• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4. L’apparence de Camilla

B) L’âge d’or et l’âge de fer

À cette étape de l’exploration du rôle de Camilla dans l’Énéide, je souhaite montrer dans quelle mesure le personnage de Camilla permet au poète de suggérer une vision de l’Italie antique ; dans cette vision virgilienne de l’Italie, le poète propose une méditation sur le mythe de l’âge d’or et les causes de sa fin. Le poème aborde deux grands thèmes : l’amour des possessions et la rage de la guerre. La perspective sur la guerre qui semble avancée, notamment à travers le personnage de Camilla, n’est pas dépourvue de tristesse, mais elle laisse néanmoins entendre la possibilité d’établir une paix durable.

Lorsque Virgile compose l’Énéide, les guerres civiles hantent l’imaginaire de ses contemporains. Dans son œuvre, le poète invite son lecteur à se confronter à l’histoire récente de Rome et à considérer son époque comme un tournant historique. Le monde auquel appartient le

441 Segal 1968, 430.

442 Segal 1968, 429, 432.

443 Cf. chapitre 1.

444 Cf. chapitre 1 et chapitre 4, partie 2.

445 Stoffelen note une ambiguïté dans la description virgilienne de l’île de Circé, Stoffelen 1994, 12. Combinée à la référence au Circaeum iugum (7.799), la dénomination Circaea terra (7.10) pourrait favoriser une correspondance entre la terre de Circé et une des caractéristiques de l’Italie sur laquelle ont abordé les Troyens, Jenkyns 1989, 36.

passé et le nouveau monde qui prend forme sont déjà au cœur de l’écriture des Géorgiques446. Ces liens entre l’ancien et le nouveau monde sont fondés sur la conception romaine du temps cyclique, qui implique que les événements se répètent447. Dans les Bucoliques, Virgile a mentionné le retour de l’âge d’or : redeunt Saturnia regna, « voici que revient l’âge de Saturne » (buc. 4.13) ; toto surget gens aurea mondo, « une race d’or se lèvera sur le monde entier » (buc. 4.9). L’âge d’or réapparaît dans l’Énéide lorsqu’Anchise prédit à Énée la fondation d’un nouvel âge d’or par Auguste (6.791-4) :

hic uir, hic est, tibi quem promitti saepius audis, Augustus Caesar, diui genus, aurea condet saecula qui rursus Latio regnata per arua Saturno quondam,

Voici l’homme, le voici, celui que tu t’entends si souvent promettre, César Auguste, rejeton divin, qui fondera à nouveau l’âge d’or dans le Latium, en ces guérets où régna autrefois Saturne,448

Il ne s’agit pas de faire revenir l’âge d’or, mais de le fonder à nouveau (rursus). La référence au règne de Saturne induit un parallèle entre ce dernier et Auguste ; or, dans l’Énéide, les généalogies des Latins remontent précisément au règne de Saturne.

Les généalogies des Latins

Pour développer son portrait de Latinus et par implication celui de son peuple, Virgile utilise des données provenant de la mythologie latine, en lien avec le culte des ancêtres449. Dans l’Énéide, plusieurs généalogies des Latins sont établies ; leurs incohérences traduisent les différences d’intérêts de leurs sources450 : la mise en scène du passé est ainsi présente à l’intérieur du poème.

La première généalogie de Latinus est établie par le narrateur, qui présente Saturne comme le premier ancêtre du roi des Laurentes (7.45-9). La deuxième généalogie est celle des statues du palais de Picus, qui figurent dans l’ordre Italus, Sabinus, Saturne, Janus et Picus (7.177-91). L’histoire du Latium racontée par Évandre (8.313-36) fait elle aussi une place importante au rôle de Saturne sur la région (8.314-8) :

446 Nelis 2013, 247.

447 Griffin 1982, 188.

448 Veyne 2013a, 335, traduction modifiée.

449 Rosivach 1980, 151.

450 Casali 2020, 300.

« haec nemora indigenae Fauni Nymphaeque tenebant

gensque uirum truncis et duro robore nata, 315 quis neque mos neque cultus erat, nec iungere tauros

aut componere opes norant aut parcere parto, sed rami atque asper uictu uenatus alebat. »

« Ces bois étaient habités par des faunes et des nymphes qui en étaient issus et par une race d’hommes sortie du tronc des chênes, de leur dureté,

ils n’avaient ni mœurs ni arts, ils ne savaient pas atteler les taureaux, ni amasser de provisions, ni ménager les biens acquis,

mais le fruit des branches et de la pénible chasse faisait leur subsistance. »451

