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Conclusion sur le schème de la politisation d’engagements religieux

2) Jeanne, une intellectuelle de première génération, militante communiste

Jeanne est née en 1943, dans le sud-ouest de la France. Elle est issue d’un milieu populaire : son père, fils de métayer, est chauffeur, athée et syndicaliste (CGT) et sa mère, fille de

139 Sur la question du militantisme comme « seconde école », cf. notamment Pudal B., Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1989, chapitre 3 ; ainsi que Ethuin N., « De l’idéologisation de l’engagement communiste. Fragments d’une enquête sur les écoles du PCF (1970-1990) », Politix, 2003, 16, 63, pp. 145-168.

140 Mauger G., « Postface », in Mannheim K., Le problème des générations, Paris, Nathan, 1990, p. 109.

141 Jean entre à la JCR en 1966 avec sa femme, Christiane (cf. partie C ci-dessus) par le biais d’amis avec lesquels ils ont milité contre la Guerre d’Algérie, et participe alors à la lutte contre la Guerre du Vietnam, au sein notamment du Comité Vietnam National. Enseignant en histoire géographie, il est muté à l’école normale de Troyes en 1967. Ils y fondent avec sa femme un groupe JCR et ils feront partie des principaux animateurs du

charpentier, est femme de ménage. « Mon destin, c’était de passer le certificat d’études et de devenir coiffeuse ou couturière», dit-elle, mais elle est bonne élève et son institutrice insiste auprès de ses parents pour lui faire suivre des études longues, si bien qu’elle continue jusqu’au Brevet puis intègre l’Ecole Normale de Bordeaux où elle passe son bac :

« Dans ma famille : six tontons/tatas paternels plus trois maternels et 28 rejetons au total, je

suis, par hasard, la première et unique bachelière du paquet familial. »142

Habitant une zone populaire à la lisière d’un quartier bourgeois de Bordeaux, elle est scolarisée dans une école où la grande majorité des enfants sont issus des classes supérieures si bien que c’est dès l’école primaire qu’elle ressent fortement l’altérité sociale :

« C'est l'habitat de mes copains qui m'a le plus impressionné : c'était beau, il y avait une salle de bains, de beaux objets. Ils avaient plein de jouets, de beaux habits, etc. Je me sentais différente. […] J’avais un neveu de François Mauriac dans ma classe, donc une population plutôt bourgeoise. »

Elle a quinze ans quand elle trouve dans la boite aux lettres de ses parents un exemplaire ronéotypé de La question d’Henri Alleg, livre qu’elle considère à l’origine de sa prise de conscience politique et de son engagement143. Elle s’engage très jeune dans la lutte anti-coloniale, adhérant aux Jeunesses Communistes au moment de la Guerre d’Algérie :

« A côté de chez mes parents, y’avait un centre d’apprentissage où y’avait pas mal d’Algériens, donc j’avais des amis Algériens : ma première motivation, c’était par rapport à eux et à l’Algérie indépendante ; donc je suis rentrée à la Jeunesse Communiste […] et à Bordeaux, il y avait beaucoup d'étudiants "des colonies" (Algérie, Antilles, Afrique noire) très militants

anticolonialistes. »144

Jeanne entre à l’UEC en 1961, après avoir obtenu le baccalauréat, et milite au Front Universitaire Antifasciste – « c’était l’époque du FUA…Y’avait des attentats OAS etc donc on

montait la garde dans les locaux de l’UNEF » – tout en poursuivant ses études au centre de

formation des professeurs de collège. Devenir professeur de collège (métier qu’elle n’exercera

mouvement de Mai 68 à Troyes. Jean, militant syndicaliste à l’« École émancipé » de la FEN, deviendra dans les années 1970 un des représentants nationaux de ce courant à la FEN.

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Les propos de Jeanne utilisés dans cette partie sont extraits de l’entretien réalisé avec elle le 27/01/06

143 Le père de Jeanne est syndiqué à la CGT et sympathisant du PCF. Pour autant, nous ne rattachons pas – entièrement – sa trajectoire au schème de la transmission familiale de dispositions à l’engagement dans la mesure où l’instance centrale de socialisation politique dans son cas réside dans le groupe de pairs au lycée puis à l’Université (donc en lien avec sa trajectoire scolaire). Par ailleurs, la politique n’est pas un sujet de discussion dans la sphère familiale dans son enfance, sa mère n’étant pas intéressée par les questions politiques, réservant la sphère familiale aux questions de religion.

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d’ailleurs jamais) peut être analysé comme un moyen de concilier mandat parental d’ascension sociale, et mandat de fidélité aux classes populaires desquelles elle s’éloignait :

« Eux vivaient plutôt ça comme une promotion, dont ils étaient assez fiers; ma mère surtout, qui a fait la gueule quand je n'ai pas pris mon poste et qui aurait voulu que je "monte plus haut" [Et

plus loin] De fait, devenir prof de collège, ou instit', c'était rester "fille du peuple". »

Si Jean, bien que considéré par son entourage comme sympathisant communiste, n’adhérera jamais au PCF (ce qui peut être expliqué par la prégnance de la socialisation catholique et le refus de s’investir dans une nouvelle institution « totale » après des années d’internat religieux), Jeanne va y trouver un lieu de sociabilité, de formation, d’intégration au milieu étudiant et un moyen de rester fidèle à sa classe d’origine :

« [ Mais pourquoi le PC ?] Le PC parce que c'est ...le parti de la classe ouvrière ; qu'Henri Alleg était au PC Algérien, que Maurice Audin aussi, que j'allais à l'université marxiste et à la semaine de la pensée marxiste à la Mutualité ! Que j'avais une prof au PC, qu'il y avait eu la Résistance et la guerre d'Espagne, etc. […]. Le PCF appelait à toutes les manifs "Paix en Algérie" à la fin des années 1950. »

Si d’autres enquêtés, intellectuels de première génération, expliquent en entretien qu’ils ne « pouvaient » pas entrer au PCF du fait de la position ambiguë du parti dans la guerre d'Algérie, il faut ici penser en terme d’offre politique locale : Jeanne grandit dans le sud-ouest de la France, elle a une grand-mère basque, l’Espagne est proche, les étudiants venant d’Algérie sont nombreux, d’où l’influence du P.C. espagnol et du P.C. Algérien. De plus, parmi les motivations de Jeanne, une fois à l’UEC, à rester parmi les « orthodoxes » et à adhérer au PCF – plutôt que de se rapprocher de la ligne trotskiste ou maoïste comme l’ont fait d’autres enquêtés –, on retrouve la dénonciation des « scissionnistes petit-bourgeois » :

« Et au sein de l'UEC, comment te positionnes-tu par rapport aux différentes tendances ?

C'était un peu le bordel. J'étais plus séduite par la ligne trotskiste, Krivine, que par les autres. Mais je n'ai pas quitté l'UEC, j'aimais son journal et la librairie Clarté, ni le PC parce que j'avais peur des scissionnistes petit-bourgeois, c’était ma position de l'époque. »

Malgré de plus grandes affinités intellectuelles et politiques avec le courant trotskiste, les forces de rappel à une affiliation de classe poussent Jeanne à rester fidèle au PCF145, selon le « principe de conformité »146 caractéristique du goût populaire.

145 Du moins dans un premier temps. Jeanne part en 1965 vivre à Madrid avec son compagnon, où elle milite clandestinement au P.C. espagnol. Son expérience des événements de Mai-Juin 68 et les prises de positions du

3) Aline, trajectoire d’une intellectuelle de première génération

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