lizardi (2009), Mavri (2013), Mohr (2015), Moon (2014), Moya (2017), Murphy (2013), Musset (2012), Neagu (2017), Pitetti (2017), Skult (2015), Smith (2013), Snyder (2011), Søfting (2013), Williams (2005), Yoke (1987), Zimmer (2013), liste à laquelle pourrait s’ajouter les études consacrées spécifiquement aux fictions de morts-vivants.

S’il semble y avoir consensus auprès des adeptes sur les œuvres susceptibles d’être désignées comme post-apocalyptiques, rares sont toutefois les définitions systématiques qui lui sont consacrées. Le seul invariant unissant les définitions, au-delà de leur systématicité ou de leur non-systématicité, est évidemment la présence, dans la diégèse des œuvres, d’un ou de plusieurs événements catastrophiques et des conséquences qu’ils entraînent. Toutefois, à ces considérations d’ordre diégétique, il convient d’en ajouter une autre de nature rhétorique, comme nous le verrons plus loin.

Avant de proposer une définition, il convient de revenir sur les étiquettes apposées aux œuvres mettant en scène la gestion de l’après-catastrophe. Notons d’abord l’absence de l’expression « post-apocalyptique » dans l’Encyclopedia of Science Fiction (désormais en ligne et en constante mise à jour), éditée par John Clute, David Langford, Peter Nicholls et Graham Sleight. Cette entrée est vide et renvoie à des termes parents tels que « Post-Holocaust », « Ruined-

Earth » et « Survivalist Fiction ». L’expression « Post-Holocaust », dont l’entrée est rédigée par

John Clute, David Langford et Peter Nicholls (2018), y est qualifiée de terme générique mobilisé afin de rendre compte de récits décrivant les conséquences d’une catastrophe, qu’elle soit d’origine naturelle, humaine ou extraterrestre. Il renvoie à un ensemble de thèmes ayant depuis toujours joué un rôle important dans la science-fiction et que l’on ne peut découper en catégories mutuellement exclusives.

« Holocauste » vient du Grec ancien ὁλόκαυστος (holokaustos), soit ὅλος (holos), « entier », « qui forme un tout », et καυστός (kaiein), « brûler ». Le terme désigne au sens propre un « [s]acrifice religieux, pratiqué notamment par les Hébreux aux temps bibliques, et au cours duquel la victime (uniquement animale chez les Hébreux) était entièrement consumée par le feu » (CNRTL 2012d). L’holocauste se montre indissociable de l’offrande et cantonné à son contexte religieux. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il désigne le génocide juif, bien que le

terme « Shoah » lui soit aujourd’hui préféré. Du sacrifice individuel, il devient l’élimination d’un peuple et perd sa signification d’offrande. Dans le contexte de la guerre froide, l’holocauste nucléaire désigne la menace d’une catastrophe dont les effets se feront sentir à l’échelle globale. Il ne désigne plus un homicide ni un génocide, mais un humanicide doublé d’un écocide : la fin de l’humanité s’accompagne de la fin des conditions favorables à sa survie. Il ne s’agit plus de lier un/des bourreau(x) à une/des victime(s) : en effet, l’initiateur de l’holocauste est moins un acteur spécifique qu’un système géopolitique composé d’une pluralité d’acteurs nationaux et d’un jeu d’alliances international au sein duquel chaque nation se montre, en puissance, à la fois bourreau et victime du désastre à venir.

Le terme « post-holocauste » s’avère contradictoire. L’holocauste pris dans son sens étymologique implique une entière consumation (holos) : il ne reste en effet de l’offrande que des cendres. Penser le post-holocauste devient donc inenvisageable : pour qu’il y ait un après, encore faut-il que le ferment d’une reconstruction ou d’un recommencement subsiste.

Le terme le plus couramment utilisé pour qualifier la fiction du désastre et de ses conséquences, et le plus populaire – terme en quelque sorte émique, mais également repris par certains analystes des œuvres qu’il désigne – est celui de « post-apocalypse ». Notons au préalable que du point de vue étique, et donc dans la perspective des chercheurs et chercheuses qui se sont intéressés à ces productions culturelles, cette expression n’est ni stabilisée ni consensuelle, bien que ce soit la plus fréquemment rencontrée. Fredric Jameson (2005), en référence aux romans de Philip K. Dick et de John Windham, notamment, parle préférablement de « post-catastrophe » dans son

Archéologie du futur. Et nous avons vu précédemment que d’autres étiquettes ont été proposées.