Évandre raconte que, à l’arrivée de Saturne, les habitants indigènes sont les contemporains des faunes et des nymphes ; ils naissent des arbres et ne connaissent encore rien de la civilisation (neque mos neque cultus). Ces descriptions rappellent l’enfance de Camilla, qui est attachée à une lance avec l’écorce d’un chêne-liège puis éduquée à la chasse dans les montagnes. Dans le récit d’Évandre, Saturne a d’abord rassemblé les peuples indigènes répandus dans les montagnes, puis leur a donné des lois et a appelé la terre Latium. C’est ainsi qu’est instauré l’âge d’or (8.319-27) :

primus ab aetherio uenit Saturnus Olympo

arma Iouis fugiens et regnis exsul ademptis. 320 is genus indocile ac dispersum montibus altis

composuit legesque dedit, Latiumque uocari maluit, his quoniam latuisset tutus in oris.

aurea quae perhibent illo sub rege fuere

saecula : sic placida populos in pace regebat, 325 deterior donec paulatim ac decolor aetas

et belli rabies et amor successit habendi.

Saturne vint le premier, exilé de l’Olympe céleste,

fuyant les armes de Jupiter après que son règne lui fut confisqué.

Cette race indocile et dispersée dans les hautes montagnes, il la réunit et lui donna des lois, et choisit de l’appeler Latium, pour avoir, en ces parages, trouvé une cachette sûre.

L’âge d’or, comme on le qualifie, se place sous son règne : si calme était la paix qu’il maintenait au sein des peuples, jusqu’à ce que peu à peu l’âge moins bon et décoloré

lui succède, celui de la rage de la guerre et de l’amour des possessions.452

Le récit d’Évandre nomme les deux maux qui ont mené l’âge d’or à sa fin : la rage de la guerre et l’amour des possessions. Dans cette dernière partie de mon travail, je souhaite montrer dans quelle mesure le récit des aventures de Camilla appartient à l’exploration poétique de la fin de l’âge d’or.

451 Veyne 2013b, 85, traduction modifiée.

452 Veyne 2013b, 85, traduction modifiée.

L’amour des possessions

Avant la mort de Camilla, dans le vers 11.782, le poème dénonce deux vices chez la guerrière : l’amour des dépouilles et de la proie : femineo praedae et spoliorum ardebat amore. Dans le récit d’Évandre cité ci-dessus, la perte de l’âge d’or est due à deux vices humains, l’amor habendi et la rage de la guerre, belli rabies (8.327). À la fois le vers 8.327 et le vers 11.782 évoquent d’abord la violence, puis les dépouilles.

J’ai déjà évoqué la relation de Camilla aux dépouilles de Chlorée453. Son amour exagéré pour les vêtements du prêtre, qui provoque la fin de la guerrière, a été comparé à l’attitude d’autres guerriers de l’Énéide face au butin de guerre. J’ai analysé les paroles de Lausus à propos des dépouilles de Turnus, l’attitude d’Énée vis-à-vis des dépouilles de Lausus, puis celle de Turnus, qui porte le baudrier de Pallas et signe son arrêt de mort. Ces comparaisons ont suggéré une possible mise en garde du poète contre l’attrait des richesses ; à cette dernière, se mêle un procédé de transformation des valeurs héroïques. L’attitude d’Énée face aux dépouilles est empreinte de pietas et de pitié. Grâce au contraste entre Camilla, Turnus et Énée, le poème met en évidence les vertus du héros de l’Énéide : l’oubli de soi, la mise en avant du bien commun et la clémence. Cette attitude vertueuse est opposée à l’amor habendi qui est l’un des facteurs de la fin de l’âge d’or.

La rage de la guerre

Dans la deuxième partie de l’Énéide, Virgile met en scène la violence de la guerre entre Troyens et Latins. La guerre est en réalité prédite au chef troyen bien avant son arrivée sur le sol italien : dans le livre 3, le rêve des pénates apprend à Énée que l’Italie est puissante militairement (potens armis, 3.164 ; 3.148-71)454. Un peu plus tard, le devin Hélénus conseille à Énée de se rendre auprès de la Sibylle (3.458-60). À son tour, Anchise prévient Énée de la guerre future (5.730-1) :

gens dura atque aspera cultu debellanda tibi Latio est.