L’origine du mot « apocalypse », comme celui « d’holocauste », est religieuse. Comme le rappelle Rosen (2008) dans sa monographie consacrée aux fictions apocalyptiques postmodernes, son étymologie provient du grec apokalypsis, signifiant un « dévoilement ». Il réfère au Livre de

la Révélation du Nouveau Testament et à la révélation divine du Jugement dernier relatée par

La majeure partie des fictions apocalyptiques et post-apocalyptiques contemporaines désigne une catastrophe séculière, bien que des œuvres récentes continuent de s’inscrire dans une vision chrétienne, à l’instar de la franchise Left Behind, avec ses 13 romans, ses quatre films et son jeu vidéo (2006), transpositions fictionnelles de la doctrine chrétienne dispensationaliste. Curtis (2010), à ce propos, distingue d’un côté l’eschatologie séculière (expression empruntée à Warren Wagar dans Terminal Visions: The Literature of Last Things), ou l’apocalypse populaire, entendue comme « événements finaux désastreux, violents et catastrophiques81 » (p. 5, notre traduction), et, de l’autre côté, l’apocalypse technique figurant dans les religions judaïques et chrétiennes. On retrouve également l’expression « apocalypse séculière » chez Alkon (2010 [1987]), dans son Origins of Futuristic Fiction.

Une fois encore, la terminologie nous apparaît problématique. L’apocalypse, dans son sens originel, désigne le dévoilement de ce qui doit nécessairement advenir dans le futur. Il ne s’agit pas d’un exercice fictionnel sur les possibles à venir, mais de la relation d’événements prédéterminés bien que non encore advenus, suivant une vision eschatologique. Par définition, l’après-Apocalypse se déroule hors du temps humain, hors de l’histoire. Dès lors, l’Apocalypse proscrit le jeu d’extrapolations ou de spéculations caractéristiques des œuvres post- apocalyptiques, qui vise à répondre à la question : « que se passerait-il si une catastrophe X mettait fin au monde tel qu’on le connaît et sur quelles bases serait-il réélaboré? ». En d’autres termes, il manque à l’Apocalypse l’idée de contingence pour rendre compte de la dévastation et de la reconstruction du monde telles que la fiction post-apocalyptique les raconte. Il lui manque également la possibilité de penser l’après-désastre en termes humains et historiques, et non divins et intemporels.

Alkon (2010 [1987]) précise toutefois que la sécularisation de l’Apocalypse, à l’instar de ce que propose le roman Le Dernier homme, de Jean-Baptiste Cousin de Grainville (1805) – et par là- même le fait qu’un temps humain se substitue à un temps sacré – constituerait, d’un point de vue généalogique, l’une des origines du récit d’anticipation. Dès lors, il ne serait pas impropre de qualifier d’« apocalyptiques » les récits mettant en scène la fin du monde à travers une lecture

séculière de l’Apocalypse. Qui plus est, Alkon affirme, en s’appuyant sur Robert Galbreath, que la fiction spéculative, et notamment la fiction traitant de thèmes apocalyptiques, aurait pour but de questionner la conception de la réalité du lecteur, sa fonction première étant donc d’ordre épistémologique. Ainsi, elle n’aurait pas pour but de fournir une vision vraie du futur, mais de susciter des questions perturbantes sur le présent. Dès lors, la nature épistémologique des thèmes de l’Apocalypse justifierait l’emploi de l’adjectif « apocalyptique » pour qualifier les fictions qui les traitent.

Or, cela ne va pas sans soulever certains problèmes. D’abord, le caractère épistémologique des récits catastrophiques et post-catastrophiques provient moins d’une filiation avec l’Apocalypse de Jean qu’avec l’utopie entendue, comme nous l’avons fait au chapitre 2, en termes rhétoriques. L’exercice sur les possibles, que ces derniers soient à venir ou latéraux, part toujours d’une évaluation et d’un questionnement du présent. Dès lors, rien ne justifie ici l’emploi privilégié de l’étiquette « apocalyptique ». Ajoutons que la sécularisation est déjà en marche dans l’Utopia de More – et, donc, dès le début de l’époque moderne – lorsqu’on y propose une meilleure organisation du social.

Ensuite, le terme « apocalyptique » suggère que toute fiction catastrophique ou post- catastrophique désignée comme telle repose sur un hypotexte* unique, soit l’Apocalypse. On ne peut nier que ce dernier constitue un hypotexte privilégié, en particulier lorsqu’il est question des fictions catastrophiques. Mais une relation hypertextuelle* entre cet hypotexte sacré qu’est l’Apocalypse de Jean et ses hypertextes sécularisés ne doit pas occulter d’autres inspirations possibles et non moins importantes. Dans Phoenix from the Ashes, Carl Yoke (1987) montre que les fictions post-catastrophiques – qu’il qualifie préférablement de littérature du « monde refait » (« literature of the remade world ») – relèvent davantage des mythes végétaux de l’Antiquité grecque, mésopotamienne et égyptienne (dont elles sont isomorphes) que du texte de Jean de Patmos. Dans ces mythes – ceux d’Osiris, Tammuz, Adonis, Orphée, Mithra, Persephone, Dionysos, etc. –, il est question de la naissance, de la mort et de la renaissance végétale. Sur le plan de la temporalité, on a là une conception cyclique et naturelle du temps, en concurrence avec la vision eschatologique de l’Apocalypse. D’autres hypotextes seraient le mythe de l’Âge d’Or,

qui traite la temporalité en termes de rétrogression, ou la Genèse et la césure qu’elle opère entre un monde prélapsarien et un monde post-lapsarien82.

Enfin, le terme « apocalypse » laisse à penser que l’on traite de la fin du monde. Or, lorsqu’il est plus spécifiquement question de fictions post-catastrophiques, on fait davantage état de la fin

d’un monde. La portée de la catastrophe ne s’avère pourtant pas forcément globale : dans la

franchise vidéoludique Dead Rising, la fin d’un monde est circonscrite, limitée à des enclaves. Dans Concrete Island, de J. G. Ballard, la catastrophe se limite à un seul homme et donne lieu à une robinssonnade. Dans High-Rise, du même auteur, la catastrophe se voit circonscrite à un immeuble à logements.

Sur la base des considérations précédentes, nous emploierons l’expression « fiction post- catastrophique » préférablement à celles de fiction « post-holocauste » ou de fiction « post- apocalyptique ». « Catastrophe », dans son sens usuel, offre l’avantage d’être dépourvu des connotations religieuses des autres termes évoqués, en plus de ne pas limiter la fiction post- catastrophique à une relation hypertextuelle exclusive.

Maintenant, désigner l’étiquette « post-holocauste » ou « post-apocalypse » comme un terme générique renvoyant aux récits des conséquences découlant de catastrophes, comme le font Clute, Langford et Nicholls (2018), revient à limiter la définition des œuvres qui en ressortissent à des questions de contenu ou, en d’autres termes, à leur dimension diégétique. On occulte ainsi la dimension rhétorique de ces œuvres. C’est également ce que fait une auteure telle que Curtis (2010) lorsqu’elle définit la fiction post-apocalyptique comme tout récit « rendant compte de la manière dont les humains recommencent83 après la fin de la vie sur Terre telle que nous l’entendons84 » (p. 5, notre traduction).

Bien entendu, et comme nous l’avons vu au début de ce chapitre, il ne saurait être question de fiction post-catastrophique sans que la diégèse ne renferme un événement catastrophique à la

82 À cet effet, nombre de récits post-catastrophiques désignent l’événement catastrophique en termes de « Chute ».

C’est le cas, notamment, du roman Cloud Atlas, de David Mitchell (analysé dans le chapitre 9).

83 Dans le même esprit, Yoke (1987) parle « d’histoires du monde refait » (« stories of the remade world ») (p. 2). 84 « that takes up how humans start over after the end of life on earth as we understand it » (Curtis 2010, p. 5).

suite duquel le récit se situe et qui le motive. Qui plus est, il est possible d’enrichir la définition du post-catastrophique sur la base de la récurrence de données diégétiques, sans toutefois que leur présence ne constitue en soi une condition à la fois nécessaire et suffisante. Parmi ces récurrences figurent l’impératif de survie et des considérations morales sur les actes qui en découlent, la féralisation des comportements humains (retour à la barbarie, bandits en maraude, cannibalisme), la désévolution technologique et scientifique au profit d’une résurgence de la superstition et de pratiques religieuses dogmatiques, des représentations paysagères axées sur la ruine (sur le sujet, voir, notamment, Fuchs 2016) et la luxuriance d’une nature ayant repris ses droits (voir Farca et Ladevèze 2016), l’amenuisement des ressources, l’entropie, la métamorphose du langage entre déstructuration et hyper-fonctionnalisation (voir, notamment, Sorlin 2008), l’effacement de la mémoire collective, une tension entre l’ordre et le chaos social, mais aussi entre l’ancrage territorial et le nomadisme, la prégnance de formes tribales, claniques et communautaires de socialités, une opposition entre consommation sans lendemain et production autarcique, et ainsi de suite.

À ces récurrences s’ajoute une forte propension à la référence intertextuelle tournée vers les classiques de l’utopie. Par exemple, les prénoms des principaux protagonistes de la série télévisée et des romans de la franchise The 100, Clarke, Bellamy, Octavia et Wells renvoient aux auteurs célèbres de romans eutopiques et dystopiques Arthur C. Clarke, Edward Bellamy, Octavia Butler et H. G. Wells, de même que Cloud Atlas se réfère, non sans humour, au Soylent Green de Richard Fleischer (1973), lorsque Timothy Cavendish, un homme enfermé dans un pensionnat de personnes âgées s’exclame auprès des autres résidents : « Le Soleil Vert, ce sont les gens ! me moquai-je devant ces regards vides. Le Soleil Vert est fait de gens ! » (Mitchell 2007 [2004]). Au-delà de ces considérations, il convient cependant de mettre en évidence la dimension foncièrement rhétorique de la fiction post-catastrophique en désignant celle-ci comme une forme de l’utopie.

De la manière dont nous l’entendons, la fiction post-catastrophique constitue moins un sous- genre de la science-fiction – c’est ce que laisse entendre la définition de Clute, Langford et Nicholls (2018) – qu’un sous-ensemble de l’utopie. Vue comme telle, la fiction post-

catastrophique ne se limite à aucun genre en particulier. En d’autres termes, elle s’avère transgénérique. La trilogie romanesque Jon Shannow, de David Gemmell (1987, 1989, 1994), fiction post-catastrophique située trois cent ans dans le futur, relève tout autant de la fantasy que de la science-fiction. Aux côtés d’artefacts techniques appartenant à diverses époques historiques (les pistolets à silex, Colt et Browning côtoient arbalètes et épées, l’épave du Titanic tient lieu d’Arche, etc.) figurent les Sipstrassi, pierres magiques venues de l’espace, conférant à qui les possède des pouvoirs extrasensoriels et l’immortalité. C’est également le cas des romans Who

Fears Death, de Nnedi Okorafor (2010), la trilogie romanesque The Sword of the Spirits, de Sam

Youd (1970, 1971, 1972), écrite sous le pseudonyme de John Christopher, et la série romanesque

Shannara, de Terry Brooks (1977-2016). Cette dernière, par exemple, se déroule dans un futur où

la guerre nucléaire a décimé l’humanité et conduit à une désévolution technologique que pallie la magie. Les radiations ont engendré des mutations et les survivants se partagent entre plusieurs races : les humains, les elfes, les nains, les gnomes et les trolls, créatures typiques de la littérature de fantasy depuis Tolkien, mais également des mythologies scandinaves et germaniques qui ont inspiré ce dernier. Les nouvelles du cycle Zothique, de Clark Ashton Smith (1932-1953), allient sorcellerie et technologies futuristes.

Le monde de la terre creuse, décalogie romanesque d’Alain Paris, relève quant à elle de

l’uchronie (dyschronie) et de la fantasy : l’usage à grande échelle de la bombe nucléaire par le IIIe Reich lors de la Seconde Guerre mondiale (point de divergence historique) se solde par sa victoire et provoque un hiver nucléaire. Le récit débute à la veille du 800e anniversaire de la fondation du Reich, dans un monde comparable au Moyen Âge et à la Renaissance européens. La

fantasy se signale par le recours à la magie, permettant notamment la fabrication d’homoncules.

Le roman The Road, de McCarthy, au-delà de sa portée allégorique, relève quant à lui d’une écriture réaliste et ne repose ni sur la magie ni sur une extrapolation consacrée aux avancées technologiques. La même chose pourrait être affirmée du roman The Pesthouse, de Jim Crace (2007).

On constate donc un brouillage générique au sein de la fiction post-catastrophique, de sorte qu’il apparait problématique d’en faire un sous-genre de la science-fiction. À l’inverse, les fictions post-catastrophiques incluent toujours une dimension utopique. Le caractère utopique des fictions

post-catastrophiques réside non seulement dans la catastrophe elle-même, donnant lieu à un monde dystopique par nature, mais également – et surtout – dans la réorganisation sociale des survivants. Il existe une tension, dans l’après-catastrophe, entre la dystopie et l’eutopie, les deux matérialisant les principes appréciatif et amélioratif dans un espace-temps autre, situé après la catastrophe.

La catastrophe constitue le lieu privilégié de l’appréciation négative. D’une part, elle agit comme le révélateur d’une conjoncture jugée défaillante en extrapolant les conséquences de ses facteurs délétères, voire mortifères. Pour ce faire, elle procède par hypotypose*. D’autre part, comme le signale Musset (2012), la catastrophe fait table rase du passé ou, dans nos propres termes, de la conjoncture présente (celle de l’œuvre), créant des conditions favorables (la possibilité d’un recommencement) à l’élaboration d’un espace-temps autre matérialisant les principes appréciatif et amélioratif.

Cette table rase se trouve au centre de la définition de la fiction post-catastrophique chez Curtis (2010) : « Je définis la fiction post-apocalyptique comme tout récit rendant compte de la manière dont les humains recommencent après la fin de la vie sur Terre telle que nous l’entendons85 » (p. 5, notre traduction). Mentionnons ici que cette définition soulève quelques interrogations. Nous ne reviendrons pas sur l’aspect problématique du terme « apocalyptique ». Au-delà de cette question, la définition nous paraît restrictive. Elle limite la fiction post-catastrophique à un espace précis : la Terre. Or, l’échelle de la catastrophe, nous le verrons dans la section 3.3, s’avère parfois de moindre ampleur – seule la Grande-Bretagne est touchée dans 28 Days Later – ou de plus grande ampleur – dans Battlestar Galactica, la catastrophe frappe les douze planètes représentant autant de colonies humaines. Ajoutons que la catastrophe se déroule, dans certains cas, en dehors de la Terre, à l’instar des colonies de Battlestar Galactica, mais aussi de la planète fictive Sera, dans la franchise vidéoludique Gears of War. Enfin, le critère du « recommencement » ne constitue pas une condition nécessaire à l’identification d’une fiction post-catastrophique. Dans certains cas, le récit focalise sur les conséquences délétères de la catastrophe sans que les ressources nécessaires à un recommencement existent de façon sûre, à

85 « I define postapocalyptic fiction as any account that takes up how humans start over after the end of life on earth

l’instar de The Road, de McCarthy. Il s’agit, dès lors, de survivre dans un monde en ruine. Dans d’autres cas, on ne recommence pas, on tente plutôt de réinstaurer l’ordre perdu. Dans la série télévisée The Last Ship, de Hank Steinberg et Steven Kane (2013-2018), par exemple, l'équipage du destroyer USS Nathan James tente de rétablir un gouvernement dans une société américaine en proie au chaos social. De même, il arrive que certaines fictions se terminent sur une promesse de recommencement sans que celle-ci ne se matérialise dans les limites de l’œuvre. C’est ce qui se produit dans le troisième tome de la trilogie The Maze Runner, de James Dashner, laquelle se termine lorsque deux cents jeunes adultes, immunisés contre le virus qui a décimé l’humanité, atteignent une zone naturelle laissée intacte par les éruptions solaires (catastrophe précédent l’épidémie). Le récit prend fin lors de cette découverte. L’épilogue se présente alors telle une ouverture eutopique.

Revenons maintenant à la tension utopique. Celle-ci survient quand il y a juxtaposition de lieux dystopiques et eutopiques ou lorsqu’il y a proposition d’un lieu dystopique et une ouverture laissant poindre une eutopie située hors de l’œuvre (sous la forme d’un horizon d’espoir), à