Dans le Latium, il te faudra soumettre une nation dure, aux mœurs grossières.455

Asper signifie « rude, grossier, peu raffiné », mais peut également désigner « violent, féroce, cruel, sauvage »456 ; la polysémie de l’adjectif doit être prise en compte : par asper, le poème évoque à la fois les mœurs « mal dégrossies » des italiens et leur violence. Dans la seconde moitié de l’Énéide,

453 Cf. chapitre 4, partie 1.

454 Moorton 1989, 119.

455 Veyne 2013a, 269, traduction modifiée.

456 OLD, s.v. asper.

durant la guerre contre les Latins, après les combats qui causent la mort de Pallas, Énée se rappelle des mots d’Évandre (11.46-8) :

cum me complexus euntem

mitteret in magnum imperium metuensque moneret acris esse uiros, cum dura proelia gente.

quand à mon départ, en m’embrassant

[Évandre] m’envoyait prendre le haut commandement et, avec appréhension, m’annonçait des guerriers pugnaces, des combats avec un peuple rude.457

Ces mots font écho à ceux d’Anchise. La perception des Latins comme une race dura et prompte à la violence est aussi présente dans le discours provocateur de Numanus Remulus (9.602-20). Horsfall voit dans ce discours une « incohérence augustéenne » : la rudesse de la vie décrite par Numanus est loin d’être idéalisée, mais semble néanmoins en partie désirable, ce que soutiennent des analogies avec les Géorgiques (georg. 2.471-2, 531)458. La mort de Numanus mettrait peut-être une fin symbolique à cette vie mêlant violence et agriculture dont il vante les vertus.

C’est la même logique de déterminisme géographique qui veut que les Orientaux soient doux et efféminés qui s’applique aux Italiens. L’ancienne ethnographie suppose en effet que les contrées sauvages et les âpres montagnes de l’Italie font de ses peuples une race endurante et courageuse459. L’enfance passée par Camilla dans une proximité avec la nature montre son appartenance à la terre italienne ; cette proximité est partagée par d’autres guerriers qui, comme Camilla enfant (11.573-4), impriment la trace de leurs pieds sur le sol (7.681-90) :

hunc legio late comitatur agrestis :

quique altum Praeneste uiri quique arua Gabinae Iunonis gelidumque Anienem et roscida riuis Hernica saxa colunt, quos diues Anagnia pascis,

quos Amasene pater. non illis omnibus arma 685 nec clipei currusue sonant : pars maxima glandes

liuentis plumbi spargit, pars spicula gestat bina manu, fuluosque lupi de pelle galeros tegmen habent capiti ; uestigia nuda sinistri

instituere pedis, crudus tegit altera pero. 690

457 Veyne 2013b, 235, traduction modifiée. Veyne traduit aspera cultu par « mœurs belliqueuses ».

458 Horsfall 2020, 9.

459 Cairns 1989, 125.

Les hommes qu’il a levés lui font une ample armée de paysans.

Ce sont ceux de la haute Préneste, ceux qui tiennent les guérets de la Junon de Gabies, le frais Anien ou les rochers herniques humides

de leurs rivières ; ceux que tu nourris, opulente Anagnia, et toi, vénérable Amasenus. Ils n’ont pas tous des armes, ils ne font sonner ni boucliers ni chars ; la plupart d’entre eux

lancent à la fronde des balles de plomb livide, d’autres portent à la main une paire d’épieux, ils ont pour coiffe un bonnet fauve

en peau de loup ; la coutume veut qu’ils impriment au sol

leur pied gauche nu, tandis qu’une botte de cuir cru protège l’autre.460

Avant Camilla et son javelot pastoral (7.817), le catalogue décrit les troupes de campagnards qui accompagnent Caeculus, le roi fondateur de Préneste. Leur description contient en détail les lieux d’où ils proviennent, ce qui les identifie fortement à la nature qui les entoure. La métaphore du vers 7.687 les assimile même à du bétail. On notera la présence du fleuve Amasenus, celui-là même que Métabus et Camilla traversent dans le livre 11, qualifié ici de pater (7.685). Les combattants ne sont pas tous équipés d’armes, ils lancent des glands de plomb ; une partie tient une pique ou un javelot (spicula) dans chaque main. Surtout, la manière dont ils sont chaussés (chacun porte une chaussure au pied droit) montre une ambivalence entre le primitif et le civilisé.

Ils sont « à moitié » proches de la nature : en l’occurrence, un pied est en contact avec la terre et y laisse des traces à chaque pas, l’autre pied est couvert d’une chausse. Les glands de plombs attirent l’attention sur le lien entre l’homme à l’état de nature et le guerrier.

À la suite des guerriers-campagnards de Caeculus, Camilla est décrite en lien avec l’Italie rustique. Son aspect sauvage ou primitif est mis en valeur à plusieurs niveaux : dans ses armes et dans le récit de son enfance. Parmi ses armes, le javelot pastoral du vers 7.817 possède le rapport le plus explicite avec la vie rustique, mais la hache possède aussi un tel potentiel. Dans le récit de son enfance, Camilla grandit sur les collines, dans un cadre pastoral où elle apprend à chasser ; durant les combats, Camilla conserve une attitude de chasseresse. En outre, on peut ajouter à ces éléments le titre de reine des Volsques, qui en fait la représentante d’un peuple italien.

Camilla permet à Virgile de concentrer dans un seul épisode et un même personnage la discussion de deux thèmes majeurs de l’Énéide, celui du guerrier et celui du pasteur. Dans l’épisode de Camilla, Virgile utilise des fragments de récits épiques qui sont agrégés pour la construction de l’histoire de ce personnage (la guerre et la vie pastorale), et qui permettent l’expression d’une autre signification461.

460 Veyne 2013b, 53.

461 Wimmel 1973.

La qualification des Latins de dura gente par Énée (11.48) rappelle la présentation de Camilla dans le cortège italien. Lors de sa première apparition, on apprend que « la vierge supportait les durs combats », proelia uirgo/dura pati (7.806-7) ; uirgo pourrait être rapproché de gens, et signifier ainsi un certain rapport de représentation de Camilla par rapport à l’Italie du camp de Turnus. Ce dernier qualifie en outre Camilla de decus Italiae (11.508) ; dans les mots du narrateur, les compagnes de Camilla sont des Italides (11.657), et leurs noms les relieraient à des personnages historiques de l’antiquité romaine462. Ces liens avec la terre italienne suggèrent qu’un des rôles de Camilla et de ses compagnes peut être de représenter l’Italie qui accueille Énée. Le rôle de Camilla se situerait plus précisément dans l’exposition des maux italiens qui préviennent un retour de l’âge d’or.

West suggère que Virgile a inventé Camilla pour « symboliser à la fois le meilleur et le pire de l’Italie primitive »463. Camilla possède des qualités qui pouvaient être connectées avec les peuples italiens primitifs par les lecteurs contemporains de Virgile ; Pyy inclut dans ces caractéristiques « sa sauvagerie indomptable, sa connexion à la nature [...], sa nature violente et son endurance à la bataille »464. En multipliant les parallèles entre Camilla et d’autres personnages, Virgile interroge les relations entre la souillure de l’innocente Italie et les imperfections morales d’une nature humaine universelle, propre aux aborigènes italiens comme aux immigrants troyens465.

Les armes de Camilla font le lien entre la vie rustique et le basculement vers la guerre466 ; le portrait de Camilla en guerrière violente et féroce est donc similaire à l’Italie prédite à Énée467. Malgré ses références à la vie rustique qui peuvent rappeler les Géorgiques, l’Italie indomptée incarnée par Camilla ne doit pas être idéalisée : son primitivisme est une qualité ambiguë et fatale468. Le monde pastoral qui se soulève dès le livre 7 est vulnérable de l’intérieur en raison des limites de la nature humaine469. Ce portrait de l’Italie possède selon Horsfall des liens avec la période contemporaine de Virgile : pour la pax Augustana, l’aptitude pour la guerre est nécessaire, mais sa force doit être dirigée vers l’étranger. En parallèle, le lien entre la rusticité et la guerre rappelle l’abandon des champs par les fermiers partis à la guerre. Loin d’évoquer les joies de la vie pastorale, l’Italie rustique de l’Énéide rappelle le danger que représente la négligence des cultures agricoles470.

462 Alessio 1993, 129.

463 West 1985, 25.

464 Pyy 2010, 188.

465 Moorton 1989, 106.

466 Cf. chapitre 3.

467 Moorton 1989, 114.

468 Otis 1964, 364.

469 Moorton 1989, 107.

470 Horsfall cite notamment Verg. georg. 1.508, Ov. fast. 1.697-704, Horsfall 2020, 9.

Saturne, ses lois et la liberté des Italiens

Dans le récit d’Évandre, la sauvagerie aborigène est contrôlée par les lois de Saturne. Si le règne de la loi vacille, le déclin causé par la sauvagerie morale reste une possibilité471. Il existe un lien entre les lois et la liberté des Italiens dans l’Énéide : Johnston explique que, sous César et Auguste, la liberté prend une connotation qu’elle n’avait pas dans le monde grec ; auparavant, elle signifiait surtout l’inexistence d’un lien avec Rome, et par conséquent la négation du statut de citoyenneté472. Chez Virgile, au niveau personnel, la liberté serait la délivrance de la servitude ; au niveau politique, elle représenterait la libération de la tyrannie473. Or, dans le poème, les lois amenées par Saturne ont disparu sous le règne de Latinus, qui estime que son peuple n’en a pas la nécessité (7.202-4) ; cependant le poème montre par l’escalade vers la guerre qui a lieu dans le livre 7 que le jugement de Latinus est problématique.

À cet égard, le poème oppose Énée aux Italiens ; d’un côté, une forme condamnable de liberté est perceptible chez les adversaires des Troyens. À travers leur lien avec les chevaux et la métaphore du relâchement des brides et de l’emballement au galop, Turnus, Mézence et Camilla semblent incarner le risque de perte de contrôle dans la violence et ses conséquences tragiques. De l’autre côté, Énée figure la stabilité ; ainsi, il est à pied lorsqu’il affronte Mézence (10.870-908), tandis que ce dernier est décrit dans des termes qui rappellent la vitesse de Camilla (10.870-87) :

sic cursum in medios rapidus dedit. 870

(...) inde aliud super atque aliud figitque uolatque 883 ingenti gyro, sed sustinet aureus umbo.

ter circum astantem laeuos equitauit in orbis 885 tela manu iaciens,

Il s’est ainsi lancé au galop dans la mêlée.

Puis, prenant son vol en larges cercles, il lance un autre [javelot]

et encore un autre qui viennent se planter, mais le bouclier d’or tient bon.

Autour d’Énée qui est à pied, il a fait tourner trois fois son cheval sur sa gauche en jetant ses traits474

Tandis qu’Énée reste stationnaire, Mézence chevauche autour de lui. C’est en lançant son javelot dans les tempes du cheval de Mézence qu’Énée prend le dessus dans l’affrontement.

Opposée à la mobilité, à la vitesse et à la liberté sans bride de Camilla, Turnus et Mézence, la stabilité d’Énée est présentée comme la vertu qui accompagne un destin favorable.

471 Moorton 1989, 128.

472 Johnston cite Liv. 33.32.5, cf. 33.33.5-7, 34.41.3, 39.37.10, Johnston 2006, 21-2.

473 Johnston 2006, 30.

474 Veyne 2013b, 229.

Dans leur relation avec l’Italie, le parallèle entre Saturne et Énée est évident : Saturne fuit le royaume du ciel qu’il a perdu, comme Énée fuit Troie475. Les peuples fédérés par Saturne sont à l’origine des êtres primitifs, des contemporains des faunes et des nymphes. Les Italiens, à l’arrivée des Troyens, sont décrits de façon comparable : proches de la nature, mais sauvages. Le récit de l’enfance de Camilla souligne donc peut-être le parallèle avec Saturne ; il définit la mission de la lignée que fondera Énée (et, par extension, la mission d’Auguste) : le rassemblement de la nation et l’avènement de la paix grâce à l’établissement des lois.

La hache, arme de Camilla, apparaît aussi dans une référence aux faisceaux des licteurs (6.817-23)476.

uis et Tarquinios reges animamque superbam ultoris Bruti, fascisque uidere receptos ?

consulis imperium hic primus saeuasque securis

accipiet, natosque pater noua bella mouentis 820 ad poenam pulchra pro libertate uocabit,

infelix, utcumque ferent ea facta minores :

uincet amor patriae laudumque immensa cupido.

Veux-tu voir aussi les rois Tarquins, l’âme orgueilleuse de Brutus le vengeur, et les faisceaux qu’il a recouvrés ?

Le premier, il recevra le pouvoir du consul et les haches impitoyables,

Le premier, il recevra le pouvoir du consul et les haches impitoyables